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L’Orthopédie/Livre II

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Chez George Fricx (Tome Ip. 56-145).


LIVRE SECOND.

Moyens de prevenir & de corriger dans les Enfans, les difformités de la Taille, & premierement, ce que c’est que la Taille.



On entend par le mot de Taille, le jet du corps. Ce jet consiste dans ce qu’on appelle le Tronc. On comprend dans le Tronc, 1.o la Tête ; (mais la Tête proprement dite, & considérée uniquement par rapport à sa figure, indépendamment du visage ;) 2.o l’Épine ; 3.o la Poitrine ; 4.o les Lombes ; 5.o le ventre & le derriere.


DE L’EPINE.

L’Epine est cette longue suite d’os mobiles, placés les uns sur les autres, tout le long du dos, depuis le haut du col, jusqu’au croupion, & qui composent cette colomne fléxible sur laquelle est posée la tête, comme sur un pivot.

Quand l’Epine est droite, bien plantée, & d’une belle venuë, elle fait la belle Taille, & quand elle est courbe, & mal tournée, la Taille est difforme.

Le coffre de la poitrine est attaché à l’épine par en haut ; les Hanches y sont attachées par en bas ; de sorte que l’Epine est comme une souche qui affermit le Corps ; ce qui fait que les Anatomistes la comparent à la quille d’un vaisseau, à laquelle tiennent les courbes, la poupe, la prouë, & tout l’assemblage du Bâtiment.

L’Epine commence en bas par une base large, & se rétrécissant peu à peu, finit en pointe vers le haut.

La partie superieure qui fait le col, se courbe & s’incline en devant, ce qui met la tête dans une situation plus convenable ; car si l’Epine en cet endroit, eût été de droit fil, le port de la tête eût été trop en arrière ; à moins que l’Epine, au lieu de se joindre, comme elle fait, à la partie moyenne du bas de la tête, ne fût venuë se joindre à la partie posterieure ; ce qui auroit causé une difformité, en déterminant la tête à tomber en devant par son propre poids.

La partie de l’Epine qui fait le dos, se jette au contraire en dehors, ce qui augmente la capacité de la poitrine, & met à l’aise les poulmons & le cœur, qui, à cause de leur mouvement continuel, ont besoin de cet espace.

La portion de l’Epine, qui est vers les Hanches, se porte un peu en dedans, ce qui contrebalance la pesanteur du corps, & sert comme d’arcboutant aux parties que cette portion soutient ; car si elle se fût jettée en dehors, comme le dos, le corps qui est principalement soutenu par cette portion, auroit eu peine à se tenir droit, & se seroit presque tout jetté en devant.

L’endroit de l’Epine qui approche du croupion, & qui est formé par un gros os large & immobile, lequel sert comme de pied d’estal à l’épine, & que les anciens Anatomistes ont appellé l’Os sacré, s’avance en dehors, mais plus aux femmes qu’aux hommes. Le croupion a aussi plus de saillie aux femmes qu’aux hommes ; mais aux uns & aux autres, il rentre en dedans, ce qui l’empêche d’être offensé lorsqu’on s’assied, ou qu’on monte à cheval.

Le coffre de la poitrine & les hanches qui tiennent à cette Epine, sont des parties essentielles de la Taille ; en sorte que si ces parties sont de travers, soit par elles-mêmes, ou par quelque accident, l’Epine a beau être droite, la Taille considérée en général, n’est point parfaite.

Le coffre de la poitrine est attaché à l’Epine par les côtes. La conformation extérieure de ce coffre, lorsqu’elle a les conditions nécessaires, fait une des plus grandes graces de la Taille. Une poitrine avancée, par exemple, pourvu qu’elle ne le soit pas au-delà d’un certain point, produit un bel effet à la vûë. Une poitrine au contraire, deprimée & applatie, en produit un très-désagréable ; outre que cette figure est moins convenable pour la santé, & pour la longue vie.

