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L’Instruction technique des équipages de la flotte

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L’INSTRUCTION TECHNIQUE

DES ÉQUIPAGES DE LA FLOTTE



Dans un article précédent[1], j’ai montré que l’instruction technique des officiers de marine laissait beaucoup à désirer parce que les méthodes d’enseignement, au lieu de se métamorphoser suivant les découvertes récentes, n’avaient fait qu’évoluer lentement autour de conceptions trop immuables et trop théoriques. Pour obtenir un résultat efficace, il aurait fallu changer les principes mêmes de l’enseignement, en lui donnant une base pratique qu’il ne possède pas au lieu de cela, on a préféré le dédoubler et créer, par voie de conséquence, un corps d’officiers mécaniciens qui ne personnifient, pas plus que les officiers de marine, le type idéal d’officiers que la raison conçoit sur nos bâtiments de guerre modernes, car si la pratique manque aux uns pour entrer dans les détails, la théorie manque aux autres pour s’élever aux idées générales étrangères à leurs fonctions spéciales.

Cette dualité de l’enseignement existe encore, et pour les mêmes raisons, parmi les équipages de la flotte, mais les effets qu’elle produit, quoique de même nature que pour les officiers, sont cependant un peu différents à cause des milieux sur lesquels elle s’exerce, et pour les faire mieux ressortir, je m’occuperai successivement des deux catégories de personnel différenciées par leur instruction, à savoir les marins proprement dits et les mécaniciens : cette division aura d’ailleurs l’avantage d’être chronologique et d’indiquer, par cela même, les causes des erreurs commises.

I. — Marins proprement dits

Autrefois, les équipages n’étaient pas spécialisés parce que les armes étrangères à la manœuvre des voiles étaient si rudimentaires que leur emploi ne nécessitait pas des études approfondies : il suffisait alors d’être bon marin, car les victoires se gagnaient plus par la voile que par le canon, et le complément d’instruction militaire était donné sur les bateaux eux-mêmes qui constituaient alors autant d’écoles permanentes. C’était alors possible parce que le prix d’entretien des navires et la simplification de leurs mécanismes ne réclamaient ni une extrême réduction des effectifs ni un savoir très grand des équipages, parce qu’aussi la durée du service et la lenteur des communications permettaient d’échelonner l’instruction sur les longues périodes d’embarquement et de préparer ainsi les équipages aux éventualités militaires possibles.

Mais, vers 1880, ces quatre raisons perdant à la fois de leur valeur, la marine adopta le principe de la division du travail, et elle créa successivement un certain nombre d’écoles où les marins venaient se spécialiser dans les différentes branches de leur métier, artillerie, infanterie, timonerie, torpilles. Il est juste de constater que ces écoles furent admirablement constituées à l’origine parce qu’elles répondaient à un besoin réel. Elles comportaient toutes un enseignement exclusivement marin, car il était admis que tout homme embarqué devait d’abord connaître les principes essentiels de la marine à voiles, puis chacune d’elles se complétait par un apprentissage pratique de l’arme spéciale qui la concernait. Cette organisation, suffisante tant que les emplois à bord restèrent simples, imprima à tous les équipages une mentalité identique issue des connaissances communes qui étaient à la base de tous les brevets, et un amour-propre très louable entretenu par la rivalité des spécialités en présence.

Mais, depuis cette époque, il est survenu dans le matériel de grands perfectionnements qui n’ont pas été accompagnés de modifications parallèles dans l’instruction du personnel, de sorte que le but rempli autrefois par les écoles de spécialité n’est plus atteint aujourd’hui. M. de Lanessan, ministre de la marine, le constatait lui-même, en écrivant, dans les considérations qui précèdent son décret du 29 janvier 1901. :

Si la multiplication des spécialités a marché parallèlement à la différenciation des organes du matériel, la valeur du personnel a progressé moins rapidement que n’a crû la complexité du matériel. Certains rapports de commandants de nos navires et de nos chefs d’escadre signalent l’insuffisance d’une notable partie des hommes de nos équipages et permettent de conclure qu’en ce moment, le matériel est plus perfectionné que le personnel n’est savant. En d’autres termes l’évolution scientifique du personnel a marché moins vite que celle du matériel.

Cette évolution du matériel est due à l’apparition de la machine à vapeur et à l’impulsion industrielle qui en fut le corollaire. Peu à peu, les armes se perfectionnant, la connaissance de leur emploi demanda des études plus grandes, et le temps maximum que l’on voulait consacrer aux écoles d’apprentis devint insuffisant pour mener de front l’enseignement purement maritime et l’instruction militaire : aussi fut-on amené à séparer ces deux conceptions et à considérer le sens marin comme une spécialité au même titre que les autres.

Ce fut l’origine de l’école des gabiers et j’estime que l’on a commis une erreur, non pas en la créant, mais en réduisant le développement purement marin des autres écoles, car quoi qu’on en dise, il faudra toujours que les hommes qui naviguent possèdent une instruction maritime suffisamment développée puisque la mer a toujours les mêmes exigences. Or il n’est que trop fréquent aujourd’hui de voir des marins de l’État incapables de manœuvrer une embarcation à voiles, et on est toujours obligé, sur un bâtiment de guerre, de choisir assez minutieusement parmi les gabiers, les hommes susceptibles d’armer un canot par un mauvais temps ; a fortiori cette constatation est-elle vraie s’il s’agit de faire des travaux purement maritimes.

