L’Organisation du Travail (Le Play)/7

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Alfred Mame et fils (p. 493-546).

DOCUMENTS ANNEXÉS


DOCUMENT A

SOUFFRANCES PHYSIQUES ET MORALES INFLIGÉES EN FRANCE AUX VIEUX PARENTS.

1. Tableau tracé par M. Pinart, procureur général.

« Dans la famille agricole, le rude labeur des champs rattache chaque bras à une œuvre commune ; et quand le père est ainsi servi par les siens, il conserve encore, sur quelques points du territoire, un prestige. Mais comme ce dernier rempart fait à l’autorité s’affaisse devant ce besoin de jouissance isolée qui tourmente chaque membre ! Il ne suffit plus aux enfants de compter sur l’héritage au décès ; il faut que, le jour où s’affaiblissent les bras du père, un abandon anticipé le dépouille et les investisse. L’ardente convoitise de la propriété, suscitée par les prévisions du partage, leur fait envisager le chef de famille moins comme un père que comme un détenteur. Posséder est le rêve, posséder est le but. Le vieillard, qui n’a plus la force de produire, voit son autorité s’évanouir le lendemain du jour où son labeur est stérile. Une modique rente, souvent le simple droit de vivre et d’habiter sous le même toit que ses enfants investis de leurs lots, voici l’unique salaire que ceux-ci réservent au chef découronné ; souvent même la rente sera mal payée et le salaire contesté. Relégué au dernier rang, l’aïeul recevra bientôt, comme une aumône, le pain de ses derniers jours. Que de larges affronts lui feront trop souvent sentir qu’il est un hôte incommode à un foyer qui n’est plus le sien ! que de dédains lui diront qu’il est de trop sur une terre que ses sueurs ne fécondent plus ! Et quand le décès libère d’une dette ou investit d’un droit, que d’enfants l’accueillent, non comme un deuil qu’on redoute, mais comme un bénéfice qui se faisait trop attendre !» (Discours de rentrée à la cour impériale de Douai, en 1865.)

2. Tableau tracé par M. Bonjean, président à la Cour de Cassation.

« Quand les pères et mères ne veulent plus se livrer aux pénibles travaux des champs, ils distribuent leurs biens entre leurs enfants, en se réservant une rente viagère, ou même souvent sous la condition d’être nourris, logés et entretenus par leurs enfants. Qu’arrive-t-il souvent ? j’ai honte de le dire, il arrive trop souvent ceci : dans les premiers temps, tout va à merveille ; la rente est servie exactement ; le donateur est entouré de soins ; mais peu à peu le souvenir du bienfait s’affaiblit ; les charges seules apparaissent, les rentes ou prestations en nature ne sont plus acquittées, que de mauvaise grâce ; trop souvent on cherche des prétextes pour s’en dispenser, et trop souvent aussi les malheureux ascendants se trouvent délaissés dans leurs vieux jours par d’indignes enfants qui ne voient plus en eux qu’une charge inutile. N’est-il pas vrai qu’il en est souvent ainsi ? — Plusieurs voix. Oui, ce n’est que trop vrai !» (Discours au Sénat, séance du 23 mars 1861.)

3. Tableau tracé par M. E. Legouvé.

« On sait la passion du paysan pour la terre. En acheter un lopin, le cultiver, l’agrandir, voilà le but de toute sa vie ! Eh bien, c’est autour de ce morceau de terre que la lutte s’engage à la campagne, entre le père et le fils. Le père a autant d’ardeur pour conserver ce qu’il appelle si énergiquement son bon bien, que le fils pour le conquérir. Mais le père l’aime comme on aime ce qu’on a ; le fils l’aime comme ce qu’on voudrait avoir, c’est-à-dire avec toute l’âpreté que le désir ajoute à la passion. De plus, le fils est jeune, et le père est vieux ; le fils est vigoureux, le père est cassé. Donne-moi ta terre, je la cultiverai mieux que toi ! Ce travail te tue, et je ne veux pas que tu te tues ! Arrivent alors les caresses, les promesses : le père, qui est le plus tendre, cède.

Il donne sa terre moyennant une pension ; ce jour là, il est perdu ! car il n’est plus père, il est créancier. Oh ! les pensions ! les pensions viagères, il n’est rien de plus dépravant : leur côté fatal, c’est leur caractère chronique. Elles courent toujours, comme dit la loi ; et, par cela seul, elles deviennent peu à peu pour celui qui paie un sujet d’agacement, ne fût-ce qu’à titre de refrain monotone. Alors arrivent les retards, les demandes de remises, les étonnements à chaque retour de trimestre. Comment, déjà ! répond-on en réclamant ; déjà, c’est le mot de tous les débiteurs ; rien ne fait paraître le temps court comme les échéances.

« Ce n’est là que le premier acte ; mais qu’il survienne des catastrophes dans la famille, que la gêne et les dettes entrent dans la maison, le père qui augmente cette gêne, car il coûte, le père qui est une dette de plus, le père devient monsieur vit toujours. Parfois même, sous le coup du désordre et d’une pauvreté relative, le fils ou la bru prennent ce vieillard éternel, ce créancier éternel dans une antipathie violente. J’ai vu, moi, à la campagne, un vieux paysan qui avait donné son bien à ses enfants relégué peu à peu de la chambre d’honneur dans une pièce humide et malsaine, puis de cette pièce dans un fournil, puis exilé de la table, puis réduit à manger la soupe dans une écuelle de bois, puis réduit à ne manger que du pain, puis forcé de coucher dans une sorte d’auge sur la vieille litière de l’âne, et enfin, un jour, à bout de désespoir et d’indignation, allant se jeter dans la rivière !

« Certes, ce sont là des exceptions, il y a des pères créanciers et aimés. Même parmi les fils ingrats, il y a des degrés. Tous ne jettent pas leur père au bureau de bienfaisance ; mais ils lui laissent des habits délabrés qui demandent l’aumône. Ils ne lui refusent pas la soupe ; mais ils lui donnent la plus maigre part et la plus mauvaise place à la table de famille. Ils ne lui volent pas la rente qu’ils lui doivent ; mais ils se la font arracher pièce par pièce ; et parfois le père est contraint de faire appel au juge de paix. Enfin, ils ne le réduisent pas à se tuer de désespoir, et ils ne l’appellent pas monsieur vit toujours !… mais ils comptent ses jours et les abrègent en les empoisonnant. » (Les Pères et les Enfants au XIXe siècle.)

DOCUMENT B

OPINION, COMMUNE EN FRANCE, TOUCHANT LA SUPÉRIORITÉ DE LA JEUNESSE SUR LA VIEILLESSE ET L’ÂGE MÛR.

Depuis l’époque de la Terreur on enseigne, sur tous les tons, à la jeunesse que les doctrines professées dans les écoles communiquent à ceux qui les écoutent une science sociale bien supérieure à celle que donne, pendant le cours d’une longue vie, le gouvernement de la vie privée (§ 67) et des intérêts locaux (§ 68). De là une opinion fort commune sur l’infériorité sociale de l’âge mûr et de la vieillesse. Cette opinion a inspiré la plupart des critiques adressées à mon premier ouvrage (O) ; à cette occasion, elle a été résumée dans les termes suivants par un écrivain qui s’est distingué par ses travaux d’économie politique.

« Telle est la rapidité du progrès des connaissances, qu’aux deux tiers de sa carrière le père de famille n’est plus au niveau de ce qu’il faut savoir ; ce n’est pas lui qui enseigne ses enfants, ce sont ses enfants qui refont son éducation ; il représente pour eux la routine ancienne, la pratique usée, la résistance qu’il faut vaincre. » (R. de Fontenay, Journal des économistes, juin 1856, p. 401.)

Tous ceux qui ont enseigné avec succès la jeunesse ou qui ont dirigé utilement le moindre intérêt social, savent que la science des écoles n’est qu’une imparfaite préparation à l’apprentissage de la vie, et que celui-ci n’a d’autres limites que l’extinction des facultés par le progrès de l’âge. Ils connaissent donc la fausseté de cette doctrine et le danger de la conclusion qui prétend conférer aux écoliers l’aptitude à gouverner la société.

Cette aberration explique beaucoup de désordres de l’ère actuelle (§ 17). On attribue souvent nos incessantes révolutions à l’antagonisme de nos quatre partis rivaux ; mais on ne doit pas redouter moins l’accord qui s’établit entre eux, au sujet de certaines doctrines antisociales repoussées par les peuples libres et prospères. L’une des plaies actuelles de la France, dans tous les partis comme dans toutes les classes de la société, est ce mépris de la vieillesse qui ruine les plus féconds principes d’ordre matériel et moral. Quand la vieillesse a l’autorité qui lui appartient, les jeunes gens voient par cela même grandir le cercle de leur activité : ils travaillent plus efficacement à la prospérité commune ; mais, contenus par des vieillards que l’expérience a éclairés, ils ne demandent pas, comme chez nous, la réforme à des révolutions ou à de prétendus progrès (§ 58) qui ne font qu’accélérer la décadence.

Au surplus, chez les peuples prospères, il n’existe entre les divers âges aucune trace d’antagonisme : les jeunes gens comprennent fort bien qu’ils ont tout intérêt à honorer leurs parents et à leur obéir, ne fût-ce que pour éviter d’être plus tard humiliés par leurs propres enfants. Ainsi, en Angleterre, dans les familles jouissant de l’estime publique, les cadets ne sont pas moins attachés que leur père à la liberté testamentaire. Ils savent, à la vérité, que cette liberté s’emploiera, en général, à transmettre le foyer et l’atelier à leur aîné ; mais chacun d’eux vise à créer un établissement avec l’assistance de la maison-souche, et il entend conserver le pouvoir de le transmettre intégralement à ses descendants.

DOCUMENT C

INFLUENCE FUNESTE EXERCÉE SUR LA JEUNESSE RICHE PAR LE DROIT À L’HÉRITAGE.

En France, les vraies Autorités sociales (§5), c’est-à-dire les hommes éminents qui dirigent les travaux du commerce, de l’industrie et de l’agriculture, ne sont guère disposés à sortir du cercle de leurs devoirs journaliers pour enseigner les vérités sociales par des discours et des écrits. Cependant, depuis que la réforme commerciale a mis nos négociants en concurrence plus immédiate avec des rivaux qui jouissent de la liberté testamentaire, on voit naître chez nous des initiatives qu’avait étouffées jusqu’ici une réglementation exagérée. C’est ainsi que, dans une pétition adressée au sénat en 1865, cent trente négociants ou fabricants de Paris et des provinces ont signalé dans les termes suivants l’influence funeste que le droit à l’héritage exerce sur les mœurs de leurs enfants[1], et, par suite, sur la situation de leurs ateliers.

