L’Italie d’hier/Église del Carmine
Peintures commencées par Masolino di Panicale, et terminées par Masaccio.
Masaccio, c’est le peintre naturiste, donnant une représentation exacte de la nature, faisant de la vérité avec un goût de dessin à la Holbein, — trouvé tout à fait pauvre par le dix-septième siècle, sous la plume du chancelier Boucherat — sans l’ambition d’un idéal spirituel ou d’un surnaturel fantastique, et cela dans une peinture tranquillisée en un repos bourgeois. Dans ce temps, où chaque grand maître a un type de prédilection, qui revient dans toutes ses compositions, Masaccio, ne se souvenant plus des maîtres anciens, ne regardant plus en lui-même, mais regardant autour de lui, appelle, comme modèles, en leur variété des galbes et des physionomies, le monde multiple des vivants de son temps, dont il devient le portraitiste. Et même en son coloris — car le dessinateur est exceptionnellement un coloriste, — Masaccio n’a pas l’habitude et la sujétion d’une coloration, d’un ton, d’une nuance signant tous ses tableaux, son coloris fac-similé la couleur d’un chacun.
Après ces époques archaïques d’un art recherchant, dans la représentation de l’homme et de la femme, les lignes de corps, maigriotes, souffreteuses, décharnées, des lignes presque psychiques, Masaccio étonne un peu par son culte de la matérialité des êtres, non qu’à ses belles images de la vie il refuse l’intelligence apparente de la matière, il ne mette dans leurs yeux la flamme du regard, sur leurs fronts les méditations d’une pensée terrestre, mais il tend à ne leur donner que la beauté strictement humaine. Oui, Masaccio place sa science et son adoration dans la surprise picturale de la chair, dans l’étude appliquée du masque de l’homme, de sa construction, de son ossature, de ses plans, de ses méplats, du jeu de ses muscles, de l’action sur ce masque, de l’âge et des batailles de la vie.
Il faut voir, chez Masaccio, ces jeunes gens aux chevelures épaisses et bouclées, aux grands yeux ouverts sous la broussaille des sourcils, à la grosse lippe, au puissant campement des reins sur les jambes, et dont les juvénilités superbes passent moulées à travers les étoffes : insolents de santé et de vitalité ; il faut voir les vieillards, vêtus de bon drap chaudement fourré, à la solide vieillesse, aux visages ridés par les préoccupations d’intérêts politiques ou marchands.
Et, si par hasard, il prend un jour fantaisie à l’artiste de peindre un Néron, ce Néron au geste dramatique d’un Talma, il l’entoure de figures semblables à celles que vous retrouvez dans les portraits authentiques du temps.
Enfin lui, plus que tout autre, ce maître qui fait le pont de la peinture entre le beau religieux et le beau académique, lui plus que tout autre, a fait entrer la vie de son temps dans la légende sainte, et fait coudoyer Jésus-Christ et la Vierge par les porteurs de jaquettes et de chaperons de l’Italie du quinzième siècle.
Un coin charmant que le Jardin Boboli : une petite île, au milieu de laquelle, d’une petite forêt de citronniers en fleur, s’élève la statue de Jean de Bologne, le créateur des Naïades de l’Arno, le distributeur poétique des eaux du fleuve ; une petite île qu’entoure une élégante barrière, formée par des compartiments de trois balustres sculptés en forme de congélations, rompue de distance en distance par une console plus basse, où est posé un oranger.
Deux grilles, ouvrant entre quatre colonnes, par une jetée de pierre qui traverse le canal, mènent à l’île, où des Tritons sont penchés sur des vasques formées d’une grande coquille, avec les enroulements d’un corps finissant en queue squameuse de dauphin, dans le contorsionné d’une rocaille, où semble avoir passe la violence du ciseau de Michel-Ange. Deux fausses entrées sont décorées d’amours, au milieu d’attributs de Neptune ; et de l’eau, où trempent de grands pots rouges fleuris, deux cavaliers montés sur des chevaux marins, escaladent la berge. Là, dans cette verdure intense des citronniers et des orangers, la blancheur des marbres est telle, que tout ce monde maritime apparaît, comme une grandiose sculpture en biscuit pâte tendre, posée sur un papier vert velouté !
Le Carnaval italien, je le répète, c’est quelque chose de remuant, de sautillant, de tournoyant, un accès de tarentisme, un branle tétanique des jambes, une espèce de diable-au-corps physique, bien plutôt qu’une folle joie, qu’une griserie intérieure. Des cris, des poussées, des chiades d’une récréation de collège, faisant toute une nation ballante dans les rues, voici en quoi consiste ce carnaval, aux gaudissements, honnêtes, purs, immaculés. Des femmes et des hommes entremêlés les uns dans les autres, sans une excitation aphrodisiaque, sans un dégagement passionnel, sans une empoignade de la chair de femme, que l’homme a sous la main. Et des hommes et des femmes, en l’échange et le troc de vêtements masculins sur des femelles, et de vêtements féminins sur des mâles, constituant un monde d’êtres inquiétants. Enfin un délire se donnant cours réglementairement, de deux à quatre heures, sans une gifle, sans un carreau cassé, sans la bousculade d’un agent de police, — un délire soumis à une discipline, comme un soldat sous les armes.
Au Corso, seulement, dans et sur ces équipages de l’étranger et de l’aristocratie florentine, le Carnaval a fait montre, le mardi gras, d’élégance, de gaieté d’esprit, d’imagination carnavalesque, dans le travestissement.
Ici, on voyait une voiture de dominos noirs, attelée de chevaux noirs, sur lesquels était tombée une neige, tout à fait illusionnante, une neige faite avec de petits morceaux de ouate ; là, une voiture italienne faisant la charge merveilleuse d’une famille anglaise voyageant, avec l’échafaudage des malles et des cartons, et le vieil englishman, porteur de lunettes vertes, un calepin à la main, et la jeune miss, avec son sempiternel chapeau de paille, au voile bleu, porté hiver comme été, avec sa silskine à la fourrure mangée, et une mère et des domestiques inconcevables ; plus loin, une voiture où se tenait un homme seul, tout habillé de lierre peuplé d’escargots, et ayant une longue barbe en mousse. Enfin, dans un équipage de la noblesse florentine, attelée à la Daumont, une charretée de jeunes élégants, en pierrots autochtones : le pierrot italien à la casaque de satin blanc, aux bas de soie blancs, aux souliers jaunes, parmi d’autres pierrots mi-partie blancs, mi-partie noirs, coiffés de marabouts, et ayant sur la figure des masques représentant la lune : — les deux couleurs divisant le costume de la racine des cheveux au bout des pieds.