L’Imposture des Naundorff/8

La bibliothèque libre.
Victor Palmé (p. 72-85).

CHAPITRE VII

Réponses à quelques assertions et objections.




J’arrive à Naundorff et à son auguste famille.

Pour entrer en matière, je vais répondre à deux petites faussetés que font circuler discrètement les champions de ces imposteurs. Ces honnêtes gens, plusieurs lettres m’en ont averti, répètent, à qui veut les entendre, que je ne crains pas de me mettre en contradiction formelle avec l’Univers de 1850, et, même, avec le premier ouvrage de Louis Veuillot : Les Pèlerinages de Suisse, livre qui a paru en 1839. L’Univers, disent-ils, a publié, en 1850, un travail approfondi contre le faux dauphin Richemont, où il s’est bien gardé d’attaquer Naundorff, et, surtout, d’oser prétendre que Louis XVII fût mort au Temple. Dans la première édition des Pèlerinages de Suisse, ajoutent-ils, Louis Veuillot a consacré au même Naundorff tout un chapitre absolument favorable, qui, chose bizarre, a disparu des éditions suivantes.

Voilà ce que l’on dit, et comme tout le monde n’a pas sous la main l’Univers de 1850, ni la première édition des Pèlerinages de Suisse, les colporteurs de ces deux fables trouvent un certain nombre de dupes, principalement parmi les personnes crédules, ignorantes et naïves, où se sont recrutés, pour les quatre cinquième au moins, les partisans des Naundorff.

J’ai l’avantage de posséder la collection de l’Univers et la première édition des Pèlerinages de Suisse. Je vais donc pouvoir, – j’y vois une certaine utilité, – montrer que, sur ces points comme sur tous les autres, les affirmations de ces gens-là ne méritent aucun crédit.

Je prends d’abord les Pèlerinages de Suisse, première édition. On y trouve, c’est vrai, un chapitre consacré à Naundorff. Ce chapitre, c’est encore vrai, a disparu des éditions suivantes. Louis Veuillot, toujours si difficile pour ce qu’il écrivait, a jugé simplement que cette page ne rentrait point dans le cadre du livre, et, bien qu’elle fût charmante d’ironie et de finesse, il l’a supprimée, comme un Crésus écarterait un diamant mal serti. Ce n’est pas là, d’ailleurs, un fait exceptionnel. Louis Veuillot a émondé ainsi plusieurs de ses ouvrages. Il ajoutait quelquefois, et souvent effaçait.

Je voudrais le citer en entier, ce chapitre, aujourd’hui pour ainsi dire inconnu, pour ainsi dire inédit. Mais, il n’a pas moins de douze pages, et je n’ose pas allonger mon travail d’une reproduction de cette étendue. Aussi, j’en donne seulement quelques extraits.

Il est intitulé : La famille d’un Prétendant. Louis Veuillot raconte en premier lieu qu’on voit, non loin de Vevey, « un beau château qui renferme des hôtes étranges ». Il s’agit de la famille de Naundorff, qui « se compose d’une mère et de six enfants, trois garçons, trois filles, dont l’aînée a dix-huit ans ». Le possesseur du château est M. Brémond, serviteur exalté de Naundorff après avoir été, comme je l’ai dit quelques pages plus haut, serviteur dévoué de Richemont. Voici le portrait que l’auteur des Pèlerinages trace de ce faux-dauphinomane : « C’est un honnête et pieux vieillard, dont les idées sont empreintes d’un mysticisme pour ainsi dire sans frein. On y reconnaît cette inquiétude de l’homme qui veut à la fois tout croire et tout expliquer, mais qui veut aussi faire sa croyance. Ses rêveries ne refusent rien de ce qui les flatte ; elles sont crédules et sévères à l’excès, portant les jugements les plus atroces et admettant les faits les plus incroyables avec la même facilité. »

Plus loin, après avoir résumé les traits principaux de l’existence de Naundorff jusqu’en juin 1836, époque à laquelle l’imposteur envoya une assignation au vieux roi Charles X, au duc et à la duchesse d’Angoulême, Louis Veuillot poursuit en ces termes :