« Nous soussignés, manufacturiers, fabricants et commerçants, avons l’honneur de nous adresser respectueusement à la haute intervention du Sénat pour obtenir du gouvernement de l’Empereur que la liberté testamentaire soit substituée à notre régime actuel de succession… Autant le droit d’aînesse nous semblerait contraire à l’équité naturelle et au sentiment de la nation, autant la loi qui nous régit nous paraît un excès opposé, qui a pu avoir sa raison d’être temporaire, mais qui devient de jour en jour une cause plus marquée de préjudice et de dissolution pour les intérêts du pays… Le mal que nous signalons a pu demeurer douteux tant que la France s’est contentée d’un rang secondaire parmi les nations commerçantes… Mais aujourd’hui… nous avons été mis en demeure de lutter contre les peuples producteurs les plus avancés… La France industrielle a répondu à l’appel de son souverain en se préparant énergiquement à la lutte ; mais une barrière s’élève entre elle et le but proposé à ses efforts : notre régime de succession.

« En effet, tandis que l’Angleterre, sous l’empire de la liberté testamentaire, voit grandir et se perpétuer chez elle des établissements… qui accumulent les capitaux, la clientèle, les leçons de la pratique… ; tandis que les fils des manufacturiers ou des négociants les plus considérables continuent, dans la métropole et jusqu’aux extrémités du monde, l’œuvre de leurs ancêtres, que se passe-t-il parmi nous ? Rarement l’œuvre du père est continuée par les fils. Dans la plupart des cas, le père a été l’artisan de sa fortune : il s’est élevé plus ou moins haut selon ses propres forces… Mais le capital qu’il a amassé, l’expérience qu’il a acquise, l’instrument de travail qu’il a créé, tout cela se trouve affaibli, disséminé, compromis ou perdu lorsque la vieillesse ou la mort mettent fin à son action personnelle. C’est une force vive dont notre Code civil semble avoir pris pour mission de briser les organes…

« Si nous recherchons les causes les plus influentes de résultats si opposés, nous sommes conduits à constater que…, en Angleterre et aux États-Unis d’Amérique, les enfants contractent, dès le berceau…, des habitudes de respect et d’obéissance. L’Angleterre est couverte de manufactures et de maisons de commerce qui ont grandi sous l’égide du chef de famille assisté de ses enfants ; la mer est sillonnée de navires marchands anglais, commandés par des fils de négociants ; le monde voit partout des comptoirs anglais, dirigés par ceux qui n’ont pas trouvé leur part d’action à l’établissement de la métropole.

« Il nous est interdit, par notre régime de succession, d’arriver au même résultat. Chaque enfant, quelles que doivent être plus tard son intelligence ou son incapacité, son énergie ou sa paresse, ses vertus ou ses vices, naît avec le droit de jouir, à une heure donnée, de la fortune de son père, sans avoir eu besoin de rien faire pour l’acquérir, l’augmenter ou la mériter… Le fils sait de bonne heure ce qu’il doit attendre ou exiger de son père dans telle ou telle éventualité. Comment le chef de famille n’aurait-il pas, de son côté, conscience de cette sorte d’antagonisme originel qui le trouve faible et désarmé contre l’indolence, les passions ou les écarts de ses fils ? Aussi, nous le répétons, combien d’édifices industriels ou commerciaux s’amoindrissent ou s’écroulent avec la génération qui les a fondés ! Combien de pères doivent renoncer au concours de leurs enfants, tandis que ceux-ci attendent, dans une oisiveté coupable, le moment de jouir sans travail du bien acquis par leurs parents ! Nous pourrions citer par centaines les exemples de ces décadences déplorables favorisées par la loi dont les pétitionnaires signalent ici les dangers.

« Dans de telles conditions, comment songer à créer des entreprises de longue haleine ? Qu’est-ce que notre marine marchande auprès de celles de l’Angleterre et des États-Unis ? Combien peu songent à aller porter ou entretenir la vie dans nos colonies ? Combien comptons-nous de représentants de la France exportant directement nos marchandises dans les contrées lointaines, où des millions de consommateurs se disputent les produits anglais ? »

Cette pétition amènera la réforme, dès que les gouvernants voudront bien fixer leur attention sur les faits qui y sont signalés.

DOCUMENT D

ANTAGONISME SUSCITÉ, DANS LES FAMILLES FRANÇAISES, PAR LE PARTAGE FORCÉ DES HÉRITAGES.

Dans les contrées où le père, législateur domestique, règle souverainement la transmission de ses biens par donation ou par testament, l’héritage ne soulève que de rares contestations ; et tous les enfants issus d’un même sang restent unis après la mort des parents, comme ils l’étaient du vivant de ceux-ci. Les procès auxquels donnent lieu les intérêts de la propriété n’ont guère pour objet que les contrats et les obligations conventionnelles de toute nature. En France, où les héritages sont soumis à des règles compliquées qui dominent la volonté des parents, l’ouverture des successions fait naître entre les héritiers institués par la loi des contestations ruineuses et des haines sans fin.

En 1868, le nombre des jugements rendus par les tribunaux civils sur les contrats ou les obligations conventionnelles de toute nature n’a pas dépassé 24,899 ; tandis que les seuls jugements relatifs aux successions réglées par le partage forcé, avec ou sans intervention de donations ou de testaments, se sont élevés au nombre de 21,317. Ce vice radical de nos institutions fut signalé dès l’année même où le partage forcé fut établi (E). Il est, depuis lors, la principale cause de la désorganisation sociale (K, 2) dont les résultats apparaissent maintenant de toutes parts (J).

DOCUMENT E

OPINIONS QUI DÉTERMINÈRENT LA CONVENTION À ÉTABLIR LE PARTAGE FORCÉ.

1. Extrait du Moniteur. (Séance du 7 mars 1793.)

« N*** demande que les testaments faits en haine de la révolution soient abolis. — Mailhe dit qu’il faut remonter à la source du mal. Il constate que beaucoup de pères ont testé contre des enfants qui se sont montrés partisans de la révolution. — Prieur : Je demande que la loi se reporte à juillet 1789. Sans cela, vous sacrifiez les cadets voués à la révolution ; vous sanctionnez la haine des pères pour les enfants patriotes. — N*** : Je demande au moins qu’on abolisse à dater de ce jour. »

Jamais on n’avait vu, chez un peuple civilisé, des intérêts aussi grands tranchés par de si faibles raisons. Ce texte du Moniteur est la plus évidente condamnation de la loi, qui fut arrachée par la Terreur à une majorité pusillanime qui détruisit les institutions datant de vingt siècles (§ 12), qui, depuis lors, en propageant la stérilité dans le mariage, a plus affaibli la France que ne l’eût fait la perte de cent batailles[2].

2. Extrait du Moniteur. (Séance du 28 décembre 1793.)

« La loi sur l’égalité des partages a déjà occasionné beaucoup de désordres dans bien des familles… ; vous avez fait un grand acte de justice ; vous avez voulu frapper les grandes fortunes, toujours dangereuses dans une république ; mais, la loi étant générale, les petits propriétaires ont été atteints… » (Discours de Cambacérès.) — « La Convention a cru établir un grand principe, et elle a, pour ainsi dire, jeté une pomme de discorde dans toutes les familles ; des procès sans nombre vont être le résultat de cette loi… Si elle est reconnue nuisible, elle doit être rapportée. » (Discours de Thuriot.)

« Je m’oppose à tout nouvel examen du principe. L’égalité du partage est un principe sacré, consacré dans la déclaration des droits… Votre loi, juste et bienfaisante, a excité des réclamations, dit Thuriot ; oui, mais de la part des ennemis de la révolution… » (Discours de Phélippeaux, appuyé de ceux de Bourdon de l’Oise, de Pons de Verdun, etc.)

Les personnes qui, dans nos assemblées révolutionnaires, firent prévaloir le partage forcé, sous la pression de la Terreur, venaient en général des contrées à domaines morcelés et à familles instables (§ 46), où régnait la coutume du partage égal. Au mépris du droit et de la raison, cette coutume fut ainsi imposée par la violence aux contrées à domaines agglomérés et à familles stables (§ 46), qui prospéraient au moyen de leurs coutumes séculaires de transmission intégrale.

DOCUMENT F

DOCTRINE ADOPTÉE, EN 1791, EN MATIÈRE DE SÉDUCTION.

La loi du 25 septembre 1791, instituant un nouveau Code pénal, supprima la responsabilité qui était précédemment imposée à l’homme en matière de séduction. Cette nouveauté fut adoptée sur les conclusions d’un rapport dont la doctrine n’est pas moins étrange dans la forme que vicieuse dans le fond. On y trouve notamment le passage suivant, qui a été sévèrement jugé chez les Anglo-Saxons.

« Nous avons pensé que, lorsqu’il s’agit d’une fille de seize ans, la séduction, que la nature n’avait pas mise au rang des crimes, ne pouvait y être placée par la société. Il est si difficile à cette époque de la vie, où la précocité du sexe ajoute à une excessive sensibilité, de démêler l’effet de la séduction de l’abandon volontaire. Quand les atteintes portées au cœur peuvent être réciproques, comment distinguer le trait qui l’a blessé ? Comment reconnaître l’agresseur dans un combat où le vainqueur et le vaincu sont moins ennemis que complices ? »

DOCUMENT G

IDÉES FAUSSES DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE TOUCHANT L’IMMIXTION DE L’ÉTAT DANS LE RÉGIME DU TRAVAIL.

Les ouvriers parisiens, inquiets de l’isolement où ils se trouvaient depuis l’abrogation des anciennes corporations d’arts et métiers, réclamèrent, dès 1791, le droit de se réunir dans un but d’assistance mutuelle, en cas de chômage ou de maladie. L’Assemblée nationale refusa de leur reconnaître ce droit, et elle chargea le député Chapelier de leur adresser la réponse suivante, le 14 juin de cette même année : « Il ne doit pas être permis aux citoyens de s’assembler pour leurs prétendus intérêts communs. C’est à la nation, c’est aux officiers publics, en son nom, à fournir des travaux à ceux qui en ont besoin et des secours aux infirmes. »

Une telle aberration ne s’était jamais produite avec un caractère officiel chez un peuple civilisé. Les gouvernants de cette triste époque (celle de la fuite de Varennes) désorganisèrent la France en inaugurant le régime de la Terreur[3], et ils inoculèrent aux masses, malgré de louables résistances, le vice du communisme. Ce déplorable régime a semé la plupart des erreurs d’où sortent aujourd’hui tant de maux.