C’est à une pareille diminution de la valeur maritime de ses équipages que l’amiral Rojedstvinsky attribue sa défaite ; c’est contre ce défaut que l’Angleterre réagit dans toutes ses écoles, et si l’amiral Togo a remporté la victoire de Tsoushima, c’est, en grande partie, parce que son escadre avait perfectionné ses vertus maritimes par une croisière pénible et ininterrompue de quinze mois.

En France, cet amoindrissement du sens marin est commun à toutes les écoles des équipages, mais ce n’est pas leur seul défaut comme celles des officiers, et pour les mêmes raisons, elles possèdent toutes un enseignement trop théorique et trop stable, ce qui n’a rien d’étonnant puisque ce sont les officiers qui font l’instruction de leurs équipages et qu’ils s’efforcent naturellement de calquer la mentalité de leurs subordonnés sur la leur propre.

Seule, l’école des gabiers ne peut pas encourir le reproche d’être trop théorique puisque son essence même est d’être uniquement pratique, mais, par contre, elle encourt, plus que toutes les autres, le reproche d’être restée trop stable en ce sens que son enseignement pratique des voiles est restée presqu’aussi développé qu’autrefois, malgré l’emploi décroissant de celles-ci : c’est pourquoi les travaux relatifs aux mâts ou gréements en fer n’ont pas suivi un développement proportionné au remplacement par ceux-ci des apparaux en cordages ou en bois ; c’est pourquoi les gabiers ne savent pas manœuvrer les appareils modernes tels que les treuils ou cabestans à vapeur qui ont remplacé les palans ou cabestans à bras dont ils étaient autrefois chargés.

À part cette école, toutes les autres sont trop théoriques, et la cause en est dans l’éducation trop abstraite et peu pratique des officiers qui, faute d’une expérience manuelle suffisante, n’ont pas toujours su donner aux équipages l’enseignement très pratique que comportaient leurs fonctions à bord. Toutefois cette allure théorique ne se manifeste pas dans un supplément d’effort demandé à l’intelligence des apprentis, et la marine, ne tenant guère compte de la diffusion de l’enseignement primaire en France, considère toujours les marins comme aussi illettrés qu’il y a cinquante ans.

Rien n’est cependant plus faux, et il suffit de vouloir instruire méthodiquement les équipages pour se convaincre très vite de leurs capacités intellectuelles et de leur facilité d’assimilation. Le parti qu’on pourrait tirer de ces cerveaux de vingt ans serait considérablement accru si on en connaissait la perfectibilité, mais la marine n’est entrée dans cette voie que pour le corps nouveau des mécaniciens dont je parlerai plus loin, et elle ne s’est pas encore rendue à cette évidence que les marins illettrés d’autrefois ont cédé la place à une génération de jeunes gens dégrossis par l’instruction obligatoire. Quoi qu’il en soit, voulant, par tempérament, donner un enseignement théorique à des hommes dont elle méconnaissait l’instruction primaire, elle fit appel à celle de leurs facultés intellectuelles qui lui parut la plus exploitable, à savoir la mémoire. Aussi les programmes des écoles se ressentent-ils de ces tendances, soit par une abondance de nomenclatures inutiles et de descriptions ardues, soit par des aperçus théoriques rendus infructueux par l’absence de l’entraînement intellectuel qu’ils comportent. Ainsi, pour citer quelques exemples, je dirai que le manuel du gradé canonnier comporte la description de l’appareil de pointage Deport qui n’est jamais employé à bord ; il comporte aussi l’explication d’appareils nécessaires à connaître, tels que les affûts hydrauliques, les machines de pompage ou les monte-charges électriques, mais cette explication ne dérive nullement des considérations rationnelles qui devraient la motiver, et de plus l’emploi à bord des appareils décrits est illogiquement supprimé aux canonniers pour être dévolu à des gens réputés plus techniques de sorte qu’on ne voit pas pourquoi leur apprendre des mécanismes si on admet qu’ils ne doivent pas s’en servir.

