L’Italie d’hier/Botticelli

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Charpentier & Fasquelle (p. 90-91).

Botticelli. — Les maigreurs de la longue prière, de l’ascétisme, de la macération. Des corps, où le contour matériel, atténué, aminci, raffiné, pour yainsi dire, par les aspirations spirituelles, est sec, anguleux. Des chairs semblables aux fleurs fleurissant à l’ombre, des chairs exsangues, dont les ombres ont des transparences d’ambre. Avec cela, des attitudes rêveuses, songeuses, absentes de la terre, dans les étoffes vaguescentes aux plis cassés d’Albert Durer : des attitudes telles qu’on en trouve chez ces deux femmes de l’Académie des Beaux-Arts, où le tulle grisâtre courant dans leurs cheveux, a l’air de la cendre rapportée d’un mercredi des Cendres, et où le deuil des grandes draperies violettes, que leurs belles longues mains de cire ramènent autour d’elles, leur donne le caractère de deux figures allégoriques du Crépuscule.

Oh ! les mystérieuses et troublantes figures de femmes, aux bouches nerveusement découpées, où se dessine une si énigmatique mélancolie du sourire, aux yeux qui sont un point noir dans le glauque cœruléen de la pupille : yeux qui ne sont plus l’œil d’un exemple d’un dessin, mais bien la fenêtre d’un cerveau ou d’un cœur.

Ce Botticelli, le maître d’une peinture un peu surnaturelle, et qu’on dirait chercher à fixer sur ses toiles, les imaginations fantastiques de la poésie allemande, et le maître de cette Vénus blonde, au bleu de l'œil étrange, et qu’on ne retrouve plus en Italie, — de cette Vénus jaillissant dans son tableau des Uffizi, comme une aurore boréale.

Ce tableau c’est une « Naissance de Vénus » où ce n’est plus la Vénus brune de l’antiquité, mais une Vénus qui paraît avoir pris naissance sur le Valpurgis : le type de la femme blonde du Nord, avec ses cheveux aux fils d’or, se déroulant autour de son corps blanc posant sur une hanche, éclairé par une sorte de lumière de clair de lune d’hiver, — et qui n’a gardé du paganisme mort que le pudique mouvement de la Vénus de Médicis, une main devant son sein, une autre main cachant avec une mèche de cheveux son sexe. Et la Vénus de Botticelli se dessine, en sa nudité, dans une tombée de lignes presque idéales, jusqu’à ses pieds, reposant sur une large coquille. À terre, une servante enveloppée d’une étoffe blanche, au semis de petites fleurs, pareil à un semis héraldique, tend un manteau à la déesse, pendant que, dans le ciel, sont suspendus deux petits dieux d’amour, dont l’un sème de roses l’éther, dont l’autre laisse tomber de sa bouche gonflée, un filet d’ambroisie sur les épaules de la déesse : petits dieux ou anges, qui ont l’aspect, élégamment souffreteux, de beaux enfants anglais qui seraient poitrinaires.