L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIV VI

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Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 238-240).

SECTION VI.
Continent la Douleur peut être une cause de Délice.

La providence a sagement établi qu’un état de repos et d’inaction, quelque flatteur qu’il peut être pour notre indolence, serait accompagné d’une foule d’inconvéniens, qu’il en gendrerait de tels désordres, que nous serions forcés de recourir au travail comme au seul moyen de rendre notre vie supportable et d’y goûter quelque satisfaction : car la nature du repos est de laisser tomber toutes les parties de notre corps dans un relâchement qui non-seulement prive les membres de la faculté de remplir leurs fonctions, mais ôte aux fibres le ton vigoureux sans lequel les sécrétions naturelles et nécessaires ne peuvent se faire. En même tems, les nerfs sont plus sujets, dans cet état de langueur et d’inaction, aux plus horribles convulsions, que lorsqu’ils sont forts et convenablement tendus. La mélancolie, l’abattement, le désespoir, et souvent le suicide, telles sont les suites du noir aspect sous lequel les choses se présentent à notre esprit dans cet état de relâchement où se trouve le corps. Le remède le plus efficace pour tous ces maux est l’exercice ou le travail. Le travail brave les difficultés et les surmonte ; c’est un acte du pouvoir de contraction qu’ont les muscles ; et par-là il est en tout, hormis dans le degré, semblable à la douleur, qui consiste dans la tension, ou dans la contraction. Le travail n’est pas seulement requis pour maintenir les plus grossiers organes dans un état convenable à leurs fonctions ; il est encore nécessaire à ces organes plus déliés et plus délicats, sur lesquels et par lesquels agissent l’imagination et, peut-être, les autres facultés de l’esprit. Car il est probable que l’entendement, ainsi que les qualités inférieures de l’ame, qui sont les passions, fait usage dans ses opérations de quelques instrusmens corporels et délicats, quoiqu’il soit un peu difficile de découvrir ce qu’ils sont et où ils sont ; mais ce qui montre que l’entendement en fait usage, c’est qu’un long exercice des facultés mentales produit une lassitude remarquable dans tout le corps, et, d’autre part, qu’une grande fatigue ou douleur corporelle affaiblit, et quelquefois détruit réellement les facultés de l’entendement. Comme un exercice convenable est essentiel aux parties musculaires du corps les plus grossières et que sans ce mouvement elles deviendraient languissantes et malades, il en est de même à l’égard de ces parties plus délicates, dont nous avons parlé ; pour les maintenir dans un état convenable, il faut les exercer, les ébranler jusqu’à un certain degré.