L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PII XIX

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Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 151-153).

SECTION XIX.
L’Intermission.

Un son sourd, incertain, intermittent, quoiqu’il semble à quelques égards opposé à celui dont il vient d’être question, peut produire le sublime. Sous ce rapport, il mérite d’être examiné. Un chacun doit juger du fait par sa propre expérience et par sa réflexion. J’ai déjà observé [1] que la nuit accroit notre terreur plus, peut-être, que toute autre chose ; il est dans notre nature de craindre le pire des accidens, lorsque nous ignorons lequel il doit nous arriver ; de là vient que l’incertitude est si terrible que nous cherchons à nous en délivrer au risque même d’un malheur certain. Or, des sons sourds, confus, incertains, nous laissent dans la même crainte, la même anxiété concernant leurs causes, que l’absence de la lumière, ou une lumière incertaine, à l’égard des objets qui nous environnent :

Quale per incertain lunam sub luce maligna
Est iter in sylvis ———

« La faible apparence d’une lumière incertaine, semblable à la lampe dont la vie va s’éteindre, ou à la lune voilée d’un ciel nébuleux, se montre au voyageur saisi de crainte et d’épouvante [2]. »

Mais quelque chose de plus terrible encore que les ténèbres absolues, c’est une lumière qui tantôt brille et tantôt s’éclipse : et il y a des sons incertains qui, avec le concours des dispositions nécessaires, sont plus alarmans que le silence absolu,

  1. Section 3.
  2. — A faint shadow of uncertain light
    Like as a lamp, whose life does fade away ;

    Or as the moon, clothed, with cloudy night,
    Doth shew to him who walks in fear and great affright.

    Doth shew to him who walks in fear and great affright.Spencer.