L’Idylle éternelle/L’Hirondelle

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Paul Ollendorff, éditeur (p. 74-88).


L’HIRONDELLE


vers pour être chantés


I


Je chante celle là qui, comme une hirondelle,
Dès les premiers rayons du chaud soleil d’été,
Était venue, un beau matin, d’un grand coup d’aile,
Avec le rameau vert de l’amour enchanté.
 
Je chante celle là qui, comme une hirondelle,
Dès les premiers frissons des lugubres hivers,
S’est envolée, un soir morose, oh ! l’infidèle,
Pour chercher des pays toujours fleuris et verts.


II


C’est l’heure des mélancolies,
          Et vos pâleurs
Suprêmes sont encor pâlies,
          Dernières fleurs.

Combien aussi de rêves roses
          Se flétriront !
Renaîtront-ils, lorsque les roses
           Refleuriront ?


III


 
Le vieux soleil découragé
A perdu ses ardeurs bénies
Et l’air s’est de neige chargé.
 
Les feuilles sont partout jaunies
Et, le soir, les soleils couchants
Ont des tristesses infinies.
 
Les bois, les plaines et les champs
Se revêtent d’un manteau sombre,
Et sont pleins de détails touchants.

La nature rêveuse s’ombre
De tons pensifs et somnolents.
Tristes pensers naissent sans nombre.
 
Et dans les promenoirs dolents
Où l’âme s’arrête assombrie,
On sent errer, vague, à pas lents.
 
L’inconsolable Rêverie.


IV


               Il faut perdre cette maîtresse,
                         Oh ! si traîtresse,
Qui comme un rêve bleu n’aura fait que passer,

               Il faut pleurer cette amoureuse
                         Si savoureuse
Lorsque sa bouche en fleur s’ouvrait pour un baiser.

               Elle était toute parfumée,
                         La bien aimée.
Des senteurs de l’avril qui commence à pousser.

               Je sens une angoisse mortelle :
                         Nous aimait-elle,
Celle dont l’amour put si vite se glacer ?

               N’étaient-ce que paroles vaines,
                         Ou, dans ses veines,
Circulait-il un feu qui sut trop s’apaiser ?

               Aux premiers froids, cette hirondelle
                          Trop infidèle
Sur un autre arbre en fleurs vole pour se poser.


V


Dans la plaine,
          Une voix jolie
Chante, pleine
          De mélancolie,

Un air lent,
          Un air éploré.
Rappelant
          L’amour expiré.

Et l’on songe
          Aux amours anciennes,
O mensonge !
           Si musiciennes,

Aux aimés,
          Aux rêves défunts
Parfumés
          De tant de parfums.


VI


 
C’est donc fini. Tout ce beau rêve
N’est plus qu’un beau rêve envolé.
Oh ! je sens mon cœur désolé
Et peu s’en faut qu’il ne se crève.

Aimer toujours ! Souffrir sans trêve !
O mon amour inviolé,
Pour cet hiver, reste isolé ;
Il faut, vois-tu, te mettre en grève.

Sous mes cils perlent quelques pleurs,
Et ce sont là les seules fleurs
Que, cet automne, tu recueilles.
 
Le rameau s’est étiolé,
L’arbre n’a plus bientôt de feuilles
Et l’oiseau s’est vite envolé.


VII


Rappelle-toi, mon cœur, ce matin de Printemps
                    Où la chère maîtresse
Faisait fleurir en toi des rêves éclatants
          Pleins d’amour et d’ivresse.

Rappelle-toi, mon cœur, la belle nuit d’Été,
          Où, dans mes bras captive,
Je craignais de meurtrir, follement emporté,
          L’exquise sensitive.

Les Printemps sont passés et les Étés sont morts.
          Rien ne reste plus d’elle.
Faudra-t-il donc toujours, ô cœur plein de remords,
          Aimer cette infidèle ?


VIII


Chère infidèle, tu me sèvres
De baisers depuis bien longtemps.
Oh ! je voudrais, lèvres sur lèvres,
Te redire les mots chantants.

Je sens ma pauvre âme mordue
Par le cruel besoin d’aimer.
Oh ! je voudrais, trop tôt perdue !
Dans tes bras encor me pâmer,
 
Sentir encor, dans nos caresses,
Le parfum de ton corps subtil.
Au moins les anciennes ivresses,
T’en souvient-il, t’en souvient-il ?


IX


Lorsque le printemps nous rapportera
Le nouveau soleil et les primeroses,
Plus d’une hirondelle alors reviendra,
O mon pauvre cœur, et l’on oubliera
Les mornes saisons, les saisons moroses.

Sera-ce toujours, ô cœur trop subtil,
La même hirondelle aux ailes si blanches ?
Qu’importe, l’amour nous revient d’exil
Et j’entends déjà la chanson d’avril
Qui chante joyeuse à travers les branches.