L’Italie depuis Villafranca/01

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L’Italie depuis Villafranca
Revue des Deux Mondes2e période, tome 30 (p. 834-867).
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L’ITALIE
DEPUIS VILLAFRANCA

I.
LA RÉVOLUTION ITALIENNE ET LA PAPAUTE.

I. La Souveraineté pontificale, par Mgr l’évêque d’Orléans, 1 vol. in-8o, 1860. — II. L’Église romaine en face de la révolution, par M. Crétineau-Joly, 2 vol. in-8o. — III. De la Liberté de l’Italie et de l’église, par le R. P. Lacordaire, in-8o. — IV. Antécédens et Conséquences de la situation actuelle, par M. de Falloux, in-8o. — V. Circulaires diplomatiques et notes, etc.

La guerre d’Italie, en finissant par un de ces coups de foudre de diplomatie personnelle entre souverains qui déconcertent toutes les conjectures et que les événemens eux-mêmes ne font pas prévoir, cette guerre, on l’a vu assez depuis, laissait une œuvre immense à l’Europe, à la péninsule, à la diplomatie, aux gouvernemens, à l’imprévu, à l’opinion, cette grande, cette mobile et éternelle complice de tout ce qui se prépare, se tente ou s’accomplit. Le jour où, non loin d’un champ de bataille encore chaud de tant de sang généreux, deux empereurs émus de ces hécatombes humaines se rencontraient dans une petite ville du Mincio et improvisaient la paix, on crut un moment que tout allait finir, et il est certain que la face des choses changeait singulièrement en apparence par cette subite réconciliation de la France et de l’Autriche. Rien n’était fini cependant : on faisait tout au plus une halte entre le violent conflit de la veille et les combinaisons inconnues du lendemain. Cette trêve de Villafranca trouvait l’Europe indécise, mécontente de tout le monde et d’elle-même pour le rôle qu’elle avait joué, la France presque aussi étonnée de la paix qu’elle l’avait été de la guerre et mêlant à sa vaillante confiance une légère incrédulité, l’Italie déçue, amèrement déçue et comme arrêtée un moment dans le vol de ses espérances. Au fond, la question italienne restait entière avec ses complications et ses énigmes, si ce n’est qu’elle était transportée du Tessin sur le Mincio, partout même où l’esprit d’indépendance si puissamment excité se trouvait aux prises avec des souverainetés compromises ou déjà passées à l’état d’ombres errantes, de telle sorte que la paix de Villafranca, qui était une fin à quelques égards, était aussi un commencement sous d’autres rapports, — le commencement confus et mystérieux d’une situation dont nul ne pouvait préciser le caractère, la portée et les suites. C’était un appel à l’avenir; l’avenir a répondu plus vite et d’une façon plus foudroyante qu’on ne l’eût pensé peut-être.

Qu’on ne s’y méprenne pas en effet : ce qui se passe sous nos yeux au-delà des Alpes, depuis plus d’une année déjà, est un des plus grands et des plus rares spectacles de l’histoire, spectacle surprenant non-seulement par cette succession de péripéties aux couleurs éclatantes et bizarres, mais encore par la nature singulière et émouvante des événemens, par le caractère des problèmes qui s’agitent, par la lutte d’idées, d’intérêts, de principes, qui est au fond de ce drame si méthodiquement désordonné. Vu du haut de l’intérêt général et européen, c’est la chute de tout un côté de cet édifice branlant de 1815, construit bien évidemment, il y a près d’un demi-siècle, dans un esprit d’hostilité envers la France, souvent ébréché par les uns ou les autres, plus souvent mal réparé ou violemment étayé et définitivement démantelé dans sa partie la plus vulnérable : si bien que ce qu’on nomme encore le droit public n’est plus réellement aujourd’hui qu’un certain état de possession couvert du bénéfice du temps, un certain équilibre de défiances ou de forces qui se respectent par respect pour la paix plutôt que pour les traités. Au point de vue italien, c’est la résurrection d’une nationalité qui se fait jour à travers les fissures de ce droit public disjoint. C’est l’effort d’un peuple qui n’a même pas un nom dans les œuvres de la diplomatie, et qui veut cesser de s’appeler le Lombard-Vénitien, le Modenais, le royaume de Sardaigne ou la Toscane, pour conquérir son vrai nom d’Italie; d’un peuple qui poursuit imperturbablement la plus étrange des entreprises avec un mélange d’audace et d’habileté, jouant sa fortune avec un emportement de passion qui n’exclut pas le calcul, téméraire si le succès est à ce prix, souple et fin s’il le faut, grand politique en même temps que grand agitateur, passant à travers les obstacles ou saisissant l’occasion aux cheveux sans s’arrêter un instant, prenant alertement son rôle de trouble-fête des vieilles combinaisons, et faisant payer cher aujourd’hui à l’Europe tout un passé de dominations et d’interventions.

D’où viennent ces événemens que nul n’eût osé prévoir il y a deux ans à peine? Du plus profond de l’histoire assurément; ils sont le résultat d’une multitude d’élémens traditionnels qui viennent se résoudre dans une mêlée définitive. Par les conditions dans lesquelles ils s’accomplissent, par les mobiles qui les dirigent, ils ont cependant un caractère essentiellement moderne qui les relie à tout ce qui s’agite en Europe. Où vont-ils aujourd’hui? Le but semble marqué, la route est ouverte; c’est le dernier pas, le plus difficile peut-être, qui reste à franchir. C’est entre ce passé et cet avenir encore inconnu que le mouvement des choses a jeté la dernière guerre et la paix qui l’a suivie comme le nœud de l’histoire contemporaine de l’Italie. Tout ne part pas de là, mais dès ce moment tout prend une allure nouvelle et plus décisive. La guerre des grandes puissances finit, la France s’arrête d’elle-même, la diplomatie européenne attend son heure qui ne vient pas, et l’Italie met la main à sa destinée.

Le monde change si vite de face, les choses contemporaines se précipitent avec une telle fureur que cette paix de Villafranca, qui venait si soudainement marquer la limite de l’action armée de la France, disparait aujourd’hui derrière un amas d’événemens ou de commentaires passionnés et contradictoires. En réalité, cet acte à demi énigmatique sorti de l’entrevue de deux souverains avait un double sens : il contenait un arrangement direct, précis entre la France et l’Autriche au prix de la cession d’une. province conquise, et en même temps il traçait en traits généraux le programme d’une organisation nouvelle de la péninsule sous la sauvegarde d’un principe qui était l’esprit même de la paix, qui en résumait la vraie signification morale : c’était le principe de non-intervention reconnu en présence des insurrections déjà victorieuses et organisées à Florence, à Modène, à Parme, à Bologne, l’importance de cette paix était assurément bien moins dans la cession de la Lombardie, si riche que fût ce premier fruit de la guerre, moins encore dans les combinaisons qu’elle consacrait ou qu’elle proposait que dans cette condition mystérieuse qui bannissait désormais l’intervention de la force des affaires italiennes. Si les préliminaires de Villafranca restaient muets sur ce grave supplément de la paix, ce n’était point par oubli : on l’a su depuis, c’était uniquement par une nécessité momentanée de situation, pour faire honneur à une convenance de l’empereur François-Joseph, qui voulait réserver toutes les chances possibles à la restauration des ducs, et qui observait qu’une déclaration aussi solennelle équivaudrait à un encouragement de résistance donné aux Italiens. Le principe n’en était pas moins admis ; il avait pour lui la force des choses, l’acceptation à peu près résignée de l’Autriche, l’attitude expectante et passive de l’Europe, les démonstrations diplomatiques de l’Angleterre, la volonté nette et résolue de la France, manifestée, à partir de Villafranca, à toutes les heures, sous toutes les formes et partout, à Rome comme à Vienne et à Paris, à tel point que selon le témoignage de lord Cowley, dans une dépêche du 18 novembre 1859, l’empereur Napoléon déclarait au prince de Metternich, à Compiègne, que si les Autrichiens passaient le Pô pour aller à Florence ou à Modène, c’était la guerre avec la France.

Or ce principe de non-intervention, ainsi affirmé à la face du monde, c’était la liberté laissée aux Italiens, c’était la péninsule maîtresse de sa destinée. À la lumière de cette stipulation, dégagée par degrés de ses obscurités, et dont nul ne pouvait prévoir encore l’élastique et redoutable puissance, les préliminaires de Villafranca prennent un sens entièrement nouveau. Interrogé dans son esprit, dans son essence, dans son rapport avec le principe qui le complétait et le pénétrait en quelque sorte, ce traité, à vrai dire, n’était synallagmatique que sur un point, en ce sens que les concessions de gouvernement libéral et national promises par l’Autriche à la Vénétie se liaient étroitement à la restauration des princes dépossédés et à l’organisation de la fédération italienne ébauchée à Villafranca. Quant à la cession de la Lombardie, par la forme que le cabinet de Vienne lui-même avait tenu à lui donner, elle restait irrévocable, indépendante de toute éventualité, et placée désormais sous la garantie de la France, unique cessionnaire vis-à-vis de l’Autriche. C’était le prix de la guerre demeurant au bout de notre épée, et certainement couvert par elle si l’on y touche.

Ainsi la Lombardie placée sous le séquestre tutélaire de la France, la Vénétie restant à la couronne d’Autriche et pouvant se rattacher éventuellement à une confédération, l’Italie conviée à cette organisation fédérative, à la restauration des anciens pouvoirs, mais libre aussi de se prononcer et garantie contre toute pression de la force, c’était là vraiment la situation au lendemain de Villafranca : situation étrange, merveilleuse, où les Italiens, assurés dans tous les cas du minimum de leurs espérances, se trouvaient en quelque sorte sommés par leur fortune de choisir entre une réalisation incomplète, peut-être précaire, de leur rêve immortel et l’entraînement du patriotisme, enflammé à l’idée de marcher au but par un autre chemin. C’est alors que l’Italie, revenue d’un moment de surprise, se lève avec une fermeté nouvelle et se jette dans cette carrière qui commence par l’annexion des duchés, de la Toscane, de la Romagne, pour finir par la réunion de la Sicile, de Naples, des Marches et de l’Ombrie. C’est en un mot l’unité de l’Italie, — moins Venise, où est l’Autriche, moins Rome, où est provisoirement la France, — s’accomplissant à l’abri du principe de non-intervention. Il y a trente ans, des révolutions éclataient à la fois à Modène, à Bologne, à Pérouse; elles n’eurent qu’une vie éphémère. D’où vient la différence entre ces événemens d’autrefois et les événemens d’aujourd’hui? M. de Metternich le dit en quelques paroles de ses instructions à un de ses agens : « Ces révolutions se seraient infailliblement consolidées, et en auraient entraîné d’autres, si l’empereur s’était laissé arrêter par le principe absurde de la non-intervention. Notre action prompte et énergique les a pulvérisées. Mais on s’abuserait étrangement, si l’on se rassurait sur une tranquillité apparente de l’Italie qui n’est due qu’aux forces imposantes que l’Autriche y a portées. » C’était dire franchement sous quel régime on tenait l’Italie, et c’était en même temps annoncer d’avance ce qui arriverait le jour où le principe de non-intervention prévaudrait.

