L’Internationale, documents et souvenirs/Tome III/V,7

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L’INTERNATIONALE - Tome III
Cinquième partie
Chapitre VII
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VII


De janvier 1874 au Congrès jurassien de la Chaux-de-Fonds. 25-27 avril 1874.


En Espagne, l’année 1874 commença par le coup d’État militaire du général Pavia :

« L’Assemblée nationale espagnole (les Cortès) a été dissoute dans la nuit du 2 au 3 janvier par un coup d’État. Les députés s’étaient prononcés, par 120 voix contre 100, contre le gouvernement de M. Castelar, et le pouvoir allait passer aux mains des intransigeants ; alors le général Pavia, gouverneur de Madrid, a fait braquer des canons contre le palais de l’assemblée ; un détachement d’infanterie a envahi la salle, et les représentants ont été mis à la porte. C’est la répétition du 18 brumaire et du 2 décembre. Un nouveau gouvernement, dont les membres principaux sont MM. Serrano et Sagasta, s’est immédiatement installé. Le coup d’État s’est fait au profit des monarchistes, et, dans un délai plus ou moins court, nous assisterons à l’avènement de Don Alphonse, fils et héritier de Sa Majesté Isabelle II. » (Bulletin du 11 janvier 1874.)

« La dictature grotesque de Castelar, ce républicain qui a montré tant de zèle à faire fusiller les socialistes, est tombée sous le mépris universel ; elle est remplacée par une autre dictature aussi brutale, aussi despotique, mais qui du moins ne prétend pas se couvrir du masque de la liberté... Le coup d’État du 3 janvier a provoqué des insurrections dans diverses provinces : Barcelone, en particulier, est soulevée depuis le 8 janvier, et le télégraphe prétend que c’est l’Internationale qui dirige le mouvement ;... Carthagène a été abandonnée par les intransigeants, qui se sont sauvés en Algérie à bord d’une frégate. » (Bulletin du 18 janvier.)

« Le mouvement de Barcelone, dont nous avons parlé dans notre dernier numéro, paraît n’avoir été qu’une échauffourée des partisans de Castelar et de Pi y Margall. Une lettre particulière de Barcelone nous apprend que le nouveau gouvernement vient de prononcer la dissolution de l’Internationale en Espagne. Cette dissolution a déjà été prononcée une première fois, il n’y a pas encore deux ans, par le ministre Sagasta, et la Fédération espagnole n’en a pas moins continué de vivre et d’agir : l’Internationale est indestructible. » (Bulletin du 25 janvier.)

Un peu plus tard, le Bulletin constatait que l’Internationale espagnole vivait toujours :

« L’ordre règne en Espagne, à ce qu’assure le gouvernement... La grande ennemie de la société moderne, l’Internationale, est vaincue : il a suffi d’un décret pour l’anéantir, pour supprimer ses sections et ses journaux.

« Oui, l’Internationale est anéantie en Espagne, de la même façon qu’elle est anéantie en France, c’est-à-dire qu’elle continue à agiter et à organiser les masses avec plus d’ardeur que jamais. Eh quoi ! parce que, pendant un certain temps, les sections de l’Internationale ne pourront pas se réunir publiquement, parce qu’on séquestrera leurs journaux, on croit avoir détruit notre Association ? C’est une plaisanterie. » (Bulletin du 1er mars.)

Une preuve palpable que l’organisation espagnole restait bien vivante, c’est, entre autres, une lettre (n° 2382) adressée par la Commission fédérale espagnole au Comité fédéral jurassien, à la date du 29 mars, pour lui parler d’une grève des mariniers et des tonneliers de Tarragone ; la Commission écrivait : « Les bourgeois de Tarragone ont dit qu’ils feraient venir des ouvriers tonneliers du Midi de la France et du Portugal pour prendre la place des grévistes. Afin d’empêcher la réalisation de ce projet, nous avons écrit au Conseil fédéral portugais... Comme nous n’avons pas l’adresse des sections du Midi de la France, nous vous écrivons la présente afin que vous fassiez connaître aux travailleurs français, par les moyens que vous jugerez les plus opportuns, la situation des grévistes de Tarragone, et que vous les préveniez de ne pas se laisser surprendre par les agents de nos exploiteurs. » À cette lettre était joint un exemplaire d’un Manifeste de la Commission fédérale à tous les ouvriers d’Espagne ; ce Manifeste, qui fut tiré à dix-sept mille exemplaires, leur disait : « Toutes les tromperies, toutes les trahisons dont vous avez été les victimes, vous auriez pu les prévenir et les éviter si, au lieu d’employer vos efforts à changer les formes de l’autorité, vous eussiez tendu à la destruction complète du principe d’autorité dans toutes ses manifestations... Il y a nécessité impérieuse de prendre entre vos mains la gestion directe de vos affaires et de vos intérêts, que jusqu’ici, nous l’avons constaté avec douleur, vous avez préféré remettre à vos faux amis, à vos ennemis naturels et nécessaires, c’est-à-dire à des hommes qui, n’ayant pas les mêmes intérêts que vous et appartenant à la classe ennemie de notre émancipation, ne pouvaient faire que vous exploiter et vous tromper... Que notre constante préoccupation soit la séparation absolue des exploiteurs et des exploités ; qu’il n’y ait plus parmi nous ni républicains bénévoles, ni républicains intransigeants, plus d’unitaires, de démocrates ou de monarchistes ; pour nous, il ne doit exister que deux partis : celui de la révolution et celui de la réaction... Si l’on fait appel à vous pour des élections, tournez le dos et venez à l’Association. Si on essaie de vous embrigader, sous prétexte de conspirations politiques, pour vous faire servir d’instruments dociles aux ambitions bourgeoises, tournez le dos et venez à l’Association... Vive l’Association internationale des travailleurs ! » (Bulletin des 5 et 12 avril.)


Andrea Costa fit parvenir encore à notre Bulletin, en janvier 1874, deux correspondances (écrites à la Baronata) datées de Bologne ; il y passait en revue la situation de l’Internationale dans les diverses régions de l’Italie, en Romagne, dans les Marches et l’Ombrie, en Toscane, en Sicile, dans le Napolitain. L’organisation publique de l’Internationale, qui faisait des progrès continus, s’était doublée en Italie d’une organisation secrète, dont l’agent exécutif fut un « Comité italien pour la Révolution sociale «. Ce Comité publia un Bollettino, dont la rédaction fut confiée à Costa, et qui, imprimé clandestinement, était distribué aux affiliés : le premier numéro parut en janvier 1874, le second en mars[1]. Au printemps de 1874, la situation devenant, en Italie, de plus en plus révolutionnaire, par suite de la misère croissante et des mouvements populaires qu’elle suscitait, Costa repassa la frontière et se rendit en Romagne, où il se tint caché, pour être plus à portée de correspondre avec les divers groupes révolutionnaires de la région ; de son côté, Malatesta, remis en liberté en janvier, commença dans le midi de la péninsule, avec quelques amis, un sérieux travail d’organisation.

Le n° 1 du Bollettino del Comitato italiano per la Rivoluzione sociale disait : « La propagande pacifique des idées révolutionnaires a fait son temps ; elle doit être remplacée par une propagande retentissante (clamorosa), solennelle, de l’insurrection et des barricades ». Dans le n° 2, on lisait : « Le peuple est las de paroles, il est temps d’en venir à la lutte. Loin de nous les maîtres, les docteurs, les avocats, les présidents, les consuls, les dictateurs ; nous ne sommes pas un vil troupeau ayant besoin du berger qui nous caresse pour mieux nous tondre... Renversons ce monde qui nous écrase, détruisons cette société qui nous renie, vengeons toutes les hontes, les insultes, les ignominies, les abjections dont nous avons souffert. Prolétaires d’Italie, en avant, énergiques et résolus comme nos pères, les esclaves de Spartacus, les ciompi de Lando[2], à la grande lutte pour notre émancipation ! »


Pour la France, je ne trouve dans notre Bulletin, pendant les quatre premiers mois de 1874, que des lettres de la Nouvelle-Calédonie, donnant des détails sur les souffrances des déportés de la Commune, sur les infâmes et barbares traitements infligés par les officiers du Fénelon aux femmes embarquées sur ce transport, sur l’évasion de Rochefort, Grousset, Jourde et de leurs trois compagnons ; puis un article résumant une lettre du Comité des Cercles catholiques d’ouvriers à l’archevêque de Paris, pour demander que dans la future église du Sacré-Cœur, à Montmartre, un autel fût consacré à Jésus-Ouvrier, et la réponse de l’archevêque, qui promettait l’érection de l’autel, et couvrait de fleurs les travailleurs manuels, « associés aux mérites du Fils de Dieu et qui le seront à sa gloire ». Le Bulletin écrivait à ce sujet :


Après cela, les ouvriers auraient bien mauvaise grâce à se plaindre encore de leur sort. L’archevêque de Paris ne vient-il pas de leur démontrer que « plus leur destinée les rapproche de la condition temporelle du Fils de Dieu », c’est-à-dire plus ils sont misérables (car on sait que le Fils de Dieu n’avait pas même un endroit où reposer sa tête), plus ils doivent s’estimer heureux ? La légitimité éternelle du salariat n’est-elle pas établie de la façon la plus péremptoire, puisque Jésus, pour sanctifier l’exploitation de l’homme par l’homme, a voulu lui-même « recevoir le salaire gagné par ses sueurs » ? Enfin, pour comble de bonheur et de gloire, n’apprend-on pas aux ouvriers que ce sont eux « qui possèdent les préférences du cœur de Jésus » ? Ils seront bien ingrats, ces mécréants d’ouvriers, si, après une si touchante manifestation de charité chrétienne à leur égard, ils continuent à fusiller les archevêques de Paris.


