L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIV XVII

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Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 262-265).

SECTION XVII.
Effets du Noir.

Le noir n’est qu’une obscurité partielle ; par conséquent quelques-uns de ses pouvoirs lui viennent du voisinage et du mélange des corps colorés. Dans sa propre nature il ne peut être considéré comme une couleur. Les corps noirs ne réfléchissant point de rayons, ou du moins n’en réfléchissant que très-peu par rapport à la vue, ne sont qu’autant d’espaces vides dispersés parmi les objets que nous voyons. Lors que l’œil se porte sur un de ces vides, après avoir été tenu dans un certain degré de tension par le jeu des couleurs environnantes, il tombe soudain dans un relâchement, d’où il sort aussitôt par un effort convulsif. Pour éclaircir ceci, remarquons que lorsqu’on veut s’asseoir sur une chaise, si elle se trouve plus basse qu’on ne s’y attend, on reçoit un choc très-violent, beaucoup plus violent qu’on n’aurait pu l’imaginer d’une chute aussi légère que peut la rendre la différence d’une chaise à une autre. Si, après avoir descendu un escalier, en essaie par mégarde de faire un pas comme si l’on avait encore un degré à descendre, le choc est extrêmement rude et désagréable ; et tout notre art ne pourra réussir à en produire un pareil par les mêmes moyens, si nous nous y attendons ou que nous nous y soyons préparés. Lorsque je dis que cet effet provient d’un changement contraire à l’attente, je n’entends pas seulement l’attente de l’esprit : je veux dire aussi, que lorsqu’un organe des sens est affecté pendant quelque tems d’une même manière, s’il est subitement affecté tout différemment, il s’ensuit un mouvement convulsif, une convulsion telle qu’elle est causée quand quelque chose arrive contre l’attente de l’esprit. Quoiqu’il puisse paraître étrange qu’un changement qui cause un relâchement, produise immédiatement une convulsion soudaine, il est cependant très-certain que cela se passe ainsi, et même dans tous les sens. Tout le monde sait que le sommeil est un relâchement, et que le silence, alors que rien ne tient en action les organes de l’ouie, est en général très-propre à le faire naître. Cependant lorsqu’une sorte de murmure uniforme dispose un homme au sommeil, que ce bruit cesse tout à coup, et l’homme s’éveille aussitôt ; c’est-à-dire, que les parties se rassemblent subitement, et qu’il n’y a plus de relâche. J’en ai fait l’expérience moi-même, et de bons observateurs qui l’avaient faite comme moi, sont venus la confirmer. Pareillement, si un homme s’endormait en plein jour, en occasionnant autour de lui une obscurité soudaine, on empêcherait son sommeil pour le moment, quoique le silence et l’obscurité le favorisent beaucoup quand ils n’arrivent pas brusquement. C’est un fait que je ne connaissais que par des conjectures tirées de l’analogie des sens, lorsque je commençai à mettre ces observations en ordre ; l’expérience me l’a depuis confirmé. Il m’est souvent arrivé, et à mille autres comme à moi, de sortir tout à coup d’un premier assoupissement avec un fort tressaillement, et, en général, ce tressaillement était précédé d’une espèce de rêve où nous croyions tomber au fond d’un précipice : d’où viendrait cet étrange mouvement, sinon du relâchement trop subit du corps, qui en vertu de quelque mécanisme naturel, se rétablit par un acte aussi prompt et aussi vigoureux de la puissance de contraction qu’ont les muscles ? Le rêve même nait de ce relâchement : il est d’une nature trop uniforme pour qu’on puisse l’attribuer à aucune autre cause. Les parties se relâchent trop subitement, ce qui est dans, la nature des chutes, et cet accident du corps occasionne cette image dans l’esprit. Quand nous sommes dans un état confirmé de santé et de vigueur, tous les changemens étant alors moins soudains et moins extrêmes, nous avons rarement à nous plaindre de cette sensation désagréable.