Une des plus graves sources d’erreurs et de jugemens légers, c’est d’observer souvent les affaires d’Italie à tous les points de vue, hormis au point de vue italien : vieille habitude des politiques accoutumées à voir dans la péninsule l’arène privilégiée d’une multitude d’intérêts étrangers. Il nous faut à tout prix ce système parcellaire de petits états, un équilibre de maisons régnantes, de succursales de nos dynasties et de notre influence. La tradition le veut! C’est ce régime qui disparaît aujourd’hui pour faire place à un peuple qui veut vivre, avec qui nous avons noué l’amitié des armes, que nous pouvons suivre avec une confiance inégale, mais dont nous ne pouvons au fond désavouer les aspirations sans nous désavouer nous-mêmes dans notre sang et dans tout ce que nous sommes. Que ce qui s’accomplit au-delà des Alpes soit en effet une révolution, une des plus grandes et des plus étranges révolutions, c’est ce qui n’est point douteux. Ce qui la caractérise seulement, c’est que, loin d’être, comme on le dit quelquefois, l’œuvre d’une passion essentiellement perturbatrice, elle est l’expression du travail continu, progressif et tout-puissant du sentiment qui fait les émancipations légitimes, le sentiment de l’indépendance nationale. Il y a longtemps déjà que cette révolution est en marche. On n’a pas assez vu que depuis un demi-siècle tout procède du sentiment national au-delà des Alpes, que c’est là réellement la clé des mouvemens, des violences mystérieuses, des évolutions en apparence contradictoires des Italiens. Lorsque Rossi, qui avait quitté l’Italie comme exilé en 1815, revenait à Rome en 1845 comme ambassadeur de la France, il n’hésitait point à le dire, avec un étonnement mêlé d’une vieille joie patriotique, au gouvernement qui l’envoyait. « Le sentiment national, écrivait-il, a pris depuis trente ans un tel essor en Italie, que moi-même, qui croyais connaître ce pays, j’en ai éprouvé de la surprise... Dans dix ans, dans vingt ans, il n’y aura pas dans les états italiens un homme, une femme, un fonctionnaire, un magistrat, un moine, un soldat, qui ne soit avant tout national. »

Ces dix ans de trêve que Rossi laissait entrevoir dans le secret de ses hardis et vifs entretiens diplomatiques, ces dix ans sont passés, et la lumière de ces paroles prophétiques rejaillit sur les événemens actuels. L’unité italienne elle-même, qu’on ne s’y trompe pas, l’unité telle qu’on la voit sortir aujourd’hui tout armée du sein de la péninsule, n’est que le dernier mot de ce travail toujours actif, quoique parfois invisible, et rigoureusement on pourrait dire que la première, la plus énergique et la plus efficace promotrice de cette idée, depuis dix ans surtout, a été l’Autriche par la nature et l’étendue de sa domination. Des Alpes au Phare, à Florence ou à Bologne, à Modène ou à Parme, qui rencontraient les Italiens au détour de toutes leurs espérances, au bout de chacun de leurs vœux les plus simples? L’Autriche toujours mettant le sceau de son omnipotence sur de petites et craintives souverainetés sans cesse en guerre avec leurs populations. Ainsi s’est développé et a grandi l’instinct de solidarité entre Italiens de tous les états, Toscans ou Romagnols, Napolitains ou Lombards; les uns et les autres ont senti qu’à travers des démarcations factices de territoires tout était commun entre eux, que leur faiblesse et leur asservissement venaient d’un morcellement arbitraire, qu’il n’y avait pour eux à espérer de réformes intérieures vraies, sûres et durables, que par la solution de la première de toutes les questions, celle de l’indépendance, que la souveraine nécessité en un mot était dans l’union pour opposer le faisceau de toutes les forces et de toutes les résistances à un même danger : de sorte que, par le fait, c’est l’Autriche qui a contribué bien plus que M. Mazzini à répandre, à populariser cette idée de fusion, et à préparer les esprits en les accoutumant à mettre au-dessus d’une petite nationalité locale sans garantie la grande et commune nationalité. Je ne veux point revenir sur une vieille histoire qui plus que jamais, je l’espère, est de l’histoire; je ne veux que la montrer dans son rapport avec l’explosion de ce sentiment unitaire qu’on a cru l’œuvre d’un artifice soudain et violent, et qui n’est que l’irrésistible conséquence de tout un ordre de faits. En réalité, l’unité de la domination étrangère, présente partout à la fois, a provoqué l’unité du sentiment national. On ne l’a pas caché : « L’idée de l’union, a dit M. Ricasoli, est une manifestation contre l’Autriche. » Et voilà comment ce qui n’était qu’une utopie, ce qui serait resté peut-être une utopie sans l’excès de la domination autrichienne, est devenu une conception réfléchie, une passion disciplinée, qui a éclaté justement à l’heure où l’on offrait au sentiment national italien une combinaison qu’il avait déjà dépassée dans ces dix ans d’épreuves! C’est la raison générale et supérieure de ce qui est arrivé après Villafranca.

L’unité n’était point sans doute la forme nécessaire de l’idée nationale italienne. Il y a des momens où une fédération a été possible et a pu être la combinaison la plus réalisable, la plus pratique en même temps que la plus conforme aux traditions de la péninsule. Elle eût été possible il y a dix ans, elle l’était peut-être encore avant la guerre, lorsqu’on n’avait pas touché au droit public, lorsqu’aucune rupture trop ostensible et irréparable n’avait éclaté. Au moment de la paix de Villafranca, tout avait changé de face; l’irréparable avait déjà commencé à Florence, à Modène, à Parme et à Bologne. Il faut se mettre au point de vue de l’Italie pour comprendre comment de cette paix qui était assurément un sérieux progrès, et qui offrait le cadre d’une nationalité renaissante, les Italiens ont décliné avec autant de déférence apparente que de fermeté réelle les dispositions organiques pour se saisir uniquement du principe qui leur laissait la liberté de tenter une plus grande aventure.

Quelle était en effet cette paix pour eux? Elle laissait l’Italie fortifiée, il est vrai, d’une province reconquise, mais avec une frontière béante et sans défense sur le Mincio; l’Autriche diminuée sans nul doute, mais opposant toujours le front redoutable de ses forteresses, et dominant, par les postes avancés qu’elle retenait avec calcul sur la rive droite du Pô, le centre de l’Italie. Qu’on le remarque bien, dans ces conditions le problème était moins résolu que déplacé, et la liberté laissée aux Italiens, c’était la certitude de l’annexion, parce que là était la force. L’Autriche disait qu’elle pouvait renoncer à une province qu’elle avait perdue, mais qu’elle ne pouvait livrer les droits de ses alliés au-delà des Alpes; elle n’avait qu’un seul moyen de servir la cause des princes déchus ses alliés : c’eût été, sinon de se retirer entièrement de l’Italie, dit moins déplacer un archiduc à peu près indépendant à Venise, comme le proposait ce petit papier qui circula un jour dans le parlement de Londres, et qui venait, non de l’Angleterre ou de la Prusse, mais de la France. Par là, les restaurations retrouvaient encore des chances, la fédération elle-même redevenait possible. J’ajouterai que, par ce sacrifice intelligent et opportun, l’Autriche n’eut pas seulement sauvé les intérêts des ducs ses alliés, elle eût épargné à la papauté la plus dangereuse épreuve, et ceux des catholiques qui, après avoir été le plus opposés à la guerre, se réjouissaient si fort de la paix de Villafranca pour le saint-siège, parce que cette paix, disaient-ils, laissait une puissance conservatrice en Italie, ceux-là jugeaient les événemens avec plus de passion entêtée que de clairvoyance. De toutes les fractions de l’opinion, la plus intéressée à la libération complète de l’Italie, c’est-à-dire à l’exclusion définitive de l’Autriche, était assurément l’opinion catholique, car cette libération simplifiait singulièrement la situation du saint-siège au-delà des Alpes; elle mettait fin surtout à cette solidarité d’esprit et de politique qui rend la papauté toujours suspecte comme pouvoir national. On ne l’a pas vu, et on s’est réjoui trop vite après Villafranca.

La présence de l’Autriche dans la Vénétie, en laissant debout la question de l’indépendance, était pour les Italiens la démonstration saisissante de la nécessité de l’union, de l’impossibilité des restaurations, et, s’il faut le dire, elle tuait dans le germe cette fédération à laquelle elle semblait se lier. La nature des choses était ici plus forte que la bonne volonté des négociateurs et même que le désir de la France. Que pouvait être effectivement une fédération sous ces auspices? Sans Venise, elle n’était qu’une mutilation de la nationalité italienne; elle était impossible, à moins d’être une combinaison de guerre pour recommencer bientôt le combat de l’indépendance, ce que n’admettait pas la politique déclarée du saint-siège. Avec Venise, c’était la possibilité d’une domination nouvelle et en quelque sorte légale de l’Autriche pesant sur l’Italie du poids direct de sa puissance, de sa situation en Europe, et du poids indirect de son influence sur des principautés feudataires, sur des souverainetés inquiètes, jalouses, d’autant plus portées à se serrer autour de leur protecteur impérial qu’elles venaient d’échapper avec lui à une plus imminente catastrophe. En un mot, c’était toujours la terrible alternative : l’Italie autrichienne ou l’Italie italienne jusqu’à l’Adriatique.

Lorsque les Italiens, ne prenant conseil que d’eux-mêmes et sous l’inspiration de leur responsabilité, s’engageaient dans un mouvement si contraire en apparence à la paix de Villafranca, ils n’obéissaient donc pas à un futile caprice ou à l’enivrement d’une passion de secte; ils cédaient à un sentiment profond et calculé de leur situation, outre qu’ils saisissaient une occasion telle qu’il n’en fut jamais, telle que jamais la fortune n’en pourrait accorder dans l’avenir. La question n’était pas pour eux de se lier à une fédération où d’inévitables incompatibilités n’engendreraient que faiblesse; il s’agissait avant tout de rassembler le plus de forces possible en présence de l’Autriche retranchée derrière ses lignes du Mincio et du Pô, de constituer ce royaume fort qui a été le mot d’ordre des premières annexions, en attendant que le royaume unique devînt le mot d’ordre d’une étape nouvelle. Ce n’est pas même l’enthousiasme, si l’on veut, qui a scellé l’alliance avec le Piémont : c’est l’esprit politique, c’est la réflexion. De là le caractère de cette politique italienne que rien n’a pu décourager dès que la liberté lui était laissée, et qui a marché pas à pas à son but tantôt par l’intrépide sang-froid de quelques hommes, tantôt par la foudroyante audace de Garibaldi. Par une combinaison mystérieuse et imprévue, cette unité vers laquelle l’Italie s’est précipitée, c’est l’Autriche, je le montrais tout à l’heure, qui l’a lentement, obscurément préparée; c’est la paix de Villafranca qui en provoquait l’explosion méthodique, non plus par la voie des perturbations démagogiques, mais par la voie d’agrégations successives à une monarchie qui avait l’avantage de lui offrir un cadre d’organisation, un drapeau, en même temps qu’elle avait pour elle le prestige des traditions, le lustre de l’esprit militaire, l’attrait des institutions libérales, la loyauté de son roi, l’habileté de ses hommes d’état.

Et maintenant, dans cette carrière où le nord et le midi de l’Italie se rejoignent subitement, que la révolution italienne passe par-dessus des souverainetés reconnues et des frontières visibles à l’œil des congrès; que le Piémont surtout, dans les extrémités récentes de sa politique, ait fait souffrir le droit public, le sentiment des procédés et des convenances diplomatiques, ni M. de Cavour, qui est la tête délibérante et inventive de cette révolution, ni Garibaldi, qui en est le feu incompressible, ni le roi Victor-Emmanuel, qui en est le représentant couronné, ne songeront à le nier, je pense. Que des puissances régulières dégagent leur responsabilité par des protestations ou par le rappel de leurs ambassadeurs, rien n’est plus simple; c’est ce que la France elle-même a fait lorsqu’elle a voulu marquer son dissentiment avec la politique piémontaise en donnant à son armée l’ordre de se replier de la Lombardie au moment où l’annexion de la Toscane s’accomplissait, de même que plus récemment elle a rappelé son ministre de Turin, lorsque l’invasion des Marches et de l’Ombrie s’est accomplie. Dans une situation irrégulière, tout est irrégulier, je le veux. Il y a dans ces événemens étranges toutefois un caractère exceptionnel et supérieur qu’on ne peut méconnaître à travers la brusquerie des actes que l’esprit diplomatique désavoue par respect pour les règles établies. N’est-ce point une vraie puérilité d’appeler sans cesse le Piémont un étranger pour l’Italie, d’assimiler ses interventions aux interventions de l’Autriche, de les représenter comme le déchaînement violent d’une ambition de conquête allant à l’assaut des indépendances légitimes? Il y a dans ce qui se passe au-delà des Alpes une révolution de nationalité rapprochant des hommes qui parlent une même langue, qui vivent d’une même vie, sont doués du même génie et aspirent à une indépendance commune ; il peut y avoir tout au plus une guerre civile : il n’y a entre Italiens ni étrangers, ni guerre étrangère, ni conquête. Ce qu’on nomme l’agression usurpatrice du Piémont n’est point l’irruption conquérante dans le domaine d’un autre peuple ; c’est, selon le mot expressif du roi Charles-Albert dans une émouvante proclamation de 1848, « le secours que le frère doit au frère. » Et s’il est des droits particuliers de souveraineté pour leur malheur atteints dans la mêlée, ils sont du moins limités, on en conviendra, par cet autre droit supérieur d’un peuple agité de la passion de vivre. Ce n’est pas la première fois que des événemens ont pu être contraires au droit public sans être essentiellement contraires à la justice.