Tout en caressant « les ouvriers demeurés ou redevenus chrétiens », les réactionnaires versaillais emprisonnaient les ouvriers membres de l’Internationale : « Le tribunal correctionnel de Lyon vient de condamner un certain nombre d’ouvriers prévenus d’affiliation à l’Internationale aux peines suivantes : Camet[3] et Gillet à cinq ans de prison ; Boriasse, Dupin et Gouttenoire, à trois ans ; Deville, Dubois, Laurençon et Peroncel, à deux ans ; Ayèle, Basque, Bruy, Chazy, Audoire, Gaspard, Damaizin, Luchol et Lafay, à un an ; Gazot, Durieu, Masson, Gaillard, Hivert, Martin, Roure, Roussel et Serre à six mois ; en outre, chacun d’eux est condamné à 50 francs d’amende et à cinq ans d’interdiction des droits civiques. » (Bulletin du 3 mars.)


En Belgique, les mois de février et de mars 1874 furent marqués par des grèves importantes qui éclatèrent dans divers charbonnages, à Flémalle, au Flénu. Vers la fin de mars, le Conseil régional belge, siégeant à Verviers, publia un Manifeste adressé aux sections et corporations de la Fédération belge ; il y rappelait que « les grèves partielles ne seraient jamais un moyen efficace pour assurer les droits du travail », et déclarait « engager les associations ouvrières à examiner sérieusement la voie révolutionnaire, qui seule pourra assurer le triomphe des travailleurs » ; ce Manifeste portait les signatures des sept membres du Conseil régional, P. Bastin, J.-N. Demoulin, G. Gérombou, L. Lincé, T. Malempré, J. Ernst, et E. Piette. Le Congrès régional de Pâques eut lieu les 5 et 6 avril à Baume, dans le Centre-Hainaut ; on y discuta entre autres sur les moyens d’activer la propagande et de créer de nouvelles sections.


Les élections qui eurent lieu en Allemagne en janvier 1874 firent entrer au Reichstag neuf députés socialistes : six membres de la fraction d’Eisenach, tous élus en Saxe, Bebel, Geib, Liebknecht, Most, Motteler et Vahlteich ; et trois lassalliens, Hasenclever et Reimer, élus dans le Schleswig-Holstein, et lHasselmann, élu à Barmen-Elberfeld. Le vieux démocrate prussien Johann Jacoby, qui s’était publiquement rallié à la fraction d’Eisenach, avait consenti à laisser poser sa candidature en Saxe, et fut élu ; mais il refusa d’accepter sa nomination ; dans une lettre à ses électeurs, il rappela qu’avant les élections il avait publié une déclaration par laquelle il se réservait expressément le droit d’accepter ou de refuser le mandat qu’il aurait reçu : « Je fais maintenant usage, ajouta-t-il, du droit que je m’étais réservé, et je déclare que je refuse le mandat de député au Reichstag. Convaincu de l’impossibilité d’opérer, par les moyens parlementaires, la transformation d’un État militaire en un État populaire, je ne puis pas me résoudre à prendre part à des délibérations dont je connais d’avance l’inutilité. » Le Volksstaat se montra très mécontent de cette décision, et fit d’amers reproches à Jacoby, qui faisait perdre un siège aux socialistes !

« Les ouvriers de Mulhouse, bien qu’abstentionnistes, avaient résolu de poser la candidature de Liebknecht, qui était alors en prison, uniquement à titre de protestation. Les bonapartistes, les légitimistes, les républicains de toute nuance, se coalisèrent pour nommer un candidat anti-prussien : leur choix tomba sur un imbécile, un bonapartiste, un homme qui avait fait de sa fabrique un sérail, mais qui était plusieurs fois millionnaire. » Grande fut la colère des coalisés contre les ouvriers socialistes, qu’on traita de Prussiens. À partir de ce jour, on chercha une occasion pour chasser l’ouvrier à qui on attribuait l’initiative de la candidature Liebknecht, notre ami Weiss, qui depuis quinze ans travaillait dans la manufacture de Kœchlin frères. On ne la trouva pas, et on finit par lui dire tout bonnement, dix-huit mois plus tard, qu’on voulait que l’ordre régnât dans la fabrique, et qu’on le priait de chercher de l’ouvrage ailleurs (Bulletin du 19 septembre 1875).

Le fait que les députés des deux fractions allaient siéger côte à côte au Reichstag devait forcément amener entre eux un rapprochement, dont la première manifestation publique eut lieu à l’occasion de la question d’Alsace-Lorraine. Les députés alsaciens-lorrains avaient présenté au Reichstag, le 18 février 1874, la proposition suivante : « La population d’Alsace-Lorraine, qui a été annexée à l’Empire allemand par le traité de Francfort sans avoir été consultée, sera appelée à se prononcer par un vote spécial sur cette annexion ». Cette proposition et le discours prononcé par le député alsacien Teutsch furent accueillis par des huées, des vociférations, des rires insultants. Au vote, toutes les fractions bourgeoises se levèrent comme un seul homme contre la proposition. Les seuls députés qui, a la contre-épreuve, au milieu de l’hilarité redoublée et mêlée de rage de la majorité, se déclarèrent en faveur de la proposition des Alsaciens, furent les Polonais, le Danois Kryger, le Hanovrien Ewald, le républicain Sonnemann, et les sept socialistes présents (Bebel et Liebknecht étaient encore détenus à la forteresse de Hubertsbourg, d’où ils ne sortirent, Liebknecht qu’à l’automne de 1874, Bebel qu’en 1875). Les socialistes motivèrent leur vote par une déclaration qui fut signée à la fois par les lassalliens (Hasenclever, Hasselmann et Reimer) et par ceux de la fraction d’Eisenach (Geib, Most, Motteler et Vahlteich).


Nous applaudissons à ce rapprochement, — écrivis-je dans le Bulletin, — et nous constatons en même temps que les attaques dirigées à réitérées fois par le Volksstaat contre les hommes de l’Allgemeiner Arbeiter-Verein (les lassalliens), que ce journal représentait comme des instruments de Bismarck[4], se trouvent par le fait être désavouées et reconnues pour de pures calomnies… Maintenant qu’après une longue crise un esprit d’apaisement semble prévaloir à peu près partout, nous faisons des vœux pour qu’un rapprochement puisse s’opérer entre les divers groupes qui fractionnent le prolétariat de l’Europe et de l’Amérique, et pour qu’au moins, dans la presse socialiste, la discussion franche et loyale vienne remplacer l’injure.


Un discours prononcé par Hasselmann au Reichstag contre le projet de loi sur les ruptures de contrat (Kontraktbruchgesetz) contenait ce passage : « En Allemagne, nous n’avons jusqu’à présent lutté que dans les limites légales ; nous laissons à notre ennemi, le capital, le soin de rompre le premier le pont de la légalité. Mais, chez nos voisins, nos amis ont déjà rompu le pont ; là, le prolétariat à bout de patience a pris les armes contre les exploiteurs versaillais, contre ces bandits de l’ordre qui, après trois années, commandent encore des exécutions et se baignent encore dans le sang. Et ce combat entre le travailleur et l’oisif, entre le capital et le travail, entre la misère et la jouissance, l’Allemagne n’y échappera pas. »


Ces paroles — dit encore le Bulletin — sont pour nous un symptôme frappant des progrès qu’a faits depuis quelques années le prolétariat allemand… La période exclusivement militaire est passée ; le peuple ouvrier prend conscience de sa misère et de ses droits ; le flot de la révolution monte.


Le Neuer Sozial-Demokrat, organe des lassalliens, publia un appel aux travailleurs allemands, signé par Hasenclever, pour les inviter à célébrer, le 18 mars 1874, le troisième anniversaire de la Commune de Paris, afin de montrer qu’ils étaient étrangers à toute haine nationale, à tous préjugés nationaux : « car l’humanité passe avant l’Allemagne ».

Dans un article où je commentais un passage de l’Arbeiterprogramm de Lassalle (Bulletin du 29 mars), j’appliquais à l’idée du « Volksstaat », de l’État populaire, le jugement porté par Lassalle sur le programme de la révolte des paysans allemands de 1525, qui, avait-il dit, n’était qu’un développement du principe ancien de la société féodale, d’un principe appartenant à une période historique qui avait fini son temps et qui allait disparaître ; et j’écrivais, en reprenant ses propres paroles :


Les partisans de l’État populaire sont des hommes « qui prennent pour un nouveau principe révolutionnaire ce qui n’est autre chose qu’un rajeunissement, un replâtrage, une expression plus correcte et plus conséquente du vieux principe, du principe de la période historique qui finit ».

Toutefois l’erreur dans laquelle ces citoyens nous paraissent tomber est une de ces erreurs de théorie que l’expérience corrige ; et nous voyons déjà se produire des symptômes qui semblent annoncer, en Allemagne, une manière nouvelle d’envisager la question. Il y aura bien, peut-être, quelques doctrinaires dont les opinions sont toutes faites depuis un quart de siècle, et qui persévéreront quand même dans un système dont ils sont les inventeurs ; mais le prolétariat militant saura accueillir les enseignements que lui donnent les événements de ces dernières années ; et, pour ne citer qu’un fait, l’enthousiasme et l’unanimité avec lesquels a été célébré en Allemagne l’anniversaire du 18 mars nous font espérer que le programme politique et social de la Commune de Paris deviendra bientôt, des deux côtés du Rhin, le symbole commun des aspirations de tous ceux qui veulent l’affranchissement définitif du travail et la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme.


C’était là une illusion, il fallut le reconnaître quelques années plus tard.


