L’Italie libérée - Lettres au prince Napoléon/04

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L’Italie libérée - Lettres au prince Napoléon
Revue des Deux Mondes7e période, tome 14 (p. 365-390).
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L’ITALIE LIBÉRÉE
(1857-1862)

LETTRES ET DÉPÊCHES

DU ROI VICTOR EMMANUEL II
ET DU COMTE DE CAVOUR

AU PRINCE NAPOLÉON

IV [1]
DE LA PAIX DE VILLAFRANCA
À LA MORT DU COMTE DE CAVOUR

L’irritation que M. de Cavour avait montrée sur la nouvelle des préliminaires de Villafranca avait été si forte que, dès le 13 juillet, il avait abandonné le ministère où il avait été remplacé par Urbain Rattazzi. Il n’en avait pas moins gardé la direction occulte des affaires : il avait institué les gouvernements provisoires de Florence, de Modène et de Bologne qui, du 16 au 20 août, provoquaient des plébiscites pour l’annexion au Royaume de Sardaigne. Les traités de Zurich, destinés dans la pensée de l’Empereur à consolider les préliminaires de Villafranca, n’arrêtèrent point le mouvement. Cette marche vers l’unité comportant de tels avantages pour le Piémont devait, par réciprocité, rapporter à la France les anciennes provinces qui en avaient été détachées en 1815 et dont la rétrocession avait été convenue à Plombières. Il convient de suivre ici les événements qui se sont déroulés, après la fin de décembre 1859 et depuis le retour aux affaires du comte de Cavour, mais l’on ne saurait penser à raconter les événements qui se sont produits durant ces deux années ; quelques dates suffiront à rappeler au lecteur la politique des Puissances et leur marche parallèle.

Publication de la brochure : le Pape et le Congrès (décembre 1859)

Encyclique du Pape (19 janvier 1860).

Rentrée de M. de Cavour aux affaires (20 janvier).

Sa déclaration au sujet du Parlement italien (27 janvier).

Déclaration de l’Empereur au sujet des annexions (3 février).

Plébiscité portant réunion au Royaume de Sardaigne, de la Toscane, de l’Émilie et des Légations (15-20 mars).

Traité de Turin (France-Italie) (24 mars) et plébiscite consacrant la réunion à la France de la Savoie et du Comté de Nice (15-22 avril).

Agitation en Sicile (5 avril).

Expédition de Garibaldi en Sicile (5 et 6 mai). Prise de Palerme (juin). Garibaldi passe le détroit. Son entrée à Naples (7 septembre).

Le Gouvernement pontifical sommé de dissoudre l’armée commandée par le général de Lamoricière (7 septembre).

Le général Cialdini entre en Ombrie.

Combat de Castelfidardo (18 septembre).

Le général de Lamoricière, bloqué dans Ancône, obligé de se rendre (25 septembre).

Plébiscite d’annexion à la Sardaigne du Royaume de Naples et des Marches (21 octobre).

Entrevue de Varsovie (22-26 octobre). L’Autriche renonce à une guerre de revanche immédiate.

L’Empereur Napoléon III retire la flotte française de devant Gaëte (19 janvier 1861).

Ouverture du Premier Parlement italien (18 février).

Mort du comte de Cavour (6 juin).


Le roi Victor-Emmanuel au prince Napoléon.


Paris, le 26 décembre 1859,

Mon cher beau-fils,

Avant tout, je te remercie de tes lettres et des souhaits que tu veux bien me faire pour le 60. Sois sûr que de ma part j’en fais tout autant bien de cœur pour toi et pour la chère Clotilde laquelle me rend heureux en se faisant aimer par toi. Maintenant, je veux te donner un peu de perruque que tu le mérites. Est-il possible que tu puisses croire que mes sentiments envers toi aient varié ; à cette heure, tu devrais savoir que je ne change pas si facilement d’idées ; je ne sais si tu veux faire allusion à Villafranca, j’ai désiré l’armistice, je n’ai pas aimé cette paix, mais tout cela n’a rien à faire avec mes relations de famille. Tu rends heureuse ma fille, et moi en suis content, et t’en suis beaucoup reconnaissant.

Je suis bien heureux d’apprendre par toi, que le Roi, ton père, est mieux en santé ; sa maladie m’avait vivement affecté. Je n’oublierai jamais la tendre amitié qu’il me démontra lors de mon séjour à Paris. Je te remercie de ce que tu me dis par rapport aux journalistes ; j’espère qu’à cette heure la chose sera arrangée, mais s’il n’en est pas ainsi, écris-moi franchement ton projet, ou ta manière de parler ; tu vois les choses bien plus près que nous, et je te serai reconnaissant si tu veux bien m’aider en cela. Je te prie aussi de savoir me dire comment le Nord a écrit cet article si bête sur le comte de Cavour, et ma personne voilée. A propos du comte, je l’envoie, quoique je ne puisse savoir bien positivement la manière de penser de l’Empereur. Jamais de ma part, il n’y a eu de difficultés pour le charger de cette grave mission, quoique personnellement il aurait agi bien mal avec moi, avant Villafranca et après ; mais je désirais connaître le terrain sur lequel il devait travailler. Je sais à peu près quel sera le drame final du Congrès : le Comte sera coulé à fond à cause de ses antécédents, et à cause de ses haines présentes ; bien d’autres circonstances sont peu favorables pour nous, mais moi sans crainte, je marcherai toujours en avant, la tête haute sur la voie de l’honneur ; advienne que pourra, ce ne m’en fait rien. Si l’Empereur ne me refuse pas son amitié et son alliance, tant mieux ; s’il juge autrement, j’en suis bien peiné, mais cela ne me retiendra pas d’accomplir mon devoir. Je suis fâché que Désembrois ait agi ainsi. Avant tout, sois sûr que personne ne lui avait dicté cette conduite que je désapprouve, mais je comprends à peu près d’où cela vient. C’est un vieux magistrat assez sauvage de sa nature et habitué aux anciennes cérémonies de la Cour de Turin, où des bêtises de ce genre faisaient quasi des délits. Pardonne-lui, il ne le fera plus, il n’est pas grand parleur, mais il n’est pas bête.

Fais-moi le plaisir d’embrasser ma fille de ma part, et souhaite-lui de ma part de continuer à se régler comme elle fait et qu’elle fasse tous ses efforts pour contenter sa famille. Toi, très cher beau-fils, tâche de chasser de ta tête tes mauvaises idées, car tu te trompes complètement et si quelque personne souffle du mal, envoie-le au diable. Je te renouvelle tous mes souhaits, à toi et à Clotilde ; que Dieu vous bénisse.

Ton très affectionné beau-père.

VICTOR-EMMANUEL.


Turin, 25 janvier 1860.

Monseigneur,

Rappelé par la bonté du Roi à la direction des affaires de mon pays, je sens le besoin d’invoquer comme par le passé la bienveillance et l’appui de Votre Altesse Impériale. Ses sentiments pour l’Italie sont toujours les mêmes, je le sais, c’est ce qui me fait espérer que ceux dont elle m’a si longtemps honoré, ne sont pas altérés. L’Italie a plus que jamais besoin de l’appui de la France ; près du but de bien des efforts, elle ne saurait l’atteindre, si l’Empereur, la prenant par la main, ne l’aidait à surmonter les obstacles qui l’en séparent encore.

