L’Impôt Progressif en France/7

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Librairie Guillaumin & Cie (p. 16-17).

CHAPITRE V

Que l’impôt ne doit pas atteindre le strict nécessaire. Exemption à la base




En Allemagne, en Angleterre, en Autriche, en Italie, en Suisse, et ailleurs, l’impôt sur le capital et le revenu épargne précisément cette classe sociale qui est accablée en France. L’impôt ne commence à atteindre le capital qu’à partir de 1.000 à 5.000 francs et quelquefois 10.000 francs, et le revenu, qu’à partir de 400 à 600 francs, sans compter l’exemption de 3 à 400 francs pour la femme et de 2 à 300 francs pour les enfants mineurs ; en sorte qu’on ne voit plus dans les villages de familles nombreuses réduites à la misère, le système d’impôts exemptant, au surplus, tous les objets de consommation. Dans tous ces pays, la population augmente ; en France, elle diminue. Aujourd’hui, le véritable obstacle à l’établissement de l’impôt personnel sur le revenu vient de l’opposition faite par une partie de la classe qui détient le gros capital terre et surtout les gros capitaux mobiliers. En 1707, contre la Dîme royale de Vauban ; en 1776, contre la critique des droits féodaux par Boncerf ( d’accord avec Turgot et Louis XVI), ce fut aussi la classe riche et privilégiée qui s’insurgea tout naturellement et repoussa des réformes que les esprits clairvoyants signalaient comme nécessaires. On sait aussi comment l’obstacle fut renversé violemment. Si on veut, aujourd’hui, éviter pareille aventure révolutionnaire, il est indispensable de s’instruire du passé et d’exécuter de bonne grâce ces abus encore nombreux qui finissent par allumer les colères et risquent d’ôter la raison aux victimes. En 1883, en pleine crise agricole, M. Numa Droz, président de la Confédération suisse, écrivait : « Il est urgent de réformer les systèmes d’impôts, de telle manière que les charges soient équitablement réparties entre l’agriculteur et les autres contribuables. De ce que la propriété foncière est plus facile à imposer que la propriété mobilière et particulièrement que les valeurs en portefeuille, il ne s’ensuit pas que le fisc doive faire reposer sur elle une charge disproportionnée avec ses ressources. »

Ce vœu du Président Droz recevra en partie satisfaction par l’adoption de l’impôt progressif. Du moment que le petit capital et le petit revenu, sans distinction d’origine et de nature, seront exceptés d’impôt ou frappés d’un impôt très réduit, il y aura équilibre entre les diverses manifestations de la richesse mobilière et immobilière. Nous verrons plus loin comment on oblige la fortune mobilière à supporter sa part des contributions.