L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/45

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 227-230).


CHAPITRE XLV.

QU’IL NE FAUT PAS CROIRE TOUT LE MONDE, ET QU’IL EST DIFFICILE DE GARDER UNE SAGE MESURE DANS SES PAROLES.

I. Le F. Secourez-moi, Seigneur, dans la tribulation : car le salut ne vient pas de l’homme[1].

Combien de fois ai-je en vain cherché la fidélité où je croyais la trouver ? combien de fois l’ai-je trouvée où je l’attendais le moins ?

Vanité donc d’espérer dans les hommes ; mais vous êtes, mon Dieu, le salut des justes.

Soyez béni, Seigneur, en tout ce qui nous arrive.

2. Nous sommes faibles et changeants ; un rien nous séduit et nous ébranle.

Quel est l’homme si vigilant et si réservé qu’il ne tombe jamais dans aucune surprise, ni dans aucune perplexité ?

Mais celui, mon Dieu, qui se confie en vous, et qui vous cherche dans la simplicité de son cœur, ne chancelle pas si aisément.

Et s’il éprouve quelque affliction, s’il est engagé en quelque embarras, vous l’en tirez bientôt, ou vous le consolez : car vous n’abandonnez pas pour toujours celui qui espère en vous.

Quoi de plus rare qu’un ami fidèle, qui ne s’éloigne point quand l’infortune accable son ami ?

Seigneur, vous êtes seul constamment fidèle, et nul ami n’est comparable à vous.

Oh ! que de sagesse dans ce que disait cette sainte âme : Mon cœur est affermi et fondé en Jésus-Christ[2].

S’il en était ainsi de moi, je serais moins troublé par la crainte des hommes, et moins ému de leurs paroles malignes.

Qui peut prévoir, qui peut détourner tous les maux à venir ? Si ceux qu’on a prévus, souvent blessent encore, que sera-ce donc de ceux qui nous frappent inopinément ?

Pourquoi, malheureux que je suis, n’ai-je pas pris de plus sûres précautions pour moi-même ? Pourquoi aussi ai-je eu tant de crédulité pour les autres !

Mais nous sommes des hommes, et rien autre chose que des hommes fragiles, quoique plusieurs nous croient et nous appellent des anges.

A qui croirai-je, Seigneur ! à qui, si ce n’est à vous ? Vous êtes la vérité qui ne trompe point, et qu’on ne peut tromper.

Au contraire, tout homme est menteur[3], faible, inconstant, fragile, surtout dans ses paroles ; de sorte qu’on doit à peine croire d’abord ce qui paraît le plus vrai dans ce qu’il dit.

4. Que vous nous avez sagement avertis de nous défier des hommes ; que l’homme a pour ennemis ceux de sa propre maison[4] ; et que si quelqu’un dit : Le Christ est ici ou : il est là[5], il ne faut pas le croire !

Une dure expérience m’a éclairé : heureux si elle sert à me rendre moins insensé et plus vigilant !

Soyez discret, me dit quelqu’un, soyez discret ; ce que je vous dis n’est que pour vous. Et pendant que je me tais et que je crois la chose secrète, il ne peut lui-même garder le silence qu’il m’a demandé ; mais, dans l’instant il me trahit, se trahit lui-même et s’en va.

Éloignez de moi, Seigneur, ces confidences trompeuses ; ne permettez pas que je tombe entre les mains de ces hommes indiscrets, ou que je leur ressemble.

Mettez dans ma bouche des paroles invariables et vraies ; et que ma langue soit étrangère à tout artifice.

Ce que je ne peux souffrir en autrui, je dois m’en préserver avec soin.

5. Oh ! qu’il est bon, qu’il est nécessaire pour la paix, de se taire sur les autres, de ne pas tout croire indifféremment, ni tout redire sans réflexion, de se découvrir à peu de personnes, de vous chercher toujours pour témoin de son cœur, de ne pas se laisser emporter à tout vent de paroles ; mais de désirer que tout en nous et hors de nous s’accomplisse selon qu’il plaît à votre volonté !

Que c’est encore un sûr moyen pour conserver la grâce céleste, de fuir ce qui a de l’éclat aux yeux des hommes, de ne point rechercher ce qui semble attirer leur admiration ; mais de travailler ardemment à acquérir ce qui produit la ferveur et corrige la vie !

A combien d’hommes a été funeste une vertu connue et louée trop tôt !

Que de fruits, au contraire, d’autres ont tirés d’une grâce conservée en silence durant cette vie fragile, qui n’est qu’une tentation et une guerre continuelle !

RÉFLEXION.

Ne vous appuyez pas sur les hommes, car ils vous manqueront tôt ou tard. L’homme est faible, indiscret, inconstant, léger, enclin à tout rapporter à soi. Le moindre caprice l’éloigne, le moindre intérêt suffit pour le transformer en ennemi. Alors il se montre tel qu’il est. Il vous aimait, mais pour lui-même, pour tirer parti de vous au besoin. Fuyez, fuyez ces faux amis du monde. Celui-ci vous trahit, cet autre vous délaisse. Arrive-t-il des circonstances qui vous forcent de recourir à eux, tous commencent à s’excuser. Le premier dit : J’ai acheté une terre ; il faut nécessairement que je l’aille voir : je vous supplie de m’excuser. Un autre dit : J’ai acheté cinq paires de bœufs, et je vais les éprouver : je vous supplie de m’excuser. Un autre dit : J’ai épousé une femme, et c’est pourquoi je ne puis aller[6]. Voilà les amitiés humaines. Vous seul, mon Dieu, vous seul n’abandonnez point ceux qui vous aiment, ceux qui espèrent en vous : toujours vous êtes près d’eux pour les soutenir et les consoler. Jamais vous ne vous lassez d’entendre leurs gémissements, d’écouter leurs plaintes, de recueillir leurs larmes. Rien n’est au-dessous de votre tendresse ; cet homme abject aux yeux des hommes, ce pauvre rebuté de toutes parts, vous l’assistez, mon Dieu, sur le lit de sa douleur, et votre main retourne son lit pour y reposer ses infirmités[7] : puis, quand sa tâche est accomplie, à la fin du jour, vous le recevez dans l’éternelle paix.

  1. Ps. lix, 11.
  2. Sainte Agathe.
  3. Ps. cxv, 11.
  4. Mich. vii, 2.
  5. Matth. xxiv, 23.
  6. Luc. xiv, 18, 20.
  7. Ps. xl, 4.