L’Imposture des Naundorff/10

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Victor Palmé (p. 101-114).

CHAPITRE IX

De 1795 à 1832.




On vient de s’en rendre compte : Naundorff, pour s’évader du Temple, n’a point trop copié le récit imaginaire du romancier Regnault-Warin. Il s’en est même assez notablement écarté. Le cheval de bois ou de carton a disparu. Il y a le dramatique emploi de l’opium à la vertu dormitive et substitution d’enfants, comme dans le Cimetière de la Madeleine ; il y en a même beaucoup plus, et la première substitution s’accomplit au moyen d’une corbeille de blanchisseuse, ce qui est une trouvaille du faux dauphin Jean-Marie Hervagault. Mais, somme toute, l’influence de Regnault-Warin se fait relativement peu sentir à travers le récit que je viens de donner.

Qu’en doit-on conclure ? que Naundorff ne s’est pas aidé, pour ses inventions, du roman de cet obscur écrivain ? On aurait bien tort. Le juif prussien, tout au contraire, s’est largement servi, comme ses prédécesseurs, des fantaisies de Regnault. Sans doute, venant après Richemont, il a eu tout d’abord l’ambitieuse pensée de produire quelque chose d’à peu près inédit, et, poursuivant ce but, il a fait sur l’évasion un conte qui différait sensiblement de ceux publiés jusque-là. Il n’a réussi, d’ailleurs, qu’à être encore plus ridicule que ses devanciers. Car si l’évasion du Temple, d’après Hervagault, Mathurin Bruneau et Richemont, qui se sont contentés de copier le Cimetière de la Madeleine, est parfaitement invraisemblable et impossible, elle dépasse, dans la version de Naundorff, tout ce qu’on a imaginé de plus absurde !

L’imposteur en eût-il quelque soupçon ? C’est peu probable. Quoi qu’il en soit, laissant pour un moment de côté ce que lui dictait sa stupéfiante imagination, il revint bien vite au roman de Regnault-Warin, ce guide précieux. Le voyage, la réception, le séjour en Vendée, l’enthousiasme de Charette, l’affreuse lâcheté de son état-major voulant rendre Louis XVII, les négociations entre les blancs et les bleus, etc. ; bref, toutes les péripéties, tout l’enchevêtrement du Cimetière de la Madeleine, sont reproduits avec fidélité par Naundorff ou ses historiographes, jusqu’à, mais non comprise, bien entendu, la mort du Dauphin en mer. Comme Hervagault, comme Bruneau, comme Richemont, comme tous les autres, le juif prussien ne manque pas de citer le fameux discours de Charette à ses officiers, dont il fait, lui aussi, une proclamation du général en chef aux troupes vendéennes, pour leur apprendre l’arrivée de Louis XVII au camp. Veut-on que je donne un fragment de ce pseudo-manifeste-harangue ? La grande éloquence étant toujours un peu familière en sa sublimité, Charette n’hésite pas à tutoyer son roi. Il s’écrie :


 « Quoi ! Tu serais replongé dans cette Fosse aux Lions où la vengeance te laisserait jusqu’à ce qu’elle osât se nourrir de ton sang ! Non, mon enfant, tant qu’un souffle de vie animera mon existence, la tienne est assurée. Tant que je jouirai de ma liberté, tu garderas la tienne. Ma vie est à toi comme elle fut à ton père. Mon sang a coulé et coulera encore pour te défendre. Mon bras, enfin, s’usera pour te sauver !!! »

S’il faut en croire Regnault-Warin, qui, du reste, ne demandait point qu’on le crût, c’est ainsi que parlait Charette quand il causait avec les officiers de son état-major. S’il faut en croire les trente Louis XVII qui se sont révélés depuis 1800, et qui élevaient la prétention qu’on les crût, c’est ainsi que s’exprimait Charette quand il adressait des proclamations à ses troupes. Je trouve que ce héros avait la parole, ou le style, bien emphatique. Je trouve aussi qu’il n’aurait pas dû manquer d’usage au point d’appeler son roi : mon enfant.

