L’Impôt progressif sur le capital et le revenu/9

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CHAPITRE ix

Impôt sur le capital et sur le revenu du capital
Exemption et progression. — Produit de ces impôts


Nous allons voir comment on pourrait remplacer ces impôts qui ont le tort d’absorber une trop grande part du petit revenu, de se prélever sur le nécessaire, d’alourdir le poids des charges incombant à la famille, d’arrêter le développement de la population et de favoriser, au contraire, le développement indéfini des grandes accumulations de la richesse en quelques mains.

Nous trouvons, dans les pays cités plus haut, sous des formes diverses et en proportions différentes, la réforme déjà mise en pratique. Nous voyons, notamment, que les législations de ces États, depuis diverses époques, ont adopté pour principes :

1o D’exempter de l’impôt une fraction du capital et du revenu depuis 1 500 fr. jusqu’à 20 000 fr. pour le capital ; depuis 400 à 4 000 fr. pour le revenu ;

2o D’imposer ensuite le capital, sous quelque forme qu’il se présente ;

3o D’imposer le revenu du capital ;

4o Enfin, d’imposer le revenu du travail, en ayant soin de l’atteindre plus légèrement que le premier, pour cette raison que donnait Bismarck, qu’il est plus facile de détacher les coupons d’un titre de rentes que de faire produire à la terre des moissons et des fourrages à transformer ensuite en argent.

Dans toutes ces législations, au nombre de plus de trente, on a trouvé juste, en outre, de tenir compte au contribuable de sa situation personnelle, modifiée notamment par le nombre de ses enfants et le chiffre de ses dettes, s’il en a, ce qui n’existe encore en France que pour un seul cas, la mutation par décès et, encore, souvent avec des conditions difficiles à réaliser. Voici, à titre d’indication, faute de documents positifs, comment on pourrait répartir les impôts à remplacer, en les convertissant en impôts sur le capital et sur les deux formes de revenu indiquées plus haut, en nous servant des renseignements procurés par l’Administration.

Impôt sur le capital
CATÉGORIES NOMBRE
DES PROPRIÉTAIRES
TOTAL
DE LEUR FORTUNE
TAUX
par 1000
PRODUIT
DE l’IMPÔT
De 1 à 500 f. 4 183 865 1 063 952 225 » » »
501 2 000 3 597 475 4 520 050 185 » » »
2 001 10 000 3 610 495 17 391 964 265 1 » 17 millions
10 001 50 000 1 471 470 31 079 523 825 1 50 46
50 001 100 000 240 660 17 084 941 555 2 » 34
100 001 250 000 155 715 24 461 217 865 2 50 60
250 001 500 000 54 180 19 383 061 355 3 » 57
500 001 1 000 000 25 340 17 237 322 270 3 50 59
1 000 001 2 000 000 10 885 15 748 209 890 4 » 60
2 000 001 5 000 000 4 305 12 379 889 805 4 50 54
5 000 001 10 000 000 1 255 8 058 183 735 5 » 40
10 000 001 50 000 000 363 7 508 898 040 5 50 38
50 000 001 et au-dessus.. 105 8 566 028 950 6 » 48
Totaux.......... 13 356 113 18 483 243 965 513 millions

Pour abréger les calculs, il n’a pas été tenu compte, dans chacune des catégories, de la réduction dont elle profite sur le total de sa fortune, pour la part comprise dans les catégories inférieures, dont le taux est moindre. Or, le calcul démontre que cette réduction s’élèverait à environ 50 millions. On peut même doubler cette réduction pour les cas d’exemptions particulières par suite des charges incombant aux contribuables, (dettes à déduire, enfants mineurs à entretenir, etc…) ; ce qui porte l’exemption totale à 100 millions en l’exagérant plutôt. L’impôt réellement payé à l’État s’élèverait, non pas à 513 millions mais à cette somme, réduite de 100 millions, c’est-à-dire à 413 millions, ce qui n’a rien d’exagéré, puisque la fortune totale est de plus de 184 milliards en France et que 5 milliards seulement sont exceptés de l’impôt, comme appartenant à la classe la plus pauvre de la population, ainsi que le démontre le tableau qui précède.

Impôt sur le revenu du capital

Quant à l’impôt à établir sur le revenu de la fortune de chaque contribuable, on peut, à l’imitation de ce qui se passe en Angleterre, en Prusse, en Italie, en Suisse, etc., exempter de l’impôt, pour chaque contribuable, une première somme de 1 000 fr., ce qui correspond à un capital d’environ 30 000 fr. si on calcule le revenu à 3%. Or, nous avons, dans les tableaux tirés des documents de l’enregistrement, les éléments nécessaires pour déterminer approximativement le chiffre des revenus afférents à chaque catégorie, ce qui donne lieu au tableau suivant :[1].