Depuis ma dernière entrevue avec Votre Altesse, que de grands événements ! Combien les germes contenus dans le traité de Villafranca se sont développés d’une manière merveilleuse ! La campagne politique et diplomatique qui l’a suivi a été aussi glorieuse pour l’Empereur, plus avantageuse pour l’Italie, que la campagne militaire qui l’a précédé. La conduite de l’Empereur envers Rome, sa réponse à l’archevêque de Bordeaux, son immortelle brochure, la lettre au Pape, sont, à mes yeux, des titres à la reconnaissance des Italiens, plus grands que les victoires de Magenta et de Solférino elles-mêmes. Que de fois, en relisant dans ma solitude ces pièces historiques, je me suis écrié : Bénie soit la paix de Villefranche ! Sans elle, la question romaine, de toutes la plus importante, non seulement pour l’Italie, mais pour la France et l’Europe, n’aurait pu recevoir une solution complète, sanctionnée sans réserve par l’opinion publique. En portant un coup mortel, non à la religion, mais aux principes ultramontains qui la dénaturent, l’Empereur a rendu à la société moderne le plus grand service qu’il fût possible de lui rendre. Il a acquis par Ià le droit d’être rangé parmi les plus grands bienfaiteurs de l’humanité.

Votre Altesse Impériale, qui a été témoin des douleurs que la cause de l’Italie m’a fait éprouver, me pardonnera si je lui exprime avec chaleur les sentiments bien différents que j’ai éprouvés depuis lors. J’aurais désiré le faire de vive voix. Je l’avais espéré, mais, craignant maintenant que la course que j’avais l’intention de faire à Paris ne puisse se réaliser, je n’ai pu résister au désir de les lui témoigner par écrit.

Je prie Votre Altesse Impériale de vouloir bien agréer l’hommage de mon profond respect et entier dévouement.

C. CAVOUR.


Turin, 4 février 1860.

Monseigneur,

Je remercie Votre Altesse Impériale de la lettre qu’elle m’a envoyée par Farini. J’y ai retrouvé, avec bonheur, la preuve que les événements de l’année dernière n’avaient pas altéré l’extrême bienveillance dont Votre Altesse m’honore depuis longtemps, ni affaibli sa noble et généreuse sympathie pour l’Italie.

Je suis convaincu, autant que Votre Altesse, de la nécessité d’un accord parfait entre la France et la Sardaigne. Aussi, appelé inopinément à former un ministère au moment où je me préparais à partir pour Paris, j’ai persisté dans mes projets de voyage, malgré les conséquences fâcheuses pour la politique intérieure que mon absence pouvait avoir. Un avis venant de la source la plus élevée, et se fondant sur des motifs dont il était impossible de méconnaître la gravité, m’a fait renoncer à mes idées de voyage. J’ai cherché immédiatement un autre moyen de communication intime. Non que je n’aie dans la largeur et la capacité de M. Desambrois la plus entière confiance, mais parce que sa nature, taciturne et excessivement réservée, le rend peu propre aux négociations qui doivent avoir lieu à Paris. D’après ce que M. de Talleyrand me dit au nom de M. Thouvenel, je jugeai que l’envoi à Paris de M. Nigra pourrait avoir des inconvénients. Je pensai alors au comte Arèse. Ce choix ayant été agréé, je le priai de se rendre sur-le-champ à son poste. Il serait déjà parti, si une légère maladie ne l’eût retenu, et ne le retint aujourd’hui encore dans son lit. Il espère toutefois pouvoir se mettre en route demain ou après-demain au plus tard. Je prendrai la liberté de remettre au comte Arèse une lettre pour Votre Altesse. Mais je la prie dès à présent de vouloir bien l’accueillir avec la bonté qu’elle témoigne à tous ceux qui viennent, auprès d’elle, plaider la cause de l’Italie.

J’ose affirmer à Votre Altesse qu’elle porte à mon égard un jugement trop sévère par rapport à la question de la Savoie et de Nice. Les explications que le comte Arèse lui donnera la convaincront, je pense, de ma parfaite loyauté.

Cette question n’avait jamais été traitée d’une manière sérieuse avec mes prédécesseurs ; du moins, ils le prétendent. Il en est résulté qu’à mon arrivée au pouvoir, je l’ai trouvée un peu compromise. Il n’eût été ni prudent, ni habile, de modifier brusquement ce qui avait été fait avant moi. D’ailleurs, une grande réserve me paraissait conforme aux instructions de M. de Talleyrand. Maintenant que le terrain est préparé, je suis prêt à agir d’une manière ouverte et décidée. Arèse a pour mission de concerter la marche à suivre à cet égard.

J’oubliais d’observer à Votre Altesse que la mission d’Arèse rend impossible l’envoi de Nigra. Si celui-ci partait aujourd’hui, Arèse certes ne se mettrait pas en route demain.

Je prie Votre Altesse Impériale de vouloir bien agréer l’hommage de mon profond et respectueux dévouement.


9 février 1860.

Monseigneur,

M. de Talleyrand m’ayant assuré que le Gouvernement français ne verrait pas de mauvais œil que la Légation du Roi à Paris fût gérée temporairement par un simple chargé d’affaires, pourvu que ce poste fût confié à Nigra, je me suis empressé de suivre le conseil que Votre Altesse Impériale a bien voulu me donner, et j’ai fait partir Nigra sur-le-champ.

A cette heure, Nigra aura eu certainement l’honneur de causer avec Votre Altesse. Le comte Arèse, qui lui remettra cette lettre, complétera l’exposé des faits que Votre Altesse pourrait désirer de connaître pour bien juger l’état du pays, et le point où la question italienne en est arrivée.

J’espère que Votre Altesse voudra bien prêter son appui soit à notre agent officiel, soit à notre agent officieux, qui ont pour instruction de faire tout ce qu’il est possible, pour marcher dans un parfait accord avec l’Empereur et son habile ministre des Affaires étrangères.

Je saisis avec empressement cette circonstance pour renouveler à Votre Altesse Impériale l’assurance de mon profond respect et parfait dévouement.

C. CAVOUR.

(Dépêche télégraphique.)


Turin, 24 juin 1860, 10 heures 35.


A Son Altesse Impériale le prince Napoléon-Jérôme et à Son Altesse Madame la princesse Clotilde Napoléon.

J’arrive de Racconis, j’apprends la triste nouvelle [2] , je m’associe de tout mon cœur à tous vos chagrins.

VICTOR-EMMANUEL.


Turin, 25 juin 1860.

Monseigneur,

Je ne saurais résister au besoin d’exprimer à Votre Altesse Impériale la respectueuse et profonde sympathie que j’éprouve pour le coup terrible dont elle vient d’être atteinte. Connaissant l’affection que Votre Altesse portait à son digne père, je puis apprécier toute l’étendue de sa douleur. Qu’elle me permette de m’y associer au nom de la bienveillance dont elle m’a toujours honoré, et du souvenir des bontés dont le roi Jérôme m’a comblé.