« On en était là, lorsqu’un ordre de la police mit fin au procès et au règne de l’horloger de Crossen. Le gouvernement français, neutre dans la question, jugea bon de réprimer une tentative qui, à la longue, pouvait faire des dupes ; car il y a en France des actionnaires pour toutes les entreprises, quel que soit leur objet. Les démarches de Naundorff devenaient d’ailleurs, pour les membres de la famille déchue, une source d’outrages chaque jour plus abondants et plus graves. Le prétendant envoyait à Mme la duchesse d’Angoulême ambassades sur ambassades, et ses agents, qu’on leur eût ouvert ou fermé la porte, publiaient dans l’âpreté de leur étrange conviction des rapports également propres à blesser cette femme si illustre, si digne de respect et si amèrement abreuvée. Naundorff était étranger ; il fut enlevé, déposé quelque temps à la préfecture, puis transporté en Angleterre où il est maintenant... On a dit que cet exil n’était pas légal ; c’est possible, mais je le trouve assez sage, par les raisons que je viens de dire, et je l’absous pour ma part à cause de cela... »

Louis Veuillot raconte ensuite que « Naundorff, depuis qu’il est à Londres, a publié sa vie, écrite par lui-même. Il y a joint des pièces justificatives, etc. ». Et l’auteur des Pèlerinages continue ainsi : « Un amateur de curiosités, comme il s’en trouve beaucoup en Suisse, m’a prêté ces paperasses : il m’est arrivé un matin d’y fourrer le nez, et, tout ce que je puis dire, c’est que, malgré mon grand mépris pour les Mathurin Bruneau, j’ai tout lu. Belle mine pour les auteurs de mélodrame qui naîtront dans vingt ans. Il y a là certainement un des romans les plus étranges qu’on ait fabriqués. Le merveilleux y abonde, le surnaturel y éclate... Il y a des prophéties, des miracles, il y en a même beaucoup trop... »

Enfin, après avoir poursuivi pendant quelque temps de la sorte, Louis Veuillot conclut : « Tels sont en partie ces bizarres écrits. Je dois dire pourtant que la nature royale y perce peu, et que la vraisemblance s’y fait souvent désirer. Je me rappelle aussi avoir vu autrefois un mélodrame intitulé : le Masque de fer, dont deux ou trois personnages sont cousins germains de quelques-uns de ceux qui traversent ces récits... »

Et voilà comment Louis Veuillot, dans la première édition des Pèlerinages de Suisse, a écrit au sujet de Naundorff tout un chapitre absolument favorable !

Je passe maintenant aux feuilletons publiés par l’Univers, sur les faux dauphins. Je dis « sur les faux dauphins », car, il faut noter cela d’abord, l’auteur de ces feuilletons, M. Bailly, ne s’est pas occupé seulement de Richemont, quoi qu’en disent les naundorffistes. Sans doute, il lui a consacré la majeure partie de son travail. Mais il a aussi donné, une part de son attention aux concurrents, et il n’a point oublié Naundorff, qu’il traite avec le plus grand mépris, dont il flétrit « l’immoralité notoire », etc. À propos de Naundorff il produit même une pièce des plus curieuses, signée par M. Gozzoli, un défenseur longtemps acharné du juif allemand, et qui, désabusé enfin, demandait à peu près pardon « à Dieu et aux hommes », d’avoir soutenu ce misérable imposteur. J’aurai l’occasion de citer ce document dans un autre chapitre.

Quant à la mort de Louis XVII, au Temple, M. Bailly, qui n’ose point en parler, d’après la fable que l’on colporte, déclare au contraire, à plusieurs reprises, qu’il y croit formellement. Notez qu’à cette époque, on n’avait pas encore recueilli toutes les preuves que j’ai pu donner. De plus, il y a une chose qui embarrasse un peu M. Bailly, c’est la fameuse « proclamation » de Charette à ses officiers, pour leur annoncer l’évasion du Dauphin. Il ne s’explique pas cette prétendue proclamation, et se borne à penser que, sans doute, l’incontestable bonne foi de Charette avait été surprise par des fausses nouvelles. Depuis, le roman de Regnault-Warin a été exhumé, et l’on connaît maintenant l’origine de cette pièce apocryphe.

L’« origine » ! Ce mot me rappelle une des rares lettres polies que j’aie reçues de naundorffistes. À celui qui interroge en termes convenables, on peut répondre. Je le ferai avec d’autant plus de plaisir, que cette réponse me permettra d’insister sur certains détails qui ne sont pas, à mon avis, sans intérêt.

