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L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre premier/15

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 58-59).


CHAPITRE XV.

DES ŒUVRES DE CHARITÉ.

1. Pour nulle chose au monde, ni pour l’amour d’aucun homme, on ne doit faire le moindre mal ; on peut quelque fois cependant, pour rendre un service dans le besoin, différer une bonne œuvre, ou lui en substituer une meilleure : car alors le bien n’est pas détruit, mais il se change en un plus grand.

Aucune œuvre extérieure ne sert sans la charité ; mais tout ce qui se fait par la charité, quelque petit et quelque vil qu’il soit, produit des fruits abondants.

Car Dieu regarde moins à l’action qu’au motif qui fait agir.

2. Celui-là fait beaucoup, qui aime beaucoup. Celui-là fait beaucoup, qui fait bien ce qu’il fait ; et il fait bien lorsqu’il subordonne sa volonté à l’utilité publique.

Ce qu’on prend pour la charité, souvent n’est que la convoitise ; car il est rare que l’inclination, la volonté propre, l’espoir de la récompense, ou la vue de quelque avantage particulier, n’influe pas sur nos actions.

3. Celui qui possède la charité véritable et parfaite, ne se recherche en rien ; mais son unique désir est que la gloire de Dieu s’opère en toute chose.

Il ne porte envie à personne, parce qu’il ne souhaite aucune faveur particulière, ne met point sa joie en lui-même, et que, dédaignant tous les autres biens, il ne cherche qu’en Dieu son bonheur.

Il n’attribue jamais aucun bien à la créature ; il les rapporte tous à Dieu de qui ils découlent comme de leur source, et dans la jouissance duquel tous les Saints se reposent à jamais comme dans leur fin dernière.

Oh ! qui aurait une étincelle de la vraie charité, que toutes les choses de la terre lui paraîtraient vaines !

RÉFLEXION.

Presque toutes les actions des hommes partent d’un principe vicié, de cette triple concupiscence dont parle saint Jean[1], et contre laquelle la vie chrétienne n’est qu’un perpétuel combat. L’amour déréglé de soi, si difficile à vaincre entièrement, corrompt trop souvent les œuvres même en apparence les plus pures. Que de travaux, que d’aumônes, que de pénitences, dans lesquelles on se confie peut-être, seront stériles pour le ciel ! Dieu ne se donne qu’à ceux qui l’aiment ; il est le prix de la charité, de cet amour inénarrable, sans bornes et sans mesure, qui, tandis que tout le reste passe, demeure éternellement, dit saint Paul[2]. Amour, qui seul faites les Saints, amour qui êtes Dieu même[3], pénétrez, possédez, transformez en vous toutes les puissances de mon âme, soyez ma vie, mon unique vie, et maintenant, et à jamais dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

  1. I Joann. ii, 16.
  2. I Cor. xiii, 8.
  3. I Joann. iv, 16.