Un des caractères de cette terrible question italienne, c’est d’avoir été partout à la fois et de s’être concentrée, surtout au dernier moment, sous une plus saisissante forme à Rome et à Naples. À Naples, c’est un royaume qui disparaît ; dans les états pontificaux, c’est plus qu’un royaume, c’est l’existence temporelle d’une autorité enracinée dans la conscience du monde catholique qui s’affaisse, et je n’ignore pas que Rome, malheureusement plus que Venise peut-être encore, c’est la difficulté de l’Italie. S’il n’y avait dans cette crise qu’une série de faits accomplis par la force et par la violence, ce serait assurément un déshonneur de l’opinion de s’asservir à cette brutale puissance. Comment se fait-il cependant que devant un mouvement qui bouleverse en apparence tous les droits et toutes les conditions de l’ordre politique existant, qui supprime des souverainetés, où le destin temporel de la papauté elle-même est en jeu, comment se fait-il, dis-je, que devant ce mouvement l’Europe s’arrête étonnée et inerte, se bornant à de vaines protestations, que l’opinion se laisse entraîner, que beaucoup de catholiques eux-mêmes refusent de mettre les intérêts de leur foi dans une lutte à outrance contre la logique des choses, et qu’enfin il fût au moins très difficile, sinon impossible, de ressusciter un congrès de Laybach pour signifier à l’Italie qu’elle a tort de vouloir être l’Italie ? C’est qu’il faut évidemment que cette révolution ait une autre puissance, une autre légitimité que celle du fait accompli, que de si étranges événemens aient une bien autre cause que le hasard d’une commotion soudaine provoquée par une ambition intéressée, et que dans cette crise il n’y ait d’imprévu que l’heure où elle a éclaté et la manière dont elle marche au dénoûment.

Je parle avant tout de Rome. Et d’abord ne dirait-on pas quelquefois que c’est la dernière guerre, œuvre de la France et du Piémont, qui a créé pour le saint-siège la situation compromise où il se débat, que jusqu’à ce moment la papauté vivait dans la plénitude et l’intégrité de son indépendance politique ? Il n’en était point ainsi malheureusement. S’il était au contraire un fait accrédité dans l’opinion universelle, devenu presque banal, c’est que le domaine temporel du saint-siège n’avait d’autre garantie que la présence d’une force étrangère, et que si nous quittions Rome, le pape n’avait pas un jour de pouvoir assuré devant lui. La cour romaine en était elle-même pleinement pénétrée. Lorsqu’à la veille de la guerre Pie IX, dans l’espoir touchant et vain de détourner un conflit dont il redoutait les perspectives, demandait à la Fiance et à l’Autriche de retirer leurs soldats et disait avec une sincérité émue : « Je ne puis, moi, le représentant de Dieu sur la terre, l’apôtre de la paix, je ne puis être une cause de désordre. Mieux vaut courir tous les dangers, toutes les incertitudes que d’être un prétexte de désaccord entre les puissances européennes; » lorsque Pie IX parlait ainsi et prenait cette résolution désespérée, il n’ignorait pas que c’était renoncer à toute chance humaine et s’abandonner à la Providence. La sécurité pontificale, c’était la présence des Français à Rome et des Autrichiens à Bologne, et cette double occupation, en même temps qu’elle révélait le désordre invétéré des états de l’église, était aussi l’attestation toujours visible d’une indépendance plus nominale que réelle, subordonnée, fort ménagée par la France à Rome, il est vrai, mais durement effacée par l’Autriche dans les Légations. Quelle était, cette indépendance du saint-siège là où les autorités autrichiennes concentraient en leurs mains tous les pouvoirs civils et militaires, jugeaient, condamnaient, s’attribuaient même le droit le plus inhérent à la souveraineté, le droit de grâce, transporté de Rome au camp de Vérone?

Il y a un autre fait à préciser et à dégager de toute équivoque. Par quelle circonstance immédiate cette situation, difficile sans doute, soutenue à grand’peine, mais enfin matériellement préservée, s’effondrait-elle tout à coup à un moment donné et dégénérait-elle en rupture ouverte entre le saint-siège et les populations? Il n’y a qu’une cause, c’est le départ des Autrichiens de Bologne le 12 juin 1859, entre Magenta et Solferino. Dès le commencement de la guerre, — c’est un point à noter, — la France et l’Autriche s’étaient interdit d’augmenter ou de réduire leurs forces d’occupation, de rallier aux armées actives leurs soldats laissés dans les états pontificaux et de faire de leurs positions le point de départ de toute action offensive, c’est-à-dire que sur ce territoire neutralisé les deux puissances neutralisaient en quelque sorte leurs forces dans l’intérêt supérieur du saint-siège. Des engagemens de cette nature étaient assurément de ceux qui garantissaient les Autrichiens contre toute surprise et limitaient d’avance les opérations d’un corps d’armée engagé en Toscane. Que serait-il arrivé si les impériaux n’avaient pas quitté subitement Ancône et Bologne ? Je ne veux pas dire que la question des États-Romains eût été plus facile à résoudre, elle serait du moins restée intacte, on n’aurait pas vu cette irréparable éclipse de l’autorité pontificale dans le vide laissé par l’armée autrichienne, et il eût été plus aisé à l’Europe d’exercer son intervention pour maintenir un pouvoir existant que pour réduire des populations désespérément hostiles. La vérité est que l’Autriche agissait avec le pape comme elle agissait en ce moment avec le duc de Modène, qui demandait vainement protection au nom de ses traités ; elle se disait que l’essentiel pour elle était de rassembler toutes ses forces sur le Mincio pour frapper un grand coup, que si elle était victorieuse, elle refaisait les affaires des souverainetés liées à sa fortune, et si elle était battue, elle n’était pas tenue de s’inquiéter des autres, fût-ce du saint-père, plus que d’elle-même. C’était Là la vraie raison de sa retraite des Légations, bien plus que la crainte de démonstrations militaires contre lesquelles son corps d’occupation était garanti par la parole de la France. « Nous reconquerrons tout,… tout cela s’arrangera plus tard, » disait M. de Rechberg aux ministres des ducs de Modène et de Parme, qui murmuraient tristement tout bas que « c’était bien la peine de se lier par des traités. » Pour ce qui est des États-Romains, on n’a songé que plus tard à se couvrir de l’interprétation rétrospective d’une phrase d’un rapport militaire. Au fond, le pape n’a pas hésité à reconnaître plusieurs fois ce que le départ des Autrichiens de Bologne avait de peu conforme aux engagemens pris avec lui, et dès le premier moment il en exprimait sa surprise. Ces faits absolvent la France de toute provocation immédiate et laissent apparaître dans ce qu’elle a d’essentiel et de permanent une situation que la guerre n’a point créée, bien qu’elle ait été aggravée par la guerre, qui tient avant tout aux conditions d’un régime intérieur assez compromis pour être à la merci du hasard et des circonstances. Si la condition des États-Romains n’avait point ce caractère de désastreuse insécurité, pourquoi l’avoir tant dit ? pourquoi l’avoir prouvé par tant d’interventions de la force ? Si elle ne reposait réellement que sur l’artifice et sur l’appui étranger, pourquoi s’étonner de ce qui n’est que la plus simple conséquence d’une accumulation d’impossibilités ?

Là est la question : elle est tout entière dans cette fatale alternative où vit depuis longtemps la papauté temporelle, placée entre la nécessité d’une transformation qu’elle redoute et le danger de devenir inévitablement un obstacle, d’engager la plus périlleuse des luttes avec l’esprit de progrès civil et l’esprit de nationalité grandissant à la fois en Europe et en Italie. Ce n’est pas d’hier que ce problème pèse sur le monde ; il a sa racine dans tous les événemens de ce siècle, dans l’histoire même de la papauté. Quand on considère de près cette histoire, que voit-on ? La papauté dans son existence temporelle n’a point été toujours réellement ce que nous l’avons vue. Il y eut des temps où ces possessions, ces villes qui ont formé le domaine du saint-siège, où ces possessions, dis-je, reçues en don, perdues, regagnées et soumises à toutes les variations de la politique, étaient des états à peu près libres, à demi indépendans sous la suzeraineté du pontife de Rome. Bologne, Ferrare, Ravenne, Pérouse, avaient leurs capitulations, leur organisation politique et civile, leurs magistrats, leurs privilèges, leurs franchises. Lorsqu’on dit que la papauté temporelle est ancienne, rien n’est plus certain ; ce qui est relativement nouveau, c’est le gouvernement ecclésiastique, s’étendant directement à tous les États-Romains et s’infiltrant dans toute la vie intérieure du pays. Ce gouvernement a une date précise et des constitutions qui l’ont fondé, en attendant que la pratique le perfectionnât. En apparence, c’était une réforme constitutionnelle, puisque par la bulle d’Eugène IV, qui lie encore le souverain pontife, le pape ne pouvait plus rien faire politiquement sans le consentement du sacré-collège, devenu le sénat conservateur de l’organisation nouvelle. Par le fait, c’était une transformation totale de la papauté temporelle par la subordination de tous les intérêts civils à la puissance sacerdotale. En des caractères de ce gouvernement, c’est que le pape, absolu extérieurement, vis-à-vis des peuples, ne l’était point du tout vis-à-vis de l’église, à laquelle il livrait la souveraineté, qu’il associait à son pouvoir politique, et qui envahissait tout désormais, les dignités, les fonctions, l’administration publique.