Le coffre de la poitrine dans sa partie supérieure, immédiatement sous le col en devant est surmonté par deux os courbés en dehors, & couchés bout à bout, l’un à droit, l’autre à gauche, laissant dans l’endroit de leur réunion, une petite fosse qui fait comme la figure d’une fourchette, & qui en a retenu le nom. La courbure de ces deux os appellés clefs, ou clavicules, comme nous l’avons dit dans le premier Livre, & qui sont le soutien des bras, cause de grands creux à une gorge maigre. Ce sont ces creux qu’on appelle ordinairement salieres. Mais d’un autre côté, elle donne de la facilité au mouvement des bras.

Cette courbure des clavicules est plus voûtée aux hommes qu’aux femmes. Aussi remarque-t-on que les hommes remuent les bras avec plus d’aisance, & que les femmes au contraire, ne peuvent jetter une pierre, ni joüer au volant, avec la même facilité. Mais ce petit défaut est compensé en elles par l’égalité de la gorge, qui est d’autant plus pleine, que ces os sont moins cambrés. Ajoûtons que les clavicules moins courbes sont plus longues ; d’où il arrive que les femmes ont ordinairement le haut de la poitrine plus large, & par conséquent une plus belle quarrure, ce qui est une des perfections de la Taille. Les clavicules sont comme des barrieres qui tiennent les bras éloignés de la poitrine ; & comme ces clavicules, ainsi que nous venons de le remarquer, sont d’autant plus longues qu’elles ont moins de saillie, il arrive que les moins courbes poussent davantage les bras en dehors ; aussi remarque-t-on que les femmes portent les bras beaucoup plus en arriere.

Les clavicules sont des os tendres, qui, dans l’enfance, & dans la jeunesse, obéïssent aisément. Leur substance est épaisse, mais poreuse & fongueuse, ce qui est cause que lorsqu’elles viennent à se rompre, la réunion en est plus facile que des autres os. Cette disposition fait que lorsqu’on passe souvent la main par-dessus, en appuïant un peu, elles peuvent facilement s’applatir, & s’étendre, & qu’au contraire, lorsqu’on les repousse par les extrémités, comme on repousseroit un arc par les deux bouts, elles se courbent davantage.


Soin qu’on doit prendre des clavicules, & de la poitrine des enfans.

Ce que nous venons de remarquer, fait voir que les parens doivent empêcher avec grand soin, lorsque l’on emmaillotte leurs enfans, qu’on ne leur serre trop les épaules ; ce qui feroit faire aux clavicules, un arc plus voûté qu’il ne faut, & rendroit la gorge moins large.

Quand les enfans sont en robe, on doit, pour la même raison, leur donner des corps, dont l’ouverture des manches puisse jetter suffisamment les bras en dehors, & lorsqu’ils sont un peu grands, leur présenter un bâton suffisamment long, qu’on leur fasse tenir horizontalement par les deux extrémités les bras étendus. Le petit effort qu’ils feront alors, pourvu qu’on recommence souvent, obligera les clavicules à s’allonger, & à s’applatir.

Il faut de plus, faire souvent avancer aux enfans, la poitrine en devant, & ne se point lasser de les tenir dans cet exercice. Le mouvement qu’ils feront pour en venir à bout, repoussera les bras en arriere, & par une suite nécessaire, forcera les clavicules à s’étendre.

Sous les clavicules est posé le coffre de la poitrine. Le devant de ce coffre est un os large & plat, qu’on appelle le Sternum, comme nous l’avons dit dans le premier Livre. Le sternum fait comme l’office de plastron ; il s’étend depuis le col en devant jusqu’au creux de l’estomac. Aux deux côtés de ce plastron, à droit & à gauche, entre les deux mamelles, viennent s’attacher les côtes qui tiennent par derriere à l’épine, & font ainsi, avec le plastron, la cavité que l’on nomme poitrine.

