L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PII XIII

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Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 140-144).

SECTION XIII.
La Magnificence.

La magnificence est également féconde en idées sublimes. Une grande profusion de choses splendides ou précieuses par elles-mêmes, est magnifique. Un ciel parsemé d’étoiles, quoiqu’il frappe souvent notre vue, fait toujours sur notre ame une grande impression ; impression qui ne peut provenir d’aucune chose qui soit dans les étoiles mêmes, séparément considérées : c’est leur nombre qui en est certainement la cause. Le désordre apparent ajoute à la grandeur ; car l’apparence du soin est très-contraire aux idées que nous avons de la magnificence. D’ailleurs, les étoiles sont dans une telle confusion, du moins pour notre vue, qu’il est ordinairement impossible de les compter. Par-là elles ont l’avantage d’une sorte d’infinité. Dans les ouvrages de l’art, on ne doit admettre qu’avec beaucoup de circonspection cette espèce de grandeur qui consiste dans la multitude ; parce qu’on ne peut obtenir une profusion de choses excellentes, du moins sans une extrême difficulté ; et parce qu’en plusieurs cas, cette splendide confusion détruirait tout usage, qui, dans la plupart des ouvrages de l’art, doit être considéré avec le plus grand soin : observez d’ailleurs qu’à moins de produire par votre désordre une apparence d’infinité, vous aurez seulement le désordre et point de magnificence. Il y a cependant une espèce de feux d’artifice, et quelques autres choses, qui remplissent assez bien cet objet, et portent Une empreinte de véritable grandeur. Les poètes et les orateurs ont des descriptions sublimes par la richesse et la profusion des images, dont l’esprit est tellement ébloui, qu’il lui est impossible de rechercher ce rapport et cette convenance exacte des allusions qu’il exige en toute autre occasion. Je ne puis rappeler en ce moment un exemple plus frappant que la description de l’armée royale, dans la comédie d’Henry IV, roi d’Angleterre. [1] « Revêtu du harnais, couvert d’armes brillantes, paré des plumes mouvantes de l’autruche, animé comme le mois des fleurs, radieux comme le soleil d’été, folâtre comme la chèvre étourdie, impatient comme le jeune taureau, j’ai vu le jeune Henri s’élancer sur son cheval avec la légèreté de Mercure fendant l’air de ses ailes; il voltigeait avec tant de grâce, qu’on eût cru voir un ange descendu des nuages pour dompter un coursier fougueux. »

Dans cet excellent livre si remarquable par la vivacité des descriptions, par la profondeur et la solidité des pensées, la Sagesse de Salomon, on trouve un éloge du grand-prêtre Simon, fils d’Onias, qui est un bien bel exemple à citer dans cet endroit.

« Combien il recevait d’honneurs au milieu du peuple, en sortant du sanctuaire ! Il a brillé pendant sa vie comme l’étoile du matin au milieu des nuages, et comme la lune lorsqu’elle est dans toute sa pompe : il a lui dans le temple de Dieu comme un soleil éclatant de lumière : il a paru comme l’arc-en-ciel qui brille dans les nuées lumineuses, et comme les roses qui poussent leurs fleurs au printems, comme les lis qui parent le bord des eaux, et comme l’encens qui répand ses parfums pendant l’été ; comme une flamme qui étincelle, comme l’encens qui s’évapore dans le feu, comme un vase d’or enrichi de pierres précieuses : Il a paru comme un olivier chargé de son fruit, et comme un cyprès qui s’élève aux nues, lorsqu’il a pris sa robe de gloire, et qu’il s’est revêtu de tous les ornemens de sa dignité : en montant au saint autel, il a honoré ses vêtemens : debouf en face de l’autel, il a reçu une partie de l’hostie de la main des prêtres, et il a été » environné de ses frères comme un jeune cèdre du Liban est environné de palmiers flexibles. Tels ont été les enfans d’Aaron dans leur gloire ; telles ont été les oblations du seigneur dans leurs mains, etc. »

  1. All furnish’d, all in arms,
    All plum’d like ostriches that with the vind
    Baited like eagles having lately bathed:
    As full of spirit as the month of May,
    And gorgeous as the sun in midsummer,
    Wanton as youthful goats, wild as young bulls,
    J saw young Harry with his beaver on
    Rise from the gronnd like feather’d Mercury ;
    And vaulted with sùch ease into his seat
    As îf an angel dropped from the clouds
    to turn and wind a fiery Pegasus