L’Onanisme (Tissot 1769)/Article 3/Section 10/B

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Les Aliments.


L’on doit être guidé dans le choix des aliments, par ces deux règles : 1°. ne prendre que des aliments, qui, sous un petit volume, contiennent beaucoup de nourriture, & qui se digèrent aisément. c’est l’aphorisme de Sanctorius : Coïtus immoderatus postulat cibos paucos & boni nutrimenti[1]. 2°. Eviter tous ceux qui ont de l’âcreté. Il est important de rendre à l’estomac toutes ses forces ; & rien ne détruit plus la force des fibres animales qu’une extension forcée ; ainsi, si l’on dilatoit l’estomac par la quantité des aliments, on l’affoibliroit journellement : d’ailleurs, s’il est trop rempli, les personnes foibles éprouvent un état de mal-aise, d’angoisse, de foiblesse & de mélancolie, qui augmente tous leurs maux. L’on prévient ces deux inconvénients, en choisissant des aliments tels que je les ai indiqués, & en n’en prenant que peu à la fois, mais fréquemment. Il est essentiel qu’ils puissent donner aisément ce qu’ils ont de nutritif. L’estomac n’est pas en état de digérer ce qui se digère difficilement : son action extrêmement languissante, seroit totalement détruite par des aliments, ou trop durs, ou propres à diminuer ses forces.

L’on peut, sur ces principes, former le catalogue de ceux qui conviennent dans ce cas, & de ceux qu’on doit exclure. Dans la dernière classe sont toutes les viandes naturellement dures & indigestes, telles que celles de cochon ; toutes celles de vieilles bêtes ; celles que l’art a durci au moyen du sel & de la fumée, préparation qui les rend en même temps âcres ; toutes celles qui sont trop grasses ; les autres graisses quelconques, qui relâchent les fibres de l’estomac, diminuent l’action déjà trop foible des sucs digestifs, restent indigestes, disposent à des obstructions, & acquièrent par leur séjour, un caractere d’âcreté, qui, irritant continuellement, donne de l’inquiétude, des douleurs, de l’insomnie, de î’angoisse, de la fièvre. Il n’y a rien, en un mot, dont les personnes qui ne digèrent pas, doivent se garder avec plus de soin que des choses grasses. Les pâtes non fermentées, sur-tout quand elles sont pétries avec des graisses, sont une autre espece d’aliment très-fort au-dessus des forces d’un mauvais estomac. Les herbes potagères, en produisant des gonflemens qui le distendent, & qui gênent en même temps la circulation dans les parties voisines, sont également nuisibles ; tels sont généralement toutes les especes de choux, les légumes à cosse, & ceux qui ont un goût & une odeur extrêmement âcres, dernière qualité qui les rend nuisibles, indépendamment des flatuosités.

Les fruits, qui sont si salutaires dans les maladies aiguës & inflammatoires, dans les obstructions, surtout dans celles du foie & dans plusieurs autres maladies, ne conviennent jamais dans ces cas, ils afFoiblissent, ils relâchent, ils énervent les forces de l’estomac ; ils augmentent la dissolution du sang déjà trop aqueux ; mal digérés, ils fermentent dans l’estomac & dans les intestins, & cette fermentation développe une quantité étonnante d’air, qui produit des distensions énormes qui dérangent absolument le cours de la circulation, J’ai vu cet effet être si considérabie chez une femme, pour avoir mangé trop de fruits rouges, vingt-quatre jours après une couche très-heureuse, que le ventre étoit tendu au point de devenir livide ; elle étoit dans l’assoupissement, & son pouls presqu’imperceptibie. Les fruits laissent aussi dans les premières voies, un principe acide, propre à occasionner plusieurs accidents fâcheux ; ainsi il faut presque entièrement s’en priver. Les jardinages crus, le vinaigre, le verjus ont les mêmes inconvénients, & méritent la même exclusion.

Quoique le catalogue des aliments défendus soit long, celui des aliments permis l’est encore davantage. Il comprend toutes les viandes d’animaux jeunes, nourris dans de bons endroits, & bien nourris : telles sont surtout celles de veau, de jeune mouton, de jeune bœuf, de poulet, de pigeon, de poulet d’inde, de perdreau. Les alouettes, les grives, les cailles, les autres gibiers, sans être absolument interdits, ont cependant des inconvénients qui ne permettroient pas d’en faire un usage journalier. Le poisson est dans le même cas.