Le manuel du canonnier proprement dit fourmille de descriptions de fermetures de culasse, d’affûts et de leurs engins de manœuvre : or, le breveté n’aura à utiliser que très peu de ces appareils, et il en connaîtrait beaucoup mieux le fonctionnement en l’apprenant sur le bâtiment qui en est muni, plutôt qu’à l’école de canonnage qui ne les possède pas toujours. Le manuel du fusilier comporte des règlements sur le service des places ou sur la comptabilité du matériel, toutes choses qui n’ont pas d’utilité pour le breveté ; le manuel du torpilleur décrit les torpilles dormantes et vigilantes alors qu’elles sont du ressort d’un personnel spécial attaché aux défenses fixes : toutes les notions électriques contenues dans ce manuel sont, en outre, confiées à la mémoire des apprentis, sans que leur intelligence soit mise à contribution pour les aider dans cette étude. Le manuel du timonier comporte des descriptions ou même des rectifications d’appareils tels que le sextant, le micromètre ou le cercle à calcul qui ne sont jamais utilisés par le breveté. Il en est de même de la tactique navale, des réparations des télégraphes, du magnétisme ou de l’électricité sur lesquels le manuel donne des aperçus qui deviennent inutiles puisqu’on récuse — à tort d’ailleurs — les timoniers quand il s’agit de manipuler à bord les appareils électriques ou magnétiques les plus simples. La marine se défie tellement de l’intelligence de tous ses apprentis qu’elle leur enseigne les notions du système métrique avec une parcimonie regrettable si on la compare avec l’instruction élémentaire donnée aux mécaniciens. Aucun programme des écoles ne comporte les idées de force, de travail ou de puissance, et cependant il semble que ces notions soient absolument nécessaires sur les bateaux modernes.

On voit par l’énumération précédente que les manuels ont un côté théorique mal enseigné parce qu’il repose sur la mémoire, et mal utilisé parce que les brevetés n’en font pas les applications pratiques. Cette dernière anomalie tient à l’envahissement des organes mécaniques du bord et à leur affectation exclusive aux mécaniciens. L’interdiction faite aux marins proprement dits de s’occuper des appareils mécaniques est tellement généralisée par les règlements qu’elle constitue un véritable anachronisme et une utilisation déplorable de ce personnel puisque ses aptitudes sont en partie inutilisées. On comprend bien que l’origine de cette erreur remonte, comme pour les officiers, à l’apparition de la machine à vapeur et à la création de la spécialité de mécaniciens. Peu à peu, les travaux mécaniques qui étaient primitivement localisés à la machine à vapeur se répandirent dans tous les services du bord en même temps que les organes mécaniques nouveaux se substituèrent aux anciens, mais, au lieu de modifier l’instruction des marins dans un sens industriel pour leur permettre de faire face aux exigences nouvelles de leur spécialité, on restreignit leur champ d’opération pour étendre celui des mécaniciens, considérés dès lors comme seuls compétents en matière industrielle : ce fut un grand tort provenant d’une erreur d’appréciation dans la compétence de chacun, car si les réparations des appareils nécessitent des professionnels expérimentés, leur maniement ne réclame par contre qu’un apprentissage très faible ainsi que le commerce, l’industrie ou l’agriculture en fournissent des preuves nombreuses : tout le monde a vu des journaliers très peu techniques se servir de moteurs à gaz, à eau, à vapeur ou à électricité.

Malheureusement, la marine n’a pas suivi cette voie et, comme pour les officiers, elle a préféré ne pas initier ses équipages aux travaux industriels et localiser son enseignement professionnel aux mécaniciens à l’exclusion de tous les autres. Il s’ensuit que, dans chaque service à bord, tout ce qui est mécanique relève du mécanicien et tout ce qui ne l’est pas relève du marin, d’où un état déséquilibré qui n’existait pas autrefois, alors que chaque service était chargé de tous les appareils qu’il utilisait.

Aussi voit-on aujourd’hui le canonnier pointer un canon, tandis que la tourelle est actionnée par le mécanicien ; de même le fusilier arme les pièces d’artillerie légère, mais on le déclare inapte à manœuvrer les monte-charges qui lui apportent les munitions ; les charpentiers sont bien chargés d’éteindre un incendie, mais les pompes affectées à ce rôle sont aux mains des mécaniciens. Il en est de même des timoniers qui aujourd’hui sont déclarés inaptes à mettre en place une lampe électrique de signaux ou d’appartement, bien que celles-ci soient beaucoup plus simples que les lampes Modérateur qu’elles ont remplacées. Enfin les torpilleurs n’ont pas à manœuvrer les dynamos dont ils utilisent l’énergie, et les torpilles elles-mêmes sont confiées aux mécaniciens. D’une façon générale, tous les apprentis apprennent machinalement les soins à donner au matériel, mais on se garde bien de leur donner sur l’entretien ou les propriétés des métaux des indications générales susceptibles de les guider dans les cas connus ou imprévus.

On voit, par cet exposé rapide, que l’enseignement maritime a de graves défauts. Par sa théoricité, il place l’abstrait avant le concret, et ce vice a deux inconvénients : il fait perdre un temps considérable dans les écoles parce que la théorie se comprend plus vite lorsque la pratique a fait préalablement apprécier la valeur relative des erreurs ou des unités, et il procure à bord un personnel ignorant au début la pratique de son métier et ne l’apprenant qu’à la longue, sans que l’instruction des écoles soit pour cela d’un grand secours. Par sa stabilité, il favorise, dans chaque service, l’ingérence de plusieurs spécialités ce qui rend très indécise la limite des responsabilités, car si la vitesse d’un tir, par exemple, est trop lente, cela peut aussi bien tenir au pointeur du canon, qui est canonnier, qu’au pointeur de la tourelle, qui est mécanicien.