La perte que Votre Altesse vient de faire sera sentie dans toute l’Italie ; car le roi Jérôme était, avec Votre Altesse, les meilleurs amis que nous eussions en France. Maintenant Votre Altesse est obligée de nous aimer pour deux. J’ose compter sur ce redoublement de bienveillance pour la cause de mon pays, et je prie Votre Altesse de compter, à son tour, sur le respectueux et profond dévouement avec lequel je suis

De Votre Altesse Impériale

le très humble et très obéissant serviteur,

C. CAVOUR.


Reçu à Paris, le 27 juin 1860.

Mon cher beau-fils,

La nouvelle bien triste que tu m’as envoyée hier soir me fit bien de la peine pour moi, pour toi, et pour Clotilde qui, je suis sûr, aura bien souffert de ce malheur à nous tous. J’aimais bien ton père ; en toutes occasions, il m’avait constamment donné tant de preuves d’affection, même de tendresse, et notre cause italienne perd un de ses plus zélés et puissants défenseurs.

Dis à Clotilde que je prends bien part à ses peines, et que je l’embrasse tant et que je ne lui écris pas, parce que je t’écris à toi, et que j’ai tant à faire. — Cher beau-fils, ne m’oublie pas et ne nous oublie pas. Ce pays devient bien fort, son armée bien énergique et prête à tout, et moi, sans crainte et tête levée, je marche par une route assez difficile, mais qui, j’espère, sera glorieuse.

Adieu, je t’embrasse, toi et ma fille, de tout mon cœur. Sois l’interprète auprès de ta sœur [3], en cette occasion bien douloureuse, de mes sentiments.

Adieu.

Ton très affectionné beau-père

VICTOR-EMMANUEL.


Turin, 15 octobre 1860.

Monseigneur,

J’ai été bien heureux d’apprendre le retour de Votre Altesse à Paris ; lorsqu’elle est absente, notre principal appui nous manque, et notre politique va un peu de travers.

Il est possible que nous ayons commis des fautes d’exécution. Mais le plan que nous avons adopté et suivi, est celui que Votre Altesse nous a conseillé ; c’est le seul bon ; c’est le seul qui, en nous préservant des dangers du principe révolutionnaire, puisse amener une solution convenable de la question italienne. Lorsque l’Europe l’examinera sans passion, elle verra que nous avons agi autant dans l’intérêt de l’ordre, que dans l’intérêt de la liberté. En attendant ce moment, nous aurons bien des difficultés à vaincre.

L’attitude que la France a prise à Rome est fâcheuse. Elle excite le mécontentement des Italiens, et les méfiances des Anglais. Cependant, je reconnais que l’Empereur devait augmenter son armée de Rome, et occuper les positions stratégiques qui assurent la défense de cette ville. Mais pourquoi pousser jusqu’à Viterbe ? Les députés de cette ville qui auront l’honneur de présenter à Votre Altesse cette lettre, lui exposeront les tristes conséquences de l’occupation. Si c’est un fait sans remède, pour l’amour du ciel, qu’on ne le pousse pas plus loin. Le général de Goyon parle d’aller jusqu’à Orvieto qui est presque en Toscane ! J’espère que l’Empereur ne lui passera pas cette velléité. Gramont et lui sont furieux contre nous. Ils ne s’en cachent pas. Ils cherchent tous les moyens pour amener un conflit ; ils n’y réussiront pas, car nous reculerons toujours devant les Français, mais il résultera de leur conduite, qu’on doutera des bonnes intentions de la France en Italie, qu’en Angleterre, on s’imaginera qu’on médite quelque chose sur Naples, sans que, d’un autre côté, le Pape et l’Autriche se réconcilient avec le vainqueur de Solférino.

Mais ce qui nous inquiète le plus pour le moment, c’est Varsovie. Je pense qu’il ne serait pas impossible que l’Autriche obtînt le consentement de la Russie et de la Prusse pour tenter un coup d’Etat en Italie. Le moment serait mal choisi pour nous, car une portion de notre armée se trouverait éloignée du théâtre de la guerre. Toutefois, nous serions en mesure de nous défendre, surtout si nous étions prévenus à temps. Malheureusement, je n’ai aucun moyen d’être informé de ce qui se passera à Varsovie. Votre Altesse pourrait nous rendre un bien grand service en me faisant connaître les résolutions qui y seront prises. J’ose implorer sa bienveillante amitié à cet égard. Un avis de sa part nous serait d’un avantage incalculable. Si Votre Altesse nous croit menacés, je suspens le départ des troupes qui doivent s’embarquer à Gênes, et je fais revenir une ou deux divisions de Naples. Avec cela, je ne crains pas une attaque des Autrichiens sur la droite du Pô. Bologne est complètement armé. Plaisance sera, à la fin de ce mois, dans un état de défense respectable. A Pizzighettone, nous n’avons plus qu’à placer quelques canons, ce qui sera fait dans le courant de la semaine. Avec ces appuis, notre armée, commandée par La Marmora et Sonnaz, ne se laissera pas entamer par les Autrichiens. Ces généraux arrêteront l’ennemi et donneront le temps au Roi et à Cialdini de venir le battre. L’enthousiasme des soldats est très grand, tandis que l’armée autrichienne est à demi démoralisée. Nous n’avons rien à craindre, si nous ne sommes pas pris en surprise. J’ose donc insister auprès de Votre Altesse pour quelle daigne nous éclairer sur les intentions de l’Autriche à notre égard. Gropello [4] aura toujours le chiffre et un courrier aux ordres de Votre Altesse.

Dans les régions officielles de Paris, on m’a accusé d’avoir, en présentant le projet de loi sur les annexions, trop bien parlé de la France pour faire croire qu’il n’existait pas entre elle et nous de dissentiments sérieux. Cela m’a forcé à faire taire mes sentiments dans mon dernier discours. J’espère que ce silence qu’une juste déférence m’a imposé, ne sera pas mal interprété, au moins par Votre Altesse qui, je m’en flatte, ne doutera jamais de ma profonde reconnaissance pour l’Empereur, et de mon respectueux attachement pour elle.


Turin, 8 novembre 1860,

Monseigneur,

Le Roi a suivi en partie déjà le conseil que Votre Altesse lui a donné. Il a télégraphié à l’Empereur pour le prier de donner l’ordre à l’amiral de Tinan de ne pas s’opposer par la force au passage du Garigliano.

L’Empereur a adhéré à cette demande, et notre armée, aidée par la flotte, a pu exécuter une série de brillantes manœuvres qui, dans l’espace de trois jours, ont fait disparaître l’armée napolitaine, sauf quelques milliers d’hommes réfugiés à Gaëte.

Maintenant le Roi, à peine installé à Naples, enverra une lettre à l’Empereur, par le comte Vimercati. Il a préféré cet officier d’ordonnance à Robilant qui ne l’est plus, parce que sa présence à Paris, où sa femme se trouve depuis quelque temps n’excitera l’attention de personne.

J’espère que l’Empereur ne s’opposera plus à ce que l’on attaque, ou, pour le moins, à ce qu’on menace Gaëte par mer. L’humanité réclame une prompte solution au drame napolitain. La chute de Gaëte est certaine. En prolongeant le siège, on sacrifie inutilement des hommes et de l’argent, en rendant moins bonne, en définitive, la position du Roi lui-même.