L’on doit non-seulement choisir les viandes avec soin y il faut encore les préparer convenablement. La meilleure façon, c’est de les rôtir à un feu doux qui conserve leur suc, & qui ne les desseche pas ; ou de les cuire lentement dans leur propre jus. Celles qu’on fait bouillir avec beaucoup d’eau donnent au bouillon tout ce qu’elles ont de succulent, & restent incapables de nourrir ; souvent elles ne sont que des fibres charnues dénuées de leurs sucs, & chargées d’eau, également insipides au goût, & indigestes à l’estomac. Il est très-ordinaire de voir des personnes foibles, fort éloignées de tout soupçon de friandise, qui ne peuvent point en manger sans sentir que leur estomac souffre. Plus les viandes sont tendres, moins elles soutiennent cette préparation, qu’on devroit réserver, quant aux malades, pour tirer des viandes dures ce qu’elles ont de nourrissant.

Quelques soins qu’on donne à la préparation de la viande, il est des personnes qui ne peuvent pas la digérer : on est réduit a ne leur en donner que le jus qu’on exprime après les avoir fait médiocrement cuire ; mais comme il se corromproit très-aisément, il faut y joindre un peu de pain, & une petite dose de jus de citron, ou un peu de vin : un tel mélange est tout ce qu’on peut employer de plus nourrissant. Quelques écrevisses cuites & écrasées dans le bouillon en relèvent le goût, & le rendent peut-être encore plus fortifiant ; mais elles ont le double inconvénient d’être un peu échauffantes, & de rendre le bouillon plus susceptible d’une prompte corruption ; ainsi il faut être sur ses gardes à ces deux égards. Le pain & le jardinage n’ont pas l’avantage de réunir beaucoup de nourriture sous un petit volume ; mais leur usage, sur-tout celui du pain, est absolument indispensable, pour prévenir, non-seulement le dégoût que l’usage d’un régime tout animal ne manquerait pas de produire, mais encore la putridité qui en seroit une suite, si on ne le mêloit pas de végétaux. Sans cette précaution l’on verroit bientôt éclorre dans les premières voies l’alcali spontané, & tous les désordres qu’il peut entraîner. J’ai vu les plus grands accidents produits par ce régime, chez des personnes foibles à qui on l’avoit ordonné. Un des symptômes les plus ordinaires est l’altération : ils sont obligés de boire, & la boisson les affoiblit ; d’ailleurs, elle se mêle difficilement avec les humeurs, parce que ce mélange dépend de l’action des vaisseaux, qui est très-languissante ; & si par un malheur, très-ordinaire chez ceux qui ne prennent que peu de mouvement, l’action des reins diminue, les liquides passent dans le tissu cellulaire, & forment d’abord des œdèmes, & enfin des hydropisies de toutes les especes.

L’on prévient ces dangers en mariant toujours le régime végétal avec l’animal. Les meilleures herbes sont les racines tendres, & les herbes chicoracées, les cardes & les asperges. Il y en a d’autres qui, quoique fort tendres incommodent, parce qu’ils rafraîchissent trop ; ils amortissent la force de l’estomac.

Les graines farineuses, préparées & cuites en crême avec du bouillon de viande, sont un aliment qui n’est point à mépriser ; il réunit ce qu’il y a de plus nourrissant dans les deux règnes & le mélange prévient le danger de chaque aliment donné seul ; le bouillon empêche la farine de s’aigrir, la farine empêche le bouillon de pourrir. L’on s’apperçoit aisément, en lisant les observateurs avec un peu de réflexion, que les maladies sont plus malignes dans le nord de l’Europe que dans sa partie moyenne : cela ne viendroit-il point de ce que l’on y mange plus de viande & moins de végétaux ? Ce que j’ai dit plus haut des fruits n’empêche pas, quand l’estomac conserve encore quelques forces, qu’on ne puisse de temps en temps s’en permettre une petite quantité, des mieux choisis pour l’espece & la maturité ; les plus aqueux sont ceux qui conviennent le moins.