Il empêche de plus la mise en valeur complète du personnel, puisqu’on néglige dans son instruction le côté industriel qui est un des plus nécessaires dans la marine moderne ; et cette diminution de rendement du personnel ne se manifeste pas seulement dans l’utilisation incomplète de chaque homme, mais aussi dans les attributions trop exclusives de chacun d’eux, ce qui crée entre tous une certaine jalousie nuisible à la cohésion des équipages et à leur communauté de sentiments. Enfin la spécialisation à outrance provoquée par la stabilité des esprits nécessite souvent la présence de deux hommes là où un seul suffirait, d’où excès de dépenses dû à l’augmentation inutile des effectifs, et c’est là une question primordiale pour la marine et qui devient de plus en plus pressante depuis la guerre russo-japonaise.

Si la marine a le tort d’avoir des écoles défectueuses, elle encourt aussi le reproche de n’avoir pas toutes les écoles nécessaires, et nous voulons parler ici de l’instruction vraiment trop insuffisante des sous-officiers. Cette lacune est encore une conséquence de la stabilité des esprits maritimes, car les officiers n’ont fait que suivre lentement l’évolution moderne sans pouvoir la précéder parce que leur instruction croissait moins rapidement que les progrès scientifiques, de sorte que leur rôle s’est borné à modifier les écoles existantes, et encore très lentement, mais sans jamais en créer de nouvelles en prévision des nécessités imminentes ; de plus la mésestime portée sur la valeur intellectuelle des équipages a fait que la marine a maintenu son vieux principe de former des sous-officiers sans instruction spéciale et par le seul jeu des habitudes du bord, autrement dit de la routine.

Or la variété et la complexité des mécanismes ont profondément modifié les circonstances depuis cinquante ans : le matériel évolue continuellement d’où la nécessité d’une instruction constante, et les connaissances nécessaires aux sous-officiers ne peuvent plus s’acquérir du premier coup, d’où la nécessité d’en augmenter la dose à chaque grade. Il est inconcevable de penser qu’actuellement tout adjudant arrive à ce grade sans qu’on lui ait imposé d’autre bagage théorique que le manuel devenu archaïque dont il a pris connaissance quinze ans auparavant. Il est évidemment nécessaire de compléter l’instruction primitive des marins par un enseignement plus élevé pour les sous-officiers, autrement dit de créer un enseignement à deux degrés par analogie avec ce qui se passe dans l’Université où l’enseignement primaire supérieur succède au primaire.

En résumé, l’étude du manuel devrait, dans chaque école, être complétée par une pratique constante comportant deux parties : la première serait commune à toutes les spécialités et leur apprendrait les travaux tellement courants qu’il devient impossible de les ignorer, comme par exemple, manœuvrer une porte étanche ou un robinet, mettre en place un plomb fusible ou une lampe électrique, savoir lire un manomètre, passer une mèche de graisseur ; affûter et tremper un outil simple ; la seconde partie resterait limitée aux travaux simples spéciaux à chaque spécialité, tout en donnant sur chacun d’eux des explications et des éclaircissements : elle apprendrait ainsi aux torpilleurs les travaux courants de réparations électriques (bobinages, soudures, etc.), aux gabiers la manœuvre des treuils, aux canonniers et fusiliers l’usage des appareils hydrauliques ou électriques desservant l’artillerie, aux timoniers les épreuves des lampes électriques, à tous les propriétés des métaux et les précautions à prendre pour leur entretien, le rôle du graissage et son emploi raisonné.

Mais il est bien entendu que cette instruction des équipages doit être essentiellement pratique, et c’est lorsque ces hommes deviennent des sous-officiers, c’est-à-dire des intermédiaires que leur valeur professionnelle a besoin d’être doublée de connaissances techniques plus élevées et variables avec chaque spécialité. Les besoins du service et les capacités intellectuelles des candidats en fixeraient les limites qui pourraient être établies a priori par comparaison avec l’enseignement public ou privé donné dans tous les pays aux ouvriers et contremaîtres remplissant dans la vie civile des situations analogues à celle des sous-officiers de la marine. Cet enseignement un peu plus théorique, venant après plusieurs années de pratique exécutée dans les bas grades, aurait l’avantage de mieux leur faire comprendre l’abstrait après leur avoir appris le concret ; il contribuerait aussi beaucoup à rehausser le niveau des sous-officiers au grand avantage de leur autorité, et c’est d’autant plus impérieux que ceux-ci peuvent de moins en moins se tenir au courant du matériel compliqué et variable qu’ils ont à entretenir.

On pourra objecter qu’un pareil programme suppose une instruction première plus développée que celle des apprentis actuels. Ce reproche n’a pas toute la valeur qu’on lui attribue car on méconnaît, ainsi que je l’ai dit plus haut, la valeur intellectuelle de ceux-ci. Toutefois j’estime que les connaissances réclamées aux marins de spécialité leur seraient mieux infusées par une longue formation de l’esprit obtenue au moyen d’écoles professionnelles spéciales qui auraient pour résultat de réduire le nombre des marins brevetés en élevant leur qualité. On ne saurait mieux faire à ce propos que de citer les considérations suivantes dues à M. de Lanessan.