Quelle que soit l’importance que j’attache à la chute de Gaëte, j’en mets bien davantage au rétablissement de nos relations diplomatiques avec la France. Une fois l’annexion des Deux-Siciles achevée, et reconnue par l’Angleterre, quel motif, quel intérêt la France peut-elle avoir pour demeurer vis à vis de l’Italie dans un état de semi-hostilité ? Serait-ce par égard pour le Pape ? mais il me paraît que, pour la reconnaissance qu’on lui témoigne, l’Empereur n’a déjà que trop fait pour lui. La polémique perfide engagée entre Antonelli et Gramont prouve que la Cour de Rome cherche tous les moyens de le compromettre, et avec les ultramontains, et avec les Italiens. J’ose, par conséquent, me flatter que l’Empereur se montrera bientôt disposé à ce que les relations de nos deux pays revivent, et que la sympathie que nous éprouvons pour la France, et notre reconnaissance pour l’Empereur, exigent qu’elles soient.

Je serai bien reconnaissant à Votre Altesse si elle veut bien me faire connaître son opinion sur la marche à suivre pour arriver au résultat que je viens de lui indiquer.

Je prends la liberté d’envoyer à Votre Altesse quelques pièces originales saisies à Isermia et qui constatent la participation des autorités bourboniennes aux atrocités qui ont été commises par le parti réactionnaire.

Je prie Votre Altesse de vouloir bien agréer l’hommage de mon respectueux dévouement.


Naples, 14 novembre 1860,

Mon cher beau-fils,

Je te remercie de ce que tu m’as fait dire par Cavour, en différentes circonstances dans ces derniers temps pour moi assez orageux. Grâce au ciel, je me suis tiré d’affaire assez bien. La valeur de mes troupes, le jugement des peuples de l’Italie méridionale, et notre étoile, m’ont conduit ici à Naples, où tout prend une bonne voie. Je viens d’écrire à l’Empereur, il a été bien bon pour moi dans différentes circonstances. Surtout dans la question de l’amiral, c’est Vimercati qui est chargé par moi d’apporter ces lettres, et si tu veux être instruit de tout ce qui s’est passé, et se passe ici, parle au long avec lui ; il est chargé de t’instruire de tout, par rapport aux partis qui existaient ici, les détails sur Garibaldi et son armée, l’état actuel intérieur du pays et sur l’affaire de Gaëte. — Pour cette dernière partie, j’ai besoin de ton appui auprès de l’Empereur, à qui j’ai aussi écrit sur cette matière. J’ai cerné la place de bien près, et je vais la bombarder par terre au plus tôt, mais la chose serait déjà finie, si la flotte française ne m’avait pas empêché d’agir par mer. Cet état de choses durera peut-être peu de temps, peut-être il sera de longue durée. S’il fût de longue durée, tu comprends mieux que moi combien cela pourrait nous nuire en politique et à l’intérieur, de manière qu’il me semble que l’Empereur pourrait bien, s’il voulait nous aider, faire voyager sa flotte. On dit que l’amiral a un faible pour une des deux Reines ; en un mot, il s’est réglé insolemment envers moi. Vimercati te montrera sa correspondance. — Tâche aussi de me faire renvoyer les batteries et les régiments de cavalerie qui se sont rendus aux Français, à Tarracina, au moment que, rejoints par mon armée, ils avaient déjà commencé à traiter pour se rendre à nous. J’ai surtout besoin des chevaux.

Je te prie de me dire si la proclamation que j’ai faite à Ancône, avant de marcher sur Naples, n’a pas déplu à l’Empereur. Dis bien des choses à ma fille et embrasse-la tant de ma part, je lui écrirai si je pourrai, car je fais le dictateur ici et suis accablé d’affaires. Pense à nous. Je t’embrasse.

Ton très affectionné beau-père,

VICTOR-EMMANUEL.

P. S. — Les Bourbons, et puis Garibaldi, ont tellement bouleversé ce malheureux pays, que c’est un chaos.


Turin, 24 novembre 1860.

Monseigneur,

Le Roi a expédié directement à Paris le comte Vimercati. Je ne doute pas que Sa Majesté l’ait chargé d’une mission pour Votre Altesse Impériale dont il doit s’être acquitté à l’heure qu’il est. J’espère qu’avec l’aide de Votre Altesse le comte Vimercati réussira à obtenir de l’Empereur les mesures nécessaires pour que l’attaque de Gaëte, par mer, devienne possible. Dans sa bienveillance pour le Roi et pour l’Italie, il ne voudra pas persister dans un système qui, en prolongeant indéfiniment l’agonie du roi François II, augmente immensément les difficultés que nous avons à vaincre, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur.

Le général Mierowslasky m’a remis, il y a peu de jours, une lettre de Votre Altesse dont il était porteur. J’ai été heureux de satisfaire au noble désir qu’il m’a manifesté de combattre dans les rangs de notre armée pour la cause de la liberté, persuadé, d’après la recommandation que Votre Altesse lui avait faite, qu’il aurait pu nous rendre des services signalés. Mais une cause majeure, que j’ai jugé prudent de ne pas lui faire connaître, m’a forcé à décliner ses offres, pour le moment du moins. L’avant-veille de son départ de Paris, un avis provenant directement du Cabinet de l’Empereur m’avait prévenu de son arrivée, et m’avait engagé à ne pas accepter ses offres. En présence de ce fait, Votre Altesse comprendra qu’il m’était impossible de conseiller au Roi d’employer le général.

On m’annonce de Paris une modification importante dans le Cabinet de l’Empereur. Je serais bien reconnaissant à Votre Altesse si Elle voulait bien me faire connaître la vérité à cet égard, et surtout la signification politique que ce changement doit avoir.

J’espère bien qu’il n’indique pas une reculade devant Rome et le clergé, qui serait également fatale à la France et à l’Italie. Nos péchés ne sont pas susceptibles d’absolution. Le Pape ne nous la donnera jamais. Il faut nous y résigner. De la faiblesse envers lui, loin de le rendre plus raisonnable, éloignerait indéfiniment l’époque où il sera amené, par la force des choses, à consentir à une transaction acceptable.

Farini rencontre bien des difficultés à Naples, mais il a la conscience de les surmonter. Certes, l’unification de la péninsule ne sera pas l’œuvre d’un jour ; il faudra bien du temps et des efforts pour fondre les divers éléments qu’elle renferme ; cependant je ne vois rien d’impossible dans la tâche que la Providence nous a imposée, surtout si l’Empereur ne nous retire pas son aide et son appui. Il ne le fera pas ; il ne voudra pas déchirer une des plus belles pages de son histoire : celle qui doit constater la part glorieuse qu’il aura eue à la régénération de l’Italie.

Je prie Votre Altesse d’agréer l’hommage de mon respectueux dévouement.

C. CAVOUR.


24 novembre 1860.

Monseigneur,

Je suis bien reconnaissant à Votre Altesse Impériale pour la lettre qu’elle a bien voulu m’écrire. Depuis que je l’ai reçue, la situation a bien changé. Les concessions faites à la Hongrie, et l’envoi du générai Bénédek en Italie, ne nous laissent aucun doute sur les intentions de l’empereur d’Autriche ; il ne reste à savoir que si les souverains qu’il a trouvés à Varsovie, auront assez d’influence sur lui pour lui faire ajourner ses idées agressives.

