L’Ordre du combat de deux gentilz hommes faict en la ville de Moulins

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L’Ordre du Combat de deux gentilz hommes faict en la ville de Moulins, accordé par le Roy nostre sire.

1537



L’Ordre du Combat de deux gentilz hommes faict en la ville
de Moulins, accordé par le Roy nostre sire
1.

François fera fermement florir France.
Raison regnant riche roy regnera,
Aymant accordz acquerra alliance,
Nostre noble noblesse nourrira,
Croyant conseil criminelz chastiera,
Ostant oultrages, oppressions, offence,
Incessamment juste justice ira
Si seront seuls soustenus sans souffrance.

Le camp a barrières dedans la court du chastel.

Les deux combattans l’on nomme le seigneur de Sarzay2, et

l’autre, François de Sainct-Julian, seigneur de Denyères3.

Ledit Sarzay, assaillant ; ledict de Denyères, deffendant.

Le seigneur de Dillebon4, prevost de Paris, parrain dudit Sarzay.

Le capitaine Bonneval, parrain dudit Denyères.

Maistres du camp : Monseigneur le connestable5 ; Monseigneur Loys de Nevers ; Monseigneur le conte de Sainct-Pol6 ; Monseigneur le marechal d’Anebault. Chacun d’eulx une halebarde et vestus de mesme parure, assavoir : d’une saye de velours figuré avec parement et pourmailleure en plates bordures de fil d’or auxditz connestable et de Nevers, et de fil d’argent aux deux autres. Deux eschauffaults : l’ung pour le roy et les princes, et l’aultre pour les quatre herauls d’armes.

Le matin, après soleil levé, entra ledit Sarazay en la cour, passant par le camp, allant à la chambre de la retraicte, conduit et accompagné des tabourins et phiffres du roy et son parrain, avec grosse compaignie de gentilz hommes, ses parens et amys, et bon ordre, car à la dicte heure convenoit se comparoir, et devans soleil couchans rendre son ennemy vaincu. Tantost après arrive Denyères, en semblable ordre comme dessus, avec son parrain ; à l’eschauffault des quatre herauls estoient aux deux coings fichez en deux tableaux les armes des deux combattans ; tost après sonnent trompettes et clerons par les quatre herauls par trois fois, et lors est publié l’arrest du roy par luy donné en son conseil privé, par lequel le seigneur de Chasteauroux7, demandeur en cas d’honneur, est declaré et deschargé par le roy du faict contre luy mys en avant, qu’est de la fuyte au roy de la bataille de Pavie8 et la querelle demourant à desmesler entre ledict Sarzay et de Denyères, jusques au combat en quoy le roy, par ledit arrest, proposoit les recevoir. Après vint ledit assaillant, accompaigné de tabourins, phiffres, herauls, et la compaignie devant dicte, armée de hallecret9, tassettes10 et cotte de mailles11, la teste descouverte, sans baston nul, faire la monstre à l’entour de la lisière du camp par le dehors, sans entrer dedans, puis s’en retourne à sa retraicte. Tantost après, autant en faict le deffendeur, et par aprez, eulz retirez, publie l’edict de par le roy monseigneur le connestable et mareschauls de France, à tous les assistans pendant le combat, ne mouvoir, ne faire signes de pieds ne de mains, ne parler, ne tousser, moucher et cracher, sur peine d’avoir le poing couppé. Après revient l’assaillant, accompaigné comme dessus, cabasset12 en teste, que de rechief fait monstre, comme dessus, et puis entre dedans le camp en un carré, où il se assiet dedans une chaire sans baston ; après vient le deffendeur, en pareil ordre, et se assiet dedans le camp, à l’autre carré opposite. Euls là estans, est parlementé au roy de la manière des armes par lesditz quatres maistres du camp, et deux parrains est trouvé, et dict que le deffendeur doit choisir. Le dit deffendeur dit qu’il veult combattre avec deux espées nues à chacune main nue pour le premier combat ; et, pour le second, une espée à une main et ung poignard à l’autre. Les deux espées sont parties à l’assaillant et mises au poing, idem au deffendeur. Cela faict, est publié un autre edict par les hérauls, de par le roy, et comme dessus, de la permission du combat, signifiant que les dictes armes du vaincu seroient trainées et villanées, et celles du vainqueur exaltées, et le dit vaincu, mort ou vif, pugny à la discretion du roy. Le prevost de Paris, parrain dessus nommé, prent l’assaillant à costé, le meine tournoiant à l’assaut ; idem en fait le dit deffendeur, et cependant crioyt ung herault par trois fois : Laissez-les aller, les vaillans combatans ! Et tant les laissent aller, et commencent à ruer grands coups ; fust blessé le deffendeur au pied gauche, jusques à grant effusion de sang, un grand coup qui vint cheoir de dessus la teste sur la cuisse et sur le pied vers le tallon13. Le roy, voyant ce, leur cria qu’ils cessassent, et jetta ung baston qu’il tenoit du camp14. À tant se rapprochèrent les quatres maistres du camp et les deux parrains, qui les departirent et les retirèrent en leurs premiers lieux. Après le roy declara qu’il n’y a vaincu ne vainqueur, et les repute gens de bien tous deux et gentilz hommes ; dit qu’il se contente d’euls et leur deffend ne plus eulx molester. Et à tant sont tous deux mis hors du camp l’ung quant et l’autre, signifiant egalité ; pendant le combat les archiers estoient à l’entour du camp par le dehors faisant lisière. Depuis ordonna le roy à monseigneur le connestable mander le dit Sarzay à son lever le lendemain au matin, et vouloit qu’il luy fust baillé cinq cens escus et autant au dict Denyères15, et pour ce que les aucuns disputient du combat, disant que le dit Denyères estoit vaincu, et que sur ce dresseroient querelles, le roy le lendemain fist crier et deffendre à son de trompe, sur grosses peines, de ne blasmer du dict combat l’ung non plus que l’autre16.