Parmi les spécialités entre lesquelles nos équipages se divisent, il en est surtout trois qui exigent des connaissances sérieuses : ce sont celles des mécaniciens, des torpilleurs et des canonniers. Bien que les machines, chaudières, canons et torpilles soient des appareils différents aussi bien dans leur construction que dans leur manœuvre et leur entretien, il nous semble nécessaire de donner d’abord au personnel qui sera chargé des uns et des autres des connaissances générales communes et utiles à tous. Il est facile de se rendre compte de cette nécessité en examinant les fonctions que remplissent à bord les diverses catégories du personnel que nous venons d’énumérer.

Et d’abord, il est presque inutile de dire que les mécaniciens ne sauraient remplir leurs fonctions d’une manière convenable que s’ils joignent la possession de connaissances sérieuses en physique, en mécanique et même en chimie à une expérience consommée des divers types d’appareils évaporatoires et moteurs qui existent à bord des navires de guerre modernes. Les torpilleurs doivent avoir des notions étendues théoriques et pratiques des parties de la physique relatives à l’électricité, à la chaleur et à la lumière, posséder les principes de la mécanique et la connaissance de certains phénomènes chimiques. Les canonniers ne seront désormais à la hauteur de leur tâche que s’ils savent, indépendamment du tir de leurs pièces, monter, démonter et entretenir d’une manière convenable les appareils mécaniques si délicats des culasses, des affûts et des monte-charges, et s’il possèdent quelques notions des poudres et des projectiles dont ils ont le maniement quotidien. Ils devront aussi posséder les éléments de physique nécessaires pour la compréhension et la conduite des organes de manœuvres hydrauliques ou électriques des tourelles et des affûts, pour le pointage électrique ou optique des pièces, etc.

Enfin, tous devront posséder, en même temps que les connaissances professionnelles, les éléments de métallurgie et, au moins, les notions descriptives de l’architecture du navire dans lequel sont placés, dans des conditions qui ne sont pas indifférentes, les divers appareils dont ils ont la conduite et l’entretien. Il sera indispensable aussi que tous possèdent, d’une manière spéciale, les éléments du dessin, soit géométral, soit perspectif, leur permettant d’exécuter rapidement des croquis cotés et clairs des diverses pièces d’une machine ou d’un appareil quelconque. L’utilité de ces connaissances générales n’est pas douteuse, aussi bien pour le mécanicien que pour le torpilleur ou le canonnier, et leur acquisition contribuera à développer chez ceux qui les posséderont l’initiative et la décision, qualités éminemment précieuses dans la marine.

Les connaissances théoriques et pratiques et l’expérience que devraient posséder tous les brevetés supérieurs de nos trois grandes spécialités maritimes, pour faire face convenablement à leurs devoirs, ne peuvent être acquises ni dans des écoles primaires ni même dans les collèges ou lycées de l’instruction secondaire.

Et c’est pourquoi M. de Lanessan propose la création d’écoles professionnelles maritimes alimentées par des enfants de treize à quinze ans pourvus du certificat d’études primaires, et dans lesquelles on développera l’instruction décrite ci-dessus en vue de leur utilisation spéciale dans la marine : C’est absolument la constitution des Boys training en Angleterre qu’on pourrait même généraliser en France plus que ne le propose M. de Lanessan, et il va sans dire que ce système implique une modification correspondante dans le recrutement des équipages.

Ajoutons que ces réformes seraient sans effet si les officiers ne poursuivaient pas à bord l’instruction de leurs hommes, et c’est une erreur trop répandue chez eux de considérer les brevetés comme ayant terminé cette instruction parce qu’ils sortent des écoles. Les théories à bord n’ont pas aujourd’hui l’importance qu’elles méritent et aucune facilité n’est donnée aux équipages pour poursuivre leur instruction avec intelligence et méthode ; la faute en est assurément aux chefs de service qui ne vulgarisent pas assez l’explication des appareils, mais elle en est aussi à l’État qui ne donne pas aux officiers l’aptitude à cette divulgation, puisqu’il leur refuse l’instruction pratique et industrielle dont j’ai parlé dans un article précédent.

II. — Mécaniciens

Si l’on passe à l’étude des mécaniciens, il en est tout autrement, et l’on peut dire que rien de ce qui est écrit dans les pages précédentes ne s’applique à eux, parce que cette spécialité, étant nouvelle, n’a pas été entravée dans son épanouissement par des traditions immuables. Aussi la constitution de ses écoles fut-elle à l’origine assez logique. L’enseignement théorique succédait, dans chaque grade à l’enseignement pratique, et c’est l’ensemble de ces connaissances qui déterminait les promotions au grade supérieur.

Cette conception avait bien l’inconvénient de disséminer les enseignements théoriques et pratiques sur des intervalles trop espacés et des périodes trop longues, mais la somme des connaissances à acquérir était assez restreinte à cette époque pour justifier ce principe, et il avait de plus l’avantage d’être égalitaire en conférant les grades aux plus méritants, quelle que soit leur origine. Bientôt, toutefois, les attributions des mécaniciens augmentèrent prodigieusement d’abord parce que la puissance et le nombre des machines croissait rapidement, ensuite parce que la marine, se méprenant sur le rôle industriel de chacun, confondait les ouvriers et les mécaniciens, au point de leur demander une compétence égale, enfin parce que tous les appareils mécaniques du bord leur furent peu à peu confiés, au lieu de rester répartis entre les différents services qu’ils desservaient. J’ai déjà signalé plusieurs fois cette grosse erreur due à la fixité et à la stabilité des esprits maritimes.