Nous agissons comme si nous devions être attaqués, réunissant et préparant tous nos moyens d’action. Nous ne nous faisons pas illusion sur la gravité du danger qui nous menace, mais l’envisageant avec calme, nous sommes décidés à lutter en désespérés.

Ce qui nous embarrasse excessivement, c’est l’incertitude du point d’attaque. Si, ainsi que Votre Altesse le pense, les Autrichiens, par respect pour la France, n’entrent pas en Lombardie et concentrent toutes leurs forces sur les duchés de Modène et de Parme, nous pourrons, appuyés aux deux places de Bologne et de Plaisance, les arrêter et les rejeter dans le Pô. Tel est l’avis du général La Marmora.

Il n’en est pas de même si nous étions attaqués sur la rive gauche du Pô. N’ayant aucun point d’appui solide en Lombardie, ne trouvant aucune ligne facilement défendable du Mincio à l’Adda pour ne pas dire au Tessin, notre position serait assez critique. Ce serait par conséquent un bien grand service que l’Empereur nous rendrait, s’il forçait par son attitude l’Autriche à respecter le traité de Zurich. Dans cette hypothèse, je le répète, je pense que nous pourrions nous tirer d’affaire, ou du moins, que si nous avions besoin de secours, ce ne serait qu’après avoir prouvé à l’Europe que nous savons faire les plus grands efforts pour conserver la liberté et l’indépendance que nous devons à la France.

Tandis que l’Autriche nous menace au Nord, le Pape, au centre, ne se montre nullement résigné. Son ministre de la Guerre cherche à remettre ensemble une nouvelle armée ; on fait des enrôlements à Marseille, et l’on cherche à attirer, par des primes, les prisonniers que nous avons mis en liberté. Cela nous a forcés à retenir, à notre grand regret, ceux qui étaient encore entre nos mains. Le Gouvernement romain continue à payer ses anciens employés dans les provinces qu’il a perdues, en les engageant à ne pas bouger des villes où ils se trouvaient. Évidemment, l’espérance et l’argent ne lui manquent pas : d’où lui viennent-ils, c’est ce que j’ignore.

Son irritation doit être toujours extrême. Non seulement il n’a pas voulu se prêter à concourir au rétablissement des communications télégraphiques, mais il a fait abattre les poteaux que Pepoli avait fait planter pour relier la ligne de l’Ombrie avec Civita Castellana, ville occupée par les troupes françaises.

Pour que Votre Altesse puisse juger des procédés des autorités papales, je prends la liberté de lui transmettre les deux dépêches qui sont arrivées cette nuit relatives à cette affaire. Malgré leur mauvais vouloir, je crois toutefois que nous pourrions arriver à rétablir la ligne de Rome, si l’Empereur chargeait le duc de Gramont de demander au cardinal Antonelli de laisser subsister les poteaux que nous planterons d’Orvieto à Viterbo.

A Naples, les affaires vont bien. Les résultats du vote universel ont été des plus satisfaisants. Sauf quelques localités dominées par des bandes réactionnaires, tout le monde a voté pour l’annexion au règne de Victor-Emmanuel. Un grand nombre par conviction et sentiment, beaucoup aussi par peur du garibaldisme. Les conservateurs sont ceux qui ont montré le plus de zèle à voter. La sentence que le peuple napolitain vient de rendre autorise tout à fait notre Roi à attaquer Capoue et Gaëte. C’est ce qu’il compte faire après-demain.

Capoue sera abandonnée ou prise facilement. L’obstacle sérieux, c’est Gaëte. Il est très difficile de s’en rendre maître en l’attaquant uniquement par terre. Pour réussir, il faut le concours d’une flotte. La nôtre est prête à agir, Persano étant de retour à Naples avec toutes ses frégates. Ce qui nous embarrasse, c’est la présence des vaisseaux de guerre étrangers dans le port de Gaëte. Nous nous flattons que ceux de la France ne se placeront pas sur notre route pour nous empêcher d’agir. Qu’elle ne veuille pas reconnaître le blocus de la place, cela se conçoit jusqu’à un certain point, mais que ses vaisseaux nous empêchent, par leur présence, d’attaquer, ce serait une espèce d’intervention qui ne peut entrer dans les projets de l’Empereur. Je prie Votre Altesse de vouloir bien s’intéresser pour que des instructions précises soient envoyées à l’amiral de Tinan. On peut le faire facilement, car on communique télégraphiquement avec Naples, par Ancône et les Abruzzes.

Je ne renouvelle pas à Votre Altesse la prière de me faire parvenir les informations qu’elle recueille sur Varsovie. Les intéressantes communications qu’elle a bien voulu faire au comte Gropello, me prouvent qu’il n’est pas besoin de la solliciter, pour qu’elle veuille bien s’intéresser à nous.

Il me reste à lui adresser une nouvelle demande. Il s’agit de la cession de vieux fusils de la part du Gouvernement français. Votre Altesse verra ce dont il s’agit par la note ci-jointe, et par les éclaircissements que lui fournira le colonel Filippi, si elle veut bien avoir la bonté de le recevoir. Les fusils, pour nous, c’est une question vitale. L’Empereur, en consentant à nous en céder la plus grande quantité possible, nous rend un immense service. La France a de si puissants moyens de production, qu’elle peut bien nous venir en aide, sans que, pour cela, elle ressente le moindre inconvénient.

Je demande pardon d’avoir abusé et de la patience et de la bienveillance de Votre Altesse en lui écrivant une lettre si longue et si pleine de requêtes. Qu’elle me pardonne en faveur de la cause pour laquelle je plaide, cause qui courrait bien des dangers, si elle était abandonnée en France, dans les hautes régions du pouvoir, par le petit nombre d’âmes d’élite qui comprennent qu’en contribuant à la résurrection de l’Italie, ils ne font pas seulement une grande et belle action, mais qu’ils servent les véritables intérêts de leur pays.

J’ai l’honneur de renouveler à Votre Altesse Impériale l’assurance de mon profond et respectueux dévouement.


Turin, 29 décembre 1860.

Monseigneur,

Je ne saurais laisser achever cette année durant laquelle Votre Altesse Impériale m’a donné des preuves répétées de sa bienveillance, sans lui exprimer les sentiments de profonde reconnaissance et de respectueux attachement dont je suis animé envers elle.

L’année qui expire a vu s’accomplir de grands événements, glorieux pour la France, immensément avantageux pour l’Italie. Elle lègue, il est vrai, à celle qui va commencer, de grandes difficultés. Gaëte, Rome, Venise, sont des points noirs à l’horizon, autour desquels des nuages menaçants peuvent s’accumuler. Mazzini et Garibaldi d’un côté, Pie IX et Antonelli de l’autre, peuvent nous susciter de grands embarras. Toutefois, je suis plein de confiance dans l’avenir. Si l’Empereur ne prête pas l’oreille à nos ennemis, s’il ne nous retire pas son appui, nous poursuivrons d’un pas ferme la route qu’il nous a ouverte, et qui nous mènera, tôt ou tard, mais d’une façon certaine, au terme dernier de nos aspirations : l’unification de l’Italie.

