L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Traduction de F. de Lamennais

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 19-20).


III. TRADUCTION DE F. DE LAMENNAIS


Si nous publions cette traduction de préférence à tant d’autres, c’est qu’elle a une valeur exceptionnelle. Les appréciations suivantes montrent que nous ne sommes pas seul à porter ce jugement.

Lamennais avait l’âme chrétienne. Un de ses amis inti mes, Charles de Sainte-Foi, nous fait connaître la piété du traducteur de l’Imitation :

Il était pieux, il aimait Dieu, il le priait avec ferveur, le servait avec fidélité. Il suffisait, pour s’en convaincre, d’assister à sa messe et d’être témoin du recueillement avec lequel il la disait.

Les chants de l’église et les vieux cantiques le touchaient quelquefois jusqu’aux larmes. Jamais je n’oublierai les extases de cet homme, lorsqu’il faisait chanter à l’abbé Gerbet une mélodie que Choron avait découverte et qu’il avait adaptée à l’hymne de la Toussaint… Vous auriez vu alors la figure longue et sévère de Lamennais s’épanouir et comme se dissoudre dans un sourire triste et doux, et le feu de son regard se voiler sous un nuage humide. (Revue du Monde catholique. t. II, 438 et suiv.)

L’Imitation de Jésus-Christ ne pouvait qu’attirer Lamennais. Ce grand souffrant a cherché, goûté, senti, et fait partager ce calme ravissant, cette paix inexprimable qu’on éprouve en la lisant avec une foi docile et un humble amour.

Lorsque Lamennais fut tombé, l’anathème porté sur ses œuvres philosophiques et sociales, sembla devoir envelopper tout l’ensemble de ses écrits. Seule, sa traduction de l’Imitation continua à s’imposer à l’admiration de tous.

Ruiné par des spéculateurs malhonnêtes, ayant rompu avec les amis de la veille et peu assisté par les amis du lendemain, Lamennais, sur la fin de sa vie, était pauvre. Ses ouvrages en librairie ne se vendaient plus, et ses journaux perdaient plus qu’ils ne rapportaient. L’Imitation se vendait toujours, et, par les produits de cette vente ininterrompue donnait le pain matériel à cet homme qui avait nourri du pain de l’esprit trois générations humaines.

Au soir de sa vie, le malheureux auteur de ces Réflexions, que je n’hésite pas à placer sur le même pied que les Élévations de Bossuet, sortait volontiers de sa réserve habituelle pour répondre quand on lui demandait quel était son meilleur ouvrage :

C’est mon Imitation !
(L’École Menaisienne. Lamennais par l’abbé Ant. Ricard, 2me édit. Paris, Plon, 1883, in-18, p. 226 et suiv.)

Ce jugement de Lamennais a été confirmé par la postérité.

Ce livre (l’Imitation de Jésus-Christ), admiré par les plus beaux génies, attendait encore pour le traduire. M. de Lamennais a fait disparaître la différence qui existait entre l’original et les traductions antérieures. Il a joint à chaque chapitre des réflexions qui semblent des post-scriptum de l’auteur. (Mémorial catholique par Salinis, t. IV, 279).

Le temps a déjà terni le reste des Œuvres de Lamennais, malgré le talent de l’écrivain. Ce qui est écrit pour la circonstance passe avec la circonstance. Le temps emporte ce que le temps seul a fait naître.

M. de Lamennais, dit M. de Sacy, n’a peut-être imprimé son génie d’une manière durable que sur ces modestes réflexions qu’on lira toujours, parce que le ceour y parle au cœur. Le talent même de l’auteur a je ne sais quoi de plus parfait et de plus attrayant. C’est le chef-d’œuvre de l’écrivain, non moins que le chef-d’œuvre du prêtre et le seul des ouvrages de Lamennais qui pût figurer dans une collection de nos classiques, non loin de Bossuet et de Pascal. (Journal des Débats, 31 décembre 1864.)