Une poitrine bien proportionnée, est un des plus grands ornemens de la Taille, comme nous l’avons dit, & elle a les proportions requises, lorsqu’elle est suffisamment avancée en devant par en haut, sur-tout aux femmes ; qu’elle est surmontée de clavicules qui ne sont point trop courbes ; qu’elle ne fait point la voûte en arriere ; qu’elle ne panche point plus d’un côté que de l’autre, & qu’enfin, comme nous l’avons dit dans le premier Livre, elle est comme une hotte, c’est-à-dire avancée en devant par en haut, & plate en arriere.


Attention qu’on doit avoir pour ce qui regarde les Hanches & le Ventre des enfans.

La proportion des hanches, & celle du ventre, ne contribuent pas peu à la beauté de la Taille, principalement dans les personnes du sexe ; car il faut qu’elles ayent la Taille fine, & elles ne sçauroient l’avoir telle, si les hanches ne sont un peu élevées. C’est cette élévation qui en fait la finesse ; or cette finesse consiste dans un décroissement sensible de l’épaisseur de la Taille, à l’endroit des hanches, sur-tout aux deux côtés ; ce qui forme dans les jeunes femmes bien faites, cette Taille, qu’on appelle Taille en Y grec, laquelle leur donne tant de grace. Nous avons mis aussi de la partie, la proportion du ventre. Le ventre se divise en anterieur & en posterieur, L’antérieur qui est celui qui se présente en devant, doit être fort peu avancé ; mais l’autre qui est le postérieur, & qu’on nomme le derriere, doit être élevé d’une manière un peu sensible. Au reste cette élévation ou saillie des hanches, aussi-bien que celle de la partie postérieure du ventre, ne sert pas seulement à donner de la grâce à la Taille des femmes, elle leur est utile & même nécessaire dans les travaux de l’enfantement.

Lorsque dans les Squeletes de différens sexes, on examine de près, les os des hanches, & l’os nommé Sacré, qui, comme nous l’avons observé, est posé au-dessus du croupion, qui forme ce qu’on appelle le derriere, on voit aisément la différence qu’il y a entre le Squelete d’un homme, & celui d’une femme, ces os étant beaucoup plus grands, plus minces, plus amples & plus écartés dans les femmes, & laissant par ce moyen, une cavité plus spacieuse entr’eux. Cette cavité, tant dans les hommes, que dans les femmes, s’appelle le Bassin.


Moyen d’empêcher le ventre des enfans de se trop porter en devant ; moyen de leur conserver le dos plat. Comment par rapport à ce dernier point, en doit asseoir les enfans. Siéges particuliers pour cela.

Pour empêcher que les enfans n’avancent trop le ventre, il faut empêcher, quand ils sont assis, qu’ils ne se tiennent renversés sur leurs siéges, & les obliger de s’y tenir à plomb sur leur séant. Il y a un autre moyen pour cela, que sous rapporterons dans un moment.

Pour conserver le dos plat, il faut s’y prendre de la même maniere ; car dès qu’on est assis renversé, le dos se courbe & se boucle.

Une autre précaution bien nécessaire pour garantir de ce défaut, les enfans, c’est de prendre garde que la tablette du siége sur laquelle ils s’asseyent, ne soit enfoncée dans le milieu, mais qu’elle soit tout à fait plate.

Quand on est assis renversé, le dos prend nécessairement une courbure creuse en dedans, & quand ont est assis dans un enfoncement, l’effort que l’on fait naturellement, & sans dessein, pour ramener le corps à l’équilibre, oblige la Taille à se voûter encore davantage.

On donne ordinairement aux enfans, dès qu’on les tire de nourrice, de petits fauteüils de paille ou jonc ; ces petits fauteuils sont nécessairement enfoncés dans le milieu du siége, les ouvriers ne les peuvent faire sans cet enfoncement. L’on assied les enfans dans ces fauteüils, & l’on commence ainsi, dès leurs tendres années, à leur corrompre, peu à peu, la taille. Il faut leur donner des fauteüils ou des chaises, dont le siége soit fait d’une planchette de bois bien unie. Ils seront obligés, quand ils seront assis dans ces siéges, de tenir le corps droit, & ne se voûteront point, ou bien l’on peut ajuster au milieu du siége de paille, un coussinet relevé, qui en remplisse l’enfoncement. Ce coussinet peut aussi être de paille ou de jonc.