DOCUMENT H

OPINION DE LA PRESSE LOCALE DE SAVOIE, SUR UN INCONVÉNIENT DE LA RÉCENTE ANNEXION.

« Sous la loi sarde, la portion disponible était des deux tiers lorsque le testateur avait un ou deux enfants, et de la moitié s’il en laissait un plus grand nombre (art. 719) ; de plus, les filles dotées étaient exclues de la succession de leurs parents. Le père de famille avait à sa disposition un moyen efficace de retenir auprès de lui un ou plusieurs de ses fils, par la possibilité de donner une part suffisante de son héritage à ceux qui l’avaient cultivé… La mise en vigueur de l’article 913 du Code Napoléon a changé tout cela, en réduisant la portion disponible à la moitié, au tiers ou au quart, suivant les cas. Ordinairement les habitants de la campagne ont au moins trois enfants et ne peuvent disposer que du quart. Dans la pratique, cette portion ne suffit pas à fixer au sol celui ou ceux des fils à qui elle est promise. Les hommes d’affaires, les propriétaires, dont les relations avec les cultivateurs sont fréquentes, affirmeront tous que, depuis l’annexion, ils ont vu fréquemment les efforts du père de famille, appuyés par la promesse — du quart disponible, rester sans effet, et les fils partir à la recherche de salaires plus rémunérateurs. Ils font et continueront de faire ce raisonnement d’une simplicité et d’une exactitude évidentes : — Si nous restons à travailler pendant dix ans, pendant vingt ans, le patrimoine sera entretenu, augmenté par nos labeurs, par nos fatigues de tous les jours ; puis, au moment de l’ouverture de la succession, les enfants sortis jeunes de la maison paternelle viendront prendre leur part dans le résultat de notre travail. Travaillons pour notre compte, ayant un pécule particulier auquel nos frères émigrés ne mordront pas ; puis nous aurons notre part dans l’hoirie commune. — Ce raisonnement a été fait et pratiqué aussitôt après la promulgation des lois françaises. Ces fâcheux résultats se produisent déjà et augmenteront plus tard ; car les nombreuses donations faites sous la loi sarde, en 1860, ont prorogé les bénéfices de ces dispositions pour beaucoup de familles. Il est fort possible qu’en théorie la combinaison de l’article 913 soit très-ingénieuse ; il pouvait même arriver qu’elle soit très-appropriée aux conditions des familles adonnées aux professions libérales ; mais ici, en Savoie, au milieu de la transition d’une loi à l’autre, nous avons surpris le fait brutal, la vérité aveuglante résumée en deux mots : La diminution de la portion disponible a fait émigrer dans les villes les jeunes cultivateurs. » (Extrait du Courrier des Alpes, Journal de Chambéry, avril 1867.)

Il est utile de rapprocher de cet article un travail que je publiai, en 1867 (avant l’annexion), sur le régime des successions en Savoie. (Les Ouvriers des deux Mondes, t. II, p.52.) Au surplus, le raisonnement du Journal de Chambéry est précisément celui que fit en vain l’illustre Portalis, lors de la discussion du Code civil (L, 6). Mais l’intérêt évident des familles rurales ne put alors prévaloir contre l’aberration politique qui conseillait de les désorganiser toutes, conformément à la conception chimérique d’un nouvel ordre social (K, 2).


DOCUMENT J

COMMENT UN PEUPLE CIVILISÉ PEUT RÉTROGRADER JUSQU’À L’ÉTAT SAUVAGE.

Les sauvages, placés au degré inférieur de l’échelle sociale, n’ont point assez d’empire sur eux-mêmes pour s’imposer des privations volontaires, et accumuler des épargnes qui donneraient quelque sécurité à leur existence. Ils consomment sans délai tous les produits que leur fournissent la chasse, la pêche et les cueillettes.

Au-dessus des sauvages, les peuples pasteurs résistent à l’attrait des consommations imprudentes. Ils accumulent les animaux en troupeaux nombreux ; et ils trouvent, dans le lait et la chair provenant de ces troupeaux, des moyens réguliers de subsistance.

Au-dessus encore, les agriculteurs accroissent leur bien-être et leur sécurité en accumulant, à côté des troupeaux, d’immenses quantités de grains, de racines, de fruits, d’huiles et de boissons de toutes sortes.

Plus haut enfin, les peuples commerçants, portant plus loin encore l’habitude des privations volontaires, accumulent à côté des produits provenant des forêts, des eaux, des steppes et des champs, d’immenses quantités de produits fournis par les mines et les manufactures du monde entier.

La raison et l’expérience du genre humain établissent donc que la prospérité de chaque peuple croît avec la force morale qui crée les habitudes d’épargne et les accumulations de richesse.

Et cependant, depuis que la liberté de réunion nous est rendue, nous entendons professer journellement dans les assemblées populaires de Paris des doctrines qui tendent à perpétuer, par la communauté des sentiments dérivant de la misère, une caste fermée, hostile à tout ordre social. Ces doctrines se résument dans les axiomes suivants : « Le capital, c’est la honte accumulée. — La propriété n’est pas seulement le vol, c’est aussi l’assassinat. — L’ouvrier qui épargne est traître envers ses frères. » (Assemblée dite la Redoute ; réunions d’octobre et de novembre 1868.)

Or les voyageurs qui ont vécu longtemps parmi les sauvages du bassin de l’Amazone, m’assurent que ces derniers n’érigent nullement leur pratique en théorie ; que, tout en cédant à leur imprévoyante gloutonnerie et en se gorgeant des produits d’une chasse surabondante, ils rendent hommage à la supériorité morale des peuples sédentaires du voisinage, qui les assistent, à l’aide de leur épargne, aux époques d’extrême dénûment. Il existe donc, en France, une classe d’hommes déjà nombreuse qui, par certaines idées, sinon par ses mœurs, descendent au-dessous des races les plus dégradées.

Ces doctrines se sont élaborées, à notre insu, sous le régime de contrainte (§ 8) qui régnait depuis 1852. Le respect de Dieu, qui est encore plus nécessaire que l’esprit d’épargne à la prospérité des peuples, est systématiquement détruit dans les cœurs, grâce à la propagande exercée, depuis l’époque de Voltaire, par nos classes dirigeantes. En ce moment on compte à Paris par centaines de mille, et surtout dans les classes ouvrières (§ 31, n. 3), les hommes hostiles à tout sentiment religieux. Beaucoup d’ouvriers et de contre-maîtres, auprès desquels j’ai fait récemment une enquête, m’ont signalé à cet égard des faits qu’on ne rencontrerait chez aucun autre peuple civilisé. Parmi les milliers d’ouvriers ayant avec eux des rapports journaliers, ils ne sauraient en citer un seul qui se dise chrétien. Un de ces contre-maîtres m’a même appris que pour vivre en paix avec ses subordonnés, et conserver le pain quotidien à sa famille, il a dû renoncer à toute pratique de religion.

D’un autre côté, nos classes dirigeantes ne continuent pas seulement à enseigner, pour la plupart, le scepticisme. Elles restent indifférentes à ces symptômes de désorganisation sociale : elles font revivre, à quatre siècles de distance, la discorde et l’imprévoyance des Grecs de Constantinople, au contact d’une invasion d’erreurs qui n’a point de précédents chez les peuples civilisés. Et cependant cette invasion est plus redoutable que ne le fut alors celle des Turcs.

Ces dangers se produisent, en France, à une époque où la corruption des classes dirigeantes a discrédité la coutume européenne qui, chez les peuples prospères, conserve fermement une hiérarchie sociale fondée sur le talent et la vertu ; où l’homme doué des plus éminentes qualités ne pèse pas plus que l’homme inhabile et vicieux sur les destinées du pays ; où, enfin, les écrivains les plus considérés proclament qu’un tel régime est nécessaire et même providentiel[4].

Si donc les citoyens qui restent attachés aux vérités fondamentales de la civilisation européenne persistent dans leur stérile antagonisme ; s’ils refusent de s’unir pour réfuter de grossières erreurs et donnent même à celles-ci une approbation tacite en briguant le suffrage des populations qui les professent ; si, en même temps, ceux qui échappent aux passions politiques s’endorment dans l’oisiveté, le luxe et la débauche, on peut prévoir que la France s’engagera définitivement dans une voie qui ne saurait aboutir qu’à l’état sauvage, ou à la perte de la nationalité au profit de races mieux avisées[5].

DOCUMENT K

OPINIONS DE NAPOLÉON 1er SUR LE RÉGIME DES SUCCESSIONS.

1. Époque du Consulat.

« Toujours le génie du premier Consul sentit que le pouvoir paternel devait être pour son œuvre moins un contradicteur qu’un auxiliaire. Contre Réal, contre Berlier, le rapporteur de la loi du 17 nivôse an XI, contre Tronchet lui-même, le défenseur de la loi du 24 germinal an VIII, le premier Consul soutint énergiquement la cause du père de famille. En présence d’un projet qui fixait au quart des biens la quotité disponible, quel que fût le nombre des enfants, il prévoyait déjà ces deux périls, d’un patrimoine trop morcelé, d’une autorité trop affaiblie : « Plus on se rapprochera des lois romaines dans la fixation de la légitime, et moins on affaiblira le droit que la nature semble avoir confié aux chefs de chaque famille. Le législateur, en disposant sur cette matière, doit avoir essentiellement en vue les fortunes modiques : la trop grande subdivision de celles-ci met nécessairement un terme à leur existence, surtout quand elle entraîne l’aliénation de la maison paternelle, qui en est, pour ainsi dire, le point central. »

« Puis, lorsque Cambacérès tranchait les hésitations du conseil, en graduant la légitime sur le nombre des enfants, et en faisant adopter l’article 913 du Code, le premier Consul, revenant encore à son idée première, demandait s’il ne serait pas préférable de calculer la légitime sur la quotité de la succession plutôt que sur le nombre des enfants. Prenant le chiffre de cent mille francs, qui à cette époque était une base fort élevée, il proposait d’accorder, dans cette limite, au père la disposition de la moitié de ses biens, et de fixer au delà la quotité disponible à une part d’enfant. « Dans ce système, disait-il, vous laissez une latitude au père, et vous conservez les petites fortunes, tout en empêchant qu’il ne s’en forme de trop considérables. » (Extrait du discours prononcé, en 1865, par M. Pinart, procureur général ; rentrée de la cour impériale de Douai.)