Les œufs sont un aliment du genre animal, & un aliment extrêmement utile ; ils fortifient beaucoup, & se digèrent aisément, moyennant qu’ils ne soient que peu ou point cuits, car dès que le blanc est durci il ne se dissout plus ; il devient pesant, indigeste & ne répare pas ; c’est alors l’aliment des estomacs qui digèrent trop, & non de ceux qui ne digèrent point. La meilleure façon de les manger, c’est de les avaler en sortant de la poule sans coction, ou de les manger à la coque après les avoir seulement plongé trois ou quatre fois dans l’eau bouillante y ou délayés dans du bouillon chaud qui ne bouille pas.

Enfin une dernière espece d’aliment c’est le lait ; il réunit toutes les qualités qu’on désire ; il n’a aucun des inconvénients qu’on craint. c’est le plus simple, le plus facile à assimiler, celui qui répare le plus promptement ; tout préparé par la nature, on ne risque point de le gâter par la préparation artificielle ; il nourrit comme le jus de viande, & n’est point susceptible de putridité ; il prévient l’altération ; il tient lieu d’aliment & de boisson ; il entretient toutes les secrétions ; il dispose à un sommeil tranquille ; en un mot il est propre à remplir toutes les indications qui se présentent dans ce cas, & M. Lewis l’a vu produire les meilleurs effets[2]. Zacutus Lucitanus dut à son usage le rétablissement d’un jeune homme, que des excès avec les femmes avoient jetté dans une fièvre lente, accompagnée d’une chaleur brûlante, & d’une ardeur d’urine qui l’avoit absolument détruit, & l’avoir mis dans l’état d’un squelete[3]. Pourquoi donc ne l’emploie-t-on pas toujours, & ne le substitue-t-on pas à tous les autres aliments ? par une raison qui lui est particulière, qui en dénature souvent l’effet, & qui fait qu’il en produit quelquefois un très-différent de celui qu’on espéroit & qu’on avoir lieu d’attendre.

Cette raison, c’est l’espece de décomposition à laquelle il est sujet. Si la digestion n’en est pas prompte, s’il séjourne trop longtemps dans l’estomac, ou si, sans y séjourner longtemps, il y trouve des matières propres à hâter cette décomposition, il éprouve les changements que nous lui voyons subir sous nos yeux : la partie butireuse, la caséeufe & la séreuse se séparent ; le petit-lait occasionne quelquefois une diarrhée prompte, d’autrefois il passe par les voies urinaires ou par la transpiration sans nourrir ; les autres parties, si elles restent dans l’estomac, ne tardent pas à le molester, à occasionner des maladies, des gonflements, des nausées, des coliques ; si l’on ne s’en sent pas incommodé d’abord, c’est qu’elles passent par les intestins, où elles peuvent, il est vrai, séjourner un certain temps sans nuire sensiblement, mais elles y acquièrent un âcreté singuliere, & au bout d’un certain temps elles produisent des accidents que le délai n’a pas rendus moins dangereux ; & l’on peut établir comme une loi qui doit rendre extrêmement circonspect quand on ordonne le lait dans des cas graves ; que si c’est l’aliment dont la digestion est la plus aisée, c’est aussi celui dont l’indigestion est la plus fâcheuse. L’on a vu plus haut les difficultés que M. Boerhaave trouvoit dans son usage ; mais quelque grandes qu’elles soient, les avantages qu’on peut en retirer sont assez considérables pour qu’on cherche tous les moyens possibles de les surmonter, & heureusement il y en a. L’on peut les ranger sous deux classes ; les attentions de régime, & les remèdes. Je renverrai l’examen de ceux-ci à un des articles suivants.

Les attentions du régime sont, premièrement, le choix du lait : pour quelque espece qu’on se détermine, la femelle qui le fournit doit être saine & bien conduite. En second lieu, il faut éviter, pendant qu’on le prend, tous les aliments qui peuvent l’aigrir, & tels sont tous les fruits, tant cruds que cuits, & en général tout ce qui a de l’acidité. Troisièmement, il faut le prendre dans des temps fort éloignés des autres aliments ; il n’aime aucun mélange : 4°. n’en prendre que peu à la fois ; 5°. avoir l’estomac, le bas-ventre & les jambes extrêmement au chaud, & surtout, 6°. (sans cette précaution toutes les autres seroient très-inutiles), se modérer extrêmement sur la quantité des aliments même les mieux choisis. L’on ne doit, pendant qu’on prend le lait, donner aucun travail à l’estomac ; la plus petite surcharge, la plus légère indigestion y laisse un principe de corruption qui corrompt sur-le-champ le lait, & du plus sain des aliments peut faire un poison quelquefois violent, & au moins toujours très-nuisible.