C’est alors que se forme ce vaste système où tout se mêle, les intérêts spirituels et les intérêts temporels, qui est concentré à Rome, mais qui n’a que son centre à Rome, qui embrasse le monde catholique tout entier. Qu’est-il arrivé ? L’esprit de progrès a grandi de toutes parts, la vie civile d’une partie de l’Europe s’est sécularisée, les souverainetés ecclésiastiques ont disparu partout, une multitude d’intérêts ont cessé d’affluer à Rome, et cette puissante hiérarchie, organisée pour gouverner le monde, est restée immobile, confuse, retombant de tout son poids sur les États-Romains, sur ces états trop petits pour être une garantie réelle d’indépendance politique, trop grands pour être administrés comme un couvent, même libre, comme un patrimoine d’église. Je ne veux pas dire que ce gouvernement fût dur et insupportable aux populations ; il avait la douceur des pouvoirs qui trouvent dans l’habitude de l’infaillibilité le moyen de tempérer les ennuis d’une loi fixe par un accommodant arbitraire; il n’était qu’insuffisant. A la lumière de la révolution française, après le passage de tant de nouveautés terrestres qui remuaient le monde, l’Italie, les états mêmes de l’église, il était plus insuffisant encore lorsqu’il renaissait tout entier, et de plus il devenait oppressif par le simple contraste de la résurrection d’un pouvoir vieilli en présence d’une multitude d’instincts ou d’intérêts nouveaux. M. L’abbé Lacordaire a dit le mot : c’était « un gouvernement d’ancien régime, » compliqué seulement de centralisation moderne et d’infaillibilité spirituelle, vivant d’un reste d’impulsion épuisée, et étranger en quelque sorte à un monde si prodigieusement transformé. « Que voulez-vous, disait en souriant un prélat de notre, temps à quelqu’un qui lui proposait des mesures d’économie administrative et financière dictées par la plus simple science, que voulez-vous, tous vos économistes sont à l’index? »

Ce n’était pas seulement un pouvoir d’ancien régime; c’était un gouvernement réunissant tous ces abus d’origine, tous ces inconvéniens auxquels on a cherché mille remèdes qui ont fini par se résumer dans un seul mot : sécularisation. — « Est-ce la guerre à l’habit?» a dit quelquefois le cardinal Antonelli, quand on le pressait trop vivement et qu’on plaidait devant lui la cause laïque. Ce n’est point la guerre à l’habit, ce qui serait aussi puéril qu’odieux; la question n’est pas même dans la proportion des ecclésiastiques et des laïques appelés à conduire les affaires des États-Romains : elle est dans l’esprit qui règne et gouverne, dans cette confusion du spirituel et du temporel qui est devenue l’essence du gouvernement pontifical, et qui a été également désastreuse pour la religion et pour l’ordre civil. De là cette situation où les armes spirituelles deviennent des instrumens politiques et où les moyens administratifs à leur tour vont au secours de la puissance disciplinaire de l’église, où, pour être électeur municipal, il faut une attestation de bonne conduite religieuse, et où les devoirs de piété sont une affaire de police, — où l’infidélité d’un serviteur, en éveillant l’attention du saint-office, peut attirer un châtiment au maître pour quelque infraction aux lois du jeûne, et où il est arrivé qu’on allait faire quelques jours de pénitence dans un couvent pour l’émission d’une pensée douteuse sur un point d’histoire. Cette autorité pontificale, avec sa double nature, peut être livrée à de singulières luttes intérieures. Le prince peut être conduit à une pensée de réforme économique, mais il est arrêté au premier pas par une multitude de privilèges dont le pontife est le gardien, ou par cette tradition d’immobilité que le pape n’est pas libre de secouer. Ce n’est même, dit-on, que par une fiction subtile, par une sorte de transaction périodiquement renouvelée entre le chef spirituel et le prince, que les biens ecclésiastiques sont imposés, par exception, sans que le principe soit engagé. Le souverain politique, dans son intérêt temporel, peut reconnaître la nécessité de coordonner l’administration de la justice, de composer les tribunaux de plusieurs juges, de créer des cours d’appel dans les provinces; mais aussitôt cette organisation est neutralisée et amoindrie par les tribunaux des diocèses, dont la juridiction s’étend à toutes les questions de propriété ecclésiastiques, de bienfaisance, de legs pieux, de conscience, de discipline des mœurs, — que les évêques composent comme ils veulent, d’un ou de plusieurs juges, et qui ne reconnaissent de tribunaux d’appel qu’à Rome, parce qu’ils ne relèvent que du pontife, de sorte que les essais timides ne font qu’ajouter à l’incohérence et la mettre en lumière.

Ce qu’il y a de dangereux dans cette confusion est venu, à un moment suprême et à la veille des plus solennelles épreuves, éclater dans un fait qui eût passé peut-être inaperçu en d’autres temps, et auquel la marche des choses donnait le caractère d’une révélation : c’est cette triste aventure de ce petit Juif de Bologne, enlevé parle saint-office sur la déclaration d’un baptême clandestin donné par une servante qui était elle-même un enfant, envoyé à Rome et désormais soustrait à la puissance paternelle. Il y a vingt ans, un cas semblable se présenta, où l’enfant toutefois était sous la protection de la France; on se sauva par une subtilité, en remettant le petit Juif au chargé d’affaires français, qui prenait l’engagement de le faire élever dans la religion catholique, bien que le cardinal-secrétaire d’état ne pût ignorer que rien n’était plus incompatible avec notre législation. Il y a deux ans, il semblait que tout concourût à rendre plus sensible le choc entre l’inflexibilité de la loi ecclésiastique et les droits les plus simples, les plus naturels de la famille.

J’ai entendu raconter en Italie qu’à cette époque, le représentant d’une des premières puissances de l’Europe s’était rendu au Vatican pour supplier le pape d’arrêter cette affaire, lui montrant le danger du retentissement pour la religion diffamée et calomniée, défendant le droit paternel. Pie IX écoutait ému, les larmes dans les yeux. Il sentait la vérité de tout ce qu’on lui disait, il sentait ce qu’il y avait de douloureux pour la famille, il ne méconnaissait pas le danger du bruit et des commentaires ennemis; mais en même temps il était lié par le devoir du prêtre. L’enfant devenu chrétien ne pouvait être rendu au Juif, et, montrant un crucifix, le saint-père ajoutait avec un accent de sincérité qui désarmait : « Celui-là me le défend! » C’était le résumé saisissant et malheureux de cette confusion venant aboutir aux perplexités touchantes du plus pieux des pontifes, qui trouvait en quelque sorte un piège de plus dans les scrupules d’une conscience pure. C’est à cette situation que répondait le mot de sécularisation; c’était un urgent appel à une distinction salutaire entre les nécessités d’ordre civil et la sphère de l’action religieuse. Rossi, qu’où fait parler quelquefois, disait en effet un mot où passait son âme, justement frappée du rôle éclatant du pontificat : «La papauté est la dernière grandeur vivante de l’Italie! » Il parlait ainsi; mais ce qu’on n’ajoute pas, c’est qu’il y avait un complément à sa pensée : « Le gouvernement temporel. des états pontificaux, reprenait-il, ne peut pas ne pas devenir un gouvernement moderne. » Et lorsque d’un œil hardi et sûr il voyait ces juridictions qui confondaient tout, qui brouillaient tout, cette législation incohérente, composée de droit romain, de droit canon, de motu proprio des papes, de décisions des secrétaires d’état, la justice lente et embarrassée des tribunaux les plus renommés eux-mêmes et les plus dignes de leur renommée, tels que la Rote; lorsqu’il voyait tout cela, il écrivait, avec une conviction aussi ferme qu’attristée : « Hélas ! il faudrait un livre pour indiquer seulement à votre excellence tous les vices de la justice romaine. Qu’elle daigne en croire la connaissance particulière que je dois avoir de ces matières par les études de toute ma vie. Il faut la hache dans ce bois! sans cela, jamais un rayon de vérité et de justice (il n’est pas question ici de politique) ne pourra y pénétrer. » C’est ainsi que la papauté temporelle, en restant un pouvoir d’ancien régime imbu de l’esprit d’église, s’est fait une situation usée, minée de toutes parts, vivant uniquement par la force étrangère, de plus en plus isolée au sein de populations ambitieuses de vie civile et tenues à l’écart de leurs propres affaires, progressivement désaffectionnées. *

Un autre malheur du gouvernement pontifical, c’est qu’en étant déjà en guerre avec l’esprit de progrès civil, et peut-être par la logique d’une invincible solidarité, il s’est trouvé aussi en hostilité avec le sentiment national grandissant en Italie. L’appui de l’ennemi commun a été sa ressource, son piège et sa fatalité : non pas que la papauté, placée au centre du monde catholique et considérant d’un œil égal toutes les puissances, ait eu de parti-pris la pensée de se lier exceptionnellement aux maîtres du nord de l’Italie; la cour de Rome ne se livre à personne, elle n’agit que par des considérations qui lui sont propres, et même, comme elle est d’avis au fond que lorsque des gouvernemens étrangers la soutiennent, ils ne font que leur devoir ou n’agissent que dans leurs intérêts, elle se dispense facilement de toute reconnaissance. Avec une foi en ses destinées qui est son honneur, mais qui ressemble presque à du fatalisme, elle n’accepte les secours humains, de quelque côté qu’ils viennent, que comme des moyens indifférens dont se sert la Providence pour la garantir dans la tempête. C’est l’attitude naturelle de la papauté : elle se sert de la France et de l’Autriche, et ne les sert pas. Il n’est pas moins certain que le poids d’une politique embarrassée a fait pencher la cour de Rome vers l’Autriche à mesure que les élémens d’incandescence se sont développés en Italie au souffle de l’esprit de nationalité et de l’esprit de progrès intérieur. Les armées impériales sont devenues une ressource permanente que l’Autriche, en habile tacticienne, ne pouvait refuser, et qu’elle a quelquefois imposée. Le pape s’est alors effacé sous l’empereur dans les provinces occupées; les chefs impériaux ont été les maîtres omnipotens servilement obéis : situation périlleuse qui a fini par énerver chez les populations le respect des autorités pontificales, et chez ses autorités elles-mêmes le sentiment de la dignité, de la responsabilité et de l’indépendance de leur gouvernement, au point qu’on a vu des légats négocier comme chose naturelle l’incorporation dans l’armée autrichienne de tous les suspects de Bologne, et ils se lamentaient des refus hautains du maréchal Radetzky.

La nécessité pour l’Autriche de faire face aux manifestations croissantes de l’esprit national et la nécessité pour le saint-siège de se prémunir contre les mouvemens intérieurs ont créé cette solidarité, qui, en se dégageant des détails vulgaires, a trouvé son expression dans le concordat de 1855. Jusque-là ce n’étaient que des occupations, des interventions, des anomalies transitoires après tout. Le concordat était la manifestation d’une politique. Le saint-siège ne voyait pas qu’il cédait à l’occasion perfide d’un trop facile succès, qu’il était vraiment trop victorieux dans tout ce qu’il obtenait pour l’église de l’empereur François-Joseph. On sait aujourd’hui ce que le concordat a été en Italie : l’empereur l’a signé, les autorités autrichiennes ne l’ont pas exécuté; on n’en a tenu compte, et lorsque les évêques de la Vénétie demandaient au saint-siège ce qu’ils devaient faire, la cour de Rome était réduite à leur répondre : « Fermez les yeux en considération des avantages qu’il y a lieu d’espérer. » Les résultats n’ont pas été plus heureux en Allemagne, et qui sait même si l’empereur François-Joseph ne sera pas prochainement conduit à demander à Rome la réforme de l’œuvre de 1855? Religieusement, voilà ce qu’a produit le concordat; politiquement, les Italiens y ont vu un acte de complicité avec la domination impériale, une provocation pour le sentiment national, une déclaration d’incompatibilité entre la papauté temporelle et l’existence de l’Italie indépendante. Il n’est pas même jusqu’à ce caractère cosmopolite revendiqué avec trop d’affectation peut-être dans ces derniers temps pour la papauté, qui n’ait été une occasion de guerre, un danger de plus; car si c’est le droit et le devoir du père des fidèles d’être le père pour tous les pays, de proclamer sa neutralité dans les luttes humaines, c’est assurément une chimère de prétendre persuader à trois millions d’Italiens qu’ils doivent rester neutres dans une guerre de nationalité et d’indépendance. En un mot, ce n’est qu’une autre face de cette situation périlleuse et extrême que s’est faite le saint-siège par une politique au moins malheureuse, en multipliant les froissemens pour l’esprit national aussi bien que pour l’esprit de progrès civil.