2. Époque de l’Empire.

« Mon frère, je veux avoir à Paris cent fortunes, toutes s’étant élevées avec le trône, et restant seules considérables, puisque ce ne sont que des fidéicommis, et que ce qui ne sera pas elles, par l’effet du Code civil, va se disséminer.

« Établissez le Code civil à Naples ; tout ce qui ne vous est pas attaché va se détruire alors en peu d’années, et ce que vous voulez conserver se consolidera. Voilà le grand avantage du Code civil. Il faut établir le Code civil chez vous ; il consolide votre puissance, puisque par lui tout ce qui n’est fidéicommis tombe, et qu’il ne reste plus de grandes maisons que celles que vous érigez en fiefs. C’est ce qui m’a fait prêcher un Code civil, et m’a porté à l’établir. » (Lettre, du 5 juin 1806, de Napoléon Ier au roi Joseph. — Mémoires du roi Joseph, t. II, p : 275 ; Paris, 1853.)

Au moment même où il développait ainsi, dans l’intérêt des gouvernements nouveaux qu’il créait en Europe, cette théorie de la famille et de la propriété, l’Empereur en faisait l’application à la France. Il promulgua, en effet, les 30 mars et 14 août 1806, les lois qui rétablissaient, au profit des familles des grands dignitaires de l’Empire, le droit d’aînesse sous sa forme la plus absolue, c’est-à-dire avec substitution perpétuelle. Le sénatus-consulte de 1806 porte textuellement :

« Sa Majesté, soit pour récompenser de grands services ou pour exciter une utile émulation, soit pour concourir à l’éclat du trône, pourra autoriser un chef de famille à substituer ses biens libres pour former la dotation d’un titre héréditaire, réversible à son fils aîné ou à ses descendants en ligne directe, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture. »

Voir le précis de la législation, très-complexe, de l’empire sur les majorais, la Réforme sociale, t. Ier, p. 308 et suivantes (R).

DOCUMENT L

OPINIONS DIVERSES VENANT À L’APPUI DE LA LIBERTÉ TESTAMENTAIRE.

1. Opinion des familles bourgeoises de Provence au XVIe siècle.

« Mon frère me disoit que les père et mère doivent deux choses à leurs enfants : les bien endoctriner et nourrir honnestement ; qu’avec cela, s’ils pouvoient laisser quelque chose, à la bonne heure ; sinon, avec une bonne instruction et nourriture, pour peu qu’ils ayent, ils ont assez… Tout enfant qui se fie au bien de son père ne mérite pas de vivre. »

Ce texte est extrait d’un testament fait en Provence, au XVIe siècle, dans une famille de bourgeois où neuf frères, ayant reçu une forte éducation, occupèrent de hautes situations dans l’Église, la magistrature et L’université. — Voir : Une Famille au XVIe siècle, par Ch. de Ribbe, deuxième édition, Paris, Joseph Albanel ; 1 vol. in-18, p. 62.

L’opinion exprimée dans ce testament a dominé en Provence jusqu’à la révolution. Elle est encore répandue chez les familles bourgeoises, comme chez les paysans, de nos provinces méridionales. (Voir les Ouvriers des deux Mondes, t. Ier, p. 107 à 161.)

2. Opinion de Montesquieu.

« La loi naturelle ordonne aux pères de nourrir leurs enfants ; mais elle ne les oblige pas de les faire héritiers. (Montesquieu, Esprit des loix, XXVI, 6.)

3. Opinion de Cazalès.

« Le partage des terres, ayant une influence directe sur l’intérêt public, c’est sous ce rapport que je vais l’examiner. Le plus important de ces rapports est celui qui lie l’homme à sa patrie par l’amour de la propriété. C’est par l’amour de la propriété qu’on s’élève à l’amour de son pays ; c’est par l’amour de sa famille qu’on s’élève à l’amour de ses concitoyens. Il faut que la propriété ait cette fixité qui attache l’homme à la vie. Or à quoi tendrait ce partage égal, cette division de propriétés ? Chaque portion de terre ne suffirait plus pour nourrir celui qui la possèderait. À la mort de chaque chef de famille, on serait obligé de vendre son champ pour en partager le produit, ou de le morceler ; dans ce dernier cas, l’attachement à la propriété, l’amour de la patrie est détruit dans ses éléments ; dans le premier, on verra s’établir de grandes propriétés aussi nuisibles que les petites. Car, lorsque toutes les fortunes sont dans un petit nombre de mains, un grand nombre de citoyens sont indifférents à la chose publique et ne sont pas même citoyens. Toutes les lois doivent donc tendre à donner aux propriétés cette fixité qui prévienne les deux inconvénients que je viens d’indiquer. La faculté de tester, laissée par la loi romaine aux pères de famille, est la conséquence nécessaire de la puissance paternelle, que sans doute vous ne voulez pas détruire. C’est par cette faculté qu’ils régissent leur famille et qu’ils en obtiennent du respect. »

(Assemblée nationale, séance du 5 avril 1791 : Moniteur.)

4. Opinion de Prugnon.

« Une vérité qui, comme la lumière, se voit sans qu’on la regarde, c’est que le père est le premier magistrat de sa famille ; c’est que cette magistrature, aussi ancienne que le monde et sur laquelle la pensée s’arrête avec tant de douceur, doit être modérément armée du droit de punir et de récompenser. Il ne lui faut sans doute ni hache ni licteurs, mais un frein pour contenir dans ses limites le fils qui sera tenté d’en sortir, mais un prix à donner à celui qui a soigné et consolé la vieillesse que ses autres enfants ont négligée. Nul danger à le revêtir de ce pouvoir, non-seulement parce que l’amour paternel est le plus profond et le plus délicieux sentiment de la nature, mais parce que le père s’aime lui-même dans son fils, et qu’en général, pour les enfants, le lien de l’espérance est aussi fort pour le moins que celui de la reconnaissance. Qu’il donne de son vivant, répondra-t-on d’abord, et je conviendrai volontiers que la vraie libéralité est la donation entre-vifs ; mais plus d’un père se trouve dans une situation trop étroite pour pouvoir s’imposer des privations, et le priverez-vous du droit d’être libéral et juste, précisément parce qu’il n’est pas riche ? Plus d’une expérience a appris aux vieillards que l’on était un peu négligé lorsque l’on avait donné tout, et ils sont assez généralement pleins de cette idée ; ainsi dépouiller un père du droit de tester, c’est le priver de la prérogative la plus précieuse et la plus utile aux mœurs, puisque ce serait évidemment affaiblir le pouvoir paternel, et une loi qui lui ravirait ce droit aurait contre elle l’autorité de la raison universelle, appuyée de quarante siècles ; car si c’est Solon qui a introduit les testaments dans Athènes, ce n’est sûrement pas lui qui les a inventés. »

(Assemblée nationale, séance du 6 avril 1791 : Moniteur. )

5. Opinion de Curée.

« La discussion se rétablit sur le projet relatif au droit de tester.

« Curée, en combattant le projet, récuse l’autorité de Mirabeau, et nomme son discours contre les testaments un véritable testament ab irato. Le sens rigoureux du principe posé par cet illustre orateur, tendrait à anéantir en totalité le droit de tester.

« Mirabeau a supposé la société remplie de pères injustes ; la nature réclame contre une telle supposition ; l’expérience la contredit, et la loi ne doit pas s’y arrêter.

« On ne conteste pas aux citoyens le droit de disposer de leurs biens, et on voudrait que la paternité fût un titre d’incapacité ! L’abus qui règne en ce moment révolte les affections naturelles : la loi de nivôse qu’on invoque n’est point exécutée, elle est éludée ; le mal est plus grand encore que ne le redoutent les adversaires du projet présenté. Il faut faire cesser un tel ordre de choses ; on n’y parviendra qu’en rappelant la piété filiale, et, pour cela, il faut permettre aux pères de punir l’ingratitude et l’abandon. »

(Tribunat, séance du 2 germinal an VIII ; Moniteur, p. 766.)

6. Opinion de Portalis.

« Il n’est pas question d’examiner ce qui est le plus conforme au droit naturel, mais ce qui est le plus utile à la société. Sous ce point de vue, le droit de disposer est, dans la main du père, non, comme on l’a dit, un moyen entièrement pénal, mais aussi un moyen de récompense. Il place les enfants entre l’espérance et la crainte, c’est-à-dire entre les sentiments par lesquels on conduit les hommes bien plus sûrement que par des raisonnements métaphysiques. Le droit de disposer est encore un droit d’arbitrage par lequel le père répartit son bien entre ses enfants, proportionnellement à leurs besoins. Et il faut remarquer que ce droit est avantageux à la société ; car le père, en donnant moins aux enfants engagés dans une profession lucrative, réserve une plus forte part à ceux que leurs talents appellent à des fonctions utiles à l’État, inutiles à leur fortune.

« Là où le père est législateur dans sa famille, la société se trouve déchargée d’une partie de sa sollicitude. Qu’on ne dise pas que c’est là un droit aristocratique. Il est tellement fondé sur la raison, que c’est dans les classes inférieures que le pouvoir du père est le plus nécessaire. Un laboureur, par exemple, a eu d’abord un fils, qui, se trouvant le premier élevé, est devenu le compagnon de ses travaux. Les enfants nés depuis, étant moins nécessaires au père, se sont répandus dans les villes et y ont poussé leur fortune. Lorsque ce père mourra, sera-t-il juste que l’aîné partage également le champ amélioré par ses labeurs avec des frères qui déjà sont plus riches que lui ? »

(Discussion du Code Napoléon dans le conseil d’État, par Jouanneau et Solon ; 2e édit., 3 vol. in-4o ; t. II, p. 126.) — Comparer avec l’opinion qui règne en Savoie, depuis l’annexion (H).

