L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre quatrième/01

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 277-283).


CHAPITRE PREMIER.

AVEC QUEL RESPECT IL FAUT RECEVOIR JÉSUS.
Voix du disciple

1. Le F. Ce sont là vos paroles, ô Jésus ! vérité éternelle ! quoiqu’elles n’aient pas été dites dans le même temps, et qu’elles ne soient pas écrites dans le même lieu.

Et puisqu’elles viennent de vous, et qu’elles sont véritables, je dois les recevoir toutes avec une foi pleine de reconnaissance.

Elles sont de vous, car c’est vous qui les avez dites ; mais elles sont aussi à moi, parce que vous les avez dites pour mon salut.

Je les reçois avec joie de votre bouche, afin qu’elles se gravent profondément dans mon cœur.

Ces paroles pleines de tant de bonté, de tendresse et d’amour, m’animent ; mais la pensée de mes crimes m’effraye, et ma conscience impure m’éloigne d’un mystère si saint.

La douceur de vos paroles m’attire, mais le poids de mes péchés me retient.

2. Vous m’ordonnez d’aller à vous avec confiance, si je veux avoir part avec vous ; et de me nourrir du pain de l’immortalité, si je veux obtenir la vie et la gloire éternelle. Venez, dites-vous, venez à moi, vous tous qui souffrez et qui êtes oppressés, et je vous ranimerai[1].

O douce et aimable parole à l’oreille d’un pécheur ! vous invitez, Seigneur mon Dieu, le pauvre et l’indigent à la participation de votre corps sacré.

Mais qui suis-je, Seigneur, pour oser m’approcher de vous ?

Voilà que les Cieux des cieux ne peuvent vous contenir[2], et vous dites : Venez tous à moi.

3. D’où vient cette miséricordieuse condescendance, une si tendre invitation ?

Comment oserai-je aller à vous, moi qui ne sens en moi même aucun bien qui puisse me donner quelque confiance ?

Comment vous recevrai-je en ma maison, moi qui ai si souvent outragé votre bonté ?

Les Anges et les Archanges vous adorent en tremblant, les Saints et les Justes sont saisis de frayeur ; et vous dites : Venez tous à moi !

Si ce n’était vous qui le dites, Seigneur, qui pourrait le croire ?

Et si vous n’ordonniez vous-même d’approcher de vous, qui en aurait l’audace ?

4. Noé, cet homme juste, travailla cent ans à construire l’arche, pour se sauver avec peu de personnes : et moi, comment pourrai-je, en une heure, me préparer à recevoir dignement le Créateur du monde ?

Moïse le plus grand de vos serviteurs, pour qui vous étiez comme un ami, fit une arche d’un bois incorruptible, qu’il revêtit d’un or très pur, afin d’y déposer les tables de la loi : et moi, vile créature, j’oserai recevoir si facilement le fondateur de la loi et l’auteur de la vie ?

Salomon, le plus sage des rois d’Israël, employa sept ans à élever un temple magnifique à la gloire de votre nom : il célébra, pendant huit jours, la fête de sa dédicace ; il offrit mille hosties pacifiques, et, au son des trompettes, au milieu des cris de joie, il plaça solennellement l’arche d’alliance dans le lieu qui lui était préparé.

Et moi, misérable que je suis et le plus pauvre des hommes, comment vous introduirai-je dans ma maison, moi qui sais à peine employer pieusement une demi-heure ? Et plût à Dieu que j’eusse une seule fois employé dignement un moindre temps encore ?

5. O mon Dieu, que n’ont point fait ces saints hommes pour vous plaire, et combien, hélas ! ce que je fais est peu ! combien est court le temps que je consacre à me préparer à la communion !

Rarement suis-je bien recueilli ; plus rarement suis-je libre de toute distraction.

Et certes, entre votre divine et salutaire présence, nulle pensée profane ne devrait s’offrir à mon esprit, nulle créature ne devrait l’occuper : car ce n’est pas un ange, mais le Seigneur des anges que je dois recevoir en moi.

6. Quelle distance infinie d’ailleurs entre l’arche d’alliance avec ce qu’elle renfermait, et votre corps très pur avec ses ineffables vertus ; entre les sacrifices de la loi, figure du sacrifice à venir, et la véritable hostie de votre corps, accomplissement de tous les anciens sacrifices !

