L’Internationale, documents et souvenirs/Tome II/III,9

La bibliothèque libre.
L’INTERNATIONALE - Tome II
Troisième partie
Chapitre IX
◄   Chapitre VIII Chapitre X   ►




IX


La Solidarité, no 2, 3 et 4. — Bakounine dans le Jura. — Nouveau mouvement à Lyon (30 avril). — La première livraison de L’Empire knouto-germanique. — Conférences de Bakounine au Val de Saint-Imier. — Nos projets en mai.


Le second numéro de la nouvelle Solidarité porte la date du 12 avril 1871. Le premier article était de moi : j’y exposais la théorie fédéraliste telle que nous la comprenions, et que nous la supposions comprise par la Commune de Paris. Le voici :


Le fédéralisme.

Le véritable caractère de la révolution qui s’est accomplie à Paris commence à se dessiner d’une façon assez nette pour que tous, même les esprits les plus étrangers aux théories politiques, puissent maintenant l’apercevoir clairement.

La révolution de Paris est fédéraliste.

Le peuple parisien veut avoir la liberté de s’organiser comme il l’entendra, sans que le reste de la France ait à se mêler du ménage parisien ; et en même temps, il renonce de son côté à toute immixtion dans les affaires des départements, en les engageant à s’organiser chacun à sa guise, dans la plénitude de l’autonomie communale.

Les différentes organisations qui se seront de la sorte librement constituées pourront ensuite librement se fédérer pour se garantir mutuellement leurs droits et leur indépendance.

Il importe de ne pas confondre le fédéralisme tel que le comprend la Commune de Paris avec le soi-disant fédéralisme qui existe en Suisse et aux États-Unis d’Amérique.

La Suisse est simplement un État fédératif, et ce mot seul exprime déjà toute la différence de ces deux systèmes. La Suisse est un État, c’est-à dire qu’elle a une unité nationale ; et, par suite, malgré l’apparence fédérative, la souveraineté y est attribuée à la nation dans son ensemble. Les cantons, au lieu d’être considérés comme des individualités distinctes et absolument souveraines, sont censés n’être que des fractions d’un tout qui s’appelle la nation suisse. Un canton n’a pas la libre disposition de lui-même ; il peut bien, dans une certaine mesure, gérer lui-même ses affaires ; mais il ne possède pas la véritable autonomie, c’est-à-dire que ses facultés législatives sont limitées par la constitution fédérale ; et cette constitution fédérale n’est pas un contrat, dans le vrai sens du mot ; elle n’a pas été acceptée individuellement par chacun des contractants : elle a été imposée aux cantons par le vote d’une majorité. Un canton n’a pas le droit de résilier le contrat fédéral ; il lui est interdit de sortir de la fédération ; il lui est même interdit, comme nous le voyons en ce moment dans les affaires du Tessin, de se fractionner pour former des cantons nouveaux. Le moindre mouvement politique ou socialiste, une grève par exemple, peut amener dans le canton les troupes fédérales.

La fédération, en Suisse, n’est donc que dans les mots. Ce n’est pas fédération qui est le véritable nom du système suisse, c’est décentralisation. La Suisse idéalise, à peu de chose près, le système qui avait été établi en France par la constitution de 1791[1], et que l’Assemblée de Versailles, « s’inspirant des grands principes de 1789 », se propose de restaurer pour donner le change aux aspirations fédéralistes.

Le fédéralisme, dans le sens que lui donne la Commune de Paris, et que lui a donné il y a bien des années le grand socialiste Proudhon, qui le premier en a exposé scientifiquement la théorie, — le fédéralisme est avant tout la négation de la nation et de l’État.

Pour le fédéralisme, il n’y a plus de nation, plus d’unité nationale ou territoriale. Il n’y a qu’une agglomération de communes fédérées, agglomération qui n’a d’autre principe déterminant que les intérêts des contractants, et qui par conséquent n’a aucun égard aux questions de nationalisme ou de territoire.

Il n’y a également plus d’État, plus de pouvoir central supérieur aux groupes et leur imposant son autorité : il n’y a que la force collective résultant de la fédération des groupes, et cette force collective, qui s’exerce pour le maintien et la garantie du contrat fédéral, — véritable contrat synallagmatique cette fois, stipulé individuellement par chacune des parties, — cette force collective, disons-nous, ne peut jamais devenir quelque chose d’antérieur et de supérieur aux groupes fédérés, quelque chose d’analogue à ce que l’État est aujourd’hui à la société et aux communes. L’État centralisé et national n’existant donc plus, et les Communes jouissant de la plénitude de leur indépendance, il y a véritablement an-archie, absence d’autorité centrale.

Mais qu’on ne croie pas qu’après avoir supprimé les États et le nationalisme, le fédéralisme aboutisse à l’individualisme absolu, à l’isolement, à l’égoïsme. Non, le fédéralisme est socialiste, c’est-à-dire que pour lui la solidarité est inséparable de la liberté. Les communes, tout en restant absolument autonomes, se sentent, par la force des choses, solidaires entre elles ; et, sans rien sacrifier de leur liberté, ou, disons mieux, pour assurer davantage leur liberté, elles s’unissent étroitement par des contrats fédératifs, où elles stipulent tout ce qui touche à leurs intérêts communs : les grands services publics, l’échange des produits, la garantie des droits individuels, le secours réciproque en cas d’agression quelconque.

Que le peuple français, réveillé enfin par ses malheurs, ouvre les yeux à la lumière de la vérité : qu’il soit en 1871 l’initiateur de la République fédérative et sociale, comme il a été en 1793 le proclamateur des droits de l’homme ; et l’Europe, préservée de la restauration gothique dont la menace l’Empire d’Allemagne, verra luire dans un prochain avenir les jours de la liberté et de l’égalité.