Quel lait mérite la préférence ? Pour répondre à cette question, je n’entrerai point dans l’examen des différentes sortes de lait ; ce seroit prolonger mon ouvrage par un hors d’œuvre ; l’on a là-dessus plusieurs secours, & peut être point de meilleur qu’une Dissertation, aujourd’hui fort rare, de feu M. d’Apples, Docteur en Médecine, & Professeur en Grec & en Morale dans cette Académie[4]. L’on n’emploie presque plus aujourd’hui que celui de femme, d’ânesse, de chèvre & de vache. Chacun a ses qualités différentes ; c’est la comparaison de ces qualités & les indications qu’offre la maladie qui doit déterminer le choix qu’on fait de l’un ou de l’autre. Il y a peu de cas dans lesquels celui de vache ne puisse pas tenir lieu de tous les autres. L’on croit ment celui de femme plus fortifiant, • c’est l’idée des plus grands maîtres ; mais l’on appuie cette opinion sur un fondement ruineux, qui est l’usage qu’elle fait de viandes, sans réfléchir que dans le même temps on donne la préférence à celui d’une robuste paysane qui n’en mange point, ou du moins très-peu, & qui ne vit que de pain & de végétaux. Je crois cependant qu’on pourrait l’essayer avec succès ; les belles cures opérées par son usage ne laissent aucun doute sur son efficace : mais il a un inconvénient qui lui est particulier, c’est qu’il doit être pris immédiatement au mammelon qui le fournit ; c’est une précaution dont Galien a déjà connu la nécessité, & en se moquant de ceux qui ne veulent pas s’y astreindre, il les renvoie comme des ânes au lait d’ânesse : mais le vase n’exciteroit-il point des désirs qu’on cherche à amortir, & ne feroit-on point exposé à voir renouveller l’aventure du Prince dont Capivaccio nous a conservé l’histoire ? On lui donna deux nourrices ; le lait produisit un si bon effet, qu’il les mit à même de lui en fournir de plus frais au bout de quelques mois, s’il se trouvoit en avoir besoin. L’on croit que le lait d’ânesse est le plus analogue à celui de femme ; mais qu’on me permette de le dire, c’est une assertion d’opinions plus que d’expérience. Il est le plus séreux, & par là même le plus relâchant ; c’est une erreur funeste de le croire le plus fortifiant. Des observations journalières démontrent le contraire, & prouvent que non-seulement il n’est pas le plus efficace, mais que peut-être il l’est le moins. Je n’en ai pas toujours vu de bons effets, & je ne suis pas le seul : il me semble, m’écrivoit M. de Haller, que ce lait d’ânesse fait rarement ce qu’on lui demande. L’inutilité est un bien grand défaut dans un remède sur lequel on fonde la guérison des maladies les plus graves. M. Hoffman le conseilloit dans les cas où il y avoit tout à la fois épuisement ou cupidité[5].

Avant que de quitter ce qui regarde les aliments, je dois finir par le conseil d’Horace, c’est de ne pas faire des mélanges.

——————————Nam variæ res
Ut noceant homini credas, memor illiirs escæ,
Quæ simplex olim federit ; at, simul assis
Miscueris elixa, simul conchylia turdis,
Dulcia se in bilem vertent, stomachoque tumultum
Lenta feret pituita.

L’on sent, sans qu’il soit besoin d’insister sur ce conseil, combien il est impossible que des aliments très-différents subissent dans le même temps une digestion parfaite. Ce mélange est une des causes qui ruinent les santés les plus fortes, & qui tuent les foibles ; ils ne peuvent l’éviter avec trop de soin.