Doutez-vous encore, par hasard, de l’influence du Cimetière de la Madeleine sur les récits de l’aventurier ? Achever de vous convaincre ne sera pas difficile. Dans son roman, – l’erreur, un peu grosse, est excusable en somme, compréhensible au moins, de la part d’un romancier, – Regnault appelait le Dauphin : Charles-Louis. Or, en 1834, Naundorff, qui, jusque-là, était resté « dans une sorte de pénombre », s’afficha au grand jour de la manière que voici : Richemont, accusé d’avoir comploté contre la vie du roi et la sûreté de l’État, était jugé par les assises du département de la Seine. Au cours du procès, on vit s’avancer à la barre un inconnu. « Il s’appelait, raconte M. de La Sicotière, le baron Morel de Saint-Didier, et venait gravement, en habit noir et un grand pli cacheté de cire rouge à la main, réclamer pour Naundorff le titre de Louis XVII.

« La réclamation donnait à Naundorff les prénoms de Charles-Louis ; Richemont fit très justement observer que le Dauphin portait ceux de Louis-Charles. »

Mais ce qu’il y a de plus piquant, c’est que le juif prussien commit la sottise de s’entêter. « Moi, qui suis le vrai Dauphin, disait-il, je connais bien mon nom, peut-être ! » Il savait sûrement qu’il s’appelait Charles-Louis ! Pour le confondre, il fallut produire l’acte de baptême du prince et prouver, pièces officielles en main, que le duc de Normandie se nommait Louis-Charles. Cette aventure mortifiante n’éloigna de lui, du reste, que fort peu de ses dupes. Il n’est pires aveugles que ceux qui ne veulent pas voir !

Naundorff, cependant, outre le récit de l’évasion, a modifié encore sur un point le roman de Regnault. On sait qu’une des objections les plus souvent répétées par tous ceux qui ne croient point à la mort, au Temple, de Louis XVII, consiste à dire : L’enfant décédé le 8 juin 1795 était scrofuleux et rachitique. La preuve en est que les médecins constatèrent des traces de tumeurs à toutes ses articulations, et plusieurs ulcères sur son corps. Avant d’entrer au Temple, le Dauphin ne présentait aucun symptôme de ces terribles affections. Par conséquent, bien que son frère aîné soit mort de la scrofule, bien que lui-même eût été soumis aux plus affreux traitements et relégué, durant huit ou neuf mois, dans un cachot infect, il est inadmissible qu’une maladie de ce genre ait pu l’atteindre et le conduire à la tombe. Car on naît rachitique, mais on ne le devient pas. Les naundorffistes ont cent fois reproduit ce mauvais argument ; j’en ai déjà dit un mot.

Or on lit dans un passage des Mémoires de leur faux prince, le récit de l’aventure suivante, qui est censée lui être arrivée pendant son séjour au milieu des Vendéens : « Les attentions les plus délicates dont j’étais entouré ne me préservèrent pas d’une maladie, qui fut la suite inévitable de toutes les infortunes que j’avais eu à subir, et sous le poids desquelles succomba ma santé... Cette maladie a duré longtemps, et se développait sous un aspect bien singulier. J’étais enflé à toutes les articulations, et je marchais péniblement ; quand, tout à coup, il se forma sur tout mon corps des ulcères, dont je porte aujourd’hui les cicatrices. Cette crise dissipa les douleurs qui me déchiraient, et peu à peu ma guérison se consolida. »

Des enflures à toutes les articulations ; des ulcères par tout le corps ; cette maladie se développant malgré les soins délicats dont le prince est entouré ! Qu’en dit-on ? Et que devient, pour les partisans de Naundorff, le grand argument au moyen duquel ils voulaient démontrer que l’enfant mort au Temple, portant la trace de tumeurs et d’ulcères, ne pouvait pas être Louis XVII ?