En monopolisant l’enseignement industriel à la seule spécialité de mécaniciens, à l’exclusion de toutes les autres, on est arrivé à demander trop aux uns ce qui les fait paraître insuffisants, et pas assez aux autres ce qui dilapide leurs capacités éventuelles. Cet ostracisme industriel dont tous les équipages sont frappés est la conception la plus fausse qui existe ; il est dû à une erreur d’appréciation dans la compétence de chacun et dans la facilité de l’acquérir : les marines anglaise, américaine et japonaise qui sont les plus puissantes, ont d’ailleurs fait justice de cette erreur, mais ce serait sortir du cadre de cet article que d’examiner leurs procédés. Quoi qu’il en soit, les causes énumérées plus haut obligèrent à multiplier, il y a une vingtaine d’années, les sources du recrutement des mécaniciens, et, sans entrer dans le détail très aride de cette question, je dirai simplement que chaque mode de recrutement entraîna la création d’une école correspondante destinée à élever chaque apprenti à un niveau professionnel commun.

C’est ainsi que la marine compte aujourd’hui huit cours différents de mécaniciens répartis à Brest, à Lorient, à Toulon et à bord. On conçoit déjà le manque d’harmonie qui doit résulter de cette diversité d’enseignement, et on comprend que, parmi toutes ces sources de recrutement, il y en ait une qui ait donné des résultats meilleurs que les autres et ait constitué, dans le corps entier, une oligarchie puissante au grand détriment du principe égalitaire c’est ce qui est arrivé pour les écoles d’Arts et Métiers. Je ne veux point ici discuter les résultats de cet état de choses ; je le constate simplement, mais dans un article qui traite de l’instruction des mécaniciens, il me sera permis de faire la critique des méthodes d’enseignement actuelles et d’indiquer le principe des réformes qui se préparent.

Or, la marine a le tort de donner indistinctement dans toutes les écoles de mécaniciens un enseignement théorique et pratique et d’exiger ces deux genres de connaissances pour conférer un grade. En adoptant ce mode uniforme d’instruction, elle ne tient pas compte de la variété du recrutement qui lui fournit tantôt des jeunes gens d’une culture intellectuelle développée, mais peu pratiques, tantôt des apprentis d’une valeur professionnelle assez grande, mais peu théoriques. Un tel enseignement moyen calculé sur l’acquit préalable de toutes les recrues est forcément mal conçu, d’abord parce qu’il repose sur des bases de nature différente, suivant que cet acquit est professionnel ou intellectuel, et ensuite parce qu’il est calculé d’après les connaissances antérieures minima des élèves, de la même façon qu’une escadre homogène est obligée de régler sa vitesse sur le plus mauvais marcheur. Il s’ensuit que cet enseignement commun donné à tous ne satisfait personne : trop faible quand il s’applique aux matières étudiées avant l’arrivée au service, il est trop élevé pour les matières apprises ultérieurement.

C’est ainsi qu’au point de vue professionnel, les théoriciens, tels que les élèves des Arts et Métiers subissent dans la marine un apprentissage manuel trop long qui excède de beaucoup la durée nécessaire à l’obtention de la pratique requise par leurs fonctions, tandis qu’au point de vue intellectuel, les praticiens tels que les apprentis élèves ou quartiers-maîtres ne peuvent lutter contre ces mêmes élèves des Arts et il en est de même d’un grand nombre d’ouvriers fort intelligents qui se voient dans l’impossibilité de compléter, par les cours faits à bord, leur instruction première un peu superficielle. De même au point de vue professionnel, les praticiens tels que les candidats quartiers-maîtres sont concurrencés par les ouvriers spécialisés sortant de l’école de Lorient, tandis qu’au point de vue intellectuel, les élèves des Arts et Métiers qui arrivent avec une base scientifique très sérieuse la développent mal parce que leur instruction est éparpillée sur de trop nombreux examens espacés dans les différents grades qu’ils parcourent. Ce travail, fait par des à-coups successifs, ne permet guère à l’esprit de saisir la portée philosophique de l’enseignement, et lui apprend bien le particulier sans lui faire comprendre le général. C’est un travail d’analyse plutôt que de synthèse qui développe l’esprit d’observation mais tue celui d’entreprise ; c’est, en un mot, l’ennemi des idées générales.

Un autre inconvénient du principe uniforme de l’instruction est de la distribuer également à des gens qui en ont inégalement besoin : il est bien évident, en effet, que certaines fonctions subalternes confiées à des mécaniciens pourraient l’être à des graisseurs sans instruction théorique, tandis que les futurs officiers mécaniciens n’ont pas besoin de s’éterniser dans des grades inférieurs où ils refont toujours les mêmes travaux pratiques qu’au premier jour.