Ce n’est pas que plus d’une fois la nécessité d’échapper à la fatalité de ces luttes mortelles n’ait été entrevue et démontrée à Rome comme en Europe. L’histoire de ces quarante années est une longue tradition d’efforts, de conseils, d’avertissemens et en quelque sorte de sommations des événemens ou de trêves successives. Il y a eu, j’ose le dire, en Europe, un désir ardent de sauver la royauté temporelle de Rome : il s’est formé tout un parti fait pour rallier les esprits prévoyans et généreux et s’offrant à une papauté rajeunie, — le parti des réformes; mais c’est ici surtout qu’on voit comment, à côté des influences salutaires et quelquefois des velléités des pontifes eux-mêmes, il y a une politique insaisissable, mystérieuse, qui oppose à tout le poids de son immobilité, neutralise tout et survit à tout. C’est au lendemain même de 1815 que cette lutte commence. La cour de Rome se personnifiait alors en deux hommes, le pape Pie VII et le cardinal Consalvi, qui avaient vu face à face trop d’événemens et avaient eu trop à traiter avec les révolutions de ce monde pour ne point sentir la nécessité d’adapter un peu l’administration romaine à un temps nouveau. Les souffrances avaient moins aigri qu’éclairé Pie VII. Consalvi, l’illustre ami de la duchesse de Devonshire et du prince-régent d’Angleterre, était un esprit ferme, actif, libre de préjugés vulgaires. L’un et l’autre se mirent à l’œuvre, et ils firent le motu proprio du 6 juillet 1816, qui renouvelait l’administration, les municipalités, les impôts, la justice criminelle, qui promettait un code civil, mettait des conseils locaux à côté des délégats des provinces, et réduisait les prélats à être moins de petits souverains irresponsables que des fonctionnaires. C’est peut-être l’heure la plus favorable qu’il y ait eu pour le saint-siège dans ce siècle, car alors les concessions étaient libres, spontanées; l’inquiétude dans les populations n’était pas la révolte. Qu’arriva-t-il cependant? Pie VII était à peine mort que l’œuvre à peine essayée disparaissait; Consalvi tombait en disgrâce; la politique romaine devenait une réaction aveugle avec Léon XII, tenace ennemi de toute nouveauté civile, partisan absolu du vieux régime pontifical, et c’est là réellement que la question se noue, dans cette résurrection de tous les abus, dans les obscures et inflexibles compressions du cardinal Rivarola à Bologne. A dater de ce moment, le trouble envahit les Légations.

La révolution de 1830 survient, imprimant au monde un ébranlement qui se fait sentir en Italie. La Romagne se soulève, et n’est Domptée que par l’intervention autrichienne. C’est l’Europe alors qui arrive, qui prend le droit de conseil, et qui trace le plan d’une pacification des États-Romains par le memorandum du 10 mai 1831, résumé des conditions éternellement reproduites : admissibilité des laïques aux fonctions publiques, réorganisation de la justice, conseils locaux électifs, consulte administrative. Le nouveau pape, Grégoire XVI, n’a garde de heurter de front la diplomatie européenne; il la laisse s’agiter, délibérer, rédiger un programme dont le secrétaire d’état, le cardinal Bernetti, se moque parfaitement au fond. La cour de Rome publie même un semblant d’édit. Et puis, — et puis, ce n’est pas moi qui parle, c’est un apologiste de la papauté, l’auteur de l’Eglise romaine en face de la Révolution, qui le dit, « le pape consentit, les garanties furent acquises au peuple... Le peuple restait juge de l’exécution; il l’attend encore très patiemment... » En 1845, nouvelle insurrection dans la Romagne, insurrection éphémère, il est vrai, mais significative, dont il n’est resté qu’un manifeste d’une modération qu’on trouverait étrange aujourd’hui, qui ne mettait nullement en doute la souveraineté temporelle du saint-siège, et un livre de M. d’Azéglio, — les Casi di Romagna, — qui a été une des flammes où s’est allumé le mouvement de 1846. Le règne de Pie IX s’ouvre, on le sait, comme une éclatante aurore. Cette fois du moins, la réconciliation de la papauté temporelle et des populations semble scellée. Bientôt cependant l’indécision d’un gouvernement tiraillé par toutes les influences laisse une issue à la révolution; le progrès de l’esprit révolutionnaire, accéléré par une conflagration universelle, jette le pape hors de Rome, ensanglantée par le meurtre de Rossi, et quand la tempête s’apaise, quand le souverain pontife revient de Gaëte, ramené par une intervention nouvelle de la force étrangère, que reste-t-il? Pas même les réformes librement consenties en 1847; il reste le motu proprio de 1850, mutilé ou restreint dans son application. Le principe de l’élection dans les conseils locaux, si mitigé qu’il soit, est éludé et ajourné indéfiniment. La consulte des finances est réduite à une si étrange nullité, qu’il y a un an à peine le président, le cardinal Savelli, ayant voulu rappeler, sous la forme la plus inoffensive, ce qui manquait au contrôle des comptes et le dangereux développement de certaines dépenses, il était soudainement révoqué, et recevait l’ordre de ne plus se présenter devant le pape. Une fois encore dans cette période nouvelle l’Europe intervient diplomatiquement comme en 1831; elle signale ce qu’il y a d’irrégulier et d’inquiétant dans une situation où tout est contrainte, qui ne repose que sur une double occupation permanente. Un peu pénibles peut-être pour la susceptilité de la cour de Rome, les discussions du congrès de Paris en 1856 n’étaient pas moins un suprême appel au saint-siège, à sa libre initiative, et comme une attestation nouvelle d’un péril que le temps ne fait par malheur qu’envenimer. Je ne parle pas même d’une dernière tentative dont le gouvernement français eut l’idée en 1857, parce que les propositions conçues par lui et communiquées à l’Autriche revinrent de Vienne dans un tel état que les accepter ainsi modifiées, c’était mettre la main à une œuvre inutile, et que transmettre seul les propositions premières à Rome, c’était aller sans doute au-devant d’une défaite.

Ainsi manifestations européennes et agitations intérieures sont suivies du même résultat, et ne font qu’attester une situation progressivement aggravée. Et si M. L’évêque d’Orléans dans son livre sur la Souveraineté pontificale demande aujourd’hui avec étonnement : « Pourquoi y a-t-il donc encore une question romaine? «  c’est son étonnement qui est fait pour inspirer la surprise. Il y a une question romaine, parce qu’elle n’a jamais été résolue, parce que le problème d’une souveraineté politique ne se résout pas par l’appui d’une force étrangère, parce que la restauration de 1849 n’était pas une solution; c’était une trêve. Il y a une question romaine parce que dans les états de l’église il y a toujours une population qui aspire à s’émanciper dans sa vie civile, à se rattacher au faisceau de la nationalité commune. — C’est l’artifice du Piémont révolutionnaire, dit-on; ce n’est pas cependant le Piémont qui soufflait la révolution dans la Romagne en 1831 et en 1845, et le Piémont était en pleine efflorescence d’absolutisme lorsque Rossi écrivait à M. Guizot en 1832 : « J’espère qu’on est bien convaincu que la révolution dans le sens d’une profonde incompatibilité entre le système actuel du gouvernement romain et la population a pénétré jusque dans les entrailles du pays... Qu’on évacue demain, en laissant les choses à peu près comme elles sont, et on le verra après-demain. » Le cardinal Antonelii a pu dire sans doute par nécessité de situation, par représaille d’interprétation diplomatique, que le vrai peuple n’avait eu aucune part dans les derniers mouvemens de la Romagne, que tout était l’œuvre d’une minorité violente forte de l’appui étranger. Au fond, les membres du gouvernement romain parlent bien autrement dans leurs confidences, et il n’y a que peu d’années qu’un légat de Ravenne écrivait, traçant la situation politique et morale du pays : « S’il ne s’agissait de faits permanens défiant toute espèce de doute, on pourrait être taxé d’exagération; mais les intelligences infinies qui s’étendent du patriciat au garçon de la plus obscure boutique, unis, au mépris du gouvernement, par leurs relations, leurs intérêts et leur bourse, la contrebande organisée en vraie puissance armée, les assassinats journaliers du petit nombre de fonctionnaires fidèles, l’esprit croissant de transaction avec les novateurs chez beaucoup d’employés municipaux, et même chez bon nombre de membres du sacerdoce, tout concourt à prouver une corruption politique générale. Ajoutez à ceci l’orgueil des habitans de cette province, qui, s’estimant eux et leur pays plus qu’ils ne sont, ne peuvent supporter d’obéir à ce qu’ils appellent le gouvernement des prêtres, et vous verrez combien il est nécessaire d’aviser promptement à des remèdes efficaces. » Ce qu’il y a de curieux, c’est que, de remèdes, le légat n’en voyait pas; la génération présente était à ses yeux une génération perdue. Et voilà comment il y a toujours une question romaine, que l’expédient temporaire des occupations a pu tenir en suspens sans la résoudre.

Un des faits remarquables de ce travail de séparation croissante entre le gouvernement pontifical et l’Italie, c’est sans nul doute cette guerre semi-religieuse, semi-politique, qui a malheureusement divisé depuis dix ans le Piémont et le saint-siège. Est-il vrai cependant, comme le dit M. l’évêque d’Orléans, qu’il y ait eu de la part du Piémont une combinaison suivie d’ambition astucieuse, une pré- méditation intéressée d’hostilité, — que le cabinet de Turin, en un mot, ait voulu à dessein entretenir ces querelles religieuses pour monter plus aisément à l’assaut des droits temporels du pape? En réalité, ces différends étaient en germe dans la position même que prenait le Piémont en 1848, en se faisant le soldat des instincts nationaux, en restant, même après Novare, le représentant de l’esprit libéral de l’Italie. Il n’y avait point évidemment d’hostilité systématique contre la souveraineté temporelle du saint-siège, ni même contre les autres souverainetés indépendantes de l’Italie, lorsque Gioberti, alors premier ministre de Charles-Albert et mû par un instinct politique qui ne fut pas compris, offrait de détourner momentanément l’armée piémontaise de l’Autriche pour l’employer au rétablissement des princes dépossédés au centre de la péninsule. « Partez promptement de Rome et allez à Gaëte, écrivait-il à un de ses agens; si vous voyez le saint-père, assurez-le que le gouvernement piémontais est fermement résolu à maintenir et à défendre par tous ses efforts la cause de l’ordre et de la monarchie constitutionnelle. Assurez-le que le pape et ses légitimes droits constitutionnels ne peuvent avoir un défenseur plus énergique et plus loyal que nous. Une intervention étrangère quelconque pourrait nuire à la dignité du saint-siège et de la religion en entraînant de grands maux pour l’Italie. L’intervention du Piémont au contraire n’aurait aucun de ces inconvéniens. Offrez donc au saint-père toutes les forces piémontaises... » M. de Falloux a levé récemment un coin du voile en révélant la part qu’il avait eue dans l’éviction du Piémont des affaires de Rome à cette époque. Je ne puis dire qu’un mot, c’est que si la pensée de Gioberti se fût réalisée, bien des difficultés eussent été évitées, même pour la France, qui sait bien comment on entre à Rome, mais qui ne sait pas encore comment on en sort ; d’un autre côté, restaurateur du pape, réorganisateur de l’Italie, contenu par l’instinct d’autonomie qui vivait encore, peut-être le Piémont eût-il été conduit à un rôle très différent.