Nigra m’a communiqué le projet de voyage de Votre Altesse : je l’ai approuvé de grand cœur. Non seulement il ne saurait avoir d’inconvénients, mais il doit avoir d’heureuses conséquences pour nous. Votre Altesse jugeant par elle-même pourra donner de bons conseils à Turin et rectifier plus d’une erreur à son retour à Paris. Je me permets toutefois de soumettre à Votre Altesse un doute sur l’opportunité d’une visite au Saint-Père. Dans ce moment, la France, la Sardaigne et le Pape, sont dans de si singuliers rapports que je ne sais trop quelle attitude Votre Altesse pourrait avoir à Rome. D’ailleurs Votre Altesse courrait le risque d’exposer la princesse Clotilde à ne pas entendre, de la bouche du Pape, le panégyrique de son père. J’avoue toutefois que, sous un certain aspect, je désirerais fort que Votre Altesse allât à Rome. Je suis certain qu’elle dirait son fait à Gramont, qui est, tour à tour, indolent et flatteur avec Antonelli, sans jamais cesser d’agir envers nous en ennemi déclaré.

Que Votre Altesse me permette de terminer en lui faisant observer que l’espoir de la revoir à Turin est d’un bon augure pour l’année 1861, et que, si Votre Altesse trompait mes espérances, cela porterait malheur à nous, et à la cause dont elle a toujours été le généreux soutien.

Je prie Votre Altesse d’agréer l’assurance de mon profond dévouement.


Turin, 6 janvier 1861.

Monseigneur,

J’ai l’honneur de communiquer à Votre Altesse Impériale, la dépêche télégraphique suivante :

(En chiffres.)


Turin, 6 janvier, 9 heures soir.

Dépêche pour le Prince Napoléon.

« Je remercie Votre Altesse. Je suis tout à fait d’avis d’accepter. Je ne doute pas que le Roi ne consente. — Demain matin, je ferai réponse officielle au Chargé d’affaires de France. »

Signé : Cavour.

Je suis avec le plus profond respect, Monseigneur, de Votre Altesse Impériale, le très humble et très obéissant serviteur.

J. DE GROPELLO.


Turin, le 7 janvier 1861.

Cavour au Comte Vimercati, Paris.

Par déférence envers l’Empereur, Sa Majesté le Roi accepte les dernières propositions de Paris. Aujourd’hui même, il donnera à Cialdini l’ordre :

1° De suspension des hostilités ;

2° De ne plus pousser les travaux d’approche au delà de la ligne actuelle (à Gaëte) ;

3° De ne plus mettre en batterie de nouvelles pièces d’artillerie. A moins que la place reprenne le feu avant le 19 janvier, Cialdini a ordre d’observer cette suspension jusqu’à la date susmentionnée.

Toute communication directe avec Gaëte étant impossible, pour régler l’armistice, le Gouvernement du Roi prie l’Empereur de vouloir bien communiquer à Cialdini les résultats de la démarche qu’il fera auprès du roi de Naples.

Cialdini se bornera, tant que durera la suspension, à empêcher que le mauvais temps ne gâte les ouvrages en terre.


Turin, 11 janvier 1861.

Monseigneur,

Le Roi a été charmé d’apprendre que Votre Altesse Impériale avait l’intention de lui faire une visite au commencement du mois prochain. Si Votre Altesse, après avoir demeuré quelque temps avec lui, laissera la princesse, sa fille, à Turin, Sa Majesté en sera fort reconnaissante à Votre Altesse.

Il est probable que le Roi ira passer les derniers jours du carnaval à Milan. Cette ville est ordinairement excessivement animée à cette époque : les fêtes du Carnavalone qui se prolongent cinq jours au delà du mercredi des Cendres, attirent beaucoup de monde de toutes les villes de la Haute Italie. Votre Altesse ne devrait pas nous quitter avant cette époque. Elle pourrait en outre assister à l’ouverture du premier Parlement italien qui aura lieu le premier lundi de carême. Cette cérémonie aura un grand intérêt politique et historique. A cette occasion, Votre Altesse pourra juger de l’état des partis dans notre Parlement. Et même, si elle juge que le ministère actuel est, à tout prendre, celui qui convient le mieux à la situation, elle pourra nous rendre de grands services, en faisant entendre raison à la fraction du parti constitutionnel qui veut se constituer en tiers parti, pour faire la bascule entre Garibaldi et nous. La voix de Votre Altesse aura une grande autorité sur ce groupe parlementaire, car il se compose de plusieurs députés qu’elle connaît, et son membre principal est son cousin, le marquis Pepoli qui, de retour à Bologne, a commencé le feu dans une série d’articles insérés dans un journal de cette ville.

Je remercie Votre Altesse des démarches qu’elle a faites pour amener le retrait de la flotte française de Gaëte. Cela simplifiera et améliorera la position. Gaëte ne tiendra pas quinze jours après le départ des Français, bien qu’à mon avis, ce n’est que par terre qu’on puisse la prendre. Telle est aussi l’opinion de Gialdini qui dirige les travaux du siège avec un calme et un talent admirables.

La chute de Gaëte facilitera la tâche du prince de Carignan et de Nigra. Si mon jeune ami réussit comme je l’espère, il aura bien gagné le poste de Paris, et personne ne trouvera à redire si le plus jeune des diplomates sera destiné au poste d’honneur.

Ayant l’espoir fondé de pouvoir bientôt causer à fond avec Votre Altesse, je m’abstiens dans ce moment de toute discussion politique. Je me borne à supplier Votre Altesse de venir vite, et de rester longtemps au milieu de nous.

Je prie Votre Altesse d’agréer l’hommage de mon respectueux dévouement.


Tarin, 24 février 1861.

Monseigneur,

Je prie Votre Altesse d’agréer l’expression de ma vive reconnaissance pour les efforts qu’elle fait afin de déjouer les intrigues du parti clérical. C’est à l’éloquent discours que Votre Altesse a prononcé dans la séance secrète du Sénat, que nous devons que cette Assemblée n’ait pas émis un vote contraire à l’Italie. J’espère que l’appui de Votre Altesse ne nous fera pas défaut dans la discussion publique à laquelle l’adresse donnera lieu.

Si les salons de Paris jetteront les hauts cris, je suis certain que les masses applaudiront les paroles généreuses de Votre Altesse qui laisseront dans le cœur des Italiens un souvenir impérissable.

J’espère qu’une fois l’adresse votée, Votre Altesse réalisera ses projets de voyage, et qu’elle viendra juger par elle-même des sentiments de mes concitoyens pour l’Empereur et pour elle. Je serais bien heureux de pouvoir causer à fond avec Votre Altesse des grandes questions politiques dont la solution ne saurait se faire attendre indéfiniment, quoiqu’il soit sage de l’ajourner pour le moment. Celle qui me préoccupe davantage est la question hongroise sur laquelle nous ne pouvons exercer qu’une action indirecte. Je connais l’intérêt que Votre Altesse porte à cette noble nation, et par conséquent je ne doute pas qu’elle ne partage la sollicitude qu’elle m’inspire. Confiant dans ce sentiment, je prends la liberté de lui recommander le général Turr, qui aura l’honneur de lui remettre cette lettre.

