L’Idylle éternelle/L’Aimée (2)

La bibliothèque libre.
Paul Ollendorff, éditeur (p. 157-162).


L’AIMÉE


I


Quand ce mal terrible brûla
Les pâles roses de ta bouche
Et qu’il te tordit sur ta couche.
Pauvre ange, je n’étais pas là.

Quand la mort frappait à la porte,
Je n’étais pas là, sur le seuil ;
J’aurais su, voyant un cercueil,
Que ma seule aimée était morte !

 
Ce n’était pas moi qu’appelait
Pendant cette agonie affreuse
Ta plainte lente et douloureuse,
Ton souffle Aiible qui râlait ;

Et quand ton père vint, très pâle,
Sa voix aimée emplit tes yeux
De pleurs doux et délicieux,
Un sourire coupa ton râle.

Et pourquoi, pauvre ange, pourquoi
Aurais-tu mis dans la souffrance
Ta suprême et frêle espérance
Et ton dernier recours en moi ?

Qui, pourtant, angoisse infinie,
De loin, sans te voir, sans pouvoir
T’adoucir l’heure, et sans savoir,
Souffrais toute ton agonie.


Car tu dois toujours ignorer
Que je pleurais et que je t’aime,
Hélas ! et je n’avais pas même
Le droit triste et doux de pleurer.


I


 
Pour avoir tant souffert, à l’heure
Où les autres ne savent pas
Que l’on peut, hélas ! ici bas
Tant souffrir, ni pourquoi l’on pleure,

Pour avoir senti sur tes yeux
La mort poser ses mains de glace
Et le vent de son aile lasse
Frissonner parmi tes cheveux,

Comme tu dois être plus belle
Qu’aux jours limpides de jadis
Où vers de jeunes paradis
Ton âme frêle ouvrait son aile !


Ton pauvre petit corps d’enfant
Si délicat et si gracile,
La douleur a dû, trop habile,
L’affiner en le torturant.

Ta voix qui semble dans l’aurore
Un oiseau prêt à s’envoler,
Quelque chose doit y trembler
De plus doux, de plus triste encore.

Et tes yeux, ange revenu
De la lumière ou bien de l’ombre,
Gardent sans doute, reflet sombre,
La vision de l’inconnu.