Quant aux difficultés d’un ordre religieux nées bientôt du mouvement même des choses, je ne voudrais pas me perdre dans les détails. Qu’on se représente seulement le Piémont au moment où il se transformait en état libéral ; le Piémont arrivait à une nouvelle vie politique, hérissé en quelque sorte de juridictions exceptionnelles. Dans l’île de Sardaigne, tous les intérêts étaient paralysés par un système de dîmes ecclésiastiques inégales, confuses, et d’autant plus onéreuses qu’elles étaient livrées souvent à des fermiers. L’organisation religieuse ne laissait pas elle-même d’avoir des côtés par lesquels elle touchait à l’organisation civile, et qui étaient faits pour frapper l’attention. Le Piémont, état de cinq millions d’âmes, sept fois moins grand que la France, avait quarante et un diocèses ; la petite île de Sardaigne seule en comptait douze, et de ces diocèses, un avait six paroisses, un certain nombre ne dépassaient pas trente. Quelques évêques avaient plus de 100,000 francs de revenu, d’autres avaient moins de 10,000 francs. Une partie du clergé était largement dotée, l’autre vivait dans le dénûment ; plus de six cents communautés religieuses existaient en outre avec des propriétés considérables, et quelquefois on ne comptait dans les maisons d’un même ordre que deux ou trois religieux. Il y avait, au dire des autorités les plus respectées, des ordres « d’où l’esprit de vie s’était retiré. » Évidemment le Piémont, en élevant ses institutions par la liberté et en faisant pénétrer l’esprit moderne dans son organisation, ne pouvait éluder la pensée d’accomplir quelques réformes utiles à l’église elle-même. Qu’a-t-il fait cependant ? A. quoi a-t-il touché ? Il n’y a eu rellement que deux mesures législatives sérieuses: l’une abolissant la juridiction ecclésiastique, comme toutes les autres juridictions spéciales qui étaient tombées par la promulgation du statut, — l’autre supprimant un certain nombre de communautés religieuses, affectant leurs propriétés au bien commun de l’église, sous une administration entièrement distincte de l’état, et assurant le sort des religieux appartenant aux ordres supprimés : c’est ce qu’on a nommé la loi des couvens. C’était, dit-on, le devoir du Piémont de s’entendre avec Rome, de ne rien faire sans le concours du saint-siège. J’admettrai bien que, dans ces négociations difficiles, transmises de main en main, le Piémont a pu montrer quelquefois une certaine pétulance; qu’on observe cependant qu’il se trouvait dès l’origine en présence d’une proposition de concordat qui, au prix de certaines réformes à demi acceptées à Rome, lui imposait un affranchissement à peu près complet de l’église vis-à-vis de l’état, et que d’un autre côté, quelque désir qu’il eût de s’accorder avec le saint-siège, il ne pouvait abandonner le droit souverain qu’a la puissance civile de réformer ce qui est du domaine civil.

Il faut être juste, même en étant sévère. M. L’évêque d’Orléans lait peser sur le gouvernement piémontais ces accusations de spoliation de l’église, d’incamération des biens ecclésiastiques, et cependant M. de Cavour s’est prononcé avec une netteté presque imprévue contre des mesures de ce genre et en faveur du principe des propriétés religieuses. « L’incamération des biens ecclésiastiques, disait-il un jour dans le parlement, nous ferait un clergé ou entièrement hostile ou entièrement servile, ce qui serait également funeste à la liberté et à la religion. Je désire que la question soit discutée; alors je pourrai exposer nettement les motifs pour lesquels, tant que je vivrai, et comme ministre et comme député, je resterai fidèle à cette opinion... Je le répète, quelles que soient les conséquences de mes paroles, je combattrai cette mesure aujourd’hui et toujours... » Et de fait la loi des couvens n’a nullement le caractère d’une atteinte au principe de la propriété religieuse. M. L’évêque d’Orléans fait un texte de récriminations d’une loi sur le mariage civil, et cette loi, présentée en effet, n’avait qu’un malheur : elle n’organisait pas sérieusement le mariage civil, elle était retirée, comme l’avoue M. Dupanloup lui-même, et peu avant les derniers événemens M. de Cavour déclarait encore qu’il quitterait le pouvoir plutôt que de présenter de nouveau une loi semblable, car M. de Cavour, s’il faut le dire, n’était nullement persuadé que le Piémont sentît le besoin d’une loi sur le mariage civil. L’auteur de la Souveraineté pontificale parle « d’ordres charitables supprimés, » et ces ordres, aussi bien que ceux qui se consacrent à la prédication, à l’enseignement, et bien d’autres ont précisément été maintenus. Je n’ignore pas que dans le feu de ces luttes religieuses quelques prélats ont été victimes d’un excès d’ardeur, et de ce nombre est l’archevêque de Turin, Mgr Fransoni, Malheureusement on ne peut oublier à Turin ce qui rendit inévitable l’exil de Mgr Fransoni, le refus des sacremens et de la sépulture religieuse fait au comte Santa-Rosa, qui avait coopéré comme ministre à l’abolition des juridictions ecclésiastiques. Il ne suffisait pas que le comte Santa-Rosa déclarât qu’il n’avait pas cru manquer aux lois de la religion, et qu’il désirait mourir, comme il avait vécu, dans la communion catholique, soumettant son jugement à celui de l’église; il fallait qu’il fit publiquement abdication de sa conscience. Pour moi, j’ai entendu d’une bouche aujourd’hui close, elle aussi, le navrant récit des derniers momens de cet homme connu de tous comme un homme de bien, comme un homme religieux, et qui demandait avec angoisse le secours du prêtre. Je ne souhaite pas à M. l’évêque d’Orléans d’avoir jamais à contrister un mourant qui lui demanderait son secours, à le placer entre sa conscience et la forme impérieuse d’une rétractation qui jetterait le déshonneur sur sa vie publique, ou plutôt je sais ce qu’il ferait, et si Mgr Fransoni l’eût fait, il serait à Turin.

On raconte que le roi Victor-Emmanuel revenant de Paris, en 1856, s’arrêta en Savoie, et fut reçu par l’archevêque de Chambéry qui ne put s’abstenir de lui parler des affaires religieuses, et lui dit : « Votre majesté a vu en France le bel exemple de l’union intime des autorités et du clergé, et nous espérons qu’elle saura doter son royaume de ce grand bienfait en mettant un terme aux persécutions dont l’église est l’objet de la part du gouvernement. » M. L’archevêque de Chambéry ne peut qu’être satisfait aujourd’hui, puisqu’il est appelé à jouir de ces bienfaits dont il parlait. Quant au roi Victor-Emmanuel, il a fait en Piémont assurément beaucoup moins que ce qui existe en France, et de tous les princes qui peuvent se laisser aller à persécuter l’église, il est sans contredit le moins fait pour ce rôle. Ce n’est pas un persécuteur violent, ce roi qui, voyant un jour un de ses généraux partir pour la Crimée, en 1855, lui disait avec une bonne humeur mêlée de tristesse : « Vous êtes heureux, vous, général, vous allez combattre des soldats; moi je reste ici aux prises avec quelques moines. » Non, ce n’est pas un nuage d’impiété systématique et d’hostilité savamment calculée qui s’est interposé depuis dix ans entre le Piémont et le saint-siège. Ce qui est plus vrai, c’est que si le Piémont a manqué parfois à quelques procédés, la cour de Rome, à son tour, a ajourné, a élevé des difficultés de négociation; elle n’a pas cru assez à une transformation définitive, à la durée du régime constitutionnel à Turin ; elle avait de la peine à se résigner et a trop attendu un retour possible. Ce qui s’est élevé enfin entre le saint-siège et le Piémont, c’est le concordat autrichien, qui liait le souverain pontife relativement à l’Italie, et rendait désormais à peu près impossible toute transaction avec le gouvernement piémontais.

C’est ainsi que le saint-siège arrivait au moment de la guerre, surpris par les événemens dans des conditions trop visiblement compromises, placé aux yeux de l’Europe dans cette position diminuée que crée toujours une protection indéfinie, en mauvaise intelligence avec le Piémont et l’Italie. Le malheur de cette situation, c’est que la cour de Rome, au fond, ne pouvait qu’incliner de ses vœux vers l’Autriche, et si on le lui eût demandé, le pape, dans sa sincérité, n’eût pas craint peut-être d’avouer ce que bien d’autres autour de lui ne cachaient pas. La victoire de l’Autriche, c’était la prolongation de ce qui existait; la victoire de la France et du Piémont, c’était le commencement de l’inconnu. Aussi suivait-on à Rome les événeniens avec une singulière anxiété, sans se dissimuler ce qu’il y avait de périlleux dans une neutralité bientôt laissée à découvert par l’Autriche elle-même, — et lorsque la paix de Villafranca retentissait en Europe, la première impression était celle d’un grand soulagement. Seulement quelle serait cette paix, qui avait à concilier le principe de non-intervention et l’intégrité des états de l’église, déjà entamée par la séparation de la Romagne accomplie le 12 juin, la nature universelle du pouvoir pontifical et une fédération inspirée de l’idée de nationalité, les traditions politiques du saint-siège et les réformes intérieures dont la nécessité était proclamée? Ici commence une phase diplomatique où les événemens se précipitent à travers les délibérations impuissantes, et qui est comme le résumé précipité de toutes les impossibilités, de toutes les contradictions accumulées dans les États-Romains.

Prendre hardiment conseil des circonstances nouvelles, entrer sans hésitation dans la confédération nationale de l’Italie, accepter résolument cette pensée de réforme intérieure qu’on ne pouvait éluder, c’était là peut-être l’unique condition possible d’une pacification ou d’une transaction, et c’était l’esprit des premières ouvertures faites par la France sous l’impression même de Villafranca. — La France, on le sait, proposait la présidence honoraire de l’Italie confédérée pour le souverain pontife, une administration séparée pour la Romagne, un ensemble de réformes pour tous les états de l’église. C’était au mois d’août 1859. Dès le premier instant, la cour de Rome ne dissimulait nullement l’insurmontable répugnance que lui inspiraient quelques-unes de ces propositions. Elle repoussait d’une manière absolue la pensée d’une administration séparée dans les Romagnes, et le pape ne cachait pas qu’il aimait mieux perdre une partie de ses états par la force des choses, en protestant et en réservant l’avenir, qu’être complice de ce qu’il considérait comme un démembrement déguisé. La confédération italienne n’inspirait pas moins de craintes à la cour de Rome, et la présidence honoraire qui lui était offerte la troublait plus qu’elle ne la flattait. Il faut bien se dire que l’idée d’une fédération n’a jamais été sérieusement admise à Rome que dans le sens très restreint d’une certaine union d’intérêts de commerce et d’industrie. Pie IX et le cardinal Antonelli ne faisaient, au reste que répéter ce qu’ils ont dit plus d’une fois en allant droit au point délicat : « Si la confédération réclamait un jour notre concours pour repousser les Autrichiens, nous ne pourrions le donner. Le pape ne peut faire la guerre que pour défendre sa personne ou le territoire de l’église. » La cour de Rome acceptait plus aisément les réformes intérieures qui lui étaient proposées. Ces réformes elles-mêmes pourtant, elle les acceptait avec une visible méfiance, sans y voir une nécessité réelle, sans croire à un résultat, et au moment décisif, lorsque le motu proprio était déjà préparé, elle s’arrêtait tout à coup et se rejetait dans cette politique d’évasion qui a peut-être été quelquefois la force défensive, mais qui a été plus souvent le piège du gouvernement pontifical.

On a dit, et lord Cowley lui-même a écrit dans une dépêche, que le souverain pontife, en se montrant prêt à accomplir les réformes, avait demandé une garantie de l’intégrité de ses états que la France n’avait pas cru pouvoir lui donner, et qu’alors les négociations avaient été suspendues. En réalité, la France n’avait pu refuser ce qu’on ne lui avait pas demandé ; la cour de Rome n’avait accepté les réformes qu’en se réservant le choix du moment où elle les promulguerait, et ce moment était subordonné à ses yeux à la récupération de la Romagne, qui ne pouvait s’accomplir manifestement que par les armes, c’est-à-dire par l’abandon du principe de non-intervention, au lendemain d’une guerre entreprise pour faire prévaloir ce principe, de sorte qu’on tournait vraiment dans un cercle vicieux. Dans l’esprit de la France, les réformes étaient un moyen puissant de pacification; dans l’esprit du saint-siège, elles étaient le prix de la soumission d’une province rebelle, et dès lors il est clair qu’une négociation n’avait plus d’issue.