Impôt sur le revenu du capital
CATÉGORIES NOMBRE
redes propriétaires
TOTAL
de leur fortune
MOYENNE
de
la fortune
dans
chaque
catégorie
REVENU
de la
fortune totale
à 3%
REVENU
de la fortune
individuelle
à 3%
TAUX
de l’impôt sur
le revenu
PRODUIT
de l’impôt sur
le revenu
individuel
PRODUIT TOTAL
de l’impôt
fr. fr.
De 1 à 500 4 183 865 1 063 952 225 254 31 918 000 7 62 » » »
501 2 000 3 597 475 4 520 050 185 1 250 135 600 000 37 50 » » »
2 001 10 000 3 610 495 17 391 964 265 4 000 522 000 000 120 » » » »
[2] 10 001 50 000 1 471 470 31 079 523 825 28 000 932 400 000 840 » » » »
50 001 100 000 240 660 17 084 941 555 71 000 512 000 000 2 130 » 4 % 45 20 10 877 832
100 001 250 000 155 715 24 461 217 865 160 000 733 900 000 4 800 » 5 190 » 29 585 850
250 001 500 000 54 180 19 383 061 355 357 753 581 000 000 10 740 » 6 596 » 32 291 250
500 001 1 000 000 25 340 17 237 322 270 680 000 517 110 000 20 400 » 7 1 358 » 34 411 720
1 000 001 2 000 000 10 885 15 748 209 890 1 447 000 472 500 000 43 410 » 8 3 392 » 36 921 920
2 000 001 5 000 000 4 305 12 379 889 805 2 875 750 371 400 000 86 300 » 9 7 677 » 33 049 485
5 000 001 10 000 000 1 255 8 058 189 735 7 217 400 241 770 000 216 550 » 10 21 550 » 27 045 250
10 000 001 50 000 000 363 7 508 898 040 20 686 000 225 270 000 620 585 » 11 68 154 » 24 739 902
50 000 000 et au-dessus 105 8 566 028 950 85 000 000 257 000 000 2 600 000 » 12 311 800 » 32 739 000
5 533 868 000 261 662 219

Les calculs du revenu et de l’impôt produit ont été établis sur une moyenne entre la somme la plus faible et celle la plus forte dans chaque catégorie, ce qui donne un chiffre d’impôt trop faible pour le revenu le plus élevé, et trop fort pour le revenu le moins élevé de chaque catégorie. Pour avoir le chiffre exact, il aurait fallu pouvoir calculer de mille en mille francs sur le capital, et de cent en trente francs sur le revenu. Or, les tableaux de l’enregistrement ne donnent pas le nombre d’individus possédant, par exemple, de 10 000 à 11 000 fr., de 11 000 à 12, etc. ; il en est de même dans les autres catégories. Compensation faite entre les chiffres extrêmes dans chaque catégorie, les résultats ne seraient pas modifiés d’une manière appréciable.



  1. Notons en passant que ces documents indiquent la somme des dettes retranchée dans certaines successions pour déterminer le capital frappé du droit de mutilations en 1904.

    Ces dettes s’élèvent à 315 millions pour les hypothèques et à 123 millions pour les cédules privées ; ce qui en multipliant ces chiffres par 35 donnent 14 milliards et demi de dettes hypothécaires et 4 milliards 300 millions pour les dettes ordinaires, en tout dix-neuf milliards, sans compter les autres dettes qui n’ont pu être déduites faute de justifications suffisantes.

    Quelle charge encore pour la propriété rurale, s’ajoutant à l’impôt, et à la dette publique !

  2. Cette catégorie de 10 000 à 50 000 francs renferme un certain nombre de propriétaires possédant un revenu supérieur à 1 000 francs. Le document de l’Enregistrement que nous avons actuellement sous les yeux, ne permet pas d’en déterminer actuellement l’importance. Il y aurait donc, de ce chef, un ensemble de revenus donnant lieu à la perception d’un impôt assez considérable qui s’ajouterait à celui déterminé par le tableau. Remarquons, du reste, que le revenu de 3 % qui a servi de base à ces calculs, est certainement un peu inférieur au revenu réel. Mais en faisant bénéficier chaque catégorie du taux inférieur appliqué aux catégories à revenus moins élevés, ainsi que nous l’avons dit pour l’impôt sur le capital, on a sur le produit de l’impôt une réduction d’environ 60 millions ; d’où l’impôt produit serait de 200 millions en chiffres ronds, au minimum.