7. Pourquoi donc ne suis-je pas plus enflammé en votre adorable présence ?

Pourquoi n’ai-je pas soin de me mieux préparer à la participation de vos saints mystères ; lorsque ces antiques patriarches, ces saints prophètes, et ces rois, et ces princes avec tout leur peuple, ont montré tant de zèle pour le culte divin ?

8. David, ce roi si pieux, fit éclater ses transports par des danses religieuses devant l’arche, se souvenant des bienfaits que Dieu avait répandus sur ses pères ; il fit faire divers instruments de musique, il composa des psaumes que le peuple chantait avec allégresse, selon ce qu’il avait or donné, et, animé de l’Esprit-Saint, souvent il les chanta lui-même sur sa harpe ; il apprit aux enfants d’Israël à louer Dieu de tout leur cour, et à unir chaque jour leurs voix pour le célébrer et le bénir.

Si la vue de l’arche d’alliance inspirait tant de ferveur, tant de zèle pour les louanges de Dieu, quel respect, quel amour ne doit pas m’inspirer, et à tout le peuple chrétien, la présence de votre Sacrement, ô Jésus ! et la réception de votre corps adorable ?

9. Plusieurs courent en divers lieux pour visiter les reliques des Saints ; ils écoutent avidement le récit de leurs actions ; ils admirent les vastes temples bâtis en leur honneur, et baisent leurs os sacrés, enveloppés dans l’or et la soie.

Et voilà que vous-même, ô mon Dieu ! vous êtes ici présent devant moi sur l’autel, vous, le Saint des saints, le Créateur des hommes, le Roi des anges !

Souvent c’est la curiosité, le désir de voir des choses nouvelles, qui fait entreprendre ces pèlerinages ; et de là vient que, guidé par ce motif frivole, sans véritable contrition, on en tire peu de fruit pour la réforme des mœurs.

Mais ici, dans le sacrement de l’autel, vous êtes présent tout entier, ô Christ Jésus ! vrai Dieu et vrai homme ; et toutes les fois qu’on vous reçoit dignement et avec ferveur, on recueille en abondance les fruits du salut éternel.

Ce n’est pas la légèreté, ni la curiosité, ni l’attrait des sens, qui conduit à ce banquet sacré ; mais une foi ferme, une vive espérance, une charité sincère.

10. O Dieu créateur invisible du monde, que vous êtes admirable dans ce que vous faites pour nous ! avec quelle bonté, quelle tendresse vous veillez sur vos élus, vous donnant vous-même à eux pour nourriture dans votre Sacrement !

C’est là ce qui surpasse toute intelligence ; ce qui, plus qu’aucune autre chose, attire à vous les cours pieux et enflamme leur amour.

Car vos vrais fidèles, occupés toute leur vie de se corriger, puisent dans la fréquente réception de cet auguste Sacrement une merveilleuse ferveur et un zèle ardent pour la vertu.

11. O grâce admirable et cachée du Sacrement, connue des seuls fidèles serviteurs de Jésus-Christ ! car les serviteurs infidèles, asservis au péché, ne peuvent en ressentir l’influence.

La grâce de l’Esprit-Saint est donnée dans ce Sacrement ; il répare les forces de l’âme, et lui rend sa beauté première, que le péché avait effacée.

Telle est quelquefois la puissance de cette grâce et la ferveur qu’elle inspire, que non seulement l’esprit, mais le corps languissant, en reçoit une vigueur nouvelle.

12. Et c’est pourquoi nous devons déplorer avec amertume la tiédeur et la négligence qui affaiblissent en nous le désir de recevoir Jésus-Christ, unique espérance des élus et leur seul mérite.

Car c’est lui qui nous sanctifie et qui nous a rachetés ; il est la consolation de ceux qui voyagent sur la terre, et l’éternelle félicité des Saints.

Combien donc ne doit-on pas gémir de ce que plusieurs montrent tant d’indifférence pour ce sacré mystère, qui est la joie du ciel et le salut du monde !

O aveuglement ! ô dureté du cœur humain, d’être si peu touché de ce don ineffable, qui semble perdre de son prix à mesure qu’on en use davantage !

13. Si cet adorable Sacrement ne s’accomplissait qu’en un seul lieu, et qu’un seul prêtre, dans le monde entier, consacrât l’hostie sainte, avec quelle ardeur les hommes n’accourraient-ils pas en ce lieu, vers ce prêtre unique, pour voir célébrer les saints mystères ?

Mais il y a plusieurs prêtres, et le Christ est offert en plusieurs lieux, afin que la miséricorde et l’amour de Dieu pour l’homme éclatent d’autant plus, que la sainte communion est plus répandue dans le monde.