En Autriche, l’Association « Volksstimme », dont Oberwinder était le chef, avait en 1873 présenté au Reichsrath une pétition demandant diverses réformes destinées à améliorer la situation des ouvriers. La commission nommée par le Reichsrath pour s’occuper de cette pétition décida, en avril 1874, de la renvoyer au gouvernement. Là-dessus, le Volksstaat de Leipzig écrivit :

« Nous pensons qu’après avoir vu leur pétition enterrée avec si peu de cérémonie, les ouvriers autrichiens comprendront une fois pour toutes que, par la voie parlementaire, ils ne peuvent pas même obtenir une minime amélioration de leur sort, à plus forte raison une amélioration radicale, et que ceux qui engagent la classe ouvrière à continuer dans cette voie sont, ou bien des hommes incapables et sans intelligence, ou bien des spéculateurs malhonnêtes et égoïstes. Renvoyer une pétition au gouvernement ne signifie pas autre chose, en langage de cour, qu’envoyer le pétitionnaire au diable. »

Le Bulletin, à son tour, fit cette observation :


Le Volksstaat ne nous a guère habitués à un pareil langage, et le jugement si sévère et si juste qu’il porte sur le parlementarisme nous paraît quelque peu en contradiction avec la pratique quotidienne de ses amis. Toutefois, nous enregistrons cette déclaration comme un nouveau symptôme du progrès des idées révolutionnaires en Allemagne.


En Angleterre, les élections (février 1874) avaient donné la majorité au parti conservateur. Les Trade Unions avaient pris part à la lutte électorale, et avaient porté, dans différents collèges, onze candidats : deux seulement furent élus, à Stafford et à Marpeth, Macdonald et Burt, qui occupaient de hautes fonctions dans deux Unions d’ouvriers mineurs. À peine élu, Macdonald accepta de siéger dans une « Commission royale » que le nouveau cabinet tory venait d’instituer pour faire une enquête sur la situation des classes ouvrières ; aussitôt une partie du prolétariat anglais l’accusa de trahison. L’élu de Marpeth, Burt, à son tour, entra dans cette même commission. Le journal Bee-hive, organe des Trade Unions, attaqua violemment les deux députés ; et le Comité parlementaire auquel le Congrès des Trade Unions, réuni à Nottingham, avait confié la mission de surveiller les débats du Parlement, infligea un blâme à Macdonald et à Burt. Ceux-ci n’acceptèrent pas le blâme, et se firent adresser des votes de confiance, le second par les électeurs de Marpeth, le premier par le Conseil de l’Association nationale des mineurs. « Les choses en sont là ; et la querelle suffira peut-être pour faire échouer le projet d’une fédération régulière des Trade Unions, qu’on espérait voir se réaliser l’année prochaine. Voilà ce que gagnent les ouvriers à faire de la politique bourgeoise : les députés Macdonald et Burt acceptent des fonctions que leur offre le ministère conservateur, et aussitôt ceux des ouvriers dont les sympathies sont pour les libéraux crient à la trahison. Il en sera ainsi tant que les travailleurs emboîteront le pas aux partis politiques bourgeois ; ils se querelleront, s’injurieront, se battront au profit de leurs maîtres. Qu’ils s’abstiennent de politique bourgeoise, qu’ils tournent le dos à tous les partis ; et alors, la pomme de discorde qui les divise ayant disparu, ils se trouveront fraternellement unis sur le terrain de la solidarité économique, et pourront travailler tous ensemble à préparer la révolution sociale. » (Bulletin du 19 avril 1874.)

En février, Thomas Halliday, président d’une association d’ouvriers mineurs, et sept autres membres du comité de cette association, avaient été déférés à la cour d’assises de Manchester comme prévenus de conspiration, la loi anglaise interdisant, sous le nom de conspiracy, « tout ce qui peut obstruer le commerce » ; le crime des accusés était d’avoir payé le voyage de retour d’ouvriers que les propriétaires des mines de Burnley avaient fait venir d’autres parties du pays pour remplacer des grévistes. Le procès fut jugé en avril, et, les jurés n’ayant pas réussi à se mettre d’accord (en Angleterre le verdict du jury doit être rendu à l’unanimité), il fallut renvoyer les accusés sans que la cour eût pu prononcer une sentence. Mais le ministère public déclara qu’il n’abandonnait pas l’accusation, et qu’il se réservait de la reprendre en un moment plus opportun.


Aux États-Unis, le Committee of safety élu au meeting du 11 décembre, à New-York, organisa pour le 13 janvier 1874 une grande réunion populaire en plein air, à Tompkins Square. Les autorités municipales ayant résolu de s’opposer à cette démonstration, la police chargea les manifestants et le public à coups de casse-têtes ; un ouvrier fut tué, beaucoup d’autres blessés, et un certain nombre d’arrestations furent faites. Mais cet incident n’arrêta pas le mouvement, et, les jours suivants, des meetings de protestation furent tenus dans divers quartiers de la ville. Dans l’un de ces meetings, T. H. Banks prononça un discours où se trouvaient ces paroles significatives, reproduites par le New York Herald : « De pareils traitements ne nous laissent point d’autre remède que la force des armes, et nous devons nous préparer à l’emploi des armes pour maintenir notre droit de nous réunir librement. Le temps est venu où nous devons nous préparer aux dernières extrémités… Qu’on ne parle plus de la libre Amérique ! Nous sommes fatigués des démagogues politiques, nous en avons assez. On nous appelle communistes ! Les communistes sont les seuls qui s’inquiètent des droits des ouvriers (Applaudissements). »

L’agitation qui régnait à New York et dans tous les grands centres industriels ne devait aboutir, d’ailleurs, à aucun résultat, par suite du défaut d’entente entre ceux qui menaient l’agitation, et parce que les masses prolétariennes n’étaient pas organisées.


La crise industrielle qui, des États-Unis, s’était répercutée dans le Jura suisse, amena, avec le chômage, une baisse générale des salaires dans l’industrie horlogère jurassienne et genevoise. Les patrons monteurs de boîtes en or de la Chaux-de-Fonds avaient voulu, en décembre 1873, imposer à leurs ouvriers un tarif diminuant les prix de la main-d’œuvre. Les ouvriers refusèrent de l’accepter ; les patrons déclarèrent maintenir leur nouveau tarif, et, en présence de leur attitude, la grève fut déclarée le 8 janvier 1874. Les patrons envoyèrent à leurs collègues des autres localités une circulaire pour les inviter à ne pas accepter dans leurs ateliers les ouvriers venant de la Chaux-de-Fonds ; de leur côté, les ouvriers réclamèrent l’appui de la Fédération jurassienne, et le Bulletin du 25 janvier publia l’appel suivant : « Les ouvriers monteurs de boîtes de la Chaux-de-Fonds, quoique ne faisant pas partie de l’Internationale, viennent de réclamer, par une lettre officielle, l’appui moral et matériel de notre Association dans la grève qu’ils soutiennent en ce moment. Cet appui ne leur fera pas défaut. Nous faisons appel à la solidarité de toutes les sections, non seulement de la Fédération jurassienne, mais des Fédérations du monde entier, assurés que notre appel sera entendu. » Dans un article intitulé : Le remède à la crise (18 janvier), j’avais expliqué qu’à un événement d’un caractère international il était inutile de vouloir opposer une simple résistance locale :


Puisque les tripotages de la bourgeoisie capitaliste de New York atteignent directement les ouvriers de notre pays, il faut que les ouvriers du Jura se mettent en mesure de résister non-seulement à la bourgeoisie suisse, mais à la bourgeoisie américaine, à celle du monde entier, en s’alliant aux ouvriers du monde entier... La résistance à la bourgeoisie ne doit pas être seulement locale, car alors elle ne peut produire aucun résultat efficace ; elle doit devenir universelle, internationale. Il faut que les ouvriers de la Chaux-de-Fonds deviennent les alliés des ouvriers de New York, des ouvriers de tous les pays civilisés ; il faut que, tous, ils solidarisent leurs intérêts et s’entr’aident dans la lutte contre l’exploitation. Et qu’on ne traite pas d’utopie la mise en pratique de cette idée! Ne voyons-nous pas, en ce moment même, les ouvriers de New York engager la lutte contre la bourgeoisie américaine au nom des mêmes principes que nous ? Les intérêts des ouvriers américains ne sont-ils pas les mêmes que ceux des ouvriers suisses ? Et ce pacte universel de solidarité dont nous parlons, n’en voyons-nous pas déjà un commencement d’exécution ?

Oui, il faut le reconnaître : le seul moyen pour assurer le succès des revendications ouvrières, c’est de généraliser la lutte, c’est d’opposer à la ligue universelle du capital la ligue universelle du travail. Et notre but, une fois cette ligue organisée, ne doit pas être d’apporter seulement quelques soulagements aux maux actuels ; il faut, si nous voulons en finir une fois pour toutes avec les crises, les baisses de prix, les grèves et la misère, en venir au grand, au seul remède : l’abolition complète du patronat, la remise aux mains des ouvriers de tous les instruments de travail, — ce qui signifie la révolution sociale.


Dans le numéro suivant, en un grand article (non signé, comme c’était la règle dans nos journaux), Auguste Spichiger examinait les obstacles qui s’étaient opposés jusque-là au développement de l’organisation ouvrière : il montrait, d’un côté, les ouvriers rangés, les économes à tout prix, ceux dont la morale consiste à ne rien devoir à personne, et qui sont des égoïstes aspirant à se créer, si possible, une situation de privilégiés ; de l’autre, les noceurs, les légers de caractère, les irréguliers au travail, qui veulent bien réclamer et même se révolter, mais qui se découragent au moindre échec, et que la « noce » énerve et démoralise ; et il faisait voir que de cette situation générale était résultée l’impuissance à créer des organisations solides. Et pourtant, nulle lutte efficace contre la misère n’était possible sans cette organisation. « Ainsi donc, disait Spichiger, puisque nous avons tous des torts, reconnaissons-les et faisons-en notre meâ culpâ, en nous promettant mutuellement de nous affranchir de nos faiblesses : les uns, en mettant de côté cette déplorable bêtise de vouloir singer l’existence bourgeoise ; les autres, en ne se rabaissant pas par une conduite indigne d’ouvriers ayant la conscience de leurs droits. » Et il concluait, dans un bel élan d’enthousiasme :


Quant à nous, nous en faisons le serment, nous brisons avec la vieille routine sous quelque forme qu’elle se présente, et nous serons les adversaires de tout ce qui en conserve le caractère, pour nous vouer au travail de l’avènement d’une société nouvelle ; car nous avons enfin ouvert les yeux, et la lumière nous est apparue ; non la lumière d’un Dieu soumettant tout à un despotisme insupportable, mais la lumière de la grande Déesse de la vraie liberté, de la Révolution sociale.