Venait ensuite un long article de Joukovsky, La Commune de Paris, qui donnait, en cinq colonnes, des extraits de décrets de la Commune et d’autres documents, en les commentant. Joukovsky insistait sur le fait que, pour la première fois, Paris n’avait pas prétendu imposer sa volonté à la France : « c’est un coup mortel porté aux idées centralisatrices-bourgeoises ». Il ajoutait : « Les actes de la Commune prouvent qu’elle veut résolument marcher dans les voies du socialisme... Nous avons remarqué, parmi les membres qui la composent, un certain nombre d’internationaux, par contre, on y voit figurer aussi quelques personnalités qui ne nous inspirent malheureusement qu’une médiocre confiance. » Parlant ensuite de la province, il disait : « Ce qui se passe dans les départements est de favorable augure pour l’avenir des Communes autonomes... Les masses populaires viennent de rompre définitivement avec le principe d’autorité représenté par un pouvoir central... Si le mouvement communal de Lyon ne s’est pas maintenu comme celui de Paris, il faut plutôt en accuser le défaut d’intelligence pratique de ceux qui avaient mission de l’affirmer, que les aspirations des masses travailleuses, car l’esprit des ouvriers de Lyon est socialiste et révolutionnaire... Nous pouvons en dire autant de Narbonne et de Saint-Étienne. » Il affirmait que Marseille tenait bon : « Les dépêches mensongères de Versailles n’ont pas réussi à étouffer le mouvement de la Commune révolutionnaire de Marseille ». Mais, à la fin du numéro, deux lignes ajoutées en dernière heure constataient la triste réalité : « Nous apprenons que le mouvement de Marseille a, malheureusement, échoué ».

Un article de ce numéro prenait la défense de Karl Marx, calomnié par la presse versaillaise. C’est moi qui l’avais écrit. Je le reproduis :


Le Soir publie l’entrefilet suivant, que tous ses confrères se hâtent de rééditer après lui :

« Une lettre reçue d’Allemagne nous apprend que M. Karl Marx, un des chefs les plus autorisés de l’Internationale, était en 1857 secrétaire de M. de Bismarck. »

Comme nos lecteurs le savent, Karl Marx, membre de notre Conseil général, et auteur bien connu du livre le Capital, est proscrit d’Allemagne depuis 1848, et habite Londres depuis cette époque. Mais qu’importe à ces messieurs ! Il faut absolument faire croire aux badauds parisiens que l’Internationale est soldée par la Prusse. Bientôt Liebknecht et Bebel seront à leur tour des agents de la police secrète de Berlin, qui auront poussé le zèle jusqu’à se laisser enfermer pour mieux faire croire à un complot socialiste. Bientôt le Volksstaat, l’Internationale, la Solidarité seront rédigés aux frais de M. de Bismarck !

Parlons sérieusement. Nous ne comprenons pas que, pendant une crise révolutionnaire, où la calomnie peut devenir une arme si dangereuse, on laisse ses adversaires, sous prétexte de liberté de la presse, continuer leur système d’attaques jésuitiques. Est-ce que, sous prétexte de liberté de réunion, la Commune laisserait les régiments de Versailles venir camper sur la place Vendôme ? Il faut savoir être logique, et, quand on fait la guerre, la faire à outrance. Le premier jour de son avènement, la Commune de Paris aurait dû supprimer tous les journaux de police.


Le 16, nouvelle lettre de Bakounine (en russe) à Ogaref[2] :


Mon cher Aga, J’ai reçu ta lettre hier et je réponds aujourd’hui. Ne crains rien, cher ami : vos lettres ne s’égarent pas, elles m’arrivent toutes exactement, et il me semble que je réponds d’une façon circonstanciée à toutes les questions et à toutes les remarques.

Tu m’écris maintenant qu’on a décidé de faire une première livraison de cinq feuilles ; mais tu l’as écrit avant d’avoir reçu ma dernière lettre[3], dans laquelle j’implorais, je conseillais, je demandais, j’exigeais enfin, que la première livraison renfermât aussi toute l’histoire d’Allemagne, jusques et y compris la révolte des paysans, et que cette livraison se terminât avant le chapitre que j’ai baptisé Sophismes historiques des communistes allemands. Je faisais remarquer aussi qu’il était possible que ce titre eût été modifié ou biffé par Guillaume, mais non pas, sans doute, de façon que vous ne puissiez le lire. En un mot, la livraison doit se terminer là où commencent, ou plutôt avant que ne commencent, les dissertations philosophiques sur la liberté, le développement humain, l’idéalisme et le matérialisme, etc. Je t’en prie, Ogaref, et vous tous qui prenez part à la publication du volume, faites comme je vous le demande : cela m’est absolument nécessaire.

En faisant entrer ainsi dans la première livraison toute l’histoire d’Allemagne, avec la révolte des paysans, cette livraison aura six, sept, et peut-être huit feuilles. Je ne puis le calculer ici, mais vous pouvez le faire. Si elle est plus longue que vous n’aviez pensé d’abord, il n’importe, puisque tu dis toi-même qu’il y a de l’argent pour dix feuilles. Mais ce qui peut arriver, c’est que la copie destinée par moi à la première livraison ne suffise pas à remplir complètement la dernière feuille (6e, 7e, ou 8e). Alors voici ce qu’il faudra faire :

1° Renvoyez-moi tout le reste du manuscrit, c’est-à-dire tout ce qui n’entrera pas dans la première livraison, jusqu’au feuillet 285 inclusivement ;

2° Envoyez-moi en même temps le dernier feuillet de La partie qui doit constituer la première livraison (l’original ou une copie avec indication du folio, si quelqu’un est assez aimable pour recopier ce feuillet). En même temps, demandez à l’imprimerie qu’elle fasse le calcul du nombre de feuillets de moi qu’il faut pour terminer la feuille. J’ajouterai aussitôt tout ce qu’il faudra[4], et deux jours après, sans plus, je vous enverrai ce que j’aurai écrit. Mais n’oublie pas de m’envoyer ce dernier feuillet, sans lequel il me serait impossible d’écrire la suite.