Je me garderai bien de suivre l’imposteur à travers toutes ses prétendues aventures, jusqu’en 1832. Pour les raconter seulement, il faut un volume. Pour les raconter, en prouvant leur absurdité, il en faudrait trois, au moins. La tâche serait inutile et fastidieuse. Naundorff était obligé d’entasser mille péripéties. Comment expliquer, sans cela, qu’enlevé du Temple en 1795, il n’avait pu reparaître, revendiquant son nom et son rang, que trente-sept ans après, dépouillé de tous les papiers que lui avaient remis ses libérateurs, et qui établissaient son identité ? Comment expliquer aussi que tous ces libérateurs, – on n’a pas oublié qu’ils étaient nombreux, – se fussent éclipsés immédiatement après l’évasion, sans avoir prévenu, de manière que le souvenir et la trace ne s’en perdissent point, le monde entier de la belle action qu’ils venaient d’accomplir, et que l’intérêt du prince et le leur étaient de publier bien haut ? Comment expliquer tout cela ? Une pareille tâche offrait de terribles difficultés ; Naundorff, malgré la puissance et la hardiesse de son imagination, n’est pas venu à bout de s’en tirer convenablement. C’est en vain qu’il s’est aidé de toutes les impostures d’Hervagault, de Mathurin Bruneau, de Richemont et de quelques autres, il n’a produit qu’une laborieuse accumulation d’impossibilités évidentes. À l’en croire, toutes les puissances de l’Europe se sont liguées contre lui, même celles qui avaient l’intérêt le moins contestable à le protéger. On l’a persécuté de cent manières, on l’a traîné de prisons en cachots, on l’a torturé odieusement, on lui a volé tous ses précieux papiers, qui se trouvent encore aujourd’hui en la possession de diverses chancelleries, lesquelles, quand bien même elles eussent jeté la France, leur ennemie, dans les plus gros embarras et dans les plus graves désordres, en révélant l’existence de ces pièces, ont toujours nié les avoir ; – mais que valent les négations des chancelleries contre une affirmation de Naundorff ? Cependant, divers grands personnages ont reconnu ce malheureux prince, et ont proclamé, publiquement, qu’il était le fils de Louis XVI. Et de tout cela, de toutes ces persécutions, de toutes ces trahisons, de toutes ces attestations, il n’est resté rien ; rien, pas la moindre trace, pas une lettre authentique, pas une parole d’un homme dont le témoignage soit garanti, ou sérieux et digne de foi ! Naundorff, seul, en a gardé le souvenir ; il raconte ce fatras d’insanités sans apporter une preuve à l’appui de ses hallucinations...

Et c’en est assez pour ses dupes !

Je signale toutefois quelques points des Mémoires de cet imposteur, points reproduits, comme étant les plus présentables, par l’Ami de la Vérité.

Naundorff avait le type bourbonien ; autrement, il ne lui eût pas été possible de jouer son rôle. Mais sa ressemblance avec Louis XVII n’était point absolue. Son âge, d’abord, – on sait qu’il était né en 1775, – dépassait visiblement de plusieurs années celui qu’aurait eu le Dauphin, survivant. Ensuite, il était affligé d’une peau épaisse, vilaine et marquée, tandis que le petit duc de Normandie avait une peau fine, délicate et lisse. Pour expliquer à son entourage qu’il parût avoir soixante ans, lorsqu’il prétendait n’être âgé que de cinquante, Naundorff alléguait ses longues tortures physiques et morales. Cela était, à la rigueur, admissible. Expliquer la transformation de sa peau n’était pas aussi commode. Naundorff, dans ce but, avait inventé l’histoire que voici :

Vers 1802 ou 1803 (la date n’est point fixée d’une façon précise), le « prince », étant alors prisonnier je ne sais pas où (le lieu n’est point fixé même d’une façon approximative), reçut, pendant l’absence d’une gardienne qui lui était restée fidèle (le nom de cette femme n’est pas donné), la visite inattendue de « trois hommes vêtus de noir... ».

Trois hommes vêtus de noir ! On ne s’habille point de noir sans avoir des intentions terribles. Le lecteur s’attend tout de suite à quelque drame épouvantable. Il n’a pas tort. Il va frémir en apprenant à quel passe-temps se livrèrent ces trois misérables, vêtus de noir !


{{g| « Tandis que l’un d’eux liait les membres du prince au dos d’une chaise, un autre le tenait par la tête, puis le troisième, tirant un portrait de sa poche, et jetant alternativement les yeux sur la peinture et le prince, fit un signe à ses complices qui, armés de petits instruments à mille pointes, qu’on ne peut comparer qu’à un faisceau d’aiguilles, lui portèrent une multitude de coups au visage. Bientôt il fut couvert du sang qui jaillissait en abondance de ces innombrables et imperceptibles blessures. Cette atrocité consommée, ils lui lavèrent la figure avec une éponge imbibée d’une sorte de liqueur ; puis ils se retirèrent, sans qu’il fût sorti de leur bouche d’autres sons qu’un ricanement qui avait quelque chose de satanique...|2}}