L’assemblée générale de la Fédération ouvrière locale de la Chaux-de-Fonds, qui eut lieu le 12 février, décida d’appuyer énergiquement la résistance des ouvriers boîtiers. Ce n’était pas sans raisons que toute la population s’intéressait à cette grève, car le résultat de la lutte devait avoir une grande influence sur le moral des sociétés ouvrières et sur leur avenir. Un tiers environ des patrons avaient continué à faire travailler à l’ancien tarif ; afin de triompher des patrons récalcitrants, la fédération locale convoqua pour le vendredi 27 février, au Temple français, une grande assemblée populaire, qui réunit 2500 travailleurs de tous les métiers, et fut présidée par le graveur Fritz Heng, président de la fédération locale ; après avoir entendu plusieurs discours énergiques, l’assemblée adopta à l’unanimité la proposition, présentée par Heng, de nommer une commission chargée d’étudier les moyens pratiques de mettre fin à la grève en associant coopérativement les ouvriers monteurs de boîtes non occupés ; la commission fut élue séance tenante. « Les résultats de cette grande manifestation ne se sont pas fait attendre. Quatre jours plus tard, les patrons monteurs de boîtes, comprenant que la partie était perdue, ont retiré leur nouveau tarif. C’est donc une victoire éclatante pour la solidarité ouvrière. » Il faut ajouter que cette victoire coïncidait avec une légère reprise des affaires qui venait d’avoir lieu. Une lettre de la Chaux-de-Fonds indiquait encore un autre motif qui avait pu déterminer la capitulation des patrons, conseillés par les meneurs politiques : « L’assemblée populaire du 27 février avait été unanime à se prononcer en faveur des grévistes. Toutefois, je pense que c’est moins le résultat de cette assemblée que l’approche des élections politiques qui a engagé les patrons à céder. Les présidents de deux sociétés ouvrières seulement, sur une vingtaine que compte la Chaux-de-Fonds, avaient voulu signer l’affiche habituelle pour la fête patriotique du 1er mars ; et bon nombre d’ouvriers parlent de s’abstenir d’aller voter au mois d’avril ; voilà surtout ce qui, à mon avis, aura mis la puce à l’oreille à nos gros bonnets. »

Au Val de Saint-Imier, le mouvement des sociétés ouvrières s’accentuait de plus en plus dans le sens du programme de l’Internationale. La fédération ouvrière du district de Courtelary groupait quatre sociétés de résistance : l’Alliance des repasseurs et remonteurs (110 membres), l’Association des graveurs et guillocheurs (84 membres), l’Association des faiseurs de secrets (25 membres), l’Union de résistance des monteurs de boîtes (40 membres), plus une cinquantaine d’adhérents individuels appartenant à des métiers non encore organisés. Le magasin coopératif, propriété de la fédération, continuait à se développer. Dans son assemblée générale du 25 janvier 1874, la fédération vota les deux résolutions suivantes : « La fédération recommande à tous ses adhérents la fréquentation régulière des séances des Cercles d’études sociales de Saint-Imier et de Sonvillier, organisés dans le but de favoriser l’instruction mutuelle et l’étude des questions sociales parmi les ouvriers. Elle leur recommande l’abonnement au Bulletin de la Fédération jurassienne de l’Internationale. » Dans un article intitulé Secours mutuels et résistance (Bulletin du 22 mars), un camarade, qui doit être Adhémar Schwitzguébel, attirait l’attention sur l’obstacle opposé au mouvement ouvrier par l’existence, dans certains métiers, à côté des sociétés de résistance, de sociétés de secours mutuels qui immobilisaient des ressources considérables, et qui étaient animées d’un esprit conservateur. « Dans les métiers où existent deux sociétés, la caisse de résistance se ruinera pour soutenir une grève, tandis que la caisse de secours mutuels restera intacte, alors même que les intérêts du métier tout entier seraient menacés de ruine. Combien, dans des cas semblables, ne serait-il pas avantageux qu’il n’y eût qu’une seule caisse, mise entièrement à la disposition de la grève !... Les ouvriers des métiers où ces deux sociétés existent séparément feront bien de travailler à leur fusion ; comme l’obstacle principal est la question financière, et que les sociétés de résistance commencent à posséder des capitaux aussi importants que ceux des sociétés de secours mutuels, les difficultés de cette fusion seraient bien vite vaincues si la question était sérieusement agitée. »

L’anniversaire du 18 mars fut l’occasion de manifestations publiques dans la plupart des sections de la Fédération jurassienne. À Neuchâtel, la Section organisa une soirée familière à laquelle prirent part de nombreux ouvriers de langue allemande ; cette soirée eut lieu au cercle de la Société du Grütli, dont les membres s’étaient joints pour cette occasion à ceux de l’Internationale. La réunion fut présidée par l’ouvrier mécanicien Louis Jenny, qui, dans un discours en français et en allemand, rappela la signification du 18 mars ; puis la Société du Grütli chanta un chœur de circonstance ; ensuite, le vieux doyen de la Commune de Paris, Charles Beslay, alors dans sa soixante-dix-neuvième année, donna lectiure de la circulaire par laquelle Hasenclever avait invité les travailleurs d’Allemagne à fêter le 18 mars ; Beslay but à la fraternité des peuples, et proposa l’envoi d’un télégramme de sympathie à Hasenclever, ce qui fut fait à l’instant ; à mon tour, je mis en relief, comme preuve du progrès réalisé dans les idées depuis 1871, le fait que la Société du Grütli avait mis son local à la disposition de l’Internationale, et que plusieurs sociétés ouvrières s’étaient fait représenter à la réunion ; et j’exprimai l’espoir que la création définitive d’une fédération entre les sociétés ouvrières de Neuchâtel serait bientôt un fait accompli[5] ; enfin, plusieurs ouvriers allemands, Brunnhofer, Lutz, et d’autres, se déclarèrent, au nom de leurs camarades, solidaires de la Commune de Paris, dont la cause était celle de l’humanité tout entière, et burent à l’union des travailleurs allemands avec les travailleurs français. Notons qu’à la Chaux-de-Fonds, le banquet qui avait été organisé ne put avoir lieu, le propriétaire de la salle ayant, au dernier moment, sous la pression exercée par nos adversaires, refusé son local.

Les politiciens essayaient, comme toujours, de pécher en eau trouble. C’était le moment où, dans le Jura bernois, les meneurs radicaux avaient organisé un mouvement contre l’ultramontanisme, non pour combattre le catholicisme en tant que religion, mais simplement pour remplacer, dans la partie catholique du Jura, les curés ultraniontains par des curés dits « libéraux ». Les ouvriers restèrent en général indifférents à cette campagne ; le Bulletin les avait mis en garde ; il disait (22 mars) :


D’une part, le « libéralisme » de certains pasteurs protestants est chose si équivoque et si peu libérale en réalité, que le sermon d’un orthodoxe peut être pris pour un sermon libéral[6] ; d’autre part, les curés « libéraux » jurassiens affirment solennellement que la doctrine qu’ils enseignent, c’est la vieille doctrine romaine dans son orthodoxie la plus authentique[7], c’est-à-dire ce même ramas de niaiseries et de turpitudes que les journaux radicaux dénonçaient jadis avec tant de véhémence à l’indignation publique. Et voilà ce que les radicaux suisses osent présenter au peuple comme le progrès religieux ! Désertant leurs traditions de parti, reniant cette grande philosophie du dix-huitième siècle qui a fait la Révolution française, proclamé les droits de l’homme et émancipé la bourgeoisie, ils donnent la main aux cafards dont ils ont, les premiers, appris au peuple à se moquer ; c’est par leurs conseils et avec leur appui que l’Église, changeant de masque et faisant peau neuve, joue la comédie libérale destinée à donner le change aux naïfs ! Quel écœurant spectacle !


Dans les Montagnes neuchâteloises, le coullerysme, qui n’était pas mort[8], faisait une tentative pour se reconstituer en parti électoral. Un ancien rédacteur de la Montagne (la feuille que Coullery avait publiée de 1868 à 1870), Louis Jeanrenaud[9], venait de créer à la Chaux-de-Fonds un journal, subventionné par des politiciens conservateurs, la Jeune République, qui se donnait comme l’organe d’une « Association politique ouvrière ». Le Bulletin arracha aussitôt le masque à ces charlatans, en écrivant (29 mars) :


Il n’existe pas à la Chaux-de-Fonds d’autre organisation ouvrière que l’Internationale et la fédération ouvrière locale, dont l’action s’exerce sur le terrain économique, et qui sont bien décidées à ne pas donner la main aux partis politiques bourgeois. La Jeune République est tout simplement l’organe d’un groupe de banquiers, de fabricants, d’avocats et d’officiers d’état-major, les mêmes qui, il y a six ans, ont essayé d’escalader le pouvoir avec l’aide de Coullery, et qui aujourd’hui font une nouvelle tentative. Peine perdue, messieurs, la ficelle est usée !


Les élections au Grand-Conseil neuchâtelois devaient avoir lieu le 19 avril. La Jeune République publia une liste de sept candidats ouvriers (sur 23 députés que nommait alors le collège électoral de la Chaux-de-Fonds) qu’elle recommandait aux suffrages des électeurs ; ces sept candidats furent inscrits en même temps sur la liste du parti conservateur. Mais la manœuvre réussit encore moins qu’en 1868 : « Quelques personnalités intrigantes de la Chaux-de-Fonds avaient essayé de fabriquer un socialisme électoral, réédition de celui de Coullery de piteuse mémoire, avec l’espoir de gagner quelques voix d’ouvriers pour le parti conservateur. Cette manœuvre a fait un fiasco complet, et les entrepreneurs de la Jeune République en sont pour leur courte honte. » (Bulletin du 20 avril 1874.)