Le mieux est de faire le siége avec une piéce de liége bien unie ; outre que le fauteuil en est plus léger, il a cet avantage qu’il préserve les enfans, de ces chutes de fondement ausquelles ils sont si sujets, ce qui est bien à considérer.

Mais une maniere bien simple pour rémédier à l’enfoncement des fauteüils ou siéges dans lesquels on assied les enfans, c’est de mettre sous cet enfoncement, une vis de bois qui monte & descende, sur laquelle soit posée une petite planche, en sorte qu’en tournant la vis, selon un certain sens, elle pousse la planche, & fasse monter en haut, la paille qui est sous la chaise. Comme cette vis doit porter sur quelque chose qui lui serve d’appui, on la pose sur une petite traverse de bois, dont on clouë en bas les deux bouts aux bâtons de la chaise. Il y a dans la ruë Montmartre un Tourneur qui réussit fort bien dans la construction de ces sortes de chaises. On n’y voit point de creux comme aux chaises de paille ordinaires, & la vis qui empêche le creux, ne paroît point, à moins qu’on ne renverse la chaise.

Les siéges de cannes sembleroient pouvoir convenir, mais quelque plats qu’ils soient dans les commencemens, ils se creusent & s’enfoncent à la longue.


Autres moyens de ménager la Taille des enfants. 1o Comment on doit se conduire par rapport à leur chaussure.

Les souliers à talons trop hauts, font encore courber la taille aux jeunes personnes, & pour cette raison l’on ne doit point donner, sur-tout, aux filles, des talons hauts avant l’âge de quinze ans.

Les souliers trop étroits ou trop courts, font encore un grand tort à une taille naissante. Comme ils blessent, & que l’on suit la douleur, il arrive que pour s’épargner cette douleur, les personnes qui sont chaussées trop étroitement, ou trop courtement, se panchent les unes en devant, les autres en arrière, les unes sur un côté, les autres sur l’autre, ce qui est un grand obstacle à la formation de la belle taille. Nous parlerons plus au long sur ce sujet dans le troisiéme Livre, en y traitant de ce qui concerne les pieds.


2o. En quelle situation les jeunes filles doivent coudre lire, travailler en tapisserie, &c.

On ne doit point souffrir que les jeunes filles cousent ou lisent qu’en posture droite, il faut qu’elles portent leur ouvrage, ou leur Livre à leurs yeux, & non leurs yeux à leur ouvrage ou à leur Livre, sans quoi leur taille se voûte infailliblement.

Rien d’ailleurs n’a plus mauvaise grâce qu’une jeune personne qui se tient panchée sur son Livre ou sur son ouvrage, au lieu de les tenir à la portée de sa tête, en joignant doucement les coudes sur les côtés, & les pliant en devant pour faire monter les bras à la hauteur qui convient aux yeux.


3o. Sur quelles tables les Enfans doivent écrire.

La plupart des enfans se voûtent en apprenant à écrire, parce qu’on n’a pas soin de les faire écrire sur des tables d’une hauteur convenable. C’est à quoi il faut extrêmement prendre garde. Nous suspendons un moment cet article, pour y revenir plus bas.


4o. Comment on doit coucher les enfans par rapport à leurs chevets.

Ne point laisser dormir les enfans sur des chevets hauts, ou ne leur point donner de chevet du tout, est un autre moyen dont on peut se servir utilement pour conserver la taille des enfans quand ils l’ont droite, ou pour la leur redresser quand elle commence à se courber.


5o HEMORRHOIDES.
Tort qu’ils peuvent faire à la Taille.

