L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/Avertissement
Pichon et Depierreux, (p. v-viii).
Je ne m’étendrai point ici en éloges sur l’ouvrage dont j’offre une traduction au public : sept éditions qui en ont été faites à Londres, parlent assez en sa faveur. Ce livre original, où une logique pressante et juste sert comme de lien à un style brillant et concis, est entre les mains de tous les Anglais qui cultivent les Lettres. Cela seul, indépendamment du plaisir qu’il m’a donné à la lecture, eût suffit pour m’engager à le faire passer dans notre langue. En subissant cette espèce de métamorphose, il a perdu beaucoup sans doute. Souvent j’ai été forcé de sacrifier l’élégance à la fidélité ; et je pense que c’est une règle dont il n’est pas permis de s’écarter quand on traduit un ouvrage de raisonnement. Dans ce cas, l’imagination doit être enchaînée ; ses écarts jetteraient dans le chemin de l’erreur : un seul mot peut quelquefois dénaturer la pensée de l’Auteur ; et l’on est d’autant plus blâmable de ne pas la rendre avec exactitude, que cet Auteur a plus de célébrité, et son ouvrage plus d’importance. Un traducteur qui, pensant embellir son original, ment à l’Auteur et au Lecteur, ne ressemble pas mal à l’interprète de deux souverains, qui, pour faire preuve d’éloquence, altère le sens de leurs discours dont il ne doit être que l’écho. : il trahit à la foi deux puissances. Malgré les difficultés de l’ouvrage, difficultés telles qu’elles arrêtent des Anglais mêmes au premier moment, je crois m’être mis à l’abri d’un semblable reproche, et j’en ai particulièrement l’obligation à M. Littl…, jeune Anglais rempli de mérite, qui dans un âge où la frivolité fait voler aux plaisirs, lui sait dérober des heures précieuses au profit du talent, et que j’achèverais de nommer pour le remercier publiquement d’avoir voulu m’expliquer certains passages obscurs sur lesquels je l’ai consulté, si je ne craignais de le charger par-là des fautes qui peuvent se trouver dans le reste de ma version.
Mais si je me suis attaché à exprimer fidèlement tous les traits de mon modèle, ce n’est pas que je les aie tous trouvés dans une parfaite harmonie avec l’ensemble. En un petit nombre d’endroits (si toutefois je ne me suis pas trompé) j’ai cru voir que l’Auteur tirait de ses principes des conséquences plutôt spécieuses que justes, et je me suis permis d’en faire l’observation dans quelques notes. À propos de ces notes, il n’est pas juste que l’Auteur, soit responsable de celles qui m’appartiennent ; Je préviens donc qu’il n’y en a que trois de M. Burke : ce sont celles des pages 61, 134 et 204 ; pour les autres, c’est à moi que le critique doit s’en prendre.
Il me reste à parler de la vie de l’Auteur, qu’on me saura gré sans doute d’avoir mise à la tête de son ouvrage ; car tout ce qui se rattache aux hommes extraordinaires est un vif aiguillon pour la curiosité. Celui-ci surtout nous intéresse sous bien des rapports, mais particulièrement par le rôle qu’il a joué dans les grands évènemens de la fin du siècle, rôle si influant, qu’il est probable que sans sa malheureuse éloquence ils auraient pris une toute autre direction. Je devrais m’excuser peut-être auprès de certaines personnes qui aiment les petites anecdotes de salon, de m’être principalement étendu sue la partie politique ; en cela j’ai eu plusieurs raisons : la vie de M Burke est presque entièrement politique ; d’ailleurs, un homme n’appartient à l’histoire que par les biens ou les maux qu’il a faits à la société : si cela ne suffisait pas pour me disculper, je dirais que malgré mes recherches et mes demandes, il ne m’a pas été possible de rassembler un grand nombre de détails sur sa vie privée. Ce qui pourrait paraître un dédommagement, c’est que je garantis la vérité de ceux que je donne : quelques-uns m’ont été fournis par des personnes dignes de foi et j’ai puisé les autres dans des mémoires authentiques.