Dans la lettre susdite, voici, en substance, les deux objections qui m’étaient présentées : Tant que l’on n’aura point, premièrement, établi d’une façon péremptoire l’origine véritable de l’homme que vous traitez de juif prussien, tant que l’on n’aura point, secondement, expliqué grâce à quel prodige un imposteur aurait pu se faire aussi aisément reconnaître pour le Dauphin par des personnes qui avaient vu ce dernier, qui même l’avaient fréquenté à Versailles, aux Tuileries, je croirai obstinément que Naundorff était le fils de Louis XVI. Telles sont les deux difficultés que m’invite à résoudre ce rara avis, en français : ce merle blanc, c’est-à-dire un naundorffiste poli et sachant l’orthographe. Ma réponse prendra le restant de ce chapitre.

Sur le premier point : la question d’origine, je dis tout d’abord à l’auteur de la lettre, qu’il est considérable le nombre d’individus, de condamnés, de repris de justice, dont l’identité n’a jamais pu être établie. Je ne remonterai pas bien haut ; je prends un seul exemple tout récent, qui a soulevé une assez grande émotion pour que mon correspondant ne l’ait pas encore oublié : Qu’était-ce que Campi ? Certes, les moyens d’information que possède la justice sont aujourd’hui très puissants. Toutefois, malgré une enquête longue et minutieuse, le mystère dont s’enveloppait cet assassin n’a pas été dissipé ; Campi est mort sur l’échafaud, sans qu’on ait trouvé son vrai nom. Qu’en dit l’auteur de la lettre ? S’il se piquait de logique (mais c’est un naundorffiste !) il devrait ranger Campi parmi les descendants de Louis XVI.

Et que pense-t-il de Richemont ? On a pu le voir dans le chapitre VI : l’origine de Richemont n’a jamais été sûrement établie. En 1850, l’Univers citait un long travail du marquis de Mirville. M. de Mirville, après de nombreuses recherches, très habiles, très consciencieuses, concluait : « Richemont, c’est Perrein ! » De nouvelles recherches ont été faites, et aujourd’hui M. de La Sicotière nous dit : « Richemont, ce n’est pas Perrein, c’est peut-être Hébert ! » Peut-être !

Mais, à quoi sert de m’attarder à ces considérations, qui seraient bonnes à présenter si l’on ignorait véritablement l’origine de Naundorff ? Cette origine, on la connaît ! On la connaît par les déclarations de Naundorff lui-même. J’ai recours une fois de plus à M. de La Sicotière : « Naundorff (Charles-Guillaume), écrit-il, était né à Postdam d’une famille juive. En 1810, il était horloger en bois, à Berlin. En 1812, il s’établissait à Spandau, y obtenait des lettres de bourgeoisie le 8 décembre, en qualité de sujet prussien et s’y mariait en 1818. Dans son acte de mariage, il se déclarait protestant de la confession d’Augsbourg et âgé de quarante-trois ans, ce qui le fait naître en 1775, c’est-à-dire dix ans avant le Dauphin... En 1824, il fut accusé de fausse monnaie, et condamné de ce chef à trois ans de prison. Durant les débats de cette affaire il persista à se dire né en 1775. »

Telle est l’origine de Charles-Guillaume Naundorff. Elle est exacte, à moins qu’il n’ait menti avec une inconcevable audace en 1812, 1818 et 1824. Dans ce dernier cas, quel crédit pourrait-on donner à ses assertions ultérieures ?

Une chose qui, celle-là, est tellement certaine que la plupart de ses partisans n’osent point la contester, c’est qu’à son arrivée à Paris, en 1832, Naundorff ne savait pas un traître mot de français, lui qui, d’après ses récits, serait resté jusqu’à vingt-cinq ans interné dans diverses prisons françaises ! On fut obligé de lui donner un professeur[1]. En revanche, il connaissait parfaitement bien l’allemand, ce qu’il essayait d’expliquer en disant qu’il l’avait appris en Vendée, après sa sortie du Temple. Cette explication, l’auteur de la Survivance du Roi-martyr l’a répétée à la page 48 de son roman, écrit en 1880. Mais depuis, la Légitimité a trouvé mieux que cela. Elle déclarait, dans son numéro du 6 janvier 1884, que c’était Marie-Antoinette qui avait enseigné la langue allemande à son fils. La Survivance et la Légitimité feraient bien de se mettre d’accord.

Il est positif que, malgré son ignorance du français, Naundorff ne tarda pas à recruter un certain nombre de partisans. Il y eut d’anciens émigrés, d’anciens serviteurs de Louis XVI, qui le reconnurent. Ici, j’arrive au second point, à la seconde objection.

