L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIII III

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Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 167-170).

SECTION III.
La proportion n’est pas la cause de la beauté dans les animaux.

Les animaux fournissent des preuves tout aussi évidentes que la proportion entre pour très-peu de chose dans la formation de la beauté. Une infinie variété de formes, les plus grandes disproportions de parties, qu’on remarque dans leurs espèces, sont bien propres à faire naître cette idée. Le cygne, regardé généralement comme un bel oiseau, a le cou plus long que tout le reste de son corps, et la queue très-courte : est-ce-là une belle proportion ? nous devons l’accorder. Mais, alors, que dirons-nous du paon, dont le cou est comparativement court, tandis que sa queue est plus longue que son corps et son cou pris ensemble ? Combien d’oiseaux n’y a-t-il pas qui s’écartent infiniment de chacun de ces modèles, et de tout autre qu’on pourrait assigner avec des proportions différentes et souvent opposées l’une à l’autre ! et néanmoins quantité de ces animaux sont extrêmement beaux ; tandis qu’en les considérant, nous ne trouvons rien dans aucune partie qui puisse nous déterminer, a priori, à dire ce que les autres peuvent être ; bien au contraire, toutes les conjectures que nous pouvons former à cet égard, l’expérience vient aussitôt les démentir, et nous accuser d’erreur. Pour ce qui concerne les couleurs des oiseaux ou des fleurs, car il y a quelque analogie entre le coloris de ces êtres si différens, il est impossible d’y découvrir aucune proportion, en les considérant soit dans leur extension, soit dans leur gradation : on en voit d’une seule couleur, d’autres » qui réunis sent toutes les nuances de l’arc-en-ciel ; quelques-uns sont d’une couleur primitive, quelques autres, d’une couleur mixte. Enfin un observateur attentif est en droit de conclure qu’il y a aussi peu de proportion dans les couleurs que dans les formes de ces objets. Tournez les yeux sur les quadrupèdes : examinez la tête d’un beau cheval ; dans quelle proportion est-elle avec le corps et les jambes, et quel rapport existe-t-il entre les jambes et le corps ? Après avoir établi ces proportions comme une règle de beauté, prenez un chien, un chat, ou tout autre animal, et voyez si vous trouvez les mêmes proportions entre sa tête et son cou, entre sen corps et chacune de ces dernières parties, et ainsi des autres. Je crois que l’on peut affirmer, non-seulement qu’elles diffèrent dans chaque espèce, mais encore que dans un grand nombre d’espèces on trouve des individus qui diffèrent de la même manière, et qui sont néanmoins d’une beauté très-frappante. Or, si l’on accorde que la beauté existe sous des formes et des dispositions très-différentes, et même contraires, on doit, je crois, admettre cette conséquence, qu’aucunes mesures certaines, opérant d’après un principe naturel, ne sont nécessaires pour produire la beauté, du moins à l’égard de l’espèce brute.