Je t’en prie, Ogaref, fais-moi la grâce de satisfaire à ma prière, à ma légitime exigence, et arrange rapidement et exactement ce que je te demande et comme je te le demande. Encore une fois, cela m’est nécessaire, je t’expliquerai pourquoi à notre prochaine entrevue, qui, j’espère, aura lieu bientôt.

Tu me réclames toujours la fin. Cher ami, je t’enverrai sans tarder de la copie pour faire une seconde livraison de huit feuilles[5], et ce ne sera pas encore la fin. Comprends donc que j’ai commencé en croyant faire une brochure, et que je finis en faisant un livre. C’est une monstruosité, mais qu’y faire, si je suis un monstre moi-même ? Mais bien que monstrueux, le livre sera vivant et utile à lire. Il est presque entièrement écrit. Il ne reste qu’à le mettre au point. C’est mon premier et dernier livre, mon testament. Ainsi, mon cher ami, ne me contrarie pas : tu sais, il est impossible de renoncer à un projet cher, à une dernière idée, ou même de les modifier. Chassez le naturel, il revient au galop. Il ne reste que la question d’argent. On en a recueilli en tout pour dix feuilles ; or, il n’y en aura pas moins de vingt-quatre. Mais ne t’en inquiète pas : j’ai pris des mesures pour réunir la somme nécessaire. L’essentiel, c’est qu’il y a maintenant assez d’argent pour publier la première livraison de huit feuilles ; donc, imprimez et publiez sans crainte cette première livraison, telle que je vous le demande (et non telle que vous l’avez projeté). Dieu donne le jour, Dieu donnera aussi le pain[6].

Il me semble que c’est clair ; faites donc comme je vous le demande, vite et exactement, et tout ira bien.

Si cela dépendait de moi, je n’aurais laissé partir pour Paris ni Ross ni Lankiewicz, surtout le dernier. Mais je respecte la liberté des amis, et, une fois que je me suis assuré que leur résolution est inébranlable, je n’y contredis plus. Ross est déjà parti. Je crains qu’il ne tombe dans les griffes des ennemis avant d’avoir atteint Paris. Ces fils de chien sont maintenant acharnés contre tous les étrangers ; à Marseille ils ont fusillé des garibaldiens avec un plaisir tout particulier. Aussi longtemps qu’il ne se produira aucun mouvement sérieux en province, je ne vois pas de salut pour Paris. Je vois que Paris est fort et résolu, grâce aux dieux. On est enfin sorti de la période de la phrase pour entrer dans celle de l’action. Quelle que soit l’issue, ils sont en train de créer un fait historique immense. Et pour le cas d’un échec, je ne désire que deux choses : 1° que les Versaillais n’arrivent à vaincre Paris qu’avec l’aide ouverte des Prussiens ; 2° que les Parisiens, en périssant, fassent périr avec eux la moitié au moins de Paris. Alors, malgré toutes les victoires militaires, la question sociale sera posée comme un fait énorme et indiscutable.

Et s’il est possible de changer encore, intitulez mon livre ainsi : L’Empire knouto-germanique et la Révolution sociale.

Ton M. B.


Le n° 3 de la Solidarité porte la date du 25 avril, il est entièrement rempli par des documents de la Commune de Paris, que précède la reproduction d’un article de la Liberté, de Bruxelles, intitulé : La fin de la bourgeoisie. Un supplément contient la Déclaration de la Commune de Paris au peuple français.

Le 25 avril Bakounine quittait Locarno, me télégraphiant pour m’annoncer son arrivée. Il avait reçu, le 23, mille francs de Gambuzzi (c’était un emprunt que Bakounine espérait rembourser avec l’argent qu’il avait fait réclamer à ses frères). Le 27 il était à Neuchâtel, le lendemain il se rendait à Sonvillier, — c’était la première fois qu’il allait au Val de Saint-Imier, — où il séjourna jusqu’au milieu de mai. On a vu, par sa lettre à Ozerof du 5 avril, que sa décision de se rapprocher de ses amis datait déjà du commencement du mois : il avait été retenu par le manque de ressources ; dès qu’il eut de l’argent, il partit. Il venait se concerter avec nous, sans idées arrêtées sur ce qu’il pouvait y avoir à faire ; et c’était aux Montagnes qu’il établissait son quartier général, parce qu’il comptait y trouver des hommes d’action, et non à Genève où, en dehors d’une poignée d’amis, il n’aurait rencontré qu’hostilité et bavardage.