Les rapports de solidarité entre les organisations ouvrières de la Suisse allemande et celles de la Suisse française étaient en voie de progrès. Le Comité central de l’Arbeiterbund, ayant entrepris un travail de statistique sur les salaires et les heures de travail, envoya à divers membres de la Fédération jurassienne des formulaires à remplir, et le Bulletin, dans un article sympathique, « engagea ses amis à coopérer dans la mesure de leurs forces à cette entreprise » (18 janvier). La Tagwacht de Zürich paraissait se rapprocher de nous ; ce journal publia un article révolutionnaire (que le Bulletin reproduisit, 15 février) où il montrait la bourgeoisie suisse sympathisant avec les gouvernements despotiques et avec le militarisme employé pour comprimer le prolétariat ; il annonçait une révolution prochaine, que la bourgeoisie suisse eût pu éviter si elle avait voulu consentir à s’associer à l’œuvre véritablement républicaine de l’émancipation des opprimés ; « Mais elle ne le fera pas ; elle continuera à repousser obstinément toute réforme, elle accumulera de la sorte chez les ouvriers un océan de haines et de colères, et elle ira ainsi jusqu’au jour où rouleront sur sa tête les flots du déluge populaire ». Dans un autre article, la Tagwacht critiqua la tactique des radicaux à l’égard de l’ultramontanisme, en montrant que « le cléricalisme, sous toutes ses formes, ne peut être vaincu que par un seul principe, le socialisme » ; le Bulletin, en reproduisant l’article (22 février), écrivit : « Nous sommes heureux de nous trouver une fois de plus en complète communauté d’idées avec les socialistes zuricois ».

Sur un point, en particulier, la Tagwacht nous étonna par l’adoption d’une tactique presque conforme à la nôtre : ce fut au sujet du vote par lequel le peuple suisse était appelé à sanctionner, le 19 avril, un projet de revision de la constitution fédérale, élaboré par les deux Chambres. Ce projet, un peu moins centraliste que celui qui avait été rejeté en 1872, paraissait avoir des chances d’être adopté ; mais, chose singulière, les ouvriers socialistes de la Suisse allemande s’en désintéressaient, et le Bulletin fit cette remarque (29 mars ) :


L’attitude de la Tagwacht dans cette circonstance est caractéristique. Elle déclare que, les opinions étant très partagées parmi les ouvriers au sujet du projet de constitution fédérale, elle gardera la neutralité dans cette question, tout en laissant à ses divers correspondants la liberté de soutenir le pour ou le contre dans les colonnes du journal.

Ainsi, dans la question politique la plus importante qui puisse préoccuper la Suisse, voilà la Tagwacht qui pratique le système de l’abstention : car c’est de l’abstention, et rien autre chose, que de déclarer qu’on restera neutre, qu’on ne recommandera pas de voter non, et qu’on ne recommandera pas non plus de voter oui.


Quand le résultat du vote fut connu, le Bulletin (20 avril) l’apprécia en ces termes :


La revision fédérale a été acceptée par la majorité du peuple suisse et par la majorité des cantons : c’était un résultat prévu par tout le monde. Il est inutile d’essayer de lutter, sur le terrain politique, contre l’irrésistible courant qui porte l’État bourgeois, c’est-à-dire l’État radical, vers la centralisation. Ce ne sera que par la révolution économique, qui détruira les États politiques, qu’il sera possible de faire triompher le principe d’autonomie et de fédéralisme, qui est celui de la civilisation de l’avenir.


Cependant un petit fait nous montra que la mentalité de la plupart des socialistes de la Suisse allemande était encore fort éloignée du point où nous eussions voulu la voir. Le Congrès annuel de l’Arbeiterbund devant se réunir à Zürich à la Pentecôte, le Comité de cette association demanda au gouvernement zuricois, pour les séances du Congrès, la jouissance de la salle du Grand-Conseil, et le gouvernement l’accorda ; mais une protestation, qui se couvrit aussitôt de plus de dix mille signatures, invita le Grand-Conseil zuricois à casser la décision du gouvernement. En vain les chefs de l’Arbeiterbund cherchèrent-ils à conjurer l’orage en se faisant petits et inoffensifs, en déclarant, dans la Tagwacht, qu’ils n’avaient rien de commun avec l’Internationale et la Commune, et que c’était leur faire tort que de les rendre responsables de doctrines qu’ils désavouaient ; le Grand-Conseil zuricois annula, par 98 voix contre 94, la décision du gouvernement cantonal. « La tactique de la Tagwacht n’a servi de rien, écrivit le Bulletin (17 mai) ; la bourgeoisie zuricoise a fort bien compris que toute association ouvrière qui fait de la résistance au capital ne fait qu’appliquer les doctrines de l’Internationale, et l’Arbeiterbund se voit, bon gré mal gré, déclaré solidaire de la grande Association socialiste des travailleurs du monde entier. Nous lui conseillons d’en prendre tranquillement son parti : c’est ce qui pouvait lui arriver de mieux. »

À Genève, un conflit avait éclaté le 13 avril parmi les ouvriers du bâtiment. Des « faux-frères », qui travaillaient au-dessous du tarif, dans un chantier du Cours de Rive, furent engagés par leurs collègues à se conformer à l’ordre de choses établi ; ils s’y refusèrent, et il en résulta une rixe, à la suite de laquelle une cinquantaine d’arrestations furent opérées pour protéger la « liberté du travail ». Le Bulletin écrivit à ce sujet : « Si les ouvriers genevois, au lieu de laisser l’Internationale se désorganiser dans leur ville et tomber à l’état de simple fantôme, avaient maintenu la forte organisation qu’ils possédaient en 1869, un conflit pareil n’aurait pas eu lieu : la puissance de l’Association aurait obligé tout le monde, ouvriers et patrons, à respecter les tarifs, et aucun prétexte n’aurait été donné à des voies de fait qui servent d’occasion aux journaux bourgeois pour inventer de nouvelles calomnies... Ouvriers de Genève, réorganisez fortement l’Internationale, réveillez l’esprit de solidarité, et vous aurez fermé l’ère des rixes inutiles et fratricides, pour reprendre, sur les seules bases sérieuses, le grand combat du prolétariat luttant pour son émancipation. » Un article (écrit par Joukovsky) publié dans le Bulletin du 31 mai refit, une fois de plus, la démonstration des illusions de la politique électorale :« Le gouvernement radical genevois expulse une vingtaine d’ouvriers, et en emprisonne environ soixante-dix. Jamais pareille mesure n’avait été prise par les gouvernements précédents, mais celui d’aujourd’hui n’est pas radical pour rien. Y a-t-il une raison pour qu’il s’arrête en cette voie? Qui pourrait l’arrêter, sinon le peuple travailleur ? Est-ce en votant pour lui que le travailleur de Genève mettra fin aux agissements du radicalisme bourgeois ? Voilà les questions qui d’elles-mêmes se posent à l’esprit des ouvriers de Genève. Qu’ils y réfléchissent ! »

Le Congrès annuel de la Fédération jurassienne se réunit à la Chaux-de-Fonds les 25, 25 et 27 avril, dans la salle du Casino. Neuf Sections, celles de Saint-Imier, Sonvillier, graveurs et guillocheurs du district de Courtelary, Chaux-de-Fonds, graveurs et guillocheurs du Locle, Neuchâtel, Genève, Berne, et une Section d’Alsace, y furent représentées par quinze délégués[10]. La Section de Genève était celle qui, de 1871 à 1873, avait porté le nom de « Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste » ; après le Congrès général de 1873, elle avait trouvé bon d’alléger ce titre de ses cinq derniers mots, et elle s’appelait maintenant « Section de propagande » tout court ; la Section de Berne était un Cercle d’études sociales fondé récemment sur l’initiative de Paul Brousse, et qui groupait quelques ouvriers de langue française et de langue allemande, ainsi que quelques étudiantes russes. Le Congrès, après avoir constaté la bonne marche de l’administration du Bulletin, dont les comptes présentaient, à la fin de 1873, un boni de 138 fr. 60, décida que cette administration resterait au Locle ; il plaça le Comité fédéral à la Chaux-de-Fonds. Deux rapports écrits furent présentés, l’un par la Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary, sur cette question : « De l’adhésion des sociétés de métier à l’Internationale » ; le second par l’Union des Sections internationales du district de Courtelary, sur cette autre question : « Des causes des crises industrielles et de leurs conséquences au point de vue des intérêts ouvriers » ; un extrait du premier de ces rapports fut publié dans le Bulletin du 24 mai suivant, sous ce titre : « Les Fédérations de métiers »[11] ; quant au second, le Congrès décida qu’il serait imprimé aux frais de la Fédération jurassienne comme brochure de propagande[12]. Une proposition de la Section de Neuchâtel, de publier le Bulletin dans les deux langues française et allemande, parut impossible à réaliser ; mais le Congrès autorisa le Comité fédéral à publier, à titre d’essai, une feuille volante en langue allemande, destinée à faire la propagande des principes socialistes parmi les ouvriers allemands de la région jurassienne. La Section de Neuchâtel recommandait en outre un rapprochement entre la Fédération jurassienne et l’Arbeiterbund, et le Congrès vota à l’unanimité une résolution portant « qu’il réitérait au Schweizerischer Arbeiterbund l’assurance que la Fédération jurassienne pratiquera la solidarité économique envers tous les groupes de travailleurs qui luttent contre le capital, et prêtera son concours à toutes les entreprises qui seront conformes aux principes généraux de l’Internationale, quelle que soit l’organisation ouvrière qui en prenne l’initiative ».

Il y eut, le dimanche 20, à trois heures, un grand meeting où fut traitée la question des grèves ; et, le soir, tous les délégués et un grand nombre de socialistes de la Chaux-de-Fonds et des localités du voisinage se réunirent en un banquet fraternel, à la brasserie des Éplatures.

