L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIV XXIII

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Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 277-279).

SECTION XXIII.
Pourquoi la Variation est belle.

Une autre propriété principale des beaux objets, est que la ligne de leurs parties varie continuellement de direction ; mais elle en varie par une déviation insensible ; jamais la variation n’est assez brusque pour surprendre, ou pour causer par la saillie de son angle aucun picotement ou aucune convulsion dans le nerf optique. Le beau ne peut se trouver ni dans les choses qui présentent une longue uniformité, ni dans celles dont les changement s’opèrent par des coups brusques et tranchans ; parce que les unes et les autres sont opposées à cet agréable relâchement qui est l’effet caractéristique de la beauté. Il en est de même dans tous les sens. Un mouvement en ligne droite est cette manière de se mouvoir où l’on trouve le moins de résistance, après le mouvement qu’on lait en descendant une pente bien douce. Cependant, ce n’est point cette manière de se mouvoir qui, après une descente aisée, fatigue le moins. Le repos tend certainement à relâcher ; cependant il y a une espèce de mouvement qui relâche plus que le repos ; c’est un doux balancement par lequel on s’élève et l’on tombe alternativement. Les enfans s’endorment mieux étant bercés, que dans un repos absolu : il n’est presque rien à cet âge qui donne plus de plaisir qu’un léger balancement ; c’est assez prouvé par la manière dont les nourrices jouent avec les enfans, et par la préférence que ceux-ci, devenus grands, donnent à la balançoire sur tous les autres amusemens. Bien des personnes doivent avoir observé l’espèce de sensation que donne le mouvement d’une voiture bien suspendue, rapidement traînée sur une pelouse unie, où se trouvent successivement des élévations presque imperceptibles et des pentes aussi douces. Cette observation donnera une idée plus juste du beau, et fera mieux connaître sa cause probable, que presque toute autre chose. Si l’on est, au contraire, précipité sur une route raboteuse, rocailleuse, rompue, la douleur causée par ces brusques inégalités montre pourquoi des vues, des attouchemens et des sons semblables sont si contraires à la beauté : à l’égard de l’attouchement, il est exactement le même dans son effet, ou à très-peu de chose près le même, soit, par exemple, que je passe ma main sur la surface d’un corps d’une certaine figure, soit que ce corps se meuve le long de ma main. Mais pour rapporter à l’œil cette analogie des sens, remarquons que si un corps présenté à ce sens a une surface ondoyante, telle que les rayons de lumière qu’elle réfléchit soient dans une déviation continuelle et insensible depuis le plus fort jusqu’au plus faible, (ce qui arrive toujours dans une surface graduellement inégale) il doit produire un effet exactement semblable sur l’œil et sur le toucher ; il agit directement sur l’un, et sur l’autre indirectement ; et ce corps sera beau, si les lignes qui composent sa surface ne sont pas continuées, quoique variant ainsi, d’une manière qui puisse fatiguer ou dissiper l’attention. La variation même doit être continuellement variée.