Un nouveau mouvement se préparait à Lyon. Il eut lieu le dimanche 30 avril, jour fixé pour les élections municipales. Des placards imprimés à Genève, chez Czerniecki (Joukovsky s’était chargé d’en corriger les épreuves, et, comme on le verra plus loin, s’acquitta fort mal de ce soin), furent emportés à Lyon par Albert Leblanc et un jeune canut, Camille Camet : mais Leblanc fut arrêté à Bellegarde le 29, Camet seul put arriver à destination. L’insurrection commença le dimanche après-midi, dans le quartier de la Guillotière, où une Commune provisoire (composée de neuf délégués des groupes révolutionnaires, Rivoire, tisseur, Bergeron, tisseur, Brugnot, Gaspard Blanc, Bouret, charpentier, Tacussel, serrurier, Pelea, tulliste, Velay, tulliste, Audouard, tailleur), s’installa à la mairie du faubourg, pendant que le quartier se hérissait de barricades. La troupe marcha contre les insurgés avec des mitrailleuses ; on se battit pendant la nuit du dimanche au lundi[7], et le lundi matin l’insurrection était vaincue à la Guillotière. Elle recommençait aussitôt à la Croix-Rousse, où on fit battre la générale et sonner le tocsin, et où une commission exécutive (Raymond, tisseur, Pochon, comptable, Drevet, tisseur, Gaspard Blanc, Guittat, ferblantier) organisait la résistance. Pendant la matinée du lundi 1er mai, on construisit des barricades, on coupa la ligne du chemin de fer de Sathonay ; mais la garde nationale ne répondit pas à l’appel que la commission exécutive lui adressait[8], et dans l’après-midi la mairie de la Croix-Rousse était occupée par la troupe et les barricades démolies.

En lisant ce jour-là (lundi) dans les journaux les nouvelles du mouvement du dimanche, j’étais parti pour Genève ; arrivé le soir, je conférai aussitôt avec Perron et Joukovsky : je voulais me rendre à Lyon. Après quelques heures de repos dans un petit hôtel du quartier des Pâquis, comme j’arrivais, le mardi matin, à la gare de Cornavin pour y prendre le train, j’appris l’échec définitif de la tentative des révolutionnaires lyonnais. En triomphant, la réaction bourgeoise jeta aux vaincus ses calomnies habituelles : le maire de la Guillotière et le maire de Lyon représentèrent, dans des proclamations et des lettres aux journaux, le mouvement comme l’œuvre des ennemis de la République, qui « provoquaient ces agitations dans un but de restauration monarchique ».

Le n° 4 de la Solidarité — ce fut le dernier — parut le 12 mai. Il contient un long article intitulé Les amis de l’Ordre, dû, je crois, à quelque réfugié français du Midi ; un second article intitulé Du suffrage universel, qui est de Schwitzguébel ; puis le compte-rendu de deux réunions tenues à Genève, au Temple-Unique, les 8 et 15 avril. La première avait été une réunion d’ouvriers de langue allemande, où parlèrent entre autres Gutsmann, J.-Ph. Becker, le Dr Boruttau ; un membre de la Section de l’Alliance, Lindegger, avait été admis à y prendre aussi la parole, et y avait prononcé un discours énergique. La réunion du 15 avril avait été convoquée par Outine, Henri Perret, et autres ; Brosset, sans s’occuper de la présence de nos adversaires, n’avait pas hésité à se rendre ce jour-là au Temple-Unique, où son éloquence populaire souleva l’enthousiasme, comme autrefois. Une Adresse à la Commune, rédigée par Outine, fut adoptée ; et bien qu’elle portât exclusivement les signatures d’hommes qui nous étaienlt hostiles, Dupleix, Guétat, Becker, Outine, Henri Perret, etc., la Solidarité consacra une de ses colonnes à la reproduire in-extenso. Le numéro se terminait par un manifeste du Conseil fédéral espagnol repoussant les calomnies répandues sur l’Internationale en Europe ; le compte-rendu (extrait du Vengeur) de l’inauguration du Club de la Révolution sociale dans l’église Saint Michel, à Paris (Batignolles) ; enfin le récit de l’arrestation de Parraton à Tonnerre.

Après l’échec du mouvement du 30 avril, il semblait qu’il n’y eût plus rien à tenter à Lyon. Mais, tant que la Commune de Paris restait debout, on pouvait espérer encore, et un groupe de Lyonnais organisa un « Comité central républicain socialiste de la France méridionale », qui fit imprimer à Genève diverses proclamations, affichées, dans le courant de mai, à Lyon et dans plusieurs autres villes. Albert Richard faisait partie de ce Comité, et Oscar Testut a publié le texte d’une lettre, probablement saisie sur un émissaire, adressée le 12 mai par Richard et Gaspard Blanc à Charles Perron, à Genève. Richard écrivait :


Nous préparons un mouvement sérieux. Je crois pouvoir compter sur notre vieille amitié, et j’ai maintenant besoin plus que jamais d’y faire appel. Je te prie d’aider le jeune homme qui te remettra ce billet de tes conseils et de tes renseignements... Il s’agirait de trouver quelqu’un qui transporterait à Seyssel ou Annecy un ballot d’imprimés... Si tu ne nous aides pas, nous serons très embarrassés.


Blanc avait ajouté ce post-scriptum :


En outre de ce que vous demande Albert, je vous prie de vouloir bien revoir avec soin les épreuves des diverses impressions que nous faisons faire à Genève. Ce Cosaque de Jouk, qui les a corrigées l’autre fois, y a laissé des imperfections épatantes. Les Lyonnais sont des ganaches, mais ils sont très méticuleux pour ce qui est des choses de l’orthographe. Occupez-vous donc immédiatement de nos impressions. Poignée de main.


La propagande du Comité central de la France méridionale ne produisit aucun résultat. À partir de la fin de mai, Albert Richard et Gaspard Blanc disparurent de la scène, et nous n’entendîmes plus parler d’eux, jusqu’au commencement de l’année suivante.