La Section de la Chaux-de-Fonds, dans sa séance du 2 mai, élut les membres suivants pour former le Comité fédéral jurassien : Numa Brandt, horloger, secrétaire correspondant ; Élie Imboden, dessinateur, secrétaire des séances ; Frédéric Graisier, graveur, caissier ; Fritz Heng, graveur, archiviste ; Tell-Émile Ginnel, horloger, assesseur. Le 27 juillet, Zélim Rickly et J.-B. Baudrand remplacèrent Imboden et Ginnel.


Revenons en arrière, pour parler de Bakounine, et de ce qui se passa à la Baronata du mois d’octobre 1873 au mois de mai 1874. Voici le passage du Mémoire justificatif qui décrit l’état de la maison et de ses habitants au moment où Bakounine y rentra, revenant de Berne, et pendant l’hiver qui suivit :


Lorsqu’au mois d’octobre dernier [1873] je retournai de Berne à la Baronata, je trouvai cette dernière en pleine débauche. J’y trouvai installée la sainte famille Nabruzzi : lui[13], sa mère, et une demoiselle très difficile à classer ; en outre deux Espagnols[14], un de nos amis italiens les plus chers[15], et Fanelli. La dépense ordinaire, dirigée par la sainte famille, était énorme. C’était à frémir.

L’appel de Nabruzzi avec sa mère, comme intendant et comme gouvernante de la Baronata, motivé par beaucoup de raisons étrangères à cette dernière et bien connues de Cafiero, avait été résolu entre nous deux. Ce fut un choix tout à fait malheureux... Le gouvernement de Nabruzzi et de sa mère nous a coûté beaucoup d’argent. Cafiero sait tous mes efforts, toutes les tempêtes que je fis pour diminuer les dépenses. Rien n’y faisait. Nabruzzi se contentait d’aligner les comptes de sa plus belle écriture, mais sans la moindre critique et sans le moindre contrôle. Enfin nous éloignâmes Mme  Nabruzzi et la demoiselle[16]. Nous changeâmes le service de la maison. Le vieux maître d’hôtel du marquis, notre ami[17], prit le gouvernement. Ce fut un autre système, mais pas de différence dans l’économie. Cafiero sait tout cela, il sait le désespoir que j’en éprouvais ; et ce n’est qu’après le départ du vieux Pezza que je parvins à établir, avec l’aide de Mme  Zaytsef, un peu d’économie[18]. Enfin pendant cet hiver nous avons dépensé, seulement pour l’entretien de la maison, plus qu’il n’en faudrait à Antonie pour un an ou pour un an et demi peut-être. Fut-ce ma faute ? Certainement non. Je ne laissai pas passer un jour sans protester, souvent sans crier, Cafiero le sait bien ; mais tout cela fut inutile, parce que moi-même je n’y entendais rien. D’ailleurs la maison nourrissait et logeait une masse de personnes, il n’y avait aucun ordre, c’était un gaspillage général de toutes choses.


Ensuite Bakounine fait l’énumération des divers travaux exécutés à la Baronata, et rappelle que tous ces travaux eurent l’approbation de Cafiero. Je ne puis pas tout reproduire, je cite seulement un passage caractéristique :


Tous ces travaux et toutes ces dépenses s’encrochaient (sic) et l’un entraînait nécessairement l’autre. C’est ainsi qu’ayant deux vaches et deux chevaux, nous avons dû d’abord chercher une femme pour soigner et pour traire les vaches et un cocher pour les chevaux. C’est Cafiero lui-même qui est allé chercher et qui nous a amené le cocher, le vieux Beppe ; mais les cochers coûtent cher, l’entretien des chevaux et des vaches, que nous n’avons jamais su organiser économiquement, nous a coûté beaucoup d’argent. Il a fallu ensuite construire une grande fosse à fumier pour alimenter les plantations sur un terrain qui pendant des années était resté sans engrais. Il a fallu reconstruire l’écurie, la scuderia, qui tombait en ruine et qui menaçait d’écraser les hommes et les chevaux, et y ajouter nécessairement une remise pour la voiture. Pour pouvoir planter, il a fallu entreprendre un grand mouvement de terre et la construction de beaucoup de murs ; pour pouvoir faire valoir la Baronata il fallait planter beaucoup d’arbres à fruit. J’avais arrêté avec Cerrutti que les frais de la plantation ne dépasseraient pas 3000 francs : il a dépassé ce chiffre de plus de 2000 francs, toutes les dépenses comprises. Comme la Baronata, avant tout, manquait d’eau, il fallait absolument construire la citerne du milieu, telle qu’elle nous fut proposée par Ruggiero et acceptée par Cafiero aussi bien que par moi. Ensuite, une fois décidé que la nouvelle grande maison sur la montagne serait construite, il fallait faire le lac[19], car autrement on n’aurait point eu de pierres pour la bâtisse ; il fallait également construire la nouvelle roule carrossable, car sans elle la construction de la nouvelle maison aurait coûté le double. Tout cela fut discuté, prouvé, adopté d’un commun accord.


Quelque disposé que pût être Bakounine, transformé en propriétaire et en architecte, à jeter l’argent par les fenêtres, il éprouva bientôt un certain malaise et conçut de l’inquiétude :


J’avoue que dès ce moment, et même auparavant, je commençai à devenir très inquiet en nous voyant de plus en plus entraînés dans des dépenses dont il était difficile de prévoir la fin. Nous en parlâmes alors avec Cafiero, et il fut décidé entre nous que je prierais l’ingénieur Galli de me donner le compte approximatif des dépenses que j’aurais à faire pour toutes les constructions entreprises. Il m’en donna un, à peu près un mois plus tard, au mois de février si je ne me trompe, mais très incomplet, un compte dans lequel il avait oublié de placer beaucoup de dépenses importantes. Nous prîmes toutefois ce compte pour base, et nous conclûmes avec Carlo que, pour finir tout, il fallait au moins encore 50.000 francs, non italiens, mais suisses. Cafiero m’engagea de ralentir les travaux pendant un mois pour lui donner le temps de réaliser cette somme, après quoi, me dit-il et m’écrivit-il, je pourrais donner un large développement aux travaux.


Et Bakounine raconte comment les calculs de l’ingénieur furent de beaucoup dépassés ; on avait fait contrat, pour la route, avec l’entrepreneur Martinelli, pour 3000 francs, « et grâce à la malhonnêteté de ce monsieur la route nous a coûté près de 6000 francs ». L’ingénieur avait compté, pour la maison, 500 mètres cubes de pierres à extraire du « lac », à 7 francs le mètre, soit 3500 francs : « au lieu de cela, la maison en a dévoré plus de mille mètres ; c’est-à-dire juste le double, soit 7000 francs » ; et tout à l’avenant.


Je voyais tout cela et je ne pouvais l’empêcher, et j’ai passé bien des nuits sans sommeil. Nous en causâmes ce printemps avec Charles, et nous nous sommes avoué qu’ignorants tous les deux de ces choses, nous nous étions laissé entraîner à des entreprises dont nous n’avions pas su calculer la portée, et que, si la chose était à recommencer, nous ne l’aurions pas entreprise, et à la place nous aurions combiné autre chose ; mais maintenant, ajoutait-il, il est impossible de s’arrêter, il faut aller jusqu’au bout.

Lorsque Cafiero m’apporta les 50.000 francs[20], il me demanda si cela suffirait jusqu’en juin. Je lui répondis que cela suffirait jusqu’au delà de juillet...

Voilà, dans ses traits généraux et dans sa vérité la plus scrupuleuse, l’histoire de mes rapports et de mes transactions avec Cafiero jusqu’à son retour de Russie[21].


J’ai maintenant à raconter comment l’atelier coopératif des graveurs et guillocheurs au Locle, demanda et obtint de Cafiero la promesse d’un appui financier, et comment cette promesse ne fut qu’en partie réalisée

L’atelier coopératif était regardé par nous comme un des points d’appui essentiels de notre action dans les Montagnes. En assurant à quelques-uns de nos militants les plus actifs une situation indépendante, il rendait un service signalé à la propagande et à l’organisation. On a déjà vu comment l’atelier avait accueilli Pindy en septembre 1872. Il en fut de même, en 1874, de l’instituteur espagnol Severino Albarracin, obligé de se cacher depuis les événements d’Alcoy, et que nos amis d’Espagne nous envoyèrent, avec un passeport au nom de Gabriel Albagès, pour le soustraire aux recherches de la police. Le monteur de boîtes François Floquet, qui depuis mai 1873 s’occupait avec zèle de l’administration du Bulletin (dont l’expédition était faite chaque semaine par le travail volontaire des coopérateurs et de quelques autres amis), trouva aussi, à plusieurs reprises, à l’atelier coopératif de l’occupation dans des moments difficiles. Or, un plan avait été formé, dans l’automne de 1873, par les coopérateurs, pour agrandir le cercle de leur activité et donner à leur association une base plus solide : il s’agissait de transporter l’atelier du Locle à la Chaux-de-Fonds, point plus central et où le travail était plus abondant. On aurait acquis, dans le grand village, un terrain sur lequel on aurait construit une maison pour y installer un vaste atelier ; celui-ci serait bien vite devenu, selon les prévisions des coopérateurs, l’entreprise de gravure la plus importante des Montagnes, et aurait contribué plus efficacement que jamais au développement des idées socialistes dans la région. C’est pour cette entreprise que les coopérateurs songèrent à obtenir le concours de Cafiero. Celui-ci avait rapporté de Barletta, en août 1873, une malle pleine de vieille argenterie de famille, et une parure de brillants ayant appartenu à sa mère ; faute de fonds disponibles, il offrit à nos amis les graveurs et guillocheurs cette argenterie et ces diamants L’argenterie fut fondue au Locle, les diamants furent vendus à Genève, en octobre, par Pindy, à la maison Golay-Leresche, quai des Bergues. La somme ainsi obtenue servit à acheter un terrain ; et notre ami Fritz Robert (qui, de professeur de mathématiques, était récemment devenu architecte) fit un plan et un devis s’élevant à une vingtaine de mille francs. Cafiero, qui était venu à Neuchâtel et à Genève dans l’automne de 1873, fut mis au courant du projet, et l’approuva ; toutefois il désira que la question fût discutée avec Bakounine, et demanda à Pindy de se rendre avec lui à Locarno. Le voyage eut lieu en novembre ou décembre. « Je suis allé rejoindre Cafiero à Neuchâtel, — (m’a écrit, le 9 janvier 1908, Pindy, à qui j’ai demandé de rédiger pour moi le récit de ce voyage), — et tu nous as accompagnés à la gare. Nous logeâmes à Lucerne dans un grand hôtel (ce devait être le Schweizerhof), Cafiero prétendant qu’on y était plus à l’abri des mouchards que dans les hôtels inférieurs. Le Gothard franchi, c’est en plein jour que nous arrivâmes à Bellinzona ; après le dîner [déjeuner], Cafiero me dit qu’il ne serait pas prudent de nous rendre directement à la Baronata, et nous allâmes jusqu’à Magadino, de l’autre côté du lac, où Cafiero loua une barque qui nous amena pour ainsi dire sous les murs de la villa. Costa, qui nous avait reconnus sur l’eau, vint au devant de nous et nous aida à porter une malle très lourde qui nous suivait depuis Neuchâtel. On me logea avec Costa, dans une petite construction à l’entrée de la propriété, à gauche, et donnant sur la grande route ; le bâtiment principal était plus loin, du même côté, et abritait non seulement Michel et Cafiero, mais encore cinq ou six personnes, dont au moins deux femmes ; Nabruzzi était du nombre des hôtes. Je passai six ou sept jours à la Baronata ; nous parlâmes de notre projet de construction, que Michel approuva, et Cafiero promit qu’il nous fournirait la somme nécessaire... Au retour, je rencontrai à Göschenen Maxime Vuillaume, du Père Duchesne, qui travaillait alors dans les bureaux de l’entreprise Louis Favre, et il descendit avec moi jusqu’à Altorf ou Fluelen. »