Je vous rends grâces, ô Jésus ! pasteur éternel, qui, dans notre exil et notre indigence, daignez nous nourrir de votre corps et votre sang précieux, et nous inviter, de votre propre bouche, à la participation de ces sacrés mystères, disant : Venez à moi, vous tous qui portez votre fardeau avec travail, et je vous soulagerai[3].

RÉFLEXION.

Tout ce qu’offrait de plus grand, de plus imposant, de plus saint, le culte de l’ancienne alliance, n’était qu’une légère ombre des mystères de l’homme-Dieu. David célèbre avec pompe le retour de l’arche à Jérusalem : mais cette arche était vide, elle ne renfermait pas le Sauveur du genre humain. Salomon bâtit un temple magnifique : il en fait, en présence du peuple saisi de respect, la dédicace solennelle ; des victimes sans nombre sont immolées, mais ces victimes, qu’est-ce ? de vils animaux dont le sang ne peut apaiser la souveraine Justice. Le monde demeurait dans l’attente du salut annoncé, lorsque voilà qu’au moment prédit, s’accomplissent les promesses aperçues et saluées de loin par les Patriarches, durant leur pèlerinage sur la terre[4]. Le Désiré des nations[5], le Dominateur, l’Ange de l’alliance[6], celui dont le nom est Jehovah[7], vient dans son temple[8], et le vrai sacrifice de propitiation remplace à jamais les sacrifices figuratifs[9]. Au fond du tabernacle, sous les voiles du sanctuaire repose l’Hostie toujours vivante, l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde[10]. Le même qui est assis à la droite du Père[11], est là présent, et sa voix nous appelle : Prenez et mangez, ceci est mon corps ; buvez, ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, répandu pour la rémission des péchés[12]. Mangez, ô mes amis ! Buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés ![13] vous tous qui avez soif, venez à la source[14] dont les eaux rejaillissent dans l’éternelle vie[15]. Ceux qui, refusant de se désaltérer à cette source pure, s’en vont cherchant à l’écart des eaux furtives[16], Dieu leur prépare un breuvage assoupissant, et leurs yeux se ferment. Dans ce sommeil, il leur semble qu’ils ont faim et qu’ils mangent, et au réveil leur âme est vide. Altérés, ils rêvent qu’ils boivent, et ils se réveillent pleins de lassitude, et ils ont encore soif, et leur âme est vide[17]. Venez donc : je suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif[18]. Qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour[19]. Seigneur, je crois et j’adore : mon âme, haletante de désir, s’élance vers vous : et puis soudain une grande frayeur l’arrête : car, hélas ! que suis-je pour oser m’approcher de mon Dieu ? Quand je considère mes souillures, ma bassesse, ma misère profonde, je n’ai plus qu’un sentiment, qu’une parole : Retirez-vous de moi, parce que je suis un homme pécheur[20]. Cependant, ô Jésus ! ce sont les pécheurs que vous êtes venu appeler, et non pas les justes[21]. Et c’est pourquoi, frappant ma poitrine et implorant votre miséricorde, je me lèverai et j’irai[22] : j’irai avec une vive joie, avec un ardent amour, vers le Fils, le Verbe, splendeur de la gloire de Dieu, et figure de sa substance[23], vers le Sauveur divin qui nous purifie de nos péchés[24], qui s’incorpore à sa créature, pour l’élever jusqu’à lui ; j’irai et je dirai : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez en moi ; mais dites seulement un mot, et mon âme sera guérie[25].

  1. Matth. ii, 28.
  2. III Reg. viii, 27.
  3. Matth. xi, 28.
  4. Hebr., xi, 3.
  5. Agg. ii, 8.
  6. Malach. iii, 1.
  7. Jer. xxiii, 6.
  8. Malach. ii, 1.
  9. Malach. ii, 3.
  10. Joann. i, 29.
  11. Ps. cix, 1 ; Hebr. i, 3.
  12. Matth. xxvi, 27, 28.
  13. Cant. v, 1.
  14. Is. lv, 1.
  15. Joann. iv, 14.
  16. Prov. ix, 17.
  17. Is. xxix, 10, 8.
  18. Joann. vi, 35.
  19. Joann. vi, 55.
  20. Luc. v, 8.
  21. Matth. ix, 13.
  22. Luc. xv, 18.
  23. Hebr. i, 3.
  24. Hebr. i, 3.
  25. Matth. vii, 8.