L’Ombre des jours/Les Vagues

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 7-9).


LES VAGUES


Ô petites vagues frisées,
Qui vîtes, dans des temps si beaux,
D’entre les écumes des eaux
Surgir Aphrodite irisée,

Que ce jour soit comme un îlot
Qu’entoure votre âcre abondance,
Que chacun de mes désirs danse
Comme un rayon blanc sur le flot.


Voici que l’onde calme arrive
Et vient remuer le gravier
Où va plier et dévier
Sa perleuse et douce salive ;
 
C’est comme si des doigts tremblants
Dérangeaient l’ordre de la grève,
Quand l’eau s’abaisse et se relève
En entraînant les cailloux blancs ;
 
Allant et venant sur la pente,
Tous ces luisants cailloux roulés
Font un bruit de petites clés
Sous la molle écume fondante ;

La terre et l’eau se mélangeant
Semblent unir deux lèvres claires :
J’ai soif de cette vague amère
En robe d’azur et d’argent.


— Vous savez bien, chère eau vivante,
Qu’il n’est d’amour si malaisé
Qui n’ait le désir du baiser,
De sa tendre et chaude épouvante ;

Vous savez que rien n’est si fort
Que la caresse et que l’étreinte,
Et que toute tendresse est feinte
Qui n’a le vouloir de l’accord.

C’est pourquoi, mes vagues ailées,
Ce matin dans le sable doux,
Je me mettrai sur mes genoux
Et je boirai votre eau salée…