Mais un mois ou six semaines plus tard arriva de la Baronata une lettre de Cafiero annonçant aux coopérateurs qu’il avait changé d’avis. « En janvier, — (continue Pindy), — une lettre nous avertit que nous ne devions plus compter sur l’argent promis, cet argent était destiné à un autre usage que celui de créer de nouveaux bourgeois. À la suite de cette lettre, nous décidâmes que je retournerais à Locarno pour demander une explication, et nous te priâmes de m’y accompagner. »

Il s’agissait de faire comprendre à Cafiero et à Bakounine que l’atelier coopératif n’était pas une affaire commerciale, et que l’existence de cet atelier était pour la Fédération jurassienne une question d’intérêt majeur. Je ne pensais pas, quant à moi, que Cafiero voulût revenir sur sa décision, qui me paraissait, je dois le dire, tout à fait naturelle. Mais on insista : on me dit qu’on ne me demandait pas de chercher à peser sur la volonté de Cafiero, mais simplement de rendre témoignage qu’à mes yeux le projet des coopérateurs n’avait rien de chimérique, qu’il était sérieux, et que son exécution serait utile pour la Fédération jurassienne. Je consentis ; nous écrivîmes à Cafiero pour le prévenir, et je me mis en route pour Locarno avec Pindy.

Nous couchâmes à Lucerne, pour nous embarquer le lendemain sur le lac des Quatre-Cantons. À notre arrivée à Fluelen, je reçus une dépêche de ma femme : elle m’annonçait qu’après notre départ de Neuchâtel il était arrivé un télégramme de Locarno me disant de ne pas venir, que notre voyage était inutile, et qu’on allait m’écrire. Quelle décision prendre ? rebrousser chemin, ou continuer? Pindy déclara qu’il fallait continuer ; et, en conséquence, après avoir télégraphié à Locarno, nous primes la diligence pour Andermatt, où nous arrivâmes le soir. On était au cœur de l’hiver ; d’énormes chutes de neige avaient rendu impossible depuis trois jours la traversée du col du Gothard ; les travaux de déblaiement entrepris pour frayer dans la neige un passage aux traîneaux venaient justement d’être achevés le soir de notre arrivée, et le premier convoi devait franchir la montagne le lendemain. En effet, le jour suivant, une interminable file de petits traîneaux destinés chacun à deux voyageurs, et dans l’un desquels Pindy et moi nous avions pris place, se mit en marche ; et toute la caravane traversa le col, d’Andermatt à Airolo, sans autres incidents que quelques culbutes dans la neige. À Airolo nous fûmes réinstallés dans les lourdes voitures de la poste, et au milieu de la nuit nous arrivâmes à Bellinzona. Là, comme nous descendions de voiture dans la cour des diligences, un personnage qui nous attendait sortit de l’ombre, se présenta à nous, et se fit reconnaître pour Lodovico Nabruzzi. Il nous tira à part, et d’un air solennel et mystérieux nous déclara qu’on l’avait envoyé de la Baronata au-devant de nous pour nous empêcher d’aller plus loin : il y avait à Locarno, nous dit-il, une nuée de mouchards italiens, qui surveillaient les allées et venues de tous ceux qui entraient à la Baronata ; si nous y allions, nous serions immédiatement signalés comme des conspirateurs, et il en résulterait que le gouvernement suisse prendrait probablement un arrêté d’expulsion contre Bakounine et contre Cafiero ; on nous avait expédié, pour nous empêcher de faire ce voyage, un télégramme dont nous n’avions pas tenu compte ; et maintenant, si nous persistions dans notre démarche téméraire, nous serions responsables des suites fâcheuses qui ne manqueraient pas d’en résulter pour nos amis.

Nous nous regardâmes, Pindy et moi, fort surpris d’un langage aussi inattendu. Nous savions qu’il arrivait fréquemment à la Baronata des visiteurs venant d’Italie, de vrais conspirateurs ceux-là, et qu’on les y recevait ; et nous nous demandions comment notre présence, à nous Jurassiens, pourrait être plus compromettante pour nos amis que celle de leurs hôtes de l’autre côté de la frontière. Mais il était inutile d’insister : nous nous heurtions à un parti-pris évident ; et si, enfreignant la consigne, nous eussions voulu pénétrer quand même dans cette Baronata dont on nous interdisant l’entrée, cette manière d’agir, loin de servir la cause des coopérateurs, n’eût pu que lui nuire. Souhaitant donc le bonsoir à Nabruzzi, qui devait repartir au petit jour, nous allâmes nous coucher, fort déconfits. Le lendemain, nous repassâmes le Gothard, pour porter dans le Jura la fâcheuse nouvelle de notre insuccès.

J’ai dû me demander, plus tard : Était-ce Cafiero qui avait eu l’idée de nous fermer la porte de la Baronata, pour s’épargner l’ennui d’un nouveau refus ? Ou était-ce Bakounine qui nous avait envoyé Nabruzzi, et l’avait-il fait pour empêcher une entrevue entre Cafiero et nous, entrevue qu’il pouvait appréhender pour deux motifs : parce qu’elle aurait eu peut-être pour résultat de déterminer Cafiero à donner à l’atelier coopératif une partie de l’argent que Bakounine destinait aux travaux de la Baronata ; et surtout parce qu’elle nous aurait révélé, sur ce qui se passait dans cette villa, des choses qui devaient demeurer ignorées de nous, et que nous n’apprîmes que neuf mois plus tard ? Ce point-là, pour moi, n’a jamais été éclairci.

Lorsque les coopérateurs m’exprimèrent leur désappointement, je leur répétai l’opinion que j’avais déjà émise, à savoir que je trouvais naturel que Cafiero voulût réserver toutes ses ressources à la révolution italienne. Nous ne doutions pas que ce fût là, en effet, l’emploi que, sous l’inspiration de Bakounine, Cafiero fît en ce moment même de sa fortune ; et je m’étais senti plus tranquille au retour de notre expédition qu’à l’aller, en pensant que je n’aurais pas contribué à détourner une part, si petite fût-elle, de cet argent du but sacré qui lui avait été assigné[22]. Combien cruellement nous devions être détrompés !

Je dois encore mentionner, à propos de Bakounine, un fait personnel. Au printemps de 1874, en mars ou avril, je reçus une lettre de lui. Je sortais de chez moi pour aller donner une leçon dans un pensionnat de jeunes filles, à Port-Roulant, lorsque la lettre me fut remise par le facteur, dans la rue, et je l’ouvris aussitôt. Les lettres de Bakounine étaient devenues rares, aussi me demandais-je avec un peu d’émotion ce qu’il pouvait bien avoir à me communiquer. Ce fut avec stupeur que je lus, n’en croyant pas mes yeux. Il me répétait d’abord ce qu’il avait écrit déjà bien des fois, que désormais il vivrait dans la retraite ; il m’annonçait que sa femme viendrait le rejoindre bientôt. Il ajoutait que le temps des luttes révolutionnaires était passé, et que l’Europe était entrée dans une période de réaction dont la génération actuelle ne verrait probablement pas la fin. Et il m’engageait à l’imiter, à « faire ma paix avec la bourgeoisie », et à chercher à obtenir de nouveau un poste dans l’enseignement public. Il est inutile, disait-il, de vouloir s’entêter à obtenir l’impossible : il faut ouvrir les yeux à la réalité, et reconnaître que, pour le moment, les masses populaires ne veulent pas du socialisme. « Et si quelque picholettier[23] des Montagnes voulait à ce propos t’accuser de trahison, tu auras pour toi le témoignage de ta conscience et l’estime de tes amis » (je puis garantir le mot à mot de cette phrase, que j’ai textuellement retenue parce que je l’ai souvent relue et répétée). Il terminait en disant qu’il avait cru de son devoir de me donner ce conseil, dont je reconnaîtrais plus tard la sagesse[24].