On n’a pas réfléchi que l’énorme accroissement des connaissances industrielles à bord avait élevé de plus en plus le niveau de l’instruction théorique, et on a voulu, par une mesure égalitaire, en ouvrir l’accès à tout le personnel à qui ce monopole était confié, ce qui entraîna l’uniformité d’enseignement dont on se plaint aujourd’hui parce que l’expérience a prouvé qu’elle était opposée au principe de spécialisation qui réclame de l’ouvrier une compétence différente de celle du mécanicien. À vouloir faire de tous les mécaniciens des savants et des techniques, on produit des gradés qui ne sont ni assez théoriques, ni assez pratiques.

Ce défaut apparut bien dès le début, et on essaya de le corriger en scindant la spécialité de mécaniciens en deux branches, l’une théorique, à laquelle appartenaient les esprits les plus cultivés, l’autre pratique dans laquelle se confinaient les ouvriers les plus expérimentés. Mais cette dualité ne supprima pas les vices d’un enseignement trop uniforme parce que chaque branche participait trop aux connaissances de l’autre, de sorte qu’aucune d’elle n’était suffisamment développée dans son genre, et le résultat de cette scission fut de consacrer l’omnipotence des Arts au détriment de toutes les autres sources de recrutement.

On s’aperçoit bien que le système actuel ne perfectionne pas encore assez les aptitudes antérieures des jeunes gens et qu’il développe parfois outre mesure les connaissances qu’ils n’avaient pas apprises auparavant. Aussi se crée-t-il un mouvement réformiste conforme aux idées que j’exprime et dont l’écho se retrouve dans le rapport sur le budget de la marine pour 1906. On voudrait accentuer la différence entre les branches théorique et pratique : la première comporterait un cours élémentaire pour les ouvriers et un cours supérieur pour les sous-officiers, la seconde comporterait simplement une école d’officiers permettant l’accès rapide de ce grade aux élèves des Arts et Métiers ; enfin, comme corollaire, on réduirait sensiblement le nombre des ouvriers et on donnerait une partie des attributions des mécaniciens à de simples matelots de pont.

Ces projets, imités de ce qui se prépare en Italie, constituent certainement un progrès sur l’état de choses actuel, en ce sens qu’ils différencient mieux l’instruction à donner aux ouvriers qui réparent les machines et celle à donner aux mécaniciens qui les entretiennent, la compétence des uns étant différente de celle des autres. Les bons ouvriers dont la valeur serait sanctionnée par des avancements pécuniaires ne peuvent que se perfectionner par une pratique constante, tandis que les bons mécaniciens dont la valeur serait sanctionnée par des avancements hiérarchiques ne peuvent que se perfectionner par des études théoriques élevées, une fois qu’ils ont acquis la pratique nécessaire à la direction de leur service, pratique beaucoup plus vite acquise que ne le suppose la réglementation actuelle.

Nous pensons donc que les nécessités industrielles de la marine justifient le principe des réformes proposées, mais à la condition que les ouvriers pratiques et les mécaniciens théoriques aient, chacun dans leur partie, une valeur très grande permettant de remplacer par la qualité des cadres la quantité aujourd’hui excessive du personnel mécanicien.

Or, la difficulté du recrutement abaisse le niveau du personnel, et si l’on veut avoir de très bons ouvriers, il faut non seulement améliorer leur sélection, mais encore augmenter leur spécialisation aux machines marines. Prendre à l’industrie, comme on le préconise, un jeune ouvrier dont la mentalité n’est nullement maritime et nourrir l’espoir qu’il sera immédiatement utilisable à bord est une erreur parce que la spécialisation croissante du travail dans les grandes industries ne donne aux apprentis qu’une partie des connaissances générales nécessaires à bord, et que par suite l’apprentissage civil doit être complété par un apprentissage naval, d’où une perte de temps et de rendement à bord : c’est du moins l’avis de tous les officiers mécaniciens anglais qui sont le mieux placés pour connaître cette question générale. La seule solution consiste, comme pour les marins proprement dits, à donner cet apprentissage naval et l’éducation maritime correspondante dans des écoles professionnelles où les enfants, dès l’âge de quatorze ans, seraient élevés en vue de leur utilisation future exclusivement maritime.

Ces jeunes gens arriveraient au service avec le bagage professionnel et moral nécessaire pour constituer une pépinière de sous-officiers hors ligne. Pendant qu’il était ministre, M. de Lanessan avait eu cette conception, mais tandis qu’elle était abandonnée par son successeur, elle fut immédiatement adoptée par la marine anglaise, et les résultats qu’elle a obtenus depuis deux ans a déjà dépassé toute attente, ainsi que M. Cawdor, premier lord de l’Amirauté vient de le faire connaître officiellement dans son récent mémorandum au Parlement (décembre 1905). Quant à la valeur très grande que doit posséder le corps théorique, source des officiers mécaniciens, elle ne peut être obtenue que par une élévation des programmes et une sélection des candidats.