Il y a de jeunes personnes qui sont sujettes aux Hémorroïdes, & qui à cause de la douleur qu’elles en ressentent, ne peuvent se tenir aisément droites, mais sont contraintes, les unes de se pancher en devant, les autres de se jetter sur un côté, les autres sur l’autre, comme quand on a des souliers qui sont trop étroits ou trop courts, ainsi que nous l’avons remarqué page 72. ce qui à la longue leur gâte la taille. Quand cela arrive, il faut leur faire appliquer sur les Hémorrhoïdes un peu de mercuriale & de pariétaire, broyées entre les doigts ou dans le creux de la main, avec du beurre bien frais ; ce remède qui doit se continuer quelque jours, ne fait point rentrer les Hémorrhoïdes, ce qui seroit dangereux. Il ôte la douleur & dispose les Hémorrhoïdes à fleur, ou les flétrit. Quand elles sont ainsi guéries, il faut en empêcher le retour, & pour cela on aura soin que dans la maison, la jeune personne ne s’asseye jamais que sur des siéges tels que ceux que nous avons indiqués page 72. c’est à-dire dont l’assiette soit une piece de liege fort plate. C’est un bon préservatif non-seulement contre les chutes de fondement, comme nous l’avons remarqué par occasion dans l’endroit cité, mais contre les Hémorrhoïdes.


6. CORPS PIQUEZ.
Importance de les renouveller souvent aux enfans.

Les parens doivent, sur-tout, donner souvent des corps piqués à leurs enfans, & ne point plaindre là-dessus la dépense ; un corps trop étroit, laissé seulement huit jours à un enfant, est capable de lui gâter absolument la taille, principalement s’il lui presse le devant de la poitrine ; un corps trop court, n’est pas si dangereux.

Pour qu’un corps ne presse point le devant de la poitrine, sur-tout par en haut, il faut qu’on puisse passer deux travers de doigts entre le haut de la poitrine & le corps. Si-tôt qu’il commence à toucher, il en faut un autre.

Quand une jeune personne reléve d’une maladie qui l’a tenuë long-temps au lit, l’usage du corps piqué, ou au moins du corset, est plus nécessaire que jamais ; faute de quoi la taille déjà affoiblie par la longueur de la maladie, ne manque point de prendre une mauvaise figure. Les grandes personnes même, ont besoin, en semblable cas d’employer cette précaution. Les os de l’épine, quand on est couché, ne pesent plus les uns sur les autres ; le poids de la tête ne les surcharge plus. Il arrive de-là que lorsqu’on garde long-temps, le lit, ces os s’écartent les uns des autres, & que par conséquent la taille, s’allonge. Or cet allongement venant de ce que chaque os de l’épine n’est plus exactement joint avec celui qui le suit, c’est une nécessité que la taille ait moins d’assiette & de fermeté, lorsqu’après une longue maladie on commence à se lever ; puisqu’alors les vertebres sont moins appuyées les unes sur les autres. Or ces vertebres ayant moins d’assiete, & la taille étant plus longue, il faut absolument que dans le temps de la convalescence, où les os dont il s’agit, commencent à retomber les uns sur les autres, par le poids de la tête, & par le leur propre, à caille de la situation directe que l’on prend en se tenant debout, ou sur son séant, il faut nécessairement, dis-je, que la taille soit disposée à se courber, d’autant plus que la longueur en est augmentée, d’où il est aisé de voir que si on ne porte pas alors quelque corset, ou quelque chose d’équivalent pour contenir la taille, elle est en risque de se déjetter.


7.o Suite de ce qui a été dit ci-devant page 69. touchant les enfans qui avancent trop le ventre.