A quoi tenait cette politique évasive dans laquelle se réfugiait de plus en plus le gouvernement pontifical? Je ne veux pas dire qu’il n’y eut un certain sentiment de dignité. D’autres raisons aussi malheureusement contribuaient à encourager la cour de Rome à la résistance, en entretenant ses illusions. D’abord le concours de l’Autriche manquait absolument à la France, malgré l’accord que les préliminaires de Villafranca semblaient avoir prévu entre les deux puissances dans les négociations qui devaient s’ouvrir avec le saint-siège. Nul n’ignorait à Rome que le ministre autrichien, M. Bach, restait à peu près indifférent, ou ne sortait de sa réserve que pour pousser le cabinet du Vatican à la résistance. Pas plus que le cardinal Antonelli, il ne croyait à la vertu des réformes, et peut-être même inclinait-il vers cette politique qui consiste à attendre le bien de l’excès du mal. C’était en outre un moment où tout s’agitait à Rome. Pressée entre la France, qui lui demandait des réformes, et l’Autriche, qui l’en dissuadait sans pouvoir lui offrir un secours effectif, la cour romaine cherchait un appui dans d’autres états catholiques; elle attachait de très près à sa cause la Bavière, l’Espagne; elle nouait des intelligences avec les autres princes italiens dépossédés, ou encore en possession du pouvoir. De Naples à Rome, on s’excitait à résister; les rapports étaient si intimes que plus d’une démarche du saint-siège était connue d’avance à Naples. Enfin l’émotion même qu’une crise de cette nature était faite pour éveiller dans le monde catholique, dans l’épiscopat français, prenait une expression qui, en arrivant à Rome, devenait un signe peut-être exagéré des dispositions réelles de l’opinion publique en France.

Et voyant cela, croyant trop aisément que tout conspirait pour lui, le saint-siège attendait. Que résultait-il de ce système de temporisation qui durait depuis plus de trois mois? Le souverain pontife faisait comme les autres princes dépossédés de l’Italie, qui, au lieu d’aller dès le premier instant au-devant de l’opinion, de la désarmer par leurs concessions opportunes, semblaient tergiverser, et pendant ce temps les manifestations se succédaient et prenaient un caractère plus éclatant; l’Italie s’engageait de plus en plus dans son mouvement d’unité, et la scission devenait irréparable pour le pontife comme pour les ducs. Ce qui n’était au mois d’août 1859 qu’une révolution encore incertaine et mal organisée devenait au mois de décembre un gouvernement appuyé sur des assemblées, défendu par une armée, et dès que le principe de non-intervention était maintenu, la diplomatie était assurément impuissante à ramener la Romagne soumise sous l’autorité du saint-siège.

On ne voyait pas à Rome que rien ne répondait mieux peut-être Aux vœux secrets du Piémont, que dans une situation comme celle de l’Italie les impossibilités croissaient d’heure en heure, et que c’était tout perdre que de prétendre ne rien céder, en se réfugiant dans une politique d’ajournement, en laissant s’accomplir, s’organiser et durer une séparation bien autrement grave que n’eût été une administration distincte spontanément accordée à la Romagne. On ne voyait pas de plus que c’était accepter une part de responsabilité dans l’inexécution des plans de Villafranca, uniquement fondés sur la réconciliation des pouvoirs et des populations. Aussi, lorsqu’il devenait trop visible que ces engagemens tombaient d’eux-mêmes, par l’attitude des princes aussi bien que par les manifestations des assemblées de l’Italie centrale en faveur de la réunion au Piémont, ce n’était plus seulement une administration séparée de la Romagne qui répondait à cette j)hase nouvelle, c’était une semi-indépendance sous la forme d’un vicariat exercé par le Piémont. Ce fut, on le sait, la combinaison indiquée par la France, proposée directement au saint-père par le roi Victor-Emmanuel. Quelle était la valeur de cette idée? C’était simplement un moyen de sauver le principe de l’intégrité des droits temporels du saint-siège, en le conciliant avec le vœu des populations, avec une Italie indépendante et pacifiée, et en détournant de nouveaux déchiremens par la garantie du reste des états pontificaux. Et ici je ferai remarquer que cette idée, quelque forme qu’elle affecte, de quelque nom qu’on la nomme, administration séparée ou vicariat, n’avait rien de nouveau. Elle se mêle à l’histoire, elle exprime la nature des rapports qui ont existé longtemps entre la Romagne et le saint-siège; Rossi la reproduisait il y a trente ans, et même lorsqu’il était ambassadeur à Rome en 1846, il n’entrevoyait d’autre solution des embarras du gouvernement pontifical que quelque arrangement qui ferait de la Romagne ce qu’était sous l’empire le royaume d’Italie, dépendant de l’empereur, mais ayant une organisation, des lois, une armée, des administrateurs italiens.

Ce n’était donc pas absolument une nouveauté; le vicariat cependant, on ne peut le nier, était plus que l’administration séparée du mois de juillet, parce que tout avait changé, et ce vicariat tempéré d’annexion ou cette annexion déguisée sous un vicariat affectait d’autant plus péniblement la cour de Rome, que c’était le moment où on avait retrouvé quelque espoir, où on croyait à une certaine possibilité ou à une certaine efficacité d’appui de la part de quelques états, Naples, l’Espagne, la Bavière. Rien ne le prouve mieux qu’une pensée du cardinal Antonelli fort connue à Rome à cette époque. Il ne demandait plus à la France et à l’Autriche une intervention qu’elles ne voulaient ou ne pouvaient accorder; il demandait que tout ce qui était étranger se retirât de la Romagne, que le pape fût laissé seul en face des populations, et qu’il eût le droit de faire appel aux autres puissances catholiques. Le cardinal Antonelli ne remarquait pas qu’il ne changeait guère la question, que la difficulté était d’abord d’expulser de la Romagne tout ce qu’il appelait étranger, et que si, par des raisons diverses, la France et l’Autriche s’abstenaient d’intervenir, ce n’était pas pour livrer les provinces italiennes aux Napolitains, aux Bavarois ou aux Espagnols. En un mot, pour la cour de Rome, tout se résumait dans ce programme : soumission de la province rebelle, rétablissement de l’autorité pontificale; puis on verrait quelles réformes pourraient être réalisées. C’est l’annexion pure et simple de la Romagne au Piémont qui s’accomplissait peu après par une manifestation plus décisive du suffrage populaire, comme pour répondre à l’encyclique du 19 janvier 1860, promulgation de la politique pontificale.

C’est, on le voit, la seconde tentative qui échouait; ce n’est pas la dernière qui devait se briser contre les mêmes obstacles. Lorsque le congrès qui devait se réunir il y a un an n’était plus qu’un souvenir avant d’avoir été une réalité, lorsque les annexions étaient accomplies, en présence d’une situation dont la gravité ne pouvait que s’accroître par l’incertitude, il y eut, dit-on, un effort nouveau. On proposait à Rome la réunion d’une conférence où un protocole eût été signé. La Romagne eût été passée sous silence, mais la garantie offerte déjà au souverain pontife pour le reste de ses états eût pris une valeur efficace ; les puissances catholiques se seraient engagées à fournir des troupes au saint-siège et lui auraient assuré un tribut inscrit sur les grands-livres de la dette publique. La fortune de ces propositions ne fut pas plus heureuse que celle des précédentes. On objectait à Rome, d’après ce qu’ont dit les amis mêmes du saint-siège, que si l’omission du nom de la Romagne impliquait une adhésion quelconque aux événemens accomplis, il n’y avait point lieu à une conférence, et que si ces événemens étaient réprouvés, les puissances devaient constater leur volonté de rendre au souverain pontife les provinces qu’il n’avait plus. À l’offre de contingens militaires on substituait la demande du droit direct d’enrôlement dans les états catholiques, et quant au tribut, la cour de Rome le refusait sous la forme d’une rente inscrite, elle n’acceptait qu’une compensation des anciens droits canoniques perçus sur les bénéfices vacans. Ceci se passait au mois d’avril 1860. On ne pouvait être plus loin de s’entendre, et ces négociations obstinément infructueuses ont laissé aux événemens une liberté dont ils ont largement usé.

D’où procède cette résistance opposée sans cesse par la cour de Rome dans ces phases successives de la crise qu’elle traverse ? Elle n’est que l’expression d’une pensée fixe, invariable et traditionnelle, si bien que ce qu’on dit aujourd’hui, le cardinal Bernetti le disait il y a trente ans, et toutes les fois que l’Europe éclairée, voyant le péril grandir dans les États-Romains, a voulu aider au moins à chercher un remède, elle a rencontré les mêmes réponses. Cette pensée, c’est que le saint-siège est ce qu’il est, et que dans son gouvernement intérieur comme dans son existence territoriale il ne peut renoncer à une parcelle quelconque de son intégrité. Une réforme civile est un démembrement comme la séparation de la Romagne ; une limite est une atteinte à son droit. Il y a mieux, il ne peut y avoir sérieusement une loi dans les États-Romains ; c’est le pontife qui est la loi vivante, le pontife nécessairement complété par beaucoup d’autres autorités, et c’est ce qui explique comment ce que le saint-siège a paru quelquefois accorder en principe est si souvent annulé dans la pratique. Je n’ajouterai qu’un mot : c’est que de cette politique, qui n’est qu’une fidélité exagérée et désastreuse à des traditions qui n’ont rien d’obligatoire religieusement, il résulte cette situation étrange où les deux opinions les plus extrêmes se rencontrent merveilleusement. — La puissance pontificale est absolue et indivisible dans sa double essence, disent les uns ; ce que vous nous demandez quand vous nous parlez de réformes est une diminution de cette puissance ; nous n’avons pas le droit d’y consentir. Nous pouvons essayer, si vous nous pressez trop ; mais il n’en résultera rien de bon. Ce que nous pouvons accorder à l’esprit moderne ne lui suffira pas, et ce qu’il nous demande est incompatible avec les droits sacrés du pontificat. — En effet, disent les autres, le pape ne peut accorder ce qu’on lui demande sans abdiquer; la papauté temporelle est incompatible avec toutes les conditions de la civilisation moderne, et voilà pourquoi il faut la supprimer. — C’est entre ces deux opinions que se trouvent serrés ceux qui croient à la possibilité, à l’efficacité d’un système de réformes, qui pensent que dans la civilisation moderne il n’y a rien d’incompatible avec la papauté. Et pendant ce temps ce qui n’était la veille qu’une affaire de réformes devient un démembrement partiel le lendemain; ce qui n’était qu’un démembrement partiel devient une dépossession presque totale, — qui ne laisse intact que. Le vieux patrimoine de saint Pierre, grâce encore à la protection de nos armes. N’est-ce point l’histoire de la papauté contemporaine?