 « Le lendemain, la figure du prince enfla tellement que sa vue était entièrement couverte ; insensiblement son état s’aggrava à un tel point qu’il éprouva les plus cuisantes souffrances. Il les supporta néanmoins avec le courage que donne la résignation de l’innocence. Mais de brûlantes démangeaisons qui le tourmentaient continuellement, ayant succédé à l’intensité de sa douleur, il ne put résister au besoin de porter les mains à son visage et de le frictionner avec force ; il était entièrement recouvert d’une croûte épaisse, que ses ongles déchiraient par lambeaux... »

Etc., etc., etc. On comprend dans quelle intention les bourreaux du « prince » l’avaient soumis à cette torture abominable. C’était pour le défigurer à tout jamais. À leur place, j’aurais simplement coupé le nez de la victime. Ce n’eût pas été plus cruel et c’eût été plus sûr. La preuve que c’eût été plus sûr, c’est que Naundorff, on aura de la peine à le croire, ne fut pas défiguré le moins du monde. Seulement, sa peau resta quelque peu abîmée. Si vous doutez de l’exactitude de ce récit, apprenez que « la princesse Amélie (femme Laprade) n’a point oublié, qu’à l’âge de huit et neuf ans, elle promenait fréquemment ses petits doigts sur le visage de son père, et lui demandait, en les touchant, pourquoi il avait tant de si petites piqûres d’épingles sur toute la figure ». Êtes-vous convaincus, maintenant ?

Quant aux bourreaux qui le martyrisèrent ainsi, Naundorff, selon son habitude, ne les nomme pas. C’est une lacune fâcheuse. Par bonheur, je crois être en mesure de la combler, au moins en grande partie. Je puis désigner en effet deux des coupables à l’indignation des honnêtes gens. Le premier de ces trois hommes vêtus de noir, c’était sans aucun doute Louis XVIII, et le deuxième, c’était certainement le consul Bonaparte. Les deux infâmes tyrans avaient dû se déterminer à opérer en personne, pour la circonstance. Eux seuls pouvaient avoir le triste courage d’accomplir une pareille infamie !

Car, ceci est à noter : Napoléon ne montra pas moins d’acharnement contre l’enfant royal que Louis XVIII. Exemple : Napoléon fit fusiller le duc d’Enghien dans les fossés de Vincennes. On croit généralement savoir pourquoi. On se trompe. La véritable raison n’est pas celle que l’on donne, et les Mémoires ou plutôt quelques lignes du Discours préliminaire nous l’apprennent, cette véritable raison. Le premier consul fit mettre à mort le duc d’Enghien, parce que celui-ci allait proclamer Louis XVII en la personne de Naundorff. Naundorff n’en fournit point de preuve ; sa parole et celle de M. l’abbé Dupuy doivent encore une fois nous suffire.

Il faut admirer ici la complaisance de Napoléon. C’était un homme bien expéditif, sans doute ; mais, quel caractère serviable ! Comment ! le duc d’Enghien a reconnu le « prince » ! Il se prépare à crier sur les toits sa découverte et va couper en deux le parti royaliste ! Louis XVIII, en effet, ne voudra pas renoncer au bénéfice de sa félonie et de ses crimes ; il soutiendra que son neveu est mort, et que le duc d’Enghien se trompe ; les partisans des Bourbons se diviseront en deux camps ennemis ! Quelle aubaine pour Napoléon ! N’importe, celui-ci veut rendre service à son adversaire : en un tour de main, le fils du prince de Condé est enlevé et fusillé à Vincennes ! Ce qui est bien étonnant, par exemple, c’est que le premier consul qui, juste à ce moment-là, d’après les Mémoires, détenait sur la paille humide d’un cachot infect le malheureux Naundorff, ne l’ait pas fait disparaître. C’eût été beaucoup plus simple ; mais on ne pense pas à tout.