Je remarque en premier lieu, que les personnes qui attachent tant de valeur à ces reconnaissances, haussent bien haut les épaules, quand on leur parle des trente ou quarante témoins, qui, ayant vu le Dauphin, soit à Versailles, soit aux Tuileries, affirmèrent le reconnaître sur son lit de mort, au Temple. Peut-on croire, en effet, qu’il soit aisé de reconnaître, dans le cadavre d’un enfant de dix ans, le petit être qu’on avait contemplé, jouant, plein de santé, deux années et demie, trois années, quatre années auparavant ? Mais, c’est impossible ! Parlez-nous, au contraire, des vieillards, qui, après un demi-siècle, ou peu s’en faut, sont venus regarder d’un œil affaibli un homme mûr, et ont proclamé qu’ils retrouvaient en lui l’enfant qu’ils avaient vu au moins quarante ans plus tôt. Voilà qui est sérieux, et, seul, le témoignage de ces respectables vieillards doit compter ! Qu’on n’objecte point que Richemont a été reconnu par tout autant, et même par plus de personnes que Charles-Guillaume Naundorff ; qu’on ne dise pas qu’Hervagault et Mathurin Bruneau l’ont été aussi, que ce dernier a dépouillé une pauvre femme en lui persuadant qu’il était son fils qu’elle croyait mort, et qu’à une époque plus récente, la mère du vrai Tichborne a pris de même le faux Tichborne pour son enfant. Qu’importe !

Et puis, ce n’est pas tout : Naundorff avait un signe qui était une preuve péremptoire de son identité : il portait sur la cuisse un pigeon plongeant, les ailes ouvertes, dessiné par des veines. On l’affirme. Il montrait sa cuisse royale aux hésitants, à ceux qui voulaient voir pour croire, et cela lui attirait un certain nombre de fidèles. Je ne discute pas : la chose paraît véritable ; bien que Thomas, qui fut longtemps de ses intimes, ait soutenu le contraire, j’admets que Naundorff avait sur la cuisse, naturellement ou grâce à un tatouage quelconque, un pigeon plongeant, les ailes ouvertes ! Ce qu’il aurait fallu démontrer, c’est que le Dauphin portait le même signe. Ceci n’a pas été fait. La chose a été certifiée par une attestation de Louis XVI et de Marie-Antoinette, déclarait Naundorff, attestation cachée dans un des murs du Temple. Dans quel mur ? Dans quelle pièce ? Et comment s’en assurer ? Il parlait aussi d’un témoignage du docteur Jeanroi, mais ne produisait aucune preuve à l’appui de son dire. Qu’on n’oublie pas d’ailleurs que Jeanroi, mis en présence du cadavre de l’enfant mort au Temple, a plusieurs fois affirmé qu’il avait reconnu Louis XVII. Le vicomte Sosthène de La Rochefoucauld-Doudeauville qui, pendant quelque temps, fut aux trois quarts pris dans les rets de l’imposteur, ayant interrogé les souvenirs de la famille de Mme de Tourzel, il lui fut certifié que « le Dauphin ne portait point sur la cuisse cette empreinte ». Le vicomte de La Rochefoucauld ne se tint pas pour convaincu ; il écrivit à la duchesse d’Angoulême, qui dicta, le 28 avril 1836, à M. de Montbel, la réponse que voici : « La foi est respectable, même dans ses abus, mais les personnes obligées par leur haute position à agir avec une sage réserve, ne doivent pas encourager des croyances à des révélations de personnes sans discernement, et surtout à des assertions renouvelées par quatre ou cinq individus qu’on doit reconnaître pour des fripons[2]. »

Du reste, bien que Naundorff ait eu de nombreux partisans, il ne faut pas s’imaginer pour cela qu’il en ait eu autant, et de si haut placés, qu’il l’a prétendu. Exemple : il rangeait parmi ses fidèles M. de Joly, ancien ministre de Louis XVI, et la Survivance ne manque pas de faire valoir l’importance d’un tel témoignage. Or, à ce propos, je citerai les quelques lignes suivantes, empruntées à l’un des quatre articles très intéressants que, sous le pseudonyme de Pierre d’Attente, M. le vicomte Oscar de Poli a consacrés, en 1883, dans le Clairon, à notre aventurier : « Un truc de Naundorff, dit M. de Poli, consistait à affubler de la croyance à son imposture tout royaliste défunt ; truc généralement sans risque. C’est ainsi qu’il a fait un naundorffiste convaincu du vénérable M. de Joly, ancien ministre de Louis XVI, mort à Paris, en 1837, à l’âge de quatre-vingts ans. Or, M. de Joly possédait un médaillon renfermant des cheveux du roi-martyr. À son lit de mort, il chargea son ami Berryer de faire parvenir cette précieuse relique... sans doute à celui qu’il croyait le fils de Louis XVI ? – Non pas, mais à Mme la duchesse d’Angoulême. »