Lutte étrange et émouvante, que le caractère même du pontife en qui elle se personnifie rend peut-être plus émouvante encore. On a cru quelquefois tout expliquer en attribuant au cardinal Antonelli la politique suivie par la cour de Rome depuis quelques années. Souple, intelligent et habile, le cardinal Antonelli représente certainement cette politique et la soutient avec sang-froid; mais c’est une illusion de croire qu’il est tout et qu’il fait tout. Il eut disparu quand on l’a demandé peut-être, rien n’eût été changé. Au fond, la résistance vient de toute une politique et du pape lui-même, de Pie IX, — non par une obstination vulgaire, mais par ce qu’il considère comme le devoir du pontife. Ce n’est pas manquer de respect au caractère sacré du saint-père de dire qu’il représente merveilleusement un de ces princes sur la tête desquels viennent se résoudre ces luttes qu’ils n’ont pas provoquées, dont ils sont innocens, et qu’ils aggravent peut-être quelquefois par la consciencieuse ingénuité qu’ils portent dans des situations exceptionnelles. Ami du bien, désireux d’améliorations sans nul doute, mais lié par le devoir du prêtre, tel qu’il l’a reçu et tel qu’il se croit tenu de le transmettre, il porte en lui toutes les agitations, toutes les anxiétés, tous les combats qui naissent de cette double condition : prompt au découragement comme à la confiance, facilement accessible à l’émotion, et prêt à accepter toutes les épreuves. Ce n’est pas avec son esprit qu’il voit ce qu’il doit faire, c’est avec son âme pieuse et pure, et les crises mêmes de sa vie ont développé en lui une ardeur religieuse qui va aisément jusqu’au mysticisme, une susceptibilité intérieure toujours portée à s’alarmer. C’est par une obligation de pontificat qu’il s’est engagé dans la lutte, et il la soutient avec l’honnête ardeur d’une nature faite pour la méditation et la prière plus que pour l’action, — d’une nature qui se repent de la popularité qu’elle a aimée par une résistance dont elle souffre elle-même. — Mais 1846! direz-vous; Pie IX n’arrivait-il pas au trône les mains pleines de réformes et de promesses? — Tout souriait en effet à ce règne; seulement il y eut à cette époque, au sein de l’illusion universelle, un singulier malentendu qui ne s’est dissipé que dans les désastres. Ce que l’opinion voyait, c’était un pape libéral, réformateur, régénérateur de la nationalité italienne, et Pie IX lui-même ne croyait-il pas naïvement être ce pape? Au fond, c’était un prêtre religieux et sincère, qui voulait le bien, mais dans la limite de son caractère de prêtre, sans songer à aller au-delà de ce que la tradition du pontificat lui permettait, et c’est peut-être parce qu’il a été sans le savoir le promoteur de ce mouvement d’autrefois qu’il se croit aujourd’hui dans une obligation plus étroite d’opposer à tout les scrupules d’une âme sévère avec elle-même, — représentant aux deux bouts de sa vie les complications, les impossibilités d’une situation dont il est à la fois l’image vivante et la victime.

Le tout est de savoir aujourd’hui ce qu’il y a dans cette situation qui domine Pie IX plus que Pie IX ne la domine, et qui est réellement la crise de la papauté. Quand je vois toutes ces interprétations des événemens qui se succèdent, ces luttes, ces polémiques ardentes suscitées autour des périls du saint-siège, je me demande où est le moyen, le palliatif, l’expédient découvert par ceux qui accusent l’Italie, la France, l’Europe des malheurs de la politique romaine, ce qu’on aurait pu faire pour détourner ces malheurs, et ce qu’on pourrait faire pour les réparer. Rien n’est plus simple, diront ceux qui tranchent souverainement; il n’y a qu’un moyen : avant les démembremens, il fallait les empêcher; après qu’ils sont accomplis, il faut les réparer. C’est le devoir de l’Europe d’aller au secours du droit qu’elle laisse opprimer; c’est le devoir du monde catholique de défendre, de rétablir le saint-siège dans l’intégrité de sa puissance temporelle. Soit, rien n’est plus facile en effet! Les armées européennes reprendront le chemin de Bologne et iront camper à Ancône; elles l’ont fait il y a trente ans, elles l’ont fait en 1849, elles le feront encore. Et puis il ne suffira pas de restaurer l’autorité pontificale dans ces provinces; il faudra l’y soutenir, renouer cette série ininterrompue d’interventions et d’occupations permanentes, contenir des populations dont on a reconnu les griefs en leur imposant un gouvernement dont on est loin d’approuver la politique. Et puis enfin on sera arrivé à cette conséquence étrange et assez imprévue de créer au sein de l’Europe un pouvoir exceptionnel, pour qui la loi des choses humaines semble suspendue en quelque sorte, libre de décliner les conseils, de suivre le système qu’il voudra, irresponsable parce qu’il sera soutenu contre les dangers de sa politique! Me voit-on pas ce qu’il y a de périlleux à mettre un intérêt catholique dans l’existence d’un état de trois millions d’hommes mécontens, froissés dans leur vie civile et comprimés par raison d’état religieuse et européenne? C’est justement la situation que Machiavel peignait de son temps avec ironie quand il disait : « Les principats ecclésiastiques sont les plus sûrs et les plus heureux; ceux-ci ont des états et ne les défendent pas, ils ont des sujets et ne les gouvernent pas, et les états, pour n’être pas défendus, ne leur sont pas enlevés, et les sujets, pour n’être pas gouvernés, ne s’en soucient et n’y pensent et ne peuvent être aliénés... » Qu’on me permette de le dire, ce n’est point ici une question religieuse. Dans l’ordre des croyances catholiques, Dieu a fait la puissance religieuse du souverain pontife, la politique a fait le pouvoir temporel des papes; mais ni la religion, régulatrice des âmes et des croyances, ni la politique, régulatrice des destinées humaines, n’ont assuré un privilège d’inviolabilité et d’immutabilité à une forme de gouvernement, à un système. Et là est cependant la question : elle est dans cette confusion d’idées sur laquelle repose depuis si longtemps l’existence des États-Romains, et qui a mis en péril l’indépendance temporelle du saint-siège pour faire vivre une politique.

La vérité est que la cour de Rome s’est trompée et a peut-être été trompée sur le temps où elle vivait, sur les conditions mêmes dans lesquelles elle peut gouverner les âmes, sur le degré d’appui qu’elle pouvait rencontrer. Elle a cru trop aisément qu’elle pouvait opposer à tout cette politique de patience, d’immobilité et d’évasion par laquelle d’autres fois elle a triomphé de tant d’obstacles et survécu à tant d’épreuves. Elle aurait eu raison d’une violence d’ambition, d’une irruption révolutionnaire qui l’eût un moment submergée : elle n’a pas vu qu’il y avait un bien autre danger à opposer sans cesse l’invariable impassibilité du non possumus à des désirs d’émancipation civile et nationale qui, eux aussi, étaient légitimes après tout. Lorsque le pape Pie VII était brusquement assailli à Rome, enlevé, emprisonné, traîné de Savone à Fontainebleau, il n’était pas seulement le pape violenté : il était dans ses humiliations comme l’image visible et touchante de beaucoup d’autres droits qui souffraient en Europe, et cette épreuve fortifiait la papauté même plus qu’elle ne l’affaiblissait. Il n’en est plus ainsi lors- que, devant le pontife et autour de lui, c’est une nationalité qui se relève, qui cherche à s’organiser. Alors le droit historique, traditionnel, régulier du prince des États-Romains est balancé par cet autre droit vivant et tout-puissant de l’Italie. La cour de Rome ne s’est pas moins trompée sur la nature de l’appui qu’elle. devait trouver en France. L’émotion, la sympathie, l’intérêt ardent et profond sont pour le chef de la religion, pour la situation douloureuse de Pie IX, non pour la politique romaine. La raison en est bien simple, c’est que ce qui se passe à Rome n’est que le dernier mot d’un mouvement qui a envahi la France depuis plus d’un demi-siècle, et qui l’a transformée. Cette séparation de la puissance spirituelle et de la puissance temporelle, qui est le caractère des événemens actuels, elle existe pour nous, elle est notre loi, et de plus c’est par cette séparation même que la paix s’est rétablie entre la société civile et l’église; c’est sous l’influence de cette séparation que les idées religieuses ont retrouvé par degrés, depuis le commencement de ce siècle, un ascendant croissant, et elle n’est même peut-être pas étrangère à la spontanéité, à la vivacité des manifestations qui ont pu se produire en faveur de la papauté. Et voilà pourquoi les interventions de la France sont nécessairement limitées à ce qui intéresse l’indépendance réelle du saint-siège, le prestige moral de sa situation, sans pouvoir devenir une arme contre les aspirations civiles et nationales de l’Italie.

Certes rien n’est plus saisissant et plus instructif que le spectacle de ce mouvement où toutes les politiques, toutes les puissances morales, toutes les passions sont aux prises, dont l’Italie est le centre enflammé, et qui reste encore une énigme tenant l’Europe dans une attente inquiète... Qu’arrivera-t-il de cette situation faite à la papauté et à l’Italie? Dans cette multitude de péripéties qui remplissent ces deux années et qui se déroulent à travers la péninsule, il y a un fait supérieur et distinct : c’est qu’à plus d’un moment le saint-siège aurait pu échapper aux extrémités qui sont venues successivement l’assaillir. Je ne parle plus même du temps où la papauté, en accomplissant spontanément des réformes, aurait pu conserver l’intégrité de ses possessions et vivre en paix avec l’Italie marchant vers un affranchissement légitime; mais, lorsque la Romagne était déjà à demi détachée, la cour de Rome aurait pu sauver son existence temporelle en acceptant cette combinaison d’une administration séparée qui n’avait rien d’inconciliable avec l’autorité pontificale, et qui engageait moralement la France dans une expérience proposée par elle. Le vicariat des Légations conféré au Piémont avait un caractère plus grave sans doute; mais c’était un moyen d’arrêter les événemens, de lier le Piémont lui-même, qui contractait l’obligation de reconnaître la souveraineté politique du saint-siège, de défendre son indépendance, même par les armes, et de payer un tribut à la cour de Rome. Enfin, lorsque l’annexion de la Romagne au Piémont était définitivement et absolument accomplie, les propositions du mois d’avril dernier, sans impliquer une sanction des faits réalisés, préservaient du moins le reste des états pontificaux, et assuraient au saint-siège l’appui régulier, permanent, des puissances catholiques. Ce n’était pas une solution, observera-t-on. Ce n’était pas une solution en effet, pas plus que la double occupation de Rome et de Bologne par la France et par l’Autriche n’était une solution; mais c’était une combinaison préservatrice, destinée à détourner le péril ou à le limiter, et qu’on le remarque, à l’insuccès de chacune de ces tentatives correspond un pas nouveau vers la catastrophe.

C’est là qu’on en est venu. Aujourd’hui il y a évidemment en Italie des choses qui sont tombées lorsqu’elles auraient pu vivre, et qui, une fois tombées ne se relèveront pas ; il y a ce qui est du domaine de l’irréparable. L’Autriche reprendrait son ascendant par la puissance des armes, retrouverait sa domination tout entière et relèverait les souverainetés d’hier, que rien ne serait changé au fond. Tous ces membres palpitans de l’Italie chercheraient encore à se rejoindre; l’ère des conspirations et des agitations mystérieuses recommencerait, jusqu’à l’heure où se réveillerait plus invincible le mouvement qui depuis trente ans, à chaque explosion, est allé en croissant. Mais en même temps, au moment où nous sommes, les Italiens ne peuvent méconnaître qu’ils sont en face d’un problème d’où dépend peut-être l’issue de cette révolution à travers laquelle surgit une nationalité; ils ne peuvent oublier qu’il y a un point où ce qu’il y a de national dans le mouvement qui s’accomplit vient se heurter contre un intérêt puissant de religion, contre une juste inquiétude des consciences, — qu’il y a une question dont ils ne disposent pas seuls, qui appartient à l’univers catholique : c’est cette question que la France garde à Rome et dont elle sauvegarde le caractère universel. Les Italiens ne peuvent oublier que la papauté, elle aussi, est une grandeur pour l’Italie, et s’ils veulent voir cesser l’occupation de Rome, ils n’ont qu’un moyen : c’est de faire que la France n’ait plus rien à garder, de mettre hors de péril ce qu’il y a d’universel dans ce redoutable problème en assurant l’indépendance réelle du saint-siège vis-à-vis du monde catholique. Je n’ignore pas que les transactions ne sont point devenues faciles, surtout dans ces derniers temps, et cependant, s’il y a une solution, elle n’est que là, dans un effort suprême pour faire vivre ensemble deux choses qui répondent à des sympathies ou à des intérêts divers de l’Europe et du monde; car la papauté temporelle reviendrait aujourd’hui à Bologne et à Ancône, elle n’y régnerait plus que par la force jusqu’à une explosion prochaine, et d’un autre côté, par une rupture définitive avec la papauté, la cause italienne ne gagnerait rien : elle imposerait une souffrance de plus aux consciences religieuses, et elle perdrait un prestige en gardant peut-être une garantie d’avenir de moins.


CHARLES DE MAZADE.