Cette lecture m’avait consterné. « Quoi, me disais-je, Michel en est venu là ! » Je suivais une route qui longeait le lac ; le ciel était gris et triste, un vent âpre soufflait, la nature avait un aspect désolé, et je me sentais froid au cœur. Je ne sais comment je donnai ma leçon. Je réussis néanmoins, après quelques heures, à me ressaisir, mais je gardai longtemps l’ébranlement douloureux du coup que j’avais reçu. Et lorsque j’appris, en septembre, le dénouement des affaires de la Baronata, j’en fus moins étonné que je ne l’eusse été sans cela.

Plus tard, j’ai jugé autrement cette lettre de Bakounine. J’ai compris que, désillusionné et fatigué, il avait agi en honnête homme en me faisant part de sa façon d’apprécier la situation, et je lui ai su gré d’avoir voulu, lui, l’enthousiaste, qui avait donné sans marchander toute sa personne à la cause de l’humanité, mettre en garde un jeune homme contre l’entrainement des enthousiasmes irréfléchis.

En juin 1874, Cafiero fit ce voyage de Russie dont à deux reprises déjà j’ai parlé... Voici quel en fut le motif. J’ai raconté qu’Olympia Koutouzof était allée auprès de sa mère pour la soigner. La malade mourut. Aussitôt après, Olympia voulut retourner en Suisse pour y rejoindre son mari ; mais la police russe lui refusa un passeport. Elle l’écrivit à Cafiero, qui se rendit alors à Saint-Pétersbourg pour y faire légaliser son union et faire acquérir ainsi à sa femme la nationalité italienne. Le mariage eut lieu le 27 juin 1874 (n. s.), devant le consul italien de Saint-Pétersbourg ; Mme  Cafiero se trouva, par là, soustraite à l’arbitraire de la police russe, et put suivre son mari. Les deux époux repartirent sans tarder pour la Suisse, et arrivèrent à Locarno au commencement de juillet[25]. Nous les y retrouverons.

Pendant que se passaient toutes ces choses, Ross séjournait à Londres ; il s’y était rendu à la fin de 1873, et y avait emporté le matériel de l’imprimerie russe de Zürich. C’est avec ce matériel qu’il imprima, à Londres, dans les premiers mois de 1874, l’étude qu’à sa demande, pour former le n° 3 des Izdania sotsialno-revolioutsionnoï partii, j’avais écrite sur Proudhon, Marx, et le collectivisme de l’Internationale ; elle avait été traduite en russe par Zaytsef, et parut sous le titre de Anarkhia po Proudonou (L’anarchie selon Proudhon). Ross resta à Londres jusqu’en juin 1874 ; à cette date il quitta l’Angleterre, et vint en Suisse, rapportant le matériel de l’imprimerie ; il en confia le dépôt à un ouvrier jurassien de nos amis, Alfred Andrié ; puis il se rendit à Locarno, parce qu’il avait à traiter avec Bakounine de diverses affaires, entre autres de la publication d’un second volume de Gosondarstvennost i Anarkhia. Nous le retrouverons à la Baronata au chapitre suivant.




  1. On trouve dans Nettlau (biographie de Bakounine) le texte complet du premier numéro (p. 797), et des extraits du n° 2 (p. 798.)
  2. Les ciompi (c’est-à-dire les « compagnons »), à Florence, au quatorzième siècle, étaient les manouvriers, la plèbe exclue du gouvernement de la cité ; en 1378 ils firent une révolution, sous la conduite d’un des leurs, Michel Lando, cardeur de laine.
  3. Après un court séjour à Barcelone dans la première moitié de 1873, Camille Camet était rentré en France, et y avait été arrêté.
  4. Peu de temps avant, le Volksstaat avait encore écrit, au sujet de Lassalle, ces paroles odieuses, parodie d’un vers célèbre de Voltaire : « Si Lassalle n’avait pas existé, Bismarck aurait dû l’inventer » ; en allemand : Weire Lassalle nicht von selbst gekommen, so hätte Bismarck ihn erfinden müssen. (Mehring, Geschichte der deutschen Sozialdemokratie, 2e éd., t. IV, p. 63.)
  5. Moins d’un mois après, les menuisiers de Neuchâtel se mettaient en grève, réclamant la journée de dix heures, et le tarif de 40 centimes à l’heure ; au bout d’une semaine, ils obtenaient gain de cause ; les ouvriers métallurgistes, de leur côté, se constituaient en société de résistance.
  6. Je faisais allusion à une plaisante méprise, dans laquelle était tombé un pasteur orthodoxe d’une ville protestante de la Suisse, et qui avait été racontée par le journal la Renaissance.
  7. Un négociant « libéral » de Delémont avait, par la voie de la presse, mis au défi les ultramontains de prouver que les curés libéraux du Jura enseignaient autre chose que la pure doctrine de l’Église romaine, et s’était engagé à verser une somme d’argent à celui qui pourrait apporter cette preuve.
  8. Il vit, hélas ! encore aujourd’hui (1909).
  9. Dans les articles de l’Égalité de Genève où, en 1869, Bakounine avait si rudement flagellé Coullery et ses complices de la Montagne, il avait parlé de Louis Jeanrenaud en ces termes : « Les principaux rédacteurs de la Montagne, avec M. le docteur Coullery, sont M. Louis Jeanrenaud (un mômier, qui, différent en cela de beaucoup d’autres, ne s’est jamais caché de l’être, et que tout le monde connaît à la Chaux-de-Fonds, à Neuchâtel et au Locle comme l’un des membres les plus zélés et les plus fanatiques de cette secte anti-rationnelle, anti-socialiste et anti-humanitaire), M. Perrochet et M. Henri Dupasquier, représentants tous les deux de l’ancien parti royaliste ».
  10. Le Bulletin ne donne pas la liste des délégués, mais seulement la composition du bureau : président, Ali Eberhardt, remonteur, délégué de Saint-Imier ; vice-président, Desponds, graveur, délégué des graveurs et guillocheurs du Locle ; secrétaires (pris en dehors des délégués), Imboden, dessinateur, de la Chaux-de-Fonds ; Châtelain, guillocheur, du Locle ; Joukovsky, instituteur, de Genève. Dans le compte-rendu du Bulletin, je relève en outre les noms suivants : Heng, graveur, de la Chaux-de-Fonds ; Schwitzguébel, graveur, de Sonvillier ; James Guillaume, professeur, de Neuchâtel ; Paul Brousse, chimiste, de Herne ; Chalain, de Genève ; Spichiger, guillocheur, Pindy, guillocheur, et Floquet, monteur de boîtes, du Locle, représentant le Comité fédéral.
  11. Voir plus loin, p. 193.
  12. Voir plus loin, p. 195.
  13. Lodovico Nabruzzi, qui devait, quelques mois plus tard, se brouiller avec Bakounine et avec les socialistes révolutionnaires italiens.
  14. Je ne sais pas qui étaient ces Espagnols ; peut-être Farga et Viñas, après le Congrès de Genève, s’étaient-ils rendus à Locarno avant de rentrer en Espagne.
  15. Cette périphrase désigne Costa.
  16. Nabruzzi lui-même fut congédié à son tour, mais un peu plus tard (au printemps de 1874, je ne sais pas à quel moment au juste) ; il se retira à Lugano. Ce fut la raison de l’attitude hostile qu’il prit désormais à l’égard de Cafiero et des autres révolutionnaires italiens.
  17. C’est le vieux père de Vincenzo Pezza ; il avait été longtemps cuisinier chez un grand seigneur italien.
  18. Dans l’automne de 1873, Zaytsef quitta Locarno pour aller à Menton chercher un gagne-pain en donnant des leçons dans des familles russes. Mme  Zaytsef, pendant ce temps, alla habiter la Baronata avec sa fille, et avec sa sœur Olympia Koutouzof (venue de Russie au printemps de 1873), qui bientôt devint, sans formalités légales, la compagne de Cafiero. En février ou mars 1874, appelée par sa mère gravement malade, Olympia Koutouzof quitta la Baronata pour se rendre en Russie auprès d’elle. Mme  Zaytsef et sa fille restèrent encore dans la villa jusqu’au printemps de 1874 ; Zaytsef vint alors les y chercher, et s’installa avec elles, pour l’été, dans une maison sur la pente de la montagne, au-dessus de Locarno. (Lettre de Mme  Olympia Koutouzof-Cafiero, du 18/31 décembre 1907.)
  19. Une pièce d’eau qui fut creusée dans le jardin ; les pierres provenant de l’excavation furent employées à la construction de la nouvelle maison.
  20. Cette somme fut remise par Cafiero à Bakounine sous la forme d’une traite au nom d’Adolphe Vogt. Bakounine envoya la traite à son ami, à Berne, le 6 avril, en le priant de la négocier, et d’expédier l’argent à un banquier du Tessin dont il lui donnait l’adresse. (Nettlau, note 3119-94.)
  21. Il s’agit du voyage que Cafiero fit en Russie en juin 1874, voyage dont il sera question un peu plus loin (p. 187).
  22. Je n’ai jamais, en ce qui me concerne, reçu un sou de Cafiero, ni sous forme de prêt, ni autrement. Malon, écrivant à De Paepe, le 25 mars 1877, que « les galopins des Romagnes étaient soutenus par le Bulletin par la bonne raison que le capitaliste de la bande a rendu des services d’argent à Guillaume » (lettre publiée par la Revue socialiste d’octobre 1908), a menti, selon son habitude, et sa vile insinuation ne salira que lui. Tous ceux qui ont appartenu à notre intimité dans l’Internationale savent à quoi s’en tenir à cet égard.
  23. « Buveur de picholette » ; une picholette est une petite bouteille, une chopine.
  24. Cette lettre a été brûlée en 1898, avec la plupart de mes papiers, pendant une grave maladie dont j’avais cru ne pas relever. Mais je l’avais fait lire, dans le temps, à trois ou quatre personnes, entre autres à Pierre Kropolkiue, en 1877.
  25. Je prends ces détails dans deux lettres que m’a écrites Mme  Olympia Koutouzof-Caliero à la date du 2 septembre 1907 et du 21 avril 1908.