Lorsqu’un enfant avance trop le ventre, on croit bien faire de lui mettre sur le ventre un plomb, ou quelqu’autre poids ; mais on oblige par-là l’enfant à se renverser encore davantage. Voyez ces Marchands ambulans, qui portent leurs boutiques attachées devant eux ; voyez ces femmes qui ont des éventaires liés à leur ceinture, dans l’esquels sont des fruits ou des poissons qu’elles ont vendre par la Ville, ou qu’elles exposent dans les marchés ; voyez comme ce poids les oblige à se renverser. Il faut ici tirer leçon de tout, c’est la nature qui parle. Elle vous enseigne, peres & meres, à vous garder de mettre aucun plomb sur le ventre de vos enfans lorsqu’ils se renversent ; mais au contraire, à leur charger le derriere. Ils ne manqueront point alors de reculer le ventre, & ils ne se renverseront plus. Cet effet dépend tout entier de l’équilibre que la nature observe en tout. Voyez de quelle maniere elle a disposé le corps humain par rapport à cet équilibre. Il est bon de nous arrêter un moment là-dessus.

Comme la masse du ventre s’étend en devant d’un côté à l’autre, cette masse se trouve balancée en arriere par une autre qui sont les fesses, sans quoi le corps pancheroit trop en devant ; c’est ce qui fait que les femmes ont naturellement les fesses plus grosses, parce qu’elles ont le ventre plus gros.

Les personnes qui, sans avoir de grosses fesses, ont un gros ventre, se panchent en arriere ; celles au contraire, qui ont les fesses très-grosses, sans avoir le ventre gros, se panchent en devant.

Les femmes enceintes se panchent toutes en arriee, ce qui fait le contrepoids de leur gros ventre. Pour la même raison, les femmes qui ont la gorge grosse & avancée, se tiennent plus droites que celles qui l’ont maigre & plate.

Les bossus se panchent tous en devant, à moins que quelque accident ne les en empêche.

Quand on se baisse pour amasser quelque chose, on recule un pied, ou du moins le derriere, sans quoi l’on tomberoit, parce qu’il y auroit trop de poids sur le devant. Quand on trébuche & qu’on est sur le point de tomber, on étand aussi-tôt de l’autre côté, le bras ou la jambe, ce qui contre balance le reste du corps. Voyez ceux qui jouent aux quilles, voyez comme ils posent un pied en arrière, pour pouvoir mieux jetter la boule.

Ceux qui portent sur le plis d’un des coudes, un panier à anse, bien chargé, lévent l’autre bras, & se panchent du côté opposé au panier ; ce qui fait, sans qu’ils y songent, le contrepoids.

Ceux qui portent sur le dos, un fardeau, se panchent en devant ; & ceux qui le portent sur la tête, se tiennent naturellement droits. Enfin le corps ne manque jamais, sans même que nous y pensions, de se tenir en la maniere la plus convenable pour se soutenir, & il n’est personne, jusqu’au plus idiot, qui là dessus ne prenne, au juste, l’équilibre, comme s’il en sçavoit les regles.


8o. Moyen d’empêcher un enfant de trop avancer le derriere.

Mais pour revenir où nous en étions, si l’enfant avance trop le derrière, c’est alors qu’il convient de lui mettre un plomb sur le ventre, ce poids oblige bien-tôt le ventre à revenir en devant, & le derriere à s’applatir. Mais tout cela ne se doit pratiquer qu’au cas que l’enfant n’ait point les jambes trop foibles ; car en ce cas, le plomb ni autre poids ne convient point. Il faut se contenter alors d’avertir souvent l’enfant, & pour donner plus de force aux avertissemens, ne point se lasser de le contrefaire en sa présence.

Je ne dis rien ici du soin continuel qu’on doit avoir en même tems, de pousser doucement, ou le ventre, ou le derriere de l’enfant, selon le cas ; la chose parle d’elle-même.

Si tout cela est inutile, il faut donner à l’enfant un corps piqué, qui soit construit de la maniere, que si c’est le ventre qui avance, le corps piqué repousse le ventre ; & que si c’est le derriere, il repousse le derriere : il n’y a gueres de Tailleurs de corps qui puissent être embarassés là-dessus.


9o. Moyens d’empêcher les enfans de porter mal la tête.

