L’Italie d’hier/Mantoue

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Charpentier & Fasquelle (p. 55-56).
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MANTOUE.

Par la rue, un garçonnet joufflu et rose, coiffé sur ses blonds cheveux d’un tricorne ecclésiastique, gambadant, sautillant, un de ses pieds chaussé du soulier à boucle des gens d’Église, toujours en l’air, et qui semble chercher le derrière d’un camarade. Son corps d’enfant, rejeté en arrière, est drapé dans le petit manteau noir, que sa main ramène sur l’épaule droite et laisse pendiller coquettement sur son dos. Une gentille gaminerie dans ce rond visage, sur lequel pointe un petit nez relevé, et sourit une bouche moqueuse. Il rappelle, avec quelque chose de plus svelte, de plus dansant, de plus aimablement polisson, ces amours en porcelaine de Saxe, auxquels le dix-huitième siècle fait faire des niches aux bergères assises dans les candélabres, qui servaient aux toilettes des duchesses — ces Cupidons cléricaux, tout roses, et qui n’ont de noir que le tricorne et le petit manteau.

Le palais du T, une omelette d’hommes et de femmes, vus par la plante des pieds, le périnée, le dessous du ventre, le dessous des seins, le dessous du menton, le dessous des narines : une maladie aiguë du raccourci, qui fait tous ces dessous, comme s’asseoir et peser sur votre regard.

Oh ! la monstruosité bête et presque comique, que cette « Salle des Géants », ce fourmillement d’Arpins antédiluviens, cette salade de muscles d’un dessin exorbitant, ce gâchis inepte de nudités extra-humaines, fabriquées avec des écuellées de vermillon, cet écrasement, cet estropiement de jambes, de bras, de têtes, dont on a éclaboussé un mur. On dirait un musée de statues de Michel-Ange, qui aurait fait explosion, et collé aux parois, un monde de la Force, aplati, brisé, cassé, démoli.

Ah, ce palais du T ! ah, cette Salle des Géants ! ce sont de terribles témoignages du manque de goût des princes de Mantoue.

Vérone, Mantoue, toutes ces cités, à fossés, à ponts-levis, à remparts, à bastions, à redoutes, avec des sentinelles se promenant dans le ciel, mes yeux qui ont gardé le souvenir des pièces du Cirque de mon enfance, ne les voient pas comme des villes réelles, mais bien comme des décors à praticables, où va évoluer Gobert-Napoléon Ier, et où la joviale Léontine va verser aux vieux de la vieille garde le riquiqui de la gloire.