7. Opinion de Benjamin Constant.

« Ce n’était pas, dans notre ancien régime, la volonté des pères qui avait établi le droit d’aînesse ; c’était, au contraire, le droit d’aînesse qui dénaturait la volonté des pères… Si, sous le prétexte d’opposer aux priviléges une digue insurmontable, vous refusez aux pères la liberté légitime de récompenser la piété et de punir la désobéissance filiale, les pères peu éclairés, qui sentiront que vous commettez une injustice en leur enlevant cette liberté, croiront, sur votre parole, qu’ils ne peuvent la ressaisir que par le retour des privilèges. Vous leur en auriez inspiré l’horreur, si vos lois sages avaient distingué soigneusement des objets complètement séparés ; mais vous leur en faites souhaiter le retour par des lois vexatoires et de confuses interdictions.

« C’est donc par haine pour la féodalité que je vous demande de restituer aux pères leurs droits et leur liberté légitime. Je ne veux pas que, se trouvant privés de l’empire que la nature leur a délégué, se voyant déchus d’une puissance dont la perte est pour eux et pour leurs enfants le plus grand des maux, ils en accusent l’égalité nouvellement introduite. Je ne veux pas que dédaignés par leurs fils ingrats, abandonnés dans leurs derniers jours, descendant vers la tombe dans l’humiliation et la solitude, ils accusent la révolution de leur douleur paternelle, la plus amère des douleurs.

« Il est d’autres précautions à prendre contre le retour des privilèges. Proscrivez les substitutions, les fidéicommis, tout l’échafaudage des lois destinées à perpétuer les fortunes dans les mêmes familles, à éterniser l’éclat des mêmes noms. Ces institutions barbares n’ont rien de commun avec la faculté de tester. Il n’existe aucune ressemblance entre le droit de récompenser le fils qui a soigné notre vieillesse et l’absurde prétention de doter à l’avance des êtres qui n’existent pas encore. C’est là que le retour des privilèges se fait apercevoir dans toute son extravagance ; c’est là qu’il faut l’interdire avec toute votre rigueur. Rien n’importe moins à la République que la perpétuité des familles ; rien n’importe plus à la morale, et par conséquent à la République, que la dépendance des enfants. » (Tribunat, séance du 29 ventôse an VIII. Archives parlementaires, t. Ier, p. 486.)

8. Opinion de M. Charles Dunoyer.

« À la date du 7 mars 1793 ; un décret vint défendre aux citoyens de disposer par testament de quoi que ce fût. Un peu plus tard, on permit de disposer d’un sixième, à condition qu’on n’en userait qu’en faveur d’étrangers et qu’on ne ferait d’avantage à aucun enfant. Puis, par la loi de germinal an VIII, il fut permis, suivant le nombre d’enfants qu’on aurait, de disposer en faveur de qui l’on voudrait, du sixième, du cinquième et même du quart ; puis le Code civil augmenta encore la quotité disponible et l’étendit du quart au tiers, à la moitié et même à la totalité de la fortune, suivant les circonstances. Depuis la défense de disposer de rien jusqu’à la permission, en certains cas, de disposer de tout, il n’est pas de degré que, dans des capricieuses déterminations, n’ait, parcouru chez nous, en quelques années, le régime réglementaire. » (De la Liberté du travail : Paris, 1845, 3 vol. in-8o, t. III, p. 506.)

9. Opinion de M. Troplong.

« Partout, et dans tous les pays civilisés ou non, les désirs exprimés par le père à son moment suprême parlent plus haut aux enfants recueillis que toutes les lois de l’ordre civil.

« Le droit de tester, ce droit d’une volonté mortelle qui dicte des lois au delà de la vie, nous transporte si naturellement aux régions sublimes des sources du droit, que Leibnitz le faisait dériver de l’immortalité de l’âme. Le testament est le triomphe de la liberté dans le droit civil. Le testament, en effet, est entièrement lié au sort de la liberté civile ; il est gêné et contesté quand la liberté civile est mal assise ; il est respecté quand la liberté civile a, dans la société, la place qui lui appartient. La propriété étant la légitime conquête de la liberté de l’homme sur la matière, et le testament étant la plus énergique expression de la liberté du propriétaire, il s’ensuit que, tant est la liberté civile dans un État, tant y est le testament. L’histoire prouve que toutes les fois que la liberté civile est comprimée ou mise en question, la propriété et par conséquent le testament sont sacrifiés à de tyranniques combinaisons… Un peuple n’est pas libre s’il n’a pas le droit de tester, et la liberté du testament est l’une des plus grandes preuves de sa liberté civile. » (Troplong, Traité des donations entre-vifs et des testaments ; 4 vol. in-8o, 1865, préface, p. ii.)

10. Opinion de M. Pinart.

« Cette double plaie que porte la famille, c’est en bas le morcellement du patrimoine, c’est en haut l’affaiblissement de l’autorité.

« Le morcellement du patrimoine a pu être, au début de notre nouveau régime économique, un élément de prospérité pour la culture ; mais, universel aujourd’hui à tous les degrés de l’échelle sociale, il a dépassé la mesure du bien qu’il devait accomplir, et il devient un péril qui s’aggrave à chaque génération.

« Dans les classes élevées, au sein de ces familles qui, sous toutes les formes politiques, doivent y garder le dépôt des traditions nationales, l’héritage se divise ou se licite à chaque décès. Avec la division qui le morcelle, ou la licitation qui le livre à des mains étrangères pour être partagé un peu plus tard, les relations cessent, de maître à tenancier, les liens doux et forts du patronage s’évanouissent. L’absentéisme devient une loi au lieu de rester une exception. Le riche s’éloigne du pauvre, comme le propriétaire du colon. Tout les sépare : leurs habitudes comme leurs intérêts ; et l’opposition des rangs, ferment d’envie pour les petits, péril ou menace pour les grands, s’aggrave dans de sérieuses proportions. » (Discours déjà cité, K.)

11. Opinion de M. le duc de Persigny.

« … Dans l’ardeur de la lutte, au milieu de toutes ses violences, la révolution, en prenant ses précautions contre les privilèges qu’elle venait de détruire, n’a-t-elle pas exagéré la portée de ses propres doctrines et tourné contre la société nouvelle les armes destinées à combattre l’ancienne ? En enchaînant la liberté du père de famille, en diminuant son autorité par l’intervention si absolue de la loi dans le partage des biens entre les enfants, n’a-t-elle pas dépassé le but qu’elle se proposait ?

« Ce n’est ici ni le lieu ni l’occasion de traiter un sujet qui intéresse si gravement notre état social. Mais il est impossible de ne pas être frappé de la tendance actuelle des esprits à soumettre à un examen nouveau un état de choses qui semblait irrévocablement acquis au domaine de la révolution. La liberté de tester n’est-elle pas, en effet, devenue l’objet d’une attention sérieuse ? N’a-t-on pas vu récemment des jurisconsultes, des publicistes éminents et même une fraction importante du Corps législatif s’émouvoir des conséquences de notre loi sur les successions ? » (Moniteur du 4 septembre 1866.)

12. Opinion de M. E. About.

« Le même individu à qui nous reconnaissons, jusqu’à sa dernière heure, le droit d’aliéner, de dénaturer et même d’anéantir tout son bien, n’est pas libre d’en disposer par testament. Dès qu’il a des enfants, c’est la loi qui teste pour lui et se charge de répartir sa fortune en parties égales, sauf une quotité restreinte dont on lui laisse la disposition comme par grâce. Cette loi, inspirée par un amour aveugle de l’égalité, est un attentat permanent contre la liberté individuelle et l’autorité paternelle. Elle ne permet pas au chef de famille de déshériter le fils qui l’a offensé ou déshonoré ; elle constitue au profit de chaque enfant un droit né et acquis sur la fortune de leur père vivant. Elle réduit le père à la condition d’usufruitier, sous la surveillance de sa propre famille ; elle l’oblige à dénaturer frauduleusement son bien, s’il veut en disposer selon sa volonté et conformément au droit naturel. C’est une loi jugée au point de vue moral.

« Parlerons-nous des effets qu’elle a produits en un demi-siècle sur la société française ? Elle a poussé jusqu’à l’absurde la division des propriétés ; elle a dévoré en licitations et en frais de justice une notable partie du capital acquis ; elle a défait peut-être un million de fortunes, au moment où elles commençaient à se faire. Le père fonde une industrie et meurt : tout est vendu et partagé ; la maison ne survit pas à son maître. Un fils a du courage et du talent : avec sa petite part du capital paternel, il fonde une autre maison, réussit, devient presque riche et meurt ; nouveau partage, nouvelle destruction ; tout à recommencer sur nouveaux frais : un vrai travail de Danaïdes. L’agriculture en souffre, l’industrie en souffre, le commerce en souffre, le sens commun en rougit.

« Il est trop évident que le père ne doit pas sa fortune à ses fils ; il leur doit l’éducation et les moyens d’existence. Quiconque appelle un enfant à la vie s’engage implicitement à l’élever et à le mettre en état de se soutenir par le travail. Mais c’est tout, et la raison ne décidera jamais qu’un homme riche à quatre millions, et père de quatre enfants, soit débiteur de 750, 000 francs envers le polisson qui lui a fait des actes respectueux pour épouser la cuisinière. » (Le Progrès ; 1 vol. in-8o, 1864, p. 295.)

13. Opinion de M. Legouvé.

« Les enfants, c’est-à-dire ces petits jeunes gens de dix-sept ans, disputant avec leur père, et ne s’inclinant ni devant la vieillesse ni devant la supériorité ; ces petits docteurs de dix-huit ans, tranchant toutes les questions politiques, de métaphysique, de beaux-arts, et athées même au besoin ; ces oisifs de vingt ans, réclamant impérieusement leur part dans le bien paternel pour la satisfaction de leurs goûts ou de leurs passions, et disant nettement à leur père : Tu as bien assez travaillé pour que je ne fasse rien ! » (Les Pères et les Enfants au XIXe siècle, p. 3.)

L’auteur ne conclut pas cependant à la restauration de la liberté testamentaire. Il exprime l’opinion que cette liberté devrait être rétablie pour les biens que le propriétaire a créés par son travail. Dans son système, le régime actuel serait conservé pour les biens reçus en héritage.