Une autre attention également nécessaire, & presque également négligée, c’est une mastication exacte ; c’est un secours dont les estomacs les plus vigoureux ne peuvent pas se passer long temps sans décheoir sensiblement, & sans lequel les foibles ne sont que la digestion la plus imparfaite. Il faut avoir beaucoup observé pour s’imaginer jusqu’à quel point il importe à la santé de mâcher soigneusement. J’ai vu les maux d’estomac les plus rebelles, & les langueurs les plus invétérées se dissiper par cette seule attention. J’ai vu d’un autre côté des personnes bien portantes tomber dans les infirmités, quand leurs dents endommagées ne leur permettoient plus qu’une mastication imparfaite, & ne recouvrer leur santé que quand, après la perte totale de leurs dents, les gencives acquéroient cette dureté qui les met à même d’en faire les fonctions.

Tant de détails, tant de précautions et de privations sont exprimés dans un vers de M. Procope.

Vivre selon nos loix, c’est vivre misérable.

Mais peut-on trop payer la santé ? Qu’on est bien dédommagé des sacrifices qu’on lui fait, par le plaisîr d’en jouir, par les agréments qu’elle répand sur tous les moments de la vie. Sans la santé, dit Hippocrate, on ne peut jouir d’aucun bien ; les honneurs, les richesses & tous les autres avantages sont inutiles[6]. D’ailleurs, ces sacrifices sont bien moindres qu’on ne le croit. Je puis citer plusieurs témoins à qui dès les premiers jours, il n’en a plus rien coûté de renoncer à la variété & à la faveur des mets recherchés, pour se remettre au régime simple. C’est celui qu’indique la Nature ; & qui plaît aux organes bien constitués. Un palais sain, qui a toute la sensibilité qu’il doit avoir, ne peut goûter que les mets simples ; les composés, les apprêts lui sont insoutenables, & il trouve dans les aliments les moins savoureux une saveur qui échappe aux organes émoussés : ainsi ceux qui y reviennent pour leur santé, par raison & avec quelque goût, doivent être sûrs qu’à mesure qu’ils recouvreront cette santé, ils trouveront dans ces aliments des délices qu’ils n’y soupçonnent pas. Une oreille fine démêle cette légère différence entre deux tons qui échappe à une oreille moins sensible, il en est de même des nerfs des organes du goût : quand ils sont exquis ils apperçoivent les plus légères variétés des saveurs, & ils y sont sensibles ; les buveurs d’eau en trouvent qui les flattent autant que le Falerne le plus exquis, & d’autres qui ne valent pas les vins de Brie. Enfin, quand on n’auroit pas l’espérance de suivre avec plaisir un régime, (il est aisé de s’accommoder de celui que j’ai indiqué), la satisfaction de sentir qu’en s’y soumettant on remplit un devoir, seroit un motif bien pressant, une récompense bien flatteuse pour ceux qui connoissent le prix du bien être avec soi-même.

Les boissons sont une partie du régime presque aussi importante que les aliments.

L’on doit s’interdire toutes celles qui peuvent augmenter la foiblesse & le relâchement, diminuer le peu de forces digestives qui restent, porter de l’âcreté dans les humeurs, & disposer le genre nerveux à une mobilité déjà trop considérable. Toutes les eaux chaudes ont le premier défaut ; le thé les réunit tous ; le café a les deux derniers, aussi l’on doit s’en priver avec la plus grande rigueur. L’auteur d’un ouvrage au-dessus des éloges, & dont ceux qui s’intéressent pour les progrès de la médecine attendent la continuation avec la plus grande impatience, a fait du danger de ces liqueurs un tableau bien propre à en dégoûter ceux qui les prennent avec le plus de plaisir[7].

Les liqueurs spiritueuses qui paroissent au premier coup d’œil pouvoir convenir en ce qu’elles opèrent précisément le contraire de l’eau chaude, dont réellement elles diminuent le danger si l’on y en joint une petite quantité, ont d’autres grands inconvénients qui doivent les faire rejetter, ou au moins restreindre à un usage extrêmement rare. Leur action est trop violente & trop passagere ; elles irritent plus qu’elles ne fortifient ; & si quelquefois elles fortifient, la foiblesse qui succede est plus grande qu’avant leur usage ; elles donnent d’ailleurs aux papilles de l’estomac une dureté qui leur ôte ce degré de sensibilité nécessaire pour avoir appétit, & elles ôtent aux liqueurs digestives ce degré de fluidité qu’elles doivent avoir pour aider cette sensation ; aussi les buveurs de liqueurs ne la connoissent point. Les personnes, dit l’Auteur illustre que je viens de citer, qui boivent tous les jours des liqueurs après le repas, dans la vue de remédier aux vices des digestions, ne pourraient gueres mieux s’y prendre, si elles voulaient venir à bout du contraire & détruire les forces digestives.