Le général Turr appartient au parti ardent ; toutefois, il est très accessible aux conseils de la raison. Dévoué à son pays, mais, en même temps, fort attaché au Roi qui l’a comblé de bontés, il ne fera rien qui puisse nous compromettre, si on parvient à lui faire comprendre qu’il est dans l’intérêt de la Hongrie, aussi bien que de l’Italie, de ne pas précipiter les événements. Les conseils que Votre Altesse pourra lui donner auront une grande influence sur lui.

Je félicite Votre Altesse du gain de son procès. La lecture attentive des plaidoyers des avocats m’avait pleinement convaincu qu’elle avait raison [5] . Je suis heureux que le tribunal ait partagé cette conviction.

Je prie Votre Altesse Impériale d’agréer l’hommage de mon respectueux dévouement.


(Dépêche télégraphique.)


Turin, le 4 mars 1861, 6 h. 30 m. s.

Son Altesse Impériale, le Prince Napoléon, Palais-Royal, Paris.

J’ai lu votre magnifique discours. Je vous en félicite et vous remercie au nom de l’Italie et au mien.

VICTOR-EMMANUEL.

(Réponse expédiée le 5 mars à midi 35 m.)


Au roi Victor-Emmanuel, à Turin.


Je remercie le Roi d’Italie de ses félicitations.

Le peuple Français approuve ce que j’ai dit.

Signé : NAPOLEON (Jérôme).


Paris, ce mardi 5 mars 1861.

Cher beau-fils,

Je suis fâché de voir, par ta lettre, que le moment de t’embrasser ainsi que la chère Clotilde est retardé ; je comprends pourtant très bien qu’il ne pouvait pas en être autrement. Le service que tu viens de nous rendre par ton discours est bien grand et je t’en remercie nouvellement par écrit : en ce monde, il est facile d’avoir des opinions, mais il est bien difficile de savoir les soutenir en face du monde entier. Si tous ceux qui sont au pouvoir avaient le même courage que toi et moi, certainement les choses seraient bien simplifiées : au moins, on saurait sur quelle voie on marche, car ici-bas..., plus on porte la tête haute au milieu des difficultés, plus on a raison, et la vérité, quelque dure qu’elle soit, luit toujours au milieu des ténèbres. Ma conduite, j’espère, le prouvera toujours. Je trouve notre position actuelle assez difficile ; nous venons de vaincre bien des difficultés, les choses intérieures demandent un grand travail, mais avec de la patience et du dévouement, on en viendra à bout. Les difficultés politiques à mon point de vue sont plus graves, de quelque manière qu’on les considère, car me mettant pour un instant du côté de mes ennemis, je sais ce que j’aurais à faire, et je m’étonne qu’ils ne le fassent pas. Il me faudrait cette année de repos pour finir bien des choses, mais je n’ose pas l’espérer, car on sait que nous en avons besoin. En un mot, dans quelque position que je me trouve, même la plus difficile, avec aide, ou sans aide, tu ne me verras pas hésiter un instant, mes ennemis trouveront un os bien dur à ronger, et j’irai toujours en avant.

Je désire pourtant aller lentement avec Rome, car elle sera obligée de venir d’elle-même, et en brusquant, on n’obtiendra pas le même résultat ; lorsque je verrai le moment propice, je te prierai de parler à l’Empereur. Je te remercie, au nom de tous les Italiens, de ton dévouement à notre cause ; conserve-moi ta chère amitié, et embrasse Clotilde de ma part.

Ton très affectionné beau-père.

VICTOR-EMMANUEL.


Turin, le 12 mars 1861.

Au chargé d’Affaires d’Italie.

Veuillez dire à Son Altesse Impériale que M. le comte Vimercati est parti ce soir pour Paris, avec ma réponse, qui, j’aime à l’espérer, sera approuvée par Son Altesse Impériale.

(Signé) C. CAVOUR.


Turin, 17 mars 1861, 9 h. 35 du soir..

Monseigneur,

Je me suis empressé de faire traduire le magnifique discours que Votre Altesse a prononcé au Sénat sur l’exemplaire qu’elle a bien voulu m’envoyer. Je prends la liberté de transmettre à Votre Altesse la première copie de cette traduction qu’on vient de m’apporter à l’instant. J’ai choisi un format de petite dimension pour qu’il nous fût plus facile d’en faire pénétrer un grand nombre de copies à Rome et à Venise.

Votre Altesse a rendu à l’Italie un bien grand service. Tout le monde lui en est reconnaissant, mais personne mieux que moi ne peut en apprécier l’étendue. Le discours de Votre Altesse est pour le pouvoir temporel du Pape ce que Solférino a été pour la domination autrichienne. On pourra encore négocier comme on l’a fait à Villafranca et à Zurich, mais l’autorité du Pape est morte aussi bien que l’influence autrichienne.

Quoique bien près du but, je sens que nous avons encore bien des difficultés à vaincre pour l’atteindre. L’aide de Votre Altesse ne nous fera pas défaut. Après avoir fait une aussi large brèche aux murailles de la cité éternelle, Votre Altesse nous donnera un coup d’épaule pour nous en faciliter l’entrée. Ce sera un grand événement, non seulement pour l’Italie, mais pour la France et l’univers. La destruction du pouvoir temporel sera un des faits les plus glorieux et les plus féconds dans l’histoire de l’humanité, auquel le nom de Votre Altesse demeurera à jamais attaché.

Je regrette infiniment que Votre Altesse ait dû renoncer pour le moment à son projet de voyage en Italie. Le pays le regrette avec moi. Je me console toutefois en pensant que si, dans une époque peu lointaine, le Roi pourra faire son entrée à Rome, Votre Altesse l’y accompagnera.

Je prie Votre Altesse de vouloir bien agréer l’hommage de mon respectueux dévouement.

C. CAVOUR.


Turin, le 2 avril 1861.

Monseigneur,

Je prends la liberté d’offrir à Votre Altesse Impériale, comme hommage de ma respectueuse reconnaissance, la traduction des deux discours sur la question romaine que j’ai prononcés dernièrement à la Chambre des députés. Les idées que j’ai exposées, la solution que j’ai indiquée, sont en grande partie identiques à celles que Votre Altesse a développées avec tant de force et d’éloquence dans le Sénat.

Le pouvoir temporel du Pape n’est plus compatible avec le développement des principes de la civilisation moderne. Les catholiques de bonne foi en France, aussi bien qu’en Italie, ne tarderont pas à le reconnaître. Les discussions qui ont eu lieu à Paris et à Turin doivent exercer sur l’opinion publique une influence salutaire, et par conséquent faciliter la tâche de l’Empereur qui consiste à réconcilier l’Etat avec l’Église, le Pape et l’Italie.