La tête, qui, ainsi que nous avons dit, est posée sur l’épine, comme sur un pivot, doit, pour la bonne grace de la taille, être portée droite, ensorte qu’elle n’incline ni sur une épaule, ni sur l’autre, ni en devant, ni en arriere. Pour cela il faut porter le col droit ; mais prendre garde cependant, en le voulant porter ainsi, de le contraindre : car encore qu’il doive être droit, il ne faut pas croire qu’il doive l’être à la derniere rigueur, & de la maniere qu’il ne panche pas seulement d’une ligne en devant. Car alors ce seroit avoir le col comme un pieu, ce qui seroit très-difforme. La regle qu’il faut suivre en cela, c’est de tenir le col de façon que la partie charnuë de dessous le menton, laquelle se nomme petite gorge, fasse comme un second menton. L’affectation est ici à craindre ; mais quand un enfant est accoutumé de bonne heure, à porter le col droit, ce second menton vient de lui-même & sans effort. J’ajoûterai que pour y dresser les enfans, qui sont déjà un peu grands, il ne faut pas laisser dans le commencement, de leur faire faire quelque petit effort au-delà du naturel ; parce que sans cette précaution, ils ne resteroient jamais au point où l’on veut qu’ils restent. Il en est de cela comme d’une baquette ou baleine courbe, que l’on veut rendre droite ; on ne se contente pas de la mettre avec les mains, au point juste de rectitude où on la veut, mais on tend encore au-delà, parce que sans cet excédent, elle reviendroit à son premier état.

Le col a naturellement de la disposition à s’incliner en devant, à cause du poids de la tête ; c’est pourquoi afin de vaincre ce panchant, il est à propos de tendre d’abord à la situation opposée.

En général, pour corriger certaines difformités du corps, il est bon de pratiquer ce qu’un Ecrivain moderne conseille de faire pour dompter certaines passions violentes. « Comme les ouvriers, dit-il, qui redressent des bois courbes, ne se contentent pas de les réduire d’abord au point de rectitude où ils veulent les amener ; mais qu’ils les fléchissent encore au-delà, de peur que l’effort naturel que fait le bois pour reprendre son premier état, ne le fasse revenir à son ancienne difformité ; de même quand on veut vaincre une forte passion, il est bon de tendre à l’extrémité opposée, afin de pouvoir demeurer ensuite dans les bornes où l’on a intention de se tenir[1]. »

Un ruban un peu large, attaché en maniéré de carcan, & arrêté derrière les épaules, ne contribue pas peu à empêcher un enfant d’avancer le col. La croix de fer peut aussi être ici d’un grand secours ; chacun sçait cela.

Si l’enfant panche plus le col sur une l’épaule que sur l’autre, on peut se servir du moyen suivant, qui est de mettre du côté où il panche le col, de petites pointes de baleine, en sorte que ces petites pointes l’incommodent lorsqu’il se panchera de ce côté.

Mais un expédient qui n’est pas à mepriser, pour faire qu’un enfant qui a passé cinq ou six ans, tienne la tête bien droite, c’est de lui poser légérement sur la tête en devant, quelque chose de facile à glisser, & qu’on lui recommandera de ne pas laisser tomber, comme seroit une boëte à poudre, une plotte bien ronde, ou autre chose de semblable, dites lui alors de marcher sans laisser tomber ce que vous lui aurez mis sur la tête, & lui faites de cela un jeu qu’il reïtere souvent, & auquel soit annexée quelque récompense qui puisse l’encourager. Vous verrez bientôt l’enfant tenir la tête droite. Tâchez, s’il se peut, qu’il ne sçache pas vôtre dessein ; le moyen n’en réussira que mieux. On peut mettre plusieurs enfans de la partie ; en sorte qu’il y ait la-dessus entr’eux, de l’émulation.

Les Enfans, lorsqu’ils sont un peu grands, jouent à diverses sortes de jeux, proposez-leur, sans affectation, celui-là