La meilleure boisson est une eau de source très pure, mêlée avec partie égale d’un vin qui ne soit ni fumeux, ni acide ; le premier irrite sensiblement le genre nerveux, & produit dans les humeurs une raréfaction passagere, dont l’effet est de distendre les vaisseaux pour les laisser ensuite plus lâches, & d’augmenter la dissolution des humeurs ; le second affoiblit les digestions, irrite, & procure des urines trop abondantes qui épuisent les malades. Les meilleurs vins sont ceux qui ont moins d’esprits & de sel, plus de terre & d’huile, ce qui forme ce qu’on appelle les vins moelleux ; tels sont quelques vins rouges de Bourgogne, du Rhône, de Neufchâtel, & un petit nombre dans ce pays ; les vieux vins blancs de Grave, ceux de Pontac bien choisis, les vins d’Espagne, de Portugal, ceux des Canaries ; & dans les endroits où l’on peut en avoir, ceux de Tokai, supérieurs peut-être à tous les vins du monde en salubrité comme en agrément. Pour l’usage ordinaire il n’en est point de préférables à ceux de Neufchâtel.

Dans les endroits où l’on n’a pas de bonne eau, on peut la corriger en la filtrant, en la ferrant ou en y faisant infuser quelques aromates agréables, tels que la cannelle, l’anis, l’écorce de citron.

La bierre ordinaire est nuisible. Le Mum, qui est proprement un extrait de grain aussi nourrissant que fortifiant, peut être d’un grand usage ; riche d’esprits, il ranime autant que le vin, & nourrit davantage ; il peut tenir lieu de boisson & d’aliments.

Parmi les boissons utiles, l’on doit ranger le chocolat, qui appartient peut-être à plus juste titre à la classe des aliments ; le cacao renferme en lui-même beaucoup de substance nutritive, & le mêlange du sucre & des aromates prévient ce qu’il pourroit avoir de nuisible comme huileux. Le chocolat au lait, dit M. Lewis, pris à une dose qui ne puisse pas surcharger l’estomac, est un excellent déjeuner pour les personnes en consomption. Je connois un enfant de trois ans qui étoit au dernier degré de cette maladie, abandonné de son Médecin, & que sa mère rétablit en ne lui donnant que du chocolat à petites doses, mais souvent ; & il est vrai qu’on ne peut trop recommander cet aliment à quelques personnes foibles[8]. Il en est plusieurs auxquelles il nuiroit infiniment.

Une attention générale, c’est qu’on doit éviter la quantité de boisson quelconque ; elle affoiblit les digestions en relâchant l’estomac, en noyant les sucs digestifs, & en précipitant les aliments avant qu’ils soient digérés ; elle relâche toutes les parties, elle dissout les humeurs, elle dispose à des urines ou à des sueurs qui épuisent. J’ai vu des maladies produites par l’atonie, diminuer considérablement sans autre secours que le retranchement d’une partie de la boisson.

  1. Sect. 6, aph. 220.
  2. Pag. 17.
  3. Zacut. Lusitan. Prax. medic. admir. lib. 2, obs 70.
  4. GALACTOLOGIAS Tentamen, &c. Basle 1707.
  5. Ibid. §. 31.
  6. De diæta acut. l. 3, c. 12 Foëf. 368.
  7. M. Thierry, Auteur anonyme de la Médecine expérimentale, p. 315.
    Quand on publie un ouvrage de ce prix, on ne doit, ni croire qu’on sera longtemps inconnu, ni craindre d’être dévoilé. Le moment où nous l’aurons complet sera une époque considérable dans l’histoire de la Médecine.
  8. Tab. dorsal. f. 9.