J’ai reçu hier au soir, de Paris, des nouvelles alarmantes. Il parait que le général Klapka est maintenant d’avis qu’une révolution en Hongrie est inévitable. Si elle arrive, ce sera un événement très fâcheux. Je crois qu’il est de mon devoir de faire tous les efforts pour l’éviter ou du moins pour la retarder. Il est évident que la Hongrie n’est pas préparée, tandis que l’Autriche est en mesure de déployer d’immenses forces militaires, soit sur le Pô, soit sur le Danube. Engager la guerre dans ce moment, c’est jouer le jeu de notre ennemi. Je pense que Votre Altesse partage cette manière de voir, et qu’elle voudra employer son influence pour calmer l’impatience des Hongrois et des Polonais. Après tout, si la guerre éclate malgré nous, nous ferons notre devoir, et la France n’aura pas à rougir de ses alliés.

Je prie Votre Altesse d’agréer l’hommage de mon respectueux dévouement.


Turin, 17 avril 1861.

Monseigneur,

Le comte Vimercati m’a remis avant-hier la lettre que Votre Altesse Impériale m’a fait l’honneur de m’écrire le 13 de ce mois. J’avoue qu’au premier moment, j’ai été effrayé des difficultés et des dangers que présente l’exécution du plan que l’Empereur serait disposé à adopter pour arriver à une solution provisoire de la question romaine. Les engagements qu’il nous faudra contracter d’une part, l’état de Rome lorsque les troupes françaises se seront retirées de l’autre, nous créeront des embarras énormes vis à vis du Parlement, du pays, des Romains, et surtout de Garibaldi qui, comme un ours sorti de sa tanière, est à la recherche d’une proie à dévorer. Toutefois, comme lorsqu’il n’y a que deux voies à suivre, il faut savoir choisir la moins périlleuse, quels que soient les précipices dont elle est semée, je n’ai pas tardé à me convaincre que nous devions accepter les propositions contenues dans la lettre de Votre Altesse Impériale. L’alliance française étant la base de notre politique, il y a peu de sacrifices que je ne sois disposé à faire pour qu’elle ne soit pas mise en question.

Le Roi, à qui j’ai communiqué immédiatement la lettre de Votre Altesse, a partagé cet avis. Cependant, avant de remettre au comte Vimercati une réponse définitive, j’ai cru nécessaire de m’assurer que, dans le Conseil des Ministres et au sein du Parlement, le projet en question ne rencontrerait pas d’obstacles invincibles.

Pour avoir cette certitude, le concours de deux hommes, de Minghetti et de Ricasoli, est indispensable. Après quelques hésitations, et non sans une répugnance assez marquée, ils se sont engagés à me le donner. Maintenant, je suis sûr de mon fait, du moins du point de vue parlementaire.

Je n’ai aucune observation essentielle aux bases du traité posées par Votre Altesse ; ainsi, il demeurerait entendu :

1° Que le traité serait conclu directement entre la France et l’Italie, sans l’intervention de la Cour de Rome.

2° Que la France ayant mis le Pape à l’abri de toute attaque étrangère, ses soldats évacueraient Rome dans un délai déterminé qu’il serait bon de limiter, autant que possible, à quinze jours ou un mois par exemple.

3° Que l’Italie s’engagerait à ne pas attaquer, et à empêcher, même par la force, toute attaque venant de l’extérieur contre le territoire actuel du Pape.

4* Que le Gouvernement s’interdirait de faire toute réclamation contre l’organisation d’une armée papale, composée même de volontaires étrangers, tant que cette armée ne monterait pas à plus de dix mille hommes.

5° Que l’Italie se déclarerait prête à entrer en arrangement avec le Gouvernement du Pape, pour prendre à sa charge la part proportionnelle qui lui reviendrait dans les charges des anciens Etats de l’Eglise.

Tout en acceptant sans réserve la quatrième base, je demanderais que, dans le traité définitif, elle fut rédigée de manière à choquer le moins possible le sentiment national qui est très sensible à tout ce qui a rapport à l’intervention de soldats étrangers en Italie

Quoique je comprenne fort bien que les points ci-dessus indiqués ne comprennent pas toutes les conditions du traité définitif, je n’entrerai pas maintenant dans des détails ultérieurs avec Votre Altesse, convaincu que le comte Vimercati, avec lequel j’ai eu de longues explications, est en mesure d’éclairer Votre Altesse sur toutes les questions qu’il s’agira de fixer.

Toutefois, je me permettrai d’indiquer deux points qui me paraissent de la plus haute importance :

1° C’est que la reconnaissance du Royaume d’Italie ait lieu le jour même de la signature du traité. A cet effet, nous munirions le personnage chargé de signer le traité de lettres de créance qu’il pourrait remettre sans délai à l’Empereur. Cette mission pourrait avoir un caractère d’autant plus solennel qu’elle aurait un but spécial, et ne serait que temporaire.

2° Sans s’engager à nous prêter un concours direct, la France pourrait nous promettre ses bons offices pour amener le Pape à consentir à un accord définitif avec l’Italie, en harmonie avec les principes que le cardinal Santucci et le Père Passaglia ont soumis au cardinal Antonelli. Cette clause aurait l’immense avantage de rendre la Cour de Rome plus sage, et le peuple romain plus patient.

Une fois parfaitement d’accord sur les conditions vitales du traité, il me parait que sa conclusion pourra avoir lieu dans un bref délai. Plus nous ferons vite, et plus nous aurons de chances de surmonter les difficultés que son exécution soulèvera. Trop de monde a intérêt à empêcher la réconciliation parfaite de la France et de l’Italie pour qu’il ne convienne pas de laisser le moins de temps possible aux intrigues de nos ennemis.

Ainsi que le comte Vimercati me l’a répété, au nom de Votre Altesse, je sens que le secret le plus absolu est une condition essentielle du succès de la présente négociation, aussi elle peut y compter d’une manière absolue de notre part.

Je ne doute pas que le secret ne soit aussi bien gardé à Paris qu’à Turin, mais il me paraît essentiel de ne pas mettre Gramont dans la confidence, qui n’est pas toujours assez en garde vis-à-vis du cardinal Antonelli, qui excelle dans l’art de pénétrer les véritables intentions des diplomates avec lesquels il a affaire.

Je ne saurais terminer cette lettre sans exprimer à Votre Altesse ma profonde reconnaissance pour ses efforts constants en faveur de la cause italienne qui lui doit déjà tant. J’espère que, lorsqu’elle aura triomphé définitivement, Votre Altesse verra qu’elle n’a pas travaillé pour des ingrats, et qu’en concourant à la résurrection d’un peuple opprimé, elle aura puissamment contribué à rendre la France plus forte et plus glorieuse. Je prie Votre Altesse Impériale de vouloir bien agréer la nouvelle assurance de mon profond et respectueux dévouement.

C. CAVOUR.


Cette dernière lettre ne précède que de quelques semaines la mort de Cavour, survenue, comme on sait, à Turin, le 6 juin 1861.


FRÉDÉRIC MASSON.

  1. Voyez la Revue des 1er janvier, 1er et 15 février.
  2. La mort du prince Jérôme-Napoléon, ancien roi de Westphalie, survenue le 24 juin 1860.
  3. Son Altesse Impériale la princesse Mathilde.
  4. Le comte Giulio di Gropello, chargé d’affaires d’Italie à Paris après le départ du chevalier Nigra.
  5. Procès du prince Napoléon et de la princesse Mathilde contre M. Bonaparte Patterson.