L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIV XXV

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Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 285-288).

SECTION XXV.
De la Couleur.

À l’égard de la couleur les recherches sont presque infinies ; mais je pense que les principes posés dans le commencement de cette partie suffisent pour expliquer les effets de toutes les couleurs, aussi bien que les effets agréables des corps transparens, soit fluides, soit solides. Supposons que je regarde une bouteille remplie d’une liqueur bourbeuse de couleur bleue ou rouge : les rayons bleus ou rouges ne peuvent passer clairement jusqu’à mon œil ; ils sont soudainement et inégalement arrêtés par l’interposition de petits corps opaques, qui, sans préparation, changent l’idée, et la changent en une autre naturellement désagréable, conformément aux principes établis dans la section 24. Mais quand le verre est transparent, ou que la liqueur l’est, le rayon les traverse sans obstacle, et la lumière s’adoucit un peu dans ce passage, ce qui la rend plus agréable même comme lumière ; et comme la liqueur réfléchit également tous les rayons de sa propre couleur, elle a sur l’œil un effet semblable à celui que les corps opaques unis produisent sur la vue et sur le toucher ; de sorte qu’ici le plaisir se compose de la douceur déjà, lumière transmise, et de l’égalité de la lumière réfléchie. Ce plaisir peut encore être augmenté par les principes communs aux autres choses, si la forme du verre qui contient la liqueur transparente, est si judicieusement variée qu’elle présente la couleur en teintes graduellement et alternativement faibles et vigoureuses, avec toute la variété que le jugement peut suggérer dans les choses de cette nature. En réfléchissant sur tout ce qui a été dit concernant les effets ainsi que les causes du sublime et du beau, on verra que l’un et l’autre reposent sur des principes bien différens, et que les affections qu’ils produisent sont tout aussi différentes : le sublime a pour base la terreur, qui, étant modifiée, excite dans l’ame l’émotion que j’ai nommée étonnement : le beau est fondé sur le plaisir purement positif, et fait naître le sentiment que je nomme amour. Leurs causes ont été le sujet de cette quatrième partie.

Fin de la quatrième Partie.