1. Ce duel eut lieu en 1537, le 14 janvier. (Vulson de la Colombière, le Vray théâtre d’honneur et de chevalerie, t. 2, p. 409.) Il eut alors un long retentissement, parceque c’est un des derniers qui furent faits par ordonnance du roi. (Allier et Batissier, Bourbonnois ancien et moderne, t. 2, p. 46.) Brantôme en a parlé dans son Discours sur les duels.

2. Hélyon de Barbançois II, seigneur de Sarzay. Il étoit d’une famille originaire de la Marche, qui, dès le XIIe siècle, étoit venue habiter, dans le Berry, la terre de Sarzay, dont elle avoit pris le nom. (La Thaumassière, Hist. du Berry, p. 602.)

3. La Colombière l’appelle de Veniers, et c’est, en effet, son véritable nom.

4. Le seigneur de Villeban ou de Villebon.

5. Anne de Montmorency, qui venoit d’être fait connétable.

6. Le comte de Saint-Pol, duc d’Estouteville.

7. Messire Jean de La Tour, seigneur de Châteauroux.

8. « L’occasion de leur combat, dit La Colombière, fut que Sarzay, parlant du sieur de La Tour, avoit dit qu’il s’en estoit fuy de la bataille de Pavie ; sur quoy, La Tour l’a fait appeler devant le roy, et luy demande s’il a tenu ce discours. Il répond que ouy, et qu’il l’avoit ouy dire à Gaucourt. Il semble donc que c’estoit à La Tour à s’en esclaircir avec Gaucourt ; neantmoins, Gaucourt appelé, ce fut Sarzay qui luy demanda s’il n’estoit pas vray qu’il luy avoit dit que La Tour s’en estoit fui de la bataille. À quoy La Tour respondit sans l’advouer ni desadvouer : « Vous avez dit vous-mesme que vous le teniez de Veniers. » — « Il est vray, repartit Sarzay ; Veniers me l’a dit. » Alors Gaucourt, ayant remonstré que, puisque Sarzay advouoit le tenir de Veniers, il n’estoit plus tenu de respondre, fut renvoyé, et Veniers incontinent appelé, qui donna un dementy à Sarzay.

« Pour en connoistre la verité et savoir entre eux qui estoit le faux accusateur, le roy ordonna que Veniers et Sarzay combattroient en champ clos ; et ce qui obligea ce brave et vaillant prince à leur donner si facilement le combat, fut qu’aucun de ces trois accusateurs ne s’estoient trouvés à la bataille de Pavie, mais estoient demeurez à leurs maisons bien à leur aise et bien esloignez des coups. Pourtant ils s’émancipoient de blasmer ceux qui s’y estoient trouvés, quoiqu’ils ne pussent pas bien juger de ceux qui avoient fuy ou combattu. »

9. Corselet léger fait de mailles.

10. Les tassettes étoient le rebord de l’armure, rabattus sur les cuissards. Plus tard on appela ainsi les basques du pourpoint.

11. « Veniers, est-il dit dans le Vray théâtre d’honneur, porta les armes dont on estoit demeuré d’accord, à sçavoir : un corcelet à longues tassettes, avec les manches de mailles et des gantelets, le morion en teste, une espée bien trenchante à la main droite, et une autre plus courte à la gauche. »

12. Sorte de casque ou de heaume.

13. C’est Veniers qui reçut ce coup. On ne put étancher la plaie, et il en mourut.

14. « Ils s’abordèrent très courageusement, dit Vulson de La Colombière, et combattirent avec leurs deux espées ; mais avec si peu d’adresse, comme gens qui n’estoient pas fort usitez à se servir de telles armes ; ce qui les obligea enfin à les quitter pour se prendre au corps, et alors, Veniers ayant déjà le poignard au poing, et Sarzay aussi tirant le sien, le roy, ne voulant qu’ils passassent plus avant, jeta son baston entre les deux combattans, et tout incontinent ils furent separez par les gardes du camp. »

15. « Ils furent menez devant le roy, qui les mit d’accord, remettant en son honneur le sieur de La Tour, Sa Majesté affirmant devant tous les courtisans qu’il l’avoit vu le jour de la bataille faire son devoir près de lui. » (La Colombière, id.)

16. Ce combat, selon La Colombière, se voyoit encore, au XVIIe siècle, représenté dans une galerie de l’hôtel de Montmorency.