14. Opinion de 41 députés au Corps législatif (Session de 1865).

« Scrutin sur l’amendement présenté par MM. le baron de Veauce, le vicomte Clary, le marquis d’Havrincourt, Kolb-Bernard, le duc de Marmier, etc., au § 8 du projet d’adresse, amendement ainsi conçu :

« Peut-être serait-il utile que votre gouvernement étudiât la question de savoir si, par suite de la transformation de la richesse et des changements dans les mœurs qui en ont été la conséquence, nos lois de succession n’appelleraient pas des modifications favorables à l’extension des droits du père de famille. »


Nombre des votants
238
Majorité absolue
120
Pour l’adoption
41
Contre
197

« Ont voté pour : MM. Ancel, le comte d’Arjuzon, le comte d’Ayguevives, Bartholoni, le prince de Beauveau (Marc), Bethmont, le comte de Boigne, Bourlon, Bucher de Chauvigné, le comte Caffarelli, le comte de Champagny (Jérôme-Paul), le comte de Champagny (Napoléon), de Chiseuil, le vicomte Clary, le baron de Cœhorn, Couteaux, de Dalmas, Dollfus (Camille), Duplan, Dupont (Paul), Etcheverry, Geoffroi de Villeneuve, Gellibert des Séguins, Granier de Cassagnac, le vicomte de Grouchy, le marquis d’Havrincourt, Henon, Kolb-Bernard, Lambrecht, le comte de la Tour, Lubonis, le duc de Marmier, Martel, Palluel, Pissard, le vicomte de Plancy, le baron de Reinac, Talabot, Terme, le baron de Veauce, de Wendel. » (Moniteur du 6 avril 1865, p. 395.)

DOCUMENT M

DÉCLARATIONS DE NAPOLÉON III SUR LA NÉCESSITÉ DE LA RÉFORME MORALE.

« … On peut dire avec vérité : Malheur à celui qui le premier donnerait, en Europe, le signal d’une collision dont les conséquences seraient incalculables. J’en conviens, et cependant j’ai, comme l’Empereur, bien des conquêtes à faire. Je veux comme lui conquérir à la conciliation les partis dissidents et ramener dans le courant du grand fleuve populaire les dérivations hostiles qui vont se perdre sans profit pour personne.

« Je veux conquérir à la religion, à la morale, à l’aisance, cette partie encore si nombreuse de la population qui, au milieu d’un pays de foi et de croyance, connaît à peine les préceptes du Christ ; qui, au sein de la terre la plus fertile du monde, peut à peine jouir des produits de première nécessité. » (Programme de Bordeaux, 7 octobre 1852.)

« Je l’ai dit, en 1852, à Bordeaux, et mon opinion est aujourd’hui la même : j’ai de grandes conquêtes à faire, mais en France. Son organisation intérieure, son développement moral, l’accroissement de ses ressources ont encore d’immenses progrès à faire. Il y a là un assez vaste champ ouvert à mon ambition, et il suffit pour la satisfaire. » (Lettre du 29 juillet 1860.)

« On peut voir par ce qui se passe combien il est indispensable d’affirmer les grands principes du christianisme, qui nous enseignent la vertu pour bien vivre, et l’immortalité pour bien mourir. » (Discours du 1er janvier 1869, en réponse aux vœux exprimés par Mgr de Paris.)

DOCUMENT N

AVÈNEMENT D’UNE LITTÉRATURE IMPARTIALE POUR L’ANCIEN RÉGIME EN DÉCADENCE, COMME POUR L’ÈRE ACTUELLE DE RÉVOLUTION.

Pendant longtemps il n’y a point eu de milieu entre l’éloge ou le blâme du régime social issu de la révolution de 1789. Un des meilleurs symptômes d’une prochaine réforme est l’avènement d’une école littéraire, qui juge sans parti pris l’ancien et le nouveau régime. Les deux passages suivants, empruntés à deux écrivains éminents, peu sympathiques à l’ancien régime, donnent une idée de cette évolution féconde de notre littérature.

1. Critique de l’ère actuelle de révolution, par M. E. Renan.

« J’ai cherché à montrer ce qu’a de superficiel et d’insuffisant la constitution sociale sortie de la révolution, les dangers auxquels elle expose la France, les malheurs qu’il est permis de craindre, la nécessité qu’il y a d’élargir l’esprit français, de lui ouvrir de nouveaux horizons, de le soustraire à des erreurs invétérées. Toujours grande, sublime parfois, la révolution est une expérience infiniment honorable pour le peuple qui osa la tenter ; mais c’est une expérience manquée. En ne conservant qu’une seule inégalité, celle de la fortune ; en ne laissant debout qu’un géant, l’État, et des milliers de nains ; en créant un centre puissant, Paris, au milieu d’un désert intellectuel, la province ; en transformant tous les services sociaux en administrations ; en arrêtant le développement des colonies et fermant ainsi la seule issue par laquelle les États modernes peuvent échapper aux problèmes du socialisme, la révolution a créé une nation dont l’avenir est peu assuré, une nation où la richesse seule a du prix, où la noblesse ne peut que déchoir. Un code de lois qui semble avoir été fait pour un citoyen idéal, naissant enfant trouvé et mourant célibataire ; un code qui rend tout viager, où les enfants sont un inconvénient pour le père, où toute œuvre collective et perpétuelle est interdite, où les unités morales, qui sont les vraies, sont dissoutes à chaque décès, où l’homme avisé est l’égoïste qui s’arrange pour avoir le moins de devoirs possible, où l’homme et la femme sont jetés dans l’arène de la vie aux mêmes conditions, où la propriété est conçue, non comme une chose morale, mais comme l’équivalent d’une jouissance toujours appréciable en argent ; un tel code, dis-je, ne peut engendrer que faiblesse et petitesse… Avec leur mesquine conception de la famille et de la propriété, ceux qui liquidèrent si tristement la banqueroute de la révolution, dans les dernières années du XVIIIe siècle, préparèrent un monde de pygmées et de révoltés. Ce n’est jamais impunément, qu’on manque de philosophie, de science, de religion. Comment des juristes, quelque habiles qu’on les suppose, comment de médiocres hommes politiques, échappés par leur lâcheté aux massacres de la Terreur, comment des esprits sans haute culture, comme la plupart de ceux qui composaient la tête de la France en ces dernières années décisives, eussent-ils résolu le problème qu’aucun génie n’a pu résoudre : créer artificiellement et par la réflexion l’atmosphère où une société peut vivre et porter tous ses fruits ? » (Questions contemporaines, préface ; 1 vol. in-8o ; Paris, 1868.)

2. Erreur de la Révolution au sujet de la liberté testamentaire, par M. P. Lanfrey.

« L’opinion[6] fut moins juste envers une mesure du Consulat relative au rétablissement du droit de disposer de ses biens par testament, bien qu’elle ne fût ni moins désirable, ni moins utile. Malheureusement les théoriciens de notre révolution n’avaient eu que trop de propension à sacrifier la propriété, comme tous les autres droits individuels, à l’État. Les passions égalitaires, égarées par le souvenir des iniquités de la propriété féodale, avaient été jusqu’à rêver la destruction de la propriété individuelle ; elles avaient applaudi à tous les coups qu’on lui avait portés. On ne s’était pas contenté de détruire le privilége ; on avait porté atteinte au droit. Ces préjugés étaient encore très-vivaces. Le public considérait comme une conquête de la révolution toutes les restrictions qu’on avait mises au droit de la propriété, oubliant que c’étaient là autant d’entraves à la liberté des individus, déjà si faibles et si désarmés devant le pouvoir de l’État. Il y a, en France, une tendance invétérée à exproprier les citoyens au profit de la société : on la regarde comme maîtresse des intérêts qu’elle a pour but de protéger ; et les droits qu’elle veut bien nous laisser sont considérés comme autant de faveurs qu’elle nous a faites. À cette disposition d’esprit se mêlaient certaines appréhensions plus motivées. Les emprunts que le premier Consul avait faits à l’ancien régime avaient déjà éveillé beaucoup de défiances ; on vit, dans ce nouveau projet, un essai du même genre. Andrieux le dénonça au tribunat comme un retour déguisé au droit d’aînesse, aux majorats, aux substitutions. Il demanda et fit voter la lecture du discours que Mirabeau mourant avait laissé manuscrit sur ce sujet… ; mais, ainsi que le fit remarquer Regnault de Saint-Jean-d’Angély, ce discours n’était qu’une ébauche préparatoire écrite sur ses indications par un de ces nombreux collaborateurs dont il s’assimilait les travaux, et à laquelle il n’avait pas encore mis la dernière main. Il n’en est pas moins vrai que ses disgrâces personnelles avaient altéré, sur ce point, la justesse de ce grand esprit, qui n’eût pas tardé à reconnaître combien une forte constitution de la famille est nécessaire à une société démocratique qui veut rester libre. Que sont, en effet, les abus possibles du droit de tester, abus inséparables de toute liberté, et qui peuvent être, d’ailleurs, jusqu’à un certain point prévenus, auprès des inconvénients qui résultent de sa limitation excessive : destruction de l’esprit de famille, anéantissement de l’autorité paternelle, ruine périodique des industries tombant sous la loi de partage, pulvérisation indéfinie des fortunes comme des individus ? (Histoire de Napoléon 1er, t. II, p. 128).

DOCUMENT O

SUR L’OUVRAGE INTITULÉ : Les Ouvriers européens[7].

L’auteur y décrit, dans les moindres détails, la condition de trente-six familles d’ouvriers. Il insiste sur les rapports qui unissent chacune d’elles aux classes supérieures de la société ; et il déduit de ces faits les caractères distinctifs des principales constitutions sociales de l’Europe.

L’ouvrage comprend trois parties : une introduction avec un exposé de la méthode d’observation propre à l’auteur ; un appendice résumant les principales conclusions ; un Atlas, comprenant les trente-six monographies suivantes, qui sont l’objet de la plupart des renvois aux Ouvriers européens indiqués dans le cours de ce livre. Ces renvois désignent les numéros d’ordre ou les pages rapportés sur le tableau suivant :

RÉGIONS DE L’ORIENT ET DU NORD.
Pages.
1. Bachkirs, demi-nomades de l’Oural (Sibérie) 
 49
II. Paysans à corvées d’Orembourg (Russie méridle
 58
III. Paysans à l’Abrok de l’Oka (Russie centrale) 
 69
IV. Forgeron de l’Oural (Russie septentrionale) 
 78
V. Charpentier de l’Oural (Sibérie) 
 86
VI. Forgeron de Danemora (Suède septentrionale) 
 92
VII. Fondeur de Buskerud (Norwége méridionale) 
 98
VIII. Forgeron de Samakowa (Turquie centrale) 
 104
IX. Paysans à corvées de la Theiss (Hongrie centrale) 
 110
X. Fondeurs slovaques de Schemnitz (Hongrie occidentale) 
 116
XI. Menuisier de Vienne (Autriche) 
 121
XII. Charbonnier de la Carinthie (Empire autrichien) 
 129
XIII. Mineur de la Carniole (Empire autrichien) 
 134
XIV. Mineur du haut Hartz (Hanovre) 
 140


RÉGIONS DE L’OCCIDENT ET DU MIDI.