Le duc d’Enghien n’est point le seul membre de la famille royale de France qui soit mort assassiné pour la même raison ; il y a encore le duc de Berry, et, cette fois, le meurtrier ne fut pas Bonaparte ; ce fut Louis XVIII, l’oncle de la victime. Je ne puis plus dire qu’il n’y a pas de preuves : il y en a. Le duc de Berry a écrit une lettre à Naundorff. Malheureusement, cette lettre est perdue. On a en revanche le témoignage d’un ancien huissier à la cour, lequel a dit à sa famille, qui l’a répété à un ancien avoué, qui l’a répété à un ancien huissier de la chapelle royale, qui l’a répété en 1851, sans que la chose ait jamais été le moins du monde dénaturée ni même exagérée, que, se trouvant une fois à la porte du cabinet de Louis XVIII, il entendit ce prince et le duc de Berry parler du fils de Louis XVI. Le duc de Berry soutenait que son cousin vivait encore ; le roi disait que non. Ils s’entretenaient de ce petit secret de famille assez haut pour qu’on pût suivre leur conversation de l’antichambre. Le duc de Berry sortit bientôt, fort en colère. Quelques jours après, il était frappé par Louvel.

« Il n’y a pas un homme », s’écrie M. de Kerloyal, l’auteur d’un intéressant manuscrit, où la Survivance du Roi-Martyr est réfutée, point par point, d’un bout à l’autre, « il n’y a pas un homme au courant de l’histoire de notre temps qui puisse, en face des documents du procès de Louvel, croire un seul instant que celui-ci fut l’instrument de Louis XVIII. Il est avéré que s’il avait pu atteindre d’un seul coup toute la famille royale, il l’eût fait. En frappant le duc de Berry, il se flattait d’éteindre en lui la race des Bourbons de la branche aînée ! ».

Et puis, véritablement, quelque opinion qu’on ait de Louis XVIII, peut-on le croire capable d’un crime à ce point affreux ? On m’en donnerait des preuves formelles que je douterais encore ! Et l’on apporte, trente ans après, le témoignage indirect d’un huissier, témoignage qui a passé par plusieurs bouches et qui dit seulement qu’une discussion s’était élevée, quelques jours avant l’assassinat, entre le roi et son neveu !...

Après avoir accusé Louis XVIII des forfaits les plus abominables, Naundorff le suppose capable de repentir, et nous assure qu’ému par les discours du fameux Martin de Gallardon, ce prince rédigea un testament où il affirmait l’existence de Louis XVII, et faisait «  à son frère, le comte d’Artois, un devoir de le proclamer roi de France ». M. de Kerloyal a connu Martin dans sa vieillesse, à Chartres, et Martin disait à qui voulait l’entendre qu’il n’avait jamais parlé au roi du fils de Marie-Antoinette, mais lui avait seulement donné des conseils pour bien gouverner la France.

Quant à ces dernières volontés de Louis XVIII, révélées par Naundorff, elles sont demeurées secrètes. Si elles sont demeurées secrètes, il est plus qu’étonnant que Naundorff les ait connues. Lorsqu’on aura donné l’explication d’un mystère aussi singulier, je m’occuperai de ce prétendu testament.

De même, je m’occuperai des clauses secrètes du traité de 1815, lorsqu’on aura dit par quel moyen le juif allemand et ses champions fidèles ont pu savoir, avec tant de certitude, le contenu de ces clauses secrètes dont personne, jamais, n’a parlé avant eux, ni depuis. Dans ces clauses, les puissances européennes, déclare Naundorff, avaient réservé solennellement les droits de Louis XVII. De quoi se mêlaient-elles, les puissances ? Pour quelle raison alors n’ont-elles point proclamé Louis XVII ? Et comment se fait-il enfin que les susdites clauses soient toujours restées lettre morte ? À l’appui de cette révélation, l’Ami de la Vérité ne cite, d’ailleurs, qu’une « preuve », et quelle preuve ! Elle consiste à reproduire ces paroles prononcées publiquement par le comte de Provence : « Je crains toujours quelque caprice chevaleresque d’Alexandre ! » Il est vrai que Louis XVIII, parlant du tzar de Russie, a dit la phrase qu’on vient de lire, mais il faisait allusion, tout le monde sait cela, au petit duc de Reichstadt, fils de Napoléon, et non pas à Louis XVII. Sans quoi, Louis XVIII, qui n’était pas un sot, et qui déclarait si hautement que son neveu avait péri en 1795, dans la prison du Temple, se serait bien gardé de manifester, ouvertement, une crainte dont la révélation seule n’aurait plus permis de croire ce qu’il affirmait.