La première condition est évidente, et on ne peut pas dire qu’elle soit remplie aujourd’hui car, pour ne citer qu’un exemple, on voit à l’école la plus supérieure des premiers maîtres mécaniciens théoriques le même officier professer à la fois les cours d’algèbre, de physique, d’électricité, de mécanique et de trigonométrie, et cette multiplicité est peut-être considérable pour le même homme.

À vrai dire, la seconde condition ne nous paraît pas non plus suffisamment remplie par les projets en cours, parce que les écoles d’Arts et Métiers auxquelles on fait appel comme source de recrutement ne comportent à nos yeux ni un enseignement supérieur suffisant ni une mentalité maritime convenable. Je ne veux certes pas diminuer aux yeux du lecteur la valeur très connue des élèves sortis de ces écoles : l’industrie est peuplée de leurs ingénieurs, et il y a presque unanimité pour les préférer en pratique, à ceux sortant d’écoles très supérieures.

Je crois néanmoins que le niveau des officiers mécaniciens gagnerait à avoir une instruction première plus grande que celle représentée par le certificat d’études supérieures, parce qu’un cerveau préparé dès l’enfance perçoit mieux les idées générales qu’un esprit élevé à leurs concepts à l’âge où les idées sont déjà formées. Je crois, de plus, que c’est une grosse erreur de constituer à bord deux corps d’officiers de mentalité et de compétence absolument différentes, étant donné surtout que l’un d’eux est destiné, par ses fonctions, à commander à l’autre, et que ce commandement lui sera impossible s’il n’en connaît pas tous les éléments. On arrive ainsi à avoir deux corps trop spécialisés incapables de se substituer l’un à l’autre, ce qui est une nouvelle cause de mauvais rendement.

Aussi bien cette question brûlante paraît-elle se résoudre à l’étranger par une fusion plus ou moins intime des deux corps, car l’Amérique et surtout l’Angleterre ont admis que cette dualité très préjudiciable à l’unité de commandement ne pouvait se solutionner qu’en apprenant aux futurs officiers de marine la pratique nécessaire à la direction des machines : cette réforme entraîne un accroissement de la durée de l’enseignement, mais elle est très réalisable parce que les nouvelles connaissances sont données en remplacement d’anciennes, et d’ailleurs les résultats obtenus en Angleterre et publiés il y a quelques mois par l’Amirauté prouvent la possibilité et la facilité de cette innovation.

Ce serait sortir du cadre de cet article que de faire l’étude de cette réforme considérable, et d’ailleurs des objections d’ordre politique se dressent en France pour retarder l’avènement de cette réforme, malgré l’évolution du siècle qui l’imposera tôt ou tard. Si on considère que cette fusion des deux corps a le double but d’unifier la compétence et la mentalité, on peut bien actuellement ne pas poursuivre le premier de ces buts qui vise la compétence, car c’est un objet de discussions stériles que pourrait seul terminer un essai loyal que la marine ne veut pas entreprendre, mais on peut rechercher le second de ces buts qui vise la mentalité et demander l’unité d’origine des deux corps, ce qui entraînerait au moins la communauté de leurs idées ; c’est d’ailleurs le minimum de concessions faites dans les marines étrangères à la poussée industrielle moderne et aux nécessités de la marine de guerre à ce point de vue comme à beaucoup d’autres, la marine française est loin de tenir la tête du mouvement.

En résumé, nous demandons pour tous les équipages de la flotte une instruction plus éclectique, plus industrielle et plus pratique. Il est certain que ce desideratum d’une actualité incontestée ne peut être obtenu que par une durée plus longue de l’enseignement ce qui entraîne la création d’écoles professionnelles maritimes et la modification du recrutement qui en est la conséquence. Nous prétendons que les réformes proposées sont très possibles, et il suffirait, pour convaincre les hésitants, de regarder la marine anglaise où elles sont appliquées depuis peu presque intégralement et avec grand succès, mais nous convenons que nos équipages, marins et mécaniciens, tels qu’ils sont recrutés, ne pourraient les subir si un travail préliminaire ne leur façonnait l’esprit, en opérant chez eux une sélection qui en diminuerait le nombre en accroissant leur valeur, et si leur lien au service n’était pas resserré par des engagements à long terme permettant à la marine de bénéficier des sacrifices consentis par elle.

Malheureusement on peut craindre que la marine se refuse de longtemps à opérer cette transformation à cause de sa propre mentalité, et c’est pourquoi nous faisons un appel pressant à toutes les compétences pour qu’un mouvement d’opinion exige des pouvoirs publics la coordination des programmes navals avec les nécessités de la marine moderne.

Perellos.



  1. Voir la Revue du 10 février 1906, t. I, p. 225.

    Ce second article forme un tout avec le premier et a été écrit il y a plusieurs mois. Nous le publions sans modification, de manière que nos lecteurs aient intégralement sous les yeux le point de vue de leur auteur ; il n’y est donc pas fait allusion aux objections de M. le commandant Guyon, insérées dans la livraison précédente (t. I, p. 733). Nous continuerons à faire largement accueil aux communications qui nous seront faites sur ces questions dont l’importance est si grande pour l’avenir de notre marine. N. D. L. R.