XV. Fondeur de l’Hundsrucke (Prusse rhénane) 
 146
XVI. Armurier de Solingen (Prusse rhénane) 
 152
XVII. Tisserand du Rhin (Prusse rhénane) 
 158
XVIII. Horloger (premier type) de Genève (Suisse) 
 164
XIX. Horloger (deuxième type) de Genève (Suisse) 
 170
XX. Paysan métayer de la Vieille-Castille (Espagne) 
 176
XXI. Mineur émigrant de la Galice (Espagne) 
 182
XXII. Coutelier de Londres (Middlesex, Angleterre) 
 188
XXIII. Coutelier de Sheffield (Yorkshire, Angleterre) 
 194
XXIV. Menuisier de Sheffield (Yorkshire, Angleterre) 
 200
XXV. Fondeur du Derbyshire (Angleterre) 
 206
XXVI. Brassier de l’Armagnac (Gers, France) 
 212
XXVII. Manœuvre-agriculteur du Morvan (Nièvre, France) 
 218
XXVIII. Manœuvre-agriculteur du Maine (Sarthe, France) 
 224
XXIX. Pen-ty de la basse Bretagne (Finistère, France) 
 230
XXX. Moissonneur émigrant du Soissonnais (Aisne, France) 
 236
XXXI. Fondeur du Nivernais (Nièvre, France) 
 242
XXXII. Mineur de l’Auvergne (Puy-de-Dôme, France) 
 248
XXXIII. Tisserand de Mamers (Sarthe, France) 
 254
XXXIV. Maréchal-ferrant du Maine (Sarthe, France) 
 260
XXXV. Blanchisseur de la banlieue de Paris (Seine, France) 
 266
XXXVI. Chiffonnier de Paris (Seine, France) 
 272


L’ouvrage, soumis au jugement de l’Académie des sciences de Paris, a été apprécié par une commission composée de MM. Bienaymé, Boussingault, Ch. Dupin, de Gasparin et Mathieu. Le savant rapporteur, M. Ch. Dupin, a bien voulu signaler le plan suivi par l’auteur comme un modèle de méthode ; et il a exprimé le vœu que des observations conçues dans le même esprit fussent étendues à toutes les contrées. Il a proposé, au nom de la commission, d’accorder à l’auteur le prix de statistique, fondé par M. de Monthyon ; et il a terminé son travail par les réflexions suivantes :

« Les développements dans lesquels nous avons cru devoir entrer montrent le cas que nous faisons de l’ouvrage dont nous rendons compte à l’Académie. Ce travail est nouveau par son point de vue, par son ensemble, par son esprit mathématique à l’égard des faits constatés ; par l’esprit de modération avec lequel les idées propres à l’auteur sont présentées, soit à titre d’explications, soit à titre de conséquence. »

Le prix de statistique a été décerné à l’auteur, dans la séance publique de l’Académie des sciences, du 28 janvier 1856.

DOCUMENT P

SUR LA SOCIÉTÉ D’ÉCONOMIE SOCIALE ET L’OUVRAGE INTITULÉ : Les Ouvriers des deux Mondes.

La société s’est constituée, en dehors de tout système social et politique, pour remplir le vœu qu’a exprimé l’Académie des sciences de Paris, en approuvant le rapport sur l’ouvrage intitulé : Les Ouvriers européens (O). Elle applique à l’étude comparée des diverses constitutions sociales la méthode d’observation exposée dans cet ouvrage. Elle publie le résultat des recherches qu’elle encourage par des prix, dans un recueil ayant pour titre : Les Ouvriers des deux Mondes.

La première pensée de cette institution a été émise dans une réunion de savants, d’agriculteurs et de manufacturiers appelés à Paris par l’Exposition universelle de 1855. La société a rédigé ses statuts le 11 avril 1856. Elle s’est définitivement constituée le 27 novembre suivant. Elle a exposé, dans une notice spéciale, datée du 1er janvier 1857, le but qu’elle poursuit et les moyens d’action qu’elle emploie. Elle a publié, en 1858, le tome Ier, et, en 1863, le tome IV des Ouvriers des deux Mondes. Enfin, elle a été classée, en 1869, par décret de l’Empereur, comme établissement d’utilité publique ; et, en cette qualité, elle est autorisée à recevoir des dons et legs.

Ces quatre volumes, auxquels l’auteur du présent ouvrage fait de fréquents renvois, comprennent les monographies indiquées ci-après :

TOME PREMIER.


Nos
Pages.
1. Charpentier de Paris (Seine, France) ; par MM. F. Le Play et A. Focillon 
 27
2. Manœuvre-agriculteur de la Champagne (Marne, France ) ; par E Delbet 
 69
3. Paysans en communauté du Lavedan (Hautes-Pyrénées, France) ; par M. F. Le Play 
 107
4. Paysans du Labourd (Basses-Pyrénées, France) ; par MM. A. de Saint-Léger et E. Delbet 
 161
5. Métayers de la banlieue de Florence (Toscane) ; par M. U. Peruzzi 
 221
6. Nourrisseur de vaches de la banlieue de Londres (Surrey, Angleterre) ; par M. E. Avalle 
 263
7. Tisseur en châles de Paris (Seine, France) ; par MM. F. Hébert et E. Delbet 
 299
8. Manœuvre-agriculteur du comté de Nottingham (Angleterre) ; par M. J. Devey 
 373
9. Pêcheur-côtier, maître de barque, de Saint-Sébastien (Guipuscoa, Espagne) ; par MM. A. de. Saint-Léger et E. Delbet 
 403


TOME SECOND.
Nos
10. Ferblantier, couvreur et vitrier d’Aix-les-Bains (Savoie, France) ; par M. F. Le Play 
 9
11. Carrier de la banlieue de Paris (Seine, France) ; par MM. L. Avalle et A. Focillon 
 63
12. Menuisier, charpentier (nedjar) de Tanger (Maroc) ; par M. N. Cotte 
 105
13. Tailleur d’habits de Paris (Seine, France) ; par M. A. Focillon 
 145
14. Compositeur-typographe de Bruxelles (Brabant, Belgique) ; par M. J. Dauby 
 193
15. Décapeur d’outils en acier d’Hérimoncourt (Doubs, France) ; par M. Ch. Robert 
 233
16. Monteur d’outils en acier d’Hérimoncourt (Doubs, France) ; par M. Ch. Robert 
 285
17. Porteur d’eau de Paris (Seine, France) ; par M. E. Avalle 
 321
18. Paysans en communauté et en polygamie de Bousrah (Syrie, empire ottoman) ; par M. E. Delbet 
 363
19. Débardeur et piocheur de craie de la banlieue de Paris (Seine-et-Oise, France) ; par M. Châle 
 447


TOME TROISIÈME.
Nos
20. Brodeuses des Vosges (Vosges, France) ; par M. Augustin Cochin 
 25
21. Paysan et Savonnier de la basse Provence (Bouches-du-Rhône, France) ; par M. A. Focillon 
 67
22. Mineur des placers du comté de Mariposa (Californie, États-Unis) ; par M. L. Simonin 
 145
23. Manœuvre-vigneron de l’Aunis (Charente-Inférieure, France) ; par M. P.-A. Toussaint 
 207
24. Lingère de Lille (Nord, France) ; par M. L. Auvray 
 247
25. Parfumeur de Tunis (régence de Tunis, Afrique) ; par MM. N. Cotte et Soliman El. Haraïri 
 285
26. Instituteur primaire d’une commune rurale de la Normandie (Eure, France) ; par M. A. Roguès 
 327
27. Manœuvre à famille nombreuse de Paris (Seine, France) ; par MM. Courteille et J. Gautier 
 373
28. Fondeur de plomb des Alpes Apuanes (Toscane, Italie) ; par M. F. Blanchard 
 413
TOME QUATRIÈME.
Nos
Pages.
29. Paysan d’un village à banlieue morcelée, du Laonnais (Aisne, France) ; par M. Callay 
 37
30. Paysans en communauté du Ning-po-fou (province de Tché-kian, Chine) ; par M. L. Donnat 
 83
31. Mulâtre affranchi de l’île de la Réunion (océan Indien) ; par M. L. Simonin 
 159
32. Manœuvre-vigneron de la basse Bourgogne (Yonne, France) ; par M. E. Avalle 
 195
33. Compositeur-typographe de Paris (Seine, France) ; par M. A. Badier 
 241
34. Auvergnat, brocanteur en boutique à Paris (Seine, France) ; par M. F. Gautier 
 283
35. Mineur de la Maremme de Toscane (Toscane, Italie) ; par M. F. BIanchard 
 331
36. Tisserand des Vosges (Haut-Rhin, France) ; par M. L. Goguel 
 363
37. Pêcheur-côtier, maître de barque, de l’île de Marken (Hollande septentrionale, Pays-Bas) ; par MM. S. Coronel et F. Allan 
 405

La Société d’économie sociale, pour guider ses collaborateurs et imprimer une direction uniforme à leurs travaux, a publié, en 1862, un document ayant pour titre : « Instruction sur la méthode d’observation dite des Monographies de familles, propre à l’ouvrage intitulé : Les Ouvriers européens. »

Depuis 1864, la société consacre la plupart de ses séances à la discussion des questions soulevées par les monographies précédentes. Elle publie le résumé de ces séances dans un Bulletin qui, à la fin de 1868, formait déjà deux volumes in-8o.

DOCUMENT Q

SUR LE NOUVEL ORDRE DE RÉCOMPENSES INSTITUÉ, À L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1867, POUR LES ATELIERS DE TRAVAIL OU RÈGNENT LE BIEN-ÊTRE, LA STABILITÉ ET L’HARMONIE.

Conformément au décret impérial du 9 juin 1866, les prix, les mentions honorables et les citations indiqués ci-après ont été attribués, par le jury international, aux établissements et aux localités qui ont le mieux conservé, avec les six pratiques essentielles à la Coutume (§§ 19 à 25), le bien-être, la stabilité et l’harmonie. Les récompenses ont été décernées par l’Empereur, dans la grande solennité du 1er juillet 1867, en présence de 25.000 personnes. Elles ont été proclamées selon l’ordre alphabétique des États.


