L’Idylle éternelle/Paysage sentimental

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Paul Ollendorff, éditeur (p. 65-73).


PAYSAGE SENTIMENTAL


1


La chambre toute désolée
N’a rien gardé de notre amour.
Tout est vide depuis le jour,
Méchante, où tu t’en es allée.

Mais dans le bois, le petit bois
Où nous menait la vieille route.
Je te retrouve toute, toute,
Avec l’ivresse d’autrefois.


Sous son ombre mystérieuse
Il a, dans le parfum des lys,
Embaumé l’amour de jadis,
Si loin de toi, chère oublieuse !


2


D’incertitude nuancé,
Le soleil d’avril, dans les branches,
Évoque en moi, visions blanches,
Ton cher sourire du passé.

Quelque chose comme une larme
Semble trembler dans un rayon
Et c’est, ô blanche vision,
Même tendresse et même charme.

On voit dans les feux irisés
Frissonner les feuilles de lierre.
Le battement de ta paupière
Etait pareil sous mes baisers.


3


Ce petit ruisseau qui se ride
Aux dernières brises du soir,
Tout plein de ciel, me fait revoir
Tes doux yeux d’un azur timide.
 
Des frissons d’ailes gracieux
Se posent sur des campanules.
Ainsi des rêves, libellules,
Erraient toujours dans tes doux yeux.
 
L’orage tord les jeunes plantes.
L’eau s’émeut sous un coup de vent.
Tes doux yeux ainsi trop souvent
S’emplissaient de tristesses lentes.


4


Parmi l’herbe disséminées,
Marguerites aux cols fluets,
Primevères et graminées,
Et forêts vierges de bluets ;

Dans les sentes, des pendentines
Elégantes de liserons,
De viornes et d’églantines,
Qui venaient effleurer nos fronts ;
 
Et ces floraisons dans les branches
Encombraient d’un exquis fouillis
D’or et d’azur, vertes et blanches,
Ce petit coin du Doux Païs.


5


Te souvient-il, ma douce amie.
Du petit coin bien abrité
Où, rose, tu t’es endormie
Dans les roses, un soir d’été ;

Où j’ai, moi, sous les branches vertes,
Veillé délicieusement
Ton sommeil exquis et charmant,
Dormeuse aux lèvres entr’ouvertes ?

— J’erre encor dans le petit bois
Pas à pas, (extases pareilles !)
Et n’osant respirer, parfois,
Car j’ai peur que tu ne t’éveilles.


6


Quand les bois sont pleins de murmures,
J’entends ta douce et chère voix
Qui gazouillait sous les ramures
Dans la solitude des bois.

Tout se taisait pour mieux entendre
Dans un sourire émerveillé
La musique rêveuse et tendre
De ton rire de pleurs mouillé.

Et quelquefois une fauvette,
Pressentant une exquise sœur,
Mêlait sa voix, oh ! l’indiscrète,
A ta voix pleine de douceur.


7


Le matin me dit tes pâleurs
Et dans le frisson de l’aurore
Qui boit au calice des fleurs,
Je te revois timide encore.

Le jour ensoleillé, le jour
Me rappelle tes formes blanches,
Quand tu venais, prête à l’amour,
Sous l’asile discret des branches.

Et le soir triste, le doux soir
Me rapelle tes formes blanches,
Quand tu venais, très lente, voir
S’ouvrir les étoiles fleuries.


8


Sur le vieux banc, près du vieil arbre,
Un rayon vient tout près de moi
Se poser, blanchissant le marbre.
Je me figure que c’est toi.

Ne crois pas que trop de tristesse
Se mêle à mon cher souvenir.
Des choses qu’on a vu finir
Plus douce est la délicatesse.

Dans ce cadre doré de jour
Où, comme au temps passé, je t’aime,
Le souvenir de notre amour
Est plus doux que notre amour même.