L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre premier/24

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 82-85).


CHAPITRE XXIV.

DU JUGEMENT ET DES PEINES DES PÉCHEURS.

1. En toutes choses regardez la fin, et reportez-vous au jour où vous serez là, debout devant le Juge sévère, à qui rien n’est caché, qu’on n’apaise point par des présents, qui ne reçoit point d’excuses, mais qui jugera selon la justice.

Pécheur misérable et insensé ! que répondrez-vous à Dieu qui sait tous vos crimes, vous qui tremblez quelque fois à l’aspect d’un homme irrité ?

Par quel étrange oubli de vous-même vous en allez-vous, sans rien prévoir, vers ce jour où nul ne pourra être excusé ni défendu par un autre, mais où chacun sera pour soi un fardeau assez pesant ?

Maintenant votre travail produit son fruit ; vos larmes sont agréées, vos gémissements écoutés ; votre douleur satisfait à Dieu, et purifie votre âme.

2. Il a ici-bas un grand et salutaire purgatoire, l’homme patient qui, en butte aux outrages, s’afflige plus de la ma lice d’autrui que de sa propre injure ; qui prie sincèrement pour ceux qui le contristent, et leur pardonne du fond du cœur ; qui, s’il a peiné les autres, est toujours prêt à de mander pardon ; qui incline à la compassion plus qu’à la colère ; qui se fait violence à lui-même, et s’efforce d’assujettir entièrement la chair à l’esprit.

Il vaut mieux se purifier maintenant de ses péchés et retrancher ses vices, que d’attendre à les expier en l’autre vie.

Oh ! combien nous nous trompons nous-mêmes par l’amour désordonné que nous avons pour notre chair !

3. Que dévorera ce feu, sinon vos péchés ?

Plus vous vous épargnez vous-même à présent, et plus vous flattez votre chair, plus ensuite votre châtiment sera terrible, et plus vous amassez pour le feu éternel.

L’homme sera puni plus rigoureusement dans les choses où il a le plus péché.

Là, les paresseux seront percés par des aiguillons ardents, et les intempérants tourmentés par une faim et une soif extrêmes.

Là, les voluptueux et les impudiques seront plongés dans une poix brûlante et dans un soufre fétide ; comme des chiens furieux, les envieux hurleront dans leur douleur.

4. Chaque vice aura son tourment propre.

Là, les superbes seront remplis de confusion, et les avares réduits à la plus misérable indigence.

Là, une heure sera plus terrible dans le supplice, que cent années ici dans la plus dure pénitence.

Ici, quelquefois le travail cesse, on se console avec ses amis : là, nul repos, nulle consolation pour les damnés.

Soyez donc maintenant plein d’appréhension et de douleur pour vos péchés, afin de partager, au jour du jugement, la sécurité des bienheureux.

Car les justes alors s’élèveront avec une grande assurance contre ceux qui les auront opprimés et méprisés[1].

Alors se lèvera, pour juger, celui qui se soumet aujourd’hui humblement aux jugements des hommes.

Alors l’humble et le pauvre auront une grande confiance ; et de tous côtés l’épouvante environnera le superbe.

5. Alors on verra qu’il fut sage en ce monde, celui qui apprit à être insensé et méprisable pour Jésus-Christ.

Alors on s’applaudira des tribulations souffertes avec patience, et toute iniquité sera muette[2].

Alors tous les justes seront transportés d’allégresse, et tous les impies consternés de douleur.

Alors la chair affligée se réjouira plus que si elle avait toujours été nourrie dans les délices.

Alors les vêtements pauvres resplendiront, et les habits somptueux perdront tout leur éclat.

Alors la plus pauvre petite demeure sera jugée au-dessus du palais tout brillant d’or.

Alors une patience constamment soutenue sera de plus de secours que toute la puissance du monde ; et une obéissance simple, élevée plus haut que toute la prudence du siècle.

6. Alors on trouvera plus de joie dans la pureté d’une bonne conscience que dans une docte philosophie.

Alors le mépris des richesses aura plus de poids dans la balance que tous les trésors de la terre.

Alors le souvenir d’une pieuse prière vous sera de plus de consolation que celui d’un repas splendide.

Alors vous vous réjouirez plus du silence gardé que des longs entretiens.

Alors les œuvres saintes l’emporteront sur les beaux discours.

Alors vous préférerez une vie de peine et de travail à tous les plaisirs de la terre.

Apprenez donc maintenant à supporter quelques légères souffrances, afin d’être alors délivré de souffrances plus grandes.

Éprouvez ici d’abord ce que vous pourrez dans la suite.

Si vous ne pouvez maintenant souffrir si peu de chose, comment supporterez-vous les tourments éternels ?

Si maintenant la moindre douleur vous cause tant d’impatience, que sera-ce donc alors des tortures de l’enfer ?

Il y a, n’en doutez point, deux joies qu’on ne peut réunir : vous ne pouvez goûter ici-bas les délices du monde, et régner ensuite avec Jésus-Christ.

7. Si vous aviez vécu jusqu’à ce jour dans les honneurs et les voluptés, de quoi cela vous servirait — il, s’il vous fallait mourir à l’instant ?

Donc tout est vanité, hors aimer Dieu et le servir lui seul.

Car celui qui aime Dieu de tout son corur, ne craint ni la mort, ni le supplice, ni le jugement, ni l’enfer, parce que l’amour parfait nous donne un sûr accès près de Dieu.

Mais celui qui aime encore le péché, il n’est pas surprenant qu’il redoute la mort et le jugement.

Cependant si l’amour ne vous éloigne pas encore du mal, il est bon qu’au moins la crainte vous retienne.

Celui qui est peu touché de la crainte de Dieu ne saurait longtemps persévérer dans le bien ; mais il tombera bientôt dans les pièges du démon.

RÉFLEXION.

Dieu est patient, dit saint Augustin, parce qu’il est éternel. Mais après les jours de patience, viendra le jour de la justice ; jour d’effroi, jour inévitable, où toute chair comparaîtra devant le Roi de l’éternité, pour rendre compte de ses œuvres et de ses pensées même. Transportez-vous en esprit à ce moment formidable : voilà que la poussière des tombeaux s’émeut, et de toutes parts la foule des morts accourt aux pieds du souverain Juge. Là, tous les secrets sont dévoilés, la conscience n’a plus de ténèbres, et chacun attend en silence le sort qui lui est destiné pour toujours. Les deux cités se séparent ; la grande sentence est prononcée ; elle ouvre le paradis aux justes, et tombe sur les pécheurs avec tout le poids d’une éternelle réprobation. Environné des anges fidèles et de la troupe resplendissante des élus, Jésus-Christ remonte dans sa gloire : Satan saisit sa proie et l’entraîne dans l’abîme : tout est consommé à jamais ; il ne reste plus que les joies du ciel, et le désespoir de l’enfer. Pendant que vous êtes encore sur la terre, le choix entre ces demeures vous est laissé : choisissez donc, mais n’oubliez pas qu’il n’y a point de repentir de l’autre côté de la tombe.

  1. Sap. v, 1.
  2. Ps. cvi, 42.