PRIX.
Allemagne du Nord. Le baron de Diergardt. — Fabrique de soie et de velours, à Viersen (Prusse rhénane) 
 29
Allemagne du Sud. M. Staub. — Filature et tissage de coton, à Kuchen (Wurtemberg) 
 31
Autriche. M. Liebig. — Filature de laine, à Reichenberg (Bohême) 
 34
Belgique. Société des mines et fonderies de zinc de la Vieille-Montagne 
 37
Brésil. Colonie agricole de Blumenau (province de Sainte-Catherine) 
 41
États-Unis d’Amérique. M. W. Chapin. — Filature et fabrique de tissus, à Lawrence (État de Massachusets) 
 45
France. MM. Schneider et Cie. — Forges, fonderies et fabrique de machines, au Creusot (Saône-et-Loire) 
 50
Idem. MM. de Dietrich. — Forges et fonderies de fer, à Niederbronn (Bas-Rhin) 
 50
Idem. M. Goldenberg. — Forges et fabrique de quincaillerie, à Zornhoff, près Saverne (Bas-Rhin) 
 55
Idem. Le groupe industriel de Guebwiller (Haut-Rhin). — Grands ateliers pour la filature et le tissage du coton 
 58
Idem. MM. Mame. — Imprimerie, à Tours (Indre-et-Loire) 
 62
Idem. Le comte de Larderel. — Fabrique d’acide borique, à Larderello (Toscane) 
 65
Suède. Société des mines de houille, des verreries et des fabriques de poteries de Höganaes (Scanie) 
 69


MENTIONS HONORABLES.
Allemagne du Nord. M. Boltze. — Usines à briques de Salzmünde (province de Saxe) 
 73
Idem. M. Frédéric Krupp. — Fonderie d’acier, à Essen (Prusse rhénane) 
 75
Idem. Le consul Quistorp. — Fabrique de ciment, à Lebbin, près Stettin (Poméranie) 
 77
Idem. MM. Stumm frères. — Fonderie et forge, à Neunkirchen, près Saarbruck (Prusse rhénane) 
 80
Allemagne du Sud. M. Lothaire de Faber. — Fabrique de crayons, à Stein, près Nuremberg (Bavière) 
 82
Idem. MM. Haueisen et fils. — Fabrique de faux et faucilles, à Neunberg (Wurtemberg) 
 85
Idem. M. Charles Metz. — Filature de soie, à Fribourg-en-Brisgau (grand-duché de Bade) 
 87
Autriche. M. Henri Drasché. — Houillères et usines à briques, en Hongrie et en basse Autriche 
 90
Idem. MM. Philippe Haas et fils. — Fabrique de tapis et de tissus pour meubles, à Vienne (Autriche) 
 92
Idem. M. le chevalier de Vertheim. — Fabrique d’outils et de coffres-forts, à Vienne (Autriche) 
 94
Belgique. Société des mines de Bleyberg (province de Liège) 
 96
Espagne. M. Vincent Lassala. — Domaine rural, à Masia-de-la-Mar, près Chiva (province de Valence) 
 98
États-Unis. Colonie agricole de Vineland (New-Jersey) 
 100
France. Compagnie des verreries et cristalleries de Baccarat (Meurthe) 
 102
Idem. MM. Bouillon. — Forges à fer de Larivière, près Limoges (Haute-Vienne) 
 104
Idem. Le baron de Bussière, — Fabrique de machines, à Graffenstaden (Bas-Rhin) 
 106
Idem. Société des forges à fer de Châtillon et Commentry (Côte-d’Or et Allier) 
 108
Idem. MM. Gros, Roman, Marozeau et Cie. — Filature de coton et fabrique de tapis, à Wesserling (Haut-Rhin) 
 111
Idem. MM. Japy frères. — Fabrique d’horlogerie, à Beaucourt (Haut-Rhin) 
 113
Idem. MM. Legrand et Fallot. — Fabrique de rubans de coton, au Ban-de-la-Roche (Vosges et Bas-Rhin) 
 115
Idem. Compagnie des glaces de Saint-Gobain, Chauny et Cirey (Aisne et Meurthe) 
 119
Idem. M. Sarda. — Fabrique de rubans de velours, aux Mazeaux (Haute-Loire) 
 122
Idem. MM. Steinheil, Dieterlen et Cie. — Filature de coton et fabrique de tissus, à Rothau (Vosges) 
 125
Suède. MM. James Dickson et Cie. — Forges à fer et exploitations forestières du golfe de Bothnie 
 128
CITATIONS PROCLAMÉES
Dans la distribution solennelle des récompenses.


Confédération suisse. Institutions de bien public 
 131
Espagne. Coutumes spéciales de la Catalogne et du pays basque 
 136
Pays-Bas. Société du bien public 
 142
Portugal. Associations professionnelles 
 145
Russie. Les Artèles, ou associations d’ouvriers pour les travaux des villes 
 148


DOCUMENT R
Sur l’ouvrage intitulé : La Réforme sociale[8].

L’auteur a entrepris, en 1858, la rédaction de cet ouvrage, sur la demande réitérée de personnes qui sont en situation de coopérer à la réforme de notre pays. Il y a groupé, sous une forme analytique, les faits recueillis dans ses voyages et qui n’avaient été exposés que par un petit nombre de spécimens dans les Ouvriers européens (0). La première édition, publiée en 1864, a été suivie de deux autres, en 1865 et en 1868. L’ouvrage, se référant à la pratique des peuples prospères, interprétée par les Autorités sociales (§ 5), tend à un but qu’on peut résumer en peu de mots : signaler les conditions de l’ordre matériel et moral dans les sociétés de notre temps.

Le plan du livre se rapproche beaucoup de celui qui a été suivi dans la présente publication. L’introduction a l’étendue d’un chapitre : elle expose la méthode qui a guidé l’auteur, puis la distinction du vrai et du faux, telle qu’il l’a déduite du rapprochement des faits observés et de l’opinion des Autorités sociales. Sept chapitres traitent successivement des principales branches de l’activité humaine : ils ont pour objet, la religion, la propriété la famille, le travail, l’association, les rapports privés et le gouvernement. Dans chacun de ces chapitres, l’auteur décrit les mœurs et les institutions qui font le succès des peuples les plus prospères de notre temps, les causes qui ont amené la décadence partielle de notre pays, et qui nous ont empêché jusqu’à ce jour de fonder la réforme sur les coutumes de nos époques de prospérité ou sur les pratiques actuelles classées au premier rang par l’opinion des européens. Enfin la conclusion donne le résumé des modifications et des réformes qu’il y a lieu d’introduire successivement dans nos mœurs et nos institutions.

Le sommaire suivant résume le plan et indique l’importance relative des diverses parties de l’ouvrage.


SOMMAIRE DES TROIS TOMES.


Tome premier. — Avertissement, v à x. — Introduction, 1 à 92. — Chap Ier La Religion, 93 à 192. — Chap. II. La Propriété, 193 à 320. Chap. III. La Famille, 321 à 448.
Tome deuxième. — Chap. IV, Le Travail, 1 à 208. — Chap. V, L’Association, 209 à 370. — Chap VI. Les rapports privés, 371 à 459.
Tome troisième. — Chap. VII, Le Gouvernement, 1 à 503. — Conclusion, 504 à 513. — Documents annexés, 515 à 547.


FIN
  1. On remarque, parmi les signataires de cette pétition, des hommes qui ont joué, en raison de leurs talents personnels ou de la supériorité de leurs établissements, un rôle éminent aux expositions universelles, en 1855, en 1862 et en 1867.
  2. Cette vérité est aperçue par ceux de nos rivaux qui ont conservé la prospérité fondée sur le respect des autorités naturelles. J’ai appris, en 1833, l’anecdote suivante de M. le comte de Rayneval, alors ambassadeur à Madrid. En 1815, un diplomate anglais insistait vivement pour qu’on restreignît nos frontières du XVIIe siècle. N’ayant pu obtenir à cet égard tout ce qu’il désirait, et se reportant par la pensée au principe dissolvant de notre Code civil, il laissa échapper cette exclamation : « Après tout, les Français sont suffisamment affaiblis par leur « régime de succession. » Les Anglais, au surplus, ont appliqué, en 1703, à l’Irlande le même régime d’affaiblissement. Conservant, pour eux-mêmes et pour les Irlandais protestants, la liberté testamentaire, ils ont soumis les catholiques d’Irlande au régime du partage forcé. (La Réforme sociale, t. Ier, p. 233.)
  3. Ce fut alors, en effet, que les honnêtes gens, intimidés par les violences de la populace et la cruauté des gouvernants, cessèrent de défendre les principes fondamentaux de la religion, de la famille et de la propriété.
  4. Alexis de Tocqueville, la Démocratie en Amérique, Avertissement de la douzième édition, passage cité (§ 60, n. 12).
  5. Les prédications que recherchent les populations urbaines sont celles qui ne tiennent compte ni des traditions les plus vénérables, ni des faits les plus évidents du temps actuel. Dans la péroraison d’un discours fort applaudi à Marseille, au commencement de décembre 1869, on a dit : « Aidez-nous, libres penseurs de Marseille, à abolir la religion ; les protestants, les juifs, les mahométans et tous les autres déistes végètent dans la misère et l’obscurité ; mais ce qu’il faut avant tout détruire, c’est le catholicisme. Le Christ n’est qu’un despote qui s’est fait tuer pour donner plus de poids à ses doctrines. Que l’on ne nous parle plus de ce cadavre, nous n’en voulons plus. » (Applaudissements.) — Un nouvel apostolat des Gaules (§ 14, n. 1) sera bientôt nécessaire, si l’ignorance des faits les plus évidents croît ainsi chaque jour avec l’orgueil.
  6. Celle qui prévalut dans la session du Tribunat, où fut prononcé le discours de Benjamin Constant. (L. 7.)
  7. Les Ouvriers européens, Études sur les travaux, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières de l’Europe, précédées d’un exposé de la méthode d’observation, par M. F. Le Play ; Paris, 1855, un vol. in-folio.
  8. La Réforme sociale en France, déduite de l’étude comparée des peuples européens, par M. F. Le Play, 3e édition ; Paris, 1867 ; Dentu, éditeur, 3 vol. in-18.