La duchesse, la sainte duchesse d’Angoulême ! J’en ai déjà parlé tout à l’heure et voici que son nom revient encore sous ma plume. Croirez-vous que les champions des Naundorff essayent de la rattacher à leur cause ? Ils se basent pour cela sur le témoignage de deux ou trois personnes, des plus honnêtes sans contredit, mais dont les souvenirs en l’air ne supportent pas un examen sérieux. D’après ces témoignages sans valeur, la duchesse d’Angoulême aurait un beau jour confié à tel et tel confident, qui se seraient empressés de le répéter, qu’elle ne croyait pas que son frère fût mort au Temple. À ces on-dit, j’opposerai l’attestation suivante :

Le respectable chevalier d’Auriol, ancien maître des cérémonies sous Charles X, avait été quelque temps à moitié la dupe de Richemont. En 1850, il vivait encore, et à propos du travail publié par l’Univers sur les faux dauphins, il écrivit une lettre, qui fut insérée dans les colonnes de ce journal, à la date du 3 août 1850. M. d’Auriol déclarait, de la façon la plus formelle, qu’en 1840, il était allé voir la duchesse d’Angoulême, lui avait dit ses incertitudes, et que la duchesse lui avait positivement assuré que le Dauphin était mort au Temple[3].

Voulez-vous une preuve de plus ; écoutez les magnifiques paroles qu’a prononcées, sur son lit de mort, le duc d’Angoulême, qui n’eût pas ignoré le terrible secret, si sa femme l’avait connu et confié à plusieurs gardes du corps ! Au moment d’expirer, le pieux duc d’Angoulême, après toute une vie sans reproches, fit venir son neveu et sa nièce, Henri V et Louise de France, et leur dit : « Mes enfants, mon heure est venue. Je suis désormais inutile sur la terre. J’avais promis à votre père expirant de le remplacer auprès de vous ; j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour accomplir ma promesse. Vous savez combien je vous aime, combien j’ai désiré que vous fussiez bons et purs. Dieu m’a exaucé dans le plus ardent de mes vœux. Désormais, vous n’avez plus besoin de guide, mes devoirs sont remplis. Je souhaite que Dieu appelle mon âme à lui dans sa miséricorde. »

On ne parle pas ainsi, en un moment pareil, quand on a la conscience troublée : Le Dauphin est bien mort au Temple, et Naundorff n’a été qu’un imposteur. C’est ce que je m’en vais démontrer d’une façon plus péremptoire encore.

  1. La Légitimité peut d’autant moins nier cette ignorance de la langue française, qu’elle-même a reproduit, en son numéro du 26 avril 1885, une lettre de Naundorff qui débute ainsi : « Je ne plainde pas, parce que mes amis fidèle partachent mon chagrin et mes peines. » On lit plus loin : « Je vous envoyée la répons sur l’affair..., moi, je ne peu pas partir avant que je n’ai deux mille et sinq cents francs encore. » Cette lettre est datée du 1er juillet 1834. Il y avait deux ans que Naundorff était arrivé à Paris et qu’il apprenait le français avec ardeur !
  2. Ce n’est point à ce signe sur la cuisse que Mme de Rambaud, ancienne femme de chambre de Marie-Antoinette, crut reconnaître le dauphin en la personne de Naundorff. Elle ne dit même jamais un mot de ce fameux signe, « dans un sentiment de décence que tout le monde comprendra », écrit en baissant les yeux la Légitimité. Mme de Rambaud fut conquise, d’une autre manière. Lorsqu’on la mit en présence de l’aventurier prussien, – c’était en 1833, – elle lui fit voir un petit manteau porté une seule fois par le prince, à l’âge de cinq ans, et qu’elle avait conservé comme une relique précieuse. Non seulement Naundorff reconnut le manteau, mais il se rappela même à l’occasion de quelle fête il l’avait mis. Tant de mémoire, au bout de quarante et quelques années, chez un homme, victime, depuis son enfance, d’un si grand nombre d’aventures, me semble chose suspecte, et j’en infère que l’imposteur avait été averti, ce qui est d’autant plus facile à croire, que tous les amis et connaissances de l’ancienne femme de chambre savaient évidemment qu’elle possédait ce manteau.
  3. On trouvera une lettre de Mgr le duc de Parme, à ce sujet, dans l’Appendice.