L’impression de la brochure de Bakounine avait été terminée à l’Imprimerie coopérative de Genève, au milieu d’avril. La prière de substituer, au titre primitif, ce titre nouveau : L’Empire knouto-germanique et la Révolution sociale, était arrivée trop tard. Mais ce n’était là qu’un petit malheur. Ce qui consterna Bakounine, lorsqu’il eut en mains les feuilles imprimées, ce fut la quantité de fautes d’impression énormes que les correcteurs avaient laissé passer. C’est ainsi que Quinet avait été transformé en Guizot, lord Bloomfield en lord Bloompichi, Wartbourg en Werthory, les trois mots allemands in’s Blaue hinein en ce logogriphe : isis Blanchinein ; l’impératrice Catherine II, de lascive mémoire, était, par le compositeur, dite de bonne mémoire ; l’animalité bourgeoise rugissante était devenue : animalik bourgeoise vigilante, etc. Bakounine me demanda d’imprimer sur-le-champ un Errata, que, dans sa colère, il ne voulut pas faire faire à l’Imprimerie coopérative ; je tirai l’Errata qu’il m’envoyait ; et ensuite, le manuscrit de la livraison m’ayant été expédié de Genève, sur ma demande, pour que je pusse collationner l’imprimé avec l’original, je fis encore un supplément à l’Errata ; je tirai également une couverture rouge, portant le titre : L’Empire knouto-germanique et la Révolution sociale, Première livraison[9].

Je ne veux pas faire ici l’analyse détaillée de cette Première livraison[10], qui se compose de trois chapitres : un exposé, faisant suite aux Lettres à un Français, de la situation de la France dans l’automne de 1870 (pages 1-74) ; un second chapitre intitulé L’alliance russe et la russophobie des Allemands[11] traitant des rapports historiques entre la Russie et l’Allemagne (pages 74-97) ; enfin un troisième chapitre intitulé Histoire du libéralisme allemand (pages 97-119), qui est une sanglante satire de l’esprit et des actes de la bourgeoisie allemande.

Dans le second chapitre, Bakounine a, pour la première fois, pris directement à partie Karl Marx dans un écrit public. Après s’être moqué de certains patriotes allemands, qui attribuent à la Russie et à son influence la servitude dans laquelle l’Allemagne est tenue par ses princes, il dit dans une note :


J’avoue que j’ai été profondément étonné en retrouvant ce même grief dans une lettre adressée, l’an passé, par M. Charles Marx, le célèbre chef des communistes allemands, aux rédacteurs d’une petite feuille russe qui se publiait en langue russe à Genève[12]. Il prétend que si l’Allemagne n’est pas encore démocratiquement organisée, la faute en est seulement à la Russie. Il méconnaît singulièrement l’histoire de son propre pays... A-t-on jamais vu une nation inférieure en civilisation imposer ou inoculer ses propres principes à un pays beaucoup plus civilisé, à moins que ce ne soit par la voie de la conquête ? mais l’Allemagne, que je sache, n’a jamais été conquise par la Russie... Ce serait vraiment un acte beaucoup plus digne d’un excellent patriote allemand et d’un démocrate socialiste sincère, comme l’est indubitablement M. Charles Marx, et surtout bien plus profitable pour l’Allemagne populaire, si, au lieu de chercher à consoler la vanité nationale, en attribuant faussement les fautes, les crimes et la honte de l’Allemagne à une influence étrangère, il voulait bien employer son érudition immense pour prouver, conformément à la justice et à la vérité historique, que l’Allemagne a produit, porté et historiquement développé en elle-même tous les éléments de son esclavage actuel. Je lui aurais volontiers abandonné le soin d’accomplir un travail si utile, nécessaire surtout au point de vue de l’émancipation du peuple allemand, et qui, sorti de son cerveau et de sa plume, appuyé sur cette érudition étonnante devant laquelle je me suis déjà incliné, serait naturellement infiniment plus complet. Mais comme je n’espère pas qu’il trouve jamais convenable et nécessaire de dire toute la vérité sur ce point, je m’en charge, et je m’efforcerai de prouver, dans le cours de cet écrit, que l’esclavage, les crimes et la honte actuelle de l’Allemagne sont les produits tout à fait indigènes de quatre grandes causes historiques : la féodalité nobiliaire, dont l’esprit, loin d’avoir été vaincu comme en France, s’est incorporé dans la constitution actuelle de l’Allemagne ; l’absolutisme du souverain sanctionné par le protestantisme et transformé par lui en un objet de culte ; la servilité persévérante et chronique de la bourgeoisie de l’Allemagne ; et la patience à toute épreuve de son peuple. Une cinquième cause enfin, qui tient d’ailleurs de très près aux quatre premières, c’est la naissance et la rapide formation de la puissance toute mécanique et tout anti-nationale de l’État de Prusse[13].


Je l’ai dit, je ne veux pas analyser ce petit livre : on pourra le lire dans la réimpression qui vient d’en être faite[14] ; je me borne à signaler particulièrement les pages vengeresses et étincelantes sur la bourgeoisie allemande et son besoin d’adorer un maître, pages qui, au lendemain des triomphes de l’odieux vainqueur, furent pour les vaincus — pour nous tous, qui haïssions le despotisme — comme la revanche de l’esprit sur la force brutale.


Pendant son séjour au Val de Saint-Imier, Bakounine fit, devant un auditoire d’ouvriers, trois conférences, ou plutôt trois lectures, dans lesquelles, après avoir retracé l’histoire de la bourgeoisie française et de son rôle révolutionnaire au dix-huitième siècle, il exposa la mission historique du prolétariat au dix-neuvième. Voici comment, dans la dernière conférence, il appréciait les événements qui venaient de se dérouler, et la protestation suprême du peuple parisien :


La bourgeoisie [française] est jugée... Si elle avait voulu, elle aurait pu sauver la France. Mais pour cela elle eût dû sacrifier son argent, sa vie, et s’appuyer franchement sur le prolétariat, comme le firent ses ancêtres, les bourgeois de 1793. Eh bien, elle voulut sacrifier son argent encore moins que sa vie, et elle préféra la conquête de la France par les Prussiens à son salut par la révolution sociale.

La question entre les ouvriers des villes et les bourgeois fut assez nettement posée. Les ouvriers ont dit : « Nous ferons plutôt sauter les maisons que de livrer nos villes aux Prussiens ». Les bourgeois répondirent : « Nous ouvrirons plutôt les portes de nos villes aux Prussiens que de vous permettre de faire du désordre public, et nous voulons conserver nos chères maisons à tout prix, dussions-nous même baiser le cul de Messieurs les Prussiens »...

Et ce n’est pas seulement en France, compagnons, que la bourgeoisie est pourrie, moralement et intellectuellement anéantie : elle l’est de même partout en Europe ; et dans tous les pays de l’Europe, seul le prolétariat a conservé le feu sacré, — lui seul porte aujourd’hui le drapeau de l’humanité...

Oui, chers compagnons, vous, les ouvriers, solidairement unis avec vos frères les travailleurs du monde entier, vous héritez aujourd’hui de la grande mission de l’émancipation de l’humanité. Vous avez un co-héritier, travailleur comme vous, quoique à d’autres conditions que vous : c’est le paysan. Mais le paysan n’a pas encore la conscience de la grande mission populaire. Il a été empoisonné, il est encore empoisonné par les prêtres, et sert contre lui-même d’instrument à la réaction. Vous devez l’instruire, vous devez le sauver malgré lui en l’instruisant, en lui expliquant ce que c’est que la Révolution sociale.

Dans ce moment et surtout au commencement, les ouvriers de l’industrie ne doivent, ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Mais ils seront tout-puissants s’ils le veulent. Seulement ils doivent le vouloir sérieusement. Et pour réaliser ce vouloir ils n’ont que deux moyens. C’est, d’abord, d’établir dans leurs groupes, et ensuite entre tous les groupes, une vraie solidarité fraternelle, non seulement en paroles, mais en action ; non pas seulement pour les jours de fête, de discours et de boisson, mais dans leur vie quotidienne. Chaque membre de l’Internationale doit pouvoir sentir, doit être pratiquement convaincu, que tous les autres membres sont ses frères.

L’autre moyen, c’est l’organisation révolutionnaire, l’organisation pour l’action. Si les soulèvements populaires de Lyon, de Marseille et des autres villes de France ont échoué, c’est parce qu’il n’y avait aucune organisation. Je puis en parler avec pleine connaissance de cause, puisque j’y ai été et que j’en ai souffert. Et si la Commune de Paris se tient si vaillamment aujourd’hui, c’est que pendant tout le siège les ouvriers se sont sérieusement organisés. Ce n’est pas sans raison que les journaux bourgeois accusent l’Internationale d’avoir produit ce soulèvement magnifique de Paris. Oui, disons-le avec fierté, ce sont nos frères les internationaux qui, par leur travail persévérant, ont organisé le peuple de Paris et ont rendu possible la Commune de Paris.

Soyons donc bons frères, compagnons, et organisons-nous. Ne croyez pas que nous soyons à la fin de la Révolution, nous sommes à son commencement. La Révolution est désormais à l’ordre du jour, pour beaucoup de dizaines d’années. Elle viendra nous trouver, tôt ou tard. Préparons-nous donc, purifions-nous, devenons plus réels, moins discoureurs, moins crieurs, moins phraseurs, moins buveurs, moins noceurs ; ceignons nos reins et préparons-nous dignement à cette lutte qui doit sauver tous les peuples et émanciper finalement l’humanité. Vive la Révolution sociale, vive la Commune de Paris ![15]


J’allai rendre visite à Bakounine, une fois, pendant son séjour à Sonvillier. Il commençait à s’y ennuyer, et me le dit. Si, parmi les ouvriers, il y avait quelques natures d’élite, un trop grand nombre d’entre eux manquaient de la solidité de caractère qui seule peut faire des révolutionnaires sérieux et sûrs ; « crieurs » et « buveurs », comme il le leur avait dit, ceux-là pouvaient bien se laisser entraîner à un acte de révolte dans un moment d’exaltation passagère, mais n’étaient pas capables d’action réfléchie, volontaire et prolongée.

Au milieu de mai il quitta le Val de Saint-Imier pour planter sa tente au Locle, où il devait retrouver un milieu déjà connu de lui, et où en outre il était plus rapproché de la frontière française. Des projets d’action s’étaient peu à peu précisés dans nos esprits : la pensée de laisser nos frères de Paris lutter seuls, sans essayer de venir à leur aide, nous était insupportable. Nous ne savions pas ce qu’il nous serait possible de faire, mais nous voulions absolument faire quelque chose.

Un plan dont je n’ai eu qu’une connaissance indirecte avait été formé à Genève par quelques réfugiés des mouvements de Lyon et d’autres villes : il s’agissait de concentrer, à Genève ou dans les environs, quelques centaines de volontaires de tous pays, ayant pour la plupart fait précédemment la campagne de France sous Garibaldi, et de les armer ; la légion ainsi formée aurait pénétré sur le territoire français et aurait marché sur Lyon. Mais, pour exécuter un projet pareil, il fallait de l’argent. Des émissaires allèrent à Paris solliciter de la Commune la somme nécessaire ; on leur répondit — ô naïveté criminelle ! — que la Commune était une administration publique, avec une comptabilité régulière ; qu’elle ne pouvait disposer d’aucune somme, sinon pour les dépenses inscrites au budget de la ville ; et que détourner une partie des deniers municipaux pour solder les frais d’une aventure de ce genre serait un procédé d’une incorrection inadmissible. Force fut donc de renoncer à l’expédition projetée.

Dans nos Montagnes, un autre plan avait été conçu. Il existait, dans une ville française de l’Est, une Section de l’Internationale avec laquelle nous étions en relations. Des internationaux de nos diverses Sections, armés, auraient passé la frontière en trois ou quatre groupes, se dirigeant sur cette ville, où leur arrivée aurait coïncidé avec un soulèvement de la population ouvrière. Un délégué nous fut envoyé de la ville en question ; je résolus alors, après entente avec mes amis, de m’y rendre accompagné de Treyvaud pour sonder le terrain et convenir des mesures d’exécution. La nouvelle de l’entrée des Versaillais à Paris, qui arriva au moment même où Treyvaud et moi allions partir, vint brusquement ruiner nos espérances.

J’ai conservé, de ces jours de fièvre où nous avions perdu la notion claire des réalités, une lettre que Bakounine m’adressa du Locle le vendredi 19 mai. Je la reproduis ; on y verra quel ton enjoué il pouvait garder au milieu des plus graves préoccupations. Cette lettre est écrite au dos d’une lettre de l’étudiant Sibiriakof, qui me demandait, le 13 mai, d’envoyer vingt exemplaires de la brochure L’Empire knouto-germanique à deux adresses, la sienne et celle de Semen Serebrenikof, ajoutant « qu’il m’enverrait 30 fr. (parce qu’on lui avait dit qu’un exemplaire coûtait 1 fr. 50) aussitôt la brochure reçue ». La demande ne me paraissait pas claire : fallait-il envoyer vingt exemplaires à chacune des deux adresses ? mais la mention de la somme de 30 fr. semblait indiquer qu’il ne s’agissait que de vingt exemplaires en tout. J’avais transmis la missive à Bakounine, en lui demandant son interprétation de ce texte ambigu. Il me répondit :


Naturellement vingt exemplaires, par dix exemplaires à chacun. Si tu avais tout l’esprit qu’on te prête, et si tu avais étudié le calcul différentiel et intégral avec celui des variations, comme Fritz Robert, tu aurais compris que Sibiriakof te promettant d’envoyer 30 fr., à raison de 1 fr. 50 par exemplaire, il ne peut avoir demandé en tout que vingt exemplaires.

Je te préviens qu’Adhémar a écrit à…[16], et qu’il est possible qu’un ami de là vienne chez toi soit demain samedi, soit dimanche, à ton adresse directe qu’Adhémar lui a envoyée. Nous viendrons naturellement dimanche[17], les Loclois et moi, avec le premier train du Locle. Si tu ne veux pas venir toi-même nous rencontrer à la gare, envoie-moi ton frère[18] et dis-lui le nom de l’hôtel dans lequel, conformément à ma prière, tu as arrêté la chambre pour moi et pour Ozerof, afin que je puisse y faire transporter immédiatement mes effets[19]. À bientôt. Ton dévoué M. B.


J’avais convoqué à la réunion du 21 mai, dont parle cette lettre, le père Meuron, qui, je l’espérais, se déciderait à cette occasion à quitter pour un jour sa retraite de Saint-Sulpice. Mais il m’avait répondu le 19 :


Ta lettre m’arrive à l’instant ; je suis sorti du lit pour y répondre ; malade depuis quelques jours, je suis d’une faiblesse extrême. Du reste cet hiver a été rude pour moi... Je suis heureux de penser que tu verras quelques amis réunis. Serre-leur la main à tous, dis mille choses à Bakounine... Impossible d’aller vous voir, tu ne comprends pas comme je suis devenu vieux cet hiver passé. Je ne vais plus à Fleurier sans souci de savoir si je pourrai revenir. Voilà, on est vieux, bien vieux, fini ! Salue toute la chère petite famille. J’espère que tu viendras, c’est promis, c’est dû. Adieu, je sens le froid.


La réunion de Neuchâtel était devenue nécessaire parce que le Congrès fédéral annuel, qui aurait dû avoir lieu en avril, n’avait pu être encore convoqué. Le mandat du Comité fédéral était arrivé à son terme ; la réunion désigna le Val de Saint-Imier comme siège du nouveau Comité. Elle s’occupa ensuite du journal, dont la situation financière était devenue critique, par suite des dépenses inconsidérées qu’avait engagées Joukovsky : la Solidarité, conformément au projet de budget établi en février, aurait dû ne paraître qu’en demi-feuille (exception faite pour le premier numéro) tant que le chiffre minimum de six cents abonnés ne serait pas atteint. Le journal avait donc contracté une dette dont l’imprimeur réclamait le paiement ; nous décidâmes que les membres qui s’étaient constitués en société de garants de la Solidarité verseraient, à cet effet, une cotisation de six francs chacun, et que, pour l’avenir, le format du journal serait réduit de façon à ramener la dépense d’impression à trente francs par numéro.

En dehors des délibérations administratives, les membres de la réunion échangèrent naturellement des vues à propos du mouvement projeté dans une ville de France, et c’est alors qu’il fut décidé que Treyvaud et moi irions préparer le terrain. Nous étions loin de nous douter qu’au moment même où nous étions ainsi réunis, les Versaillais pénétraient dans Paris.



  1. Ne pas confondre la constitution de 1791, œuvre de l’Assemblée constituante, avec la constitution jacobine de 1793, œuvre de la Convention. (Note de l’original.)
  2. Cette lettre a été omise dans la traduction française de la Correspondance.
  3. Il s’agit, comme la suite va le faire voir, d’une lettre qui n’est pas celle du 9 avril (p. 141), et qui est perdue ; à moins qu’on n’admette cette autre hypothèse, également plausible, qu’un passage de la lettre du 9 avril, passage qui aurait contenu la demande dont Bakounine va parler, a été supprimé par l’éditeur de la Correspondance.
  4. C’est-à-dire que Bakounine, reprenant le thème traité dans le dernier feuillet, y ajoutera de nouveaux développements, de façon à fournira l’imprimerie de quoi achever de remplir la dernière feuille de la livraison, sans qu’on soit obligé, pour la compléter, d’y faire entrer le commencement du chapitre Sophismes historiques des communistes allemands, réservé pour la seconde livraison.
  5. C’est-à-dire qu’après être rentré en possession de la partie du manuscrit qui n’était pas destinée à la première livraison, jusqu’au feuillet 285, il enverra à Ogaref, pour la seconde livraison, un nombre suffisant de feuillets de ce manuscrit, déjà revu par moi et qu’il désirait revoir, lui aussi, avant l’impression.
  6. Proverbe russe.
  7. « Comme toujours, » — dit un écrivain réactionnaire, — les femmes se montrèrent les plus acharnées ; on vit de ces furies, les cheveux au vent, les mains tachées de sang, courir de barricade en barricade, exciter les hommes et leur distribuer des cartouches. » (Oscar Testut.)
  8. Cet appel disait : « Le sang a coulé dans notre ville. Une réaction infâme a forcé les soldats à mitrailler leurs frères et les vôtres… Les gardes nationaux de la Croix-Rousse sont convoqués, en armes, aujourd’hui, à quatre heures du soir… ; par leur nombre et leur attitude les soldats-citoyens imposeront à leurs frères de l’armée régulière les sentiments de fraternité qu’ils sont en droit d’attendre d’eux… Pas un de vous ne manquera à l’appel, et votre union sera un sûr garant qu’il n’y aura plus de sang versé ! »
  9. J’ai entre les mains les factures et différentes lettres relatives à l’impression de cette brochure. La facture de l’Imprimerie coopérative, du 19 avril 1871, s’élevait à 500 fr., savoir : 480 fr. pour 8 feuilles à 1.000 exemplaires (à 60 fr. la feuille, prix légèrement majoré, dit la facture, » en raison de la copie presque illisible »), et 25 fr. de surcharge pour les notes. Cette facture fut payée par Ozerof, tant avec l’argent recueilli par Ross qu’avec celui que dut fournir Ogaref. Une seconde facture de l’Imprimerie coopérative, de 134 fr. (32 fr. pour pliage et partie du brochage, etc., 102 fr. pour composition non employée) fut réduite ensuite à 89 fr. La facture de Neuchâtel était de 84 fr. (24 fr. pour couverture, 30 fr. pour les deux Errata, 30 fr. de brochage). Il restait donc à payer 173 fr. ; cet argent fut envoyé de Munich par un étudiant russe, Alexandre Sibiriakof. — Bakounine aurait désiré imprimer immédiatement une seconde livraison de 8 feuilles, dont je fis le devis, s’élevant à 512 fr. au lieu de 678 fr. qu’avait coûtés la première ; mais Sibiriakof écrivit 12 juin que ses ressources étaient momentanément épuisées et qu’il ne pouvait rien promettre.
  10. En voici le titre complet : sur la couverture, L’Empire knouto-germanique et la Révolution sociale, par Michel Bakounine. Première livraison, Genève, chez tous les libraires, 1871 : — et sur la première page, à l’intérieur, La Révolution sociale ou la dictature militaire, par Michel Bakounine : Genève, Imprimerie coopérative, rue de Carouge, 8, 1871. La brochure forme un volume in-8o de 119 pages.
  11. Ce titre, qui existe dans le manuscrit, a été omis dans la brochure imprimée, et l’Errata a négligé de le rétablir.
  12. Le journal d’Outine.
  13. L’Empire knouto-germanique, etc., pages 89-93, note.
  14. Dans un volume qui contient en outre Les Ours de Berne et l’Ours de Saint-Pétersbourg et les Lettres à un Français (Paris, Stock, 1907).
  15. Ces trois conférences ont été publiées par Max Nettlau dans la revue la Société Nouvelle, à Bruxelles (mars et avril 1895), mais malheureusement d’après une copie très fautive et incomplète. Le manuscrit original de Bakounine est en ma possession ; il m’a été remis, à l’époque, par Adhémar Schwitzguébel.
  16. La ville française dont il est parlé ci-dessus.
  17. À une réunion générale convoquée pour le 21 mai à Neuchâtel.
  18. Mon frère, après avoir prolongé son séjour à Paris, où il avait combattu dans les rangs des fédérés (85e bataillon) aux avant-postes (Neuilly), jusqu’au 5 mai, était revenu à Neuchâtel, et s’occupait à écrire ses souvenirs des deux siècles, qui parurent, de juin à septembre 1871, en trois petits volumes intitulés : Souvenirs d’un franc-tireur (1 vol.) et Souvenirs d’un garde national pendant le siège de Paris et sous la Commune : 1re partie, la Capitulation (1 vol.) ; 2e partie, l’Insurrection (1 vol.).
  19. Nos allées et venues, à ce moment, étaient surveillées ostensiblement par !a police. Bakounine et Ozerof s’étaient logés au Petit Hôtel des Alpes (chez Mme Favre), en face de la gare: le lieutenant de gendarmerie Chatelain s’installa nu rez-de-chaussée de l’hôtel, et là il prenait les noms de tous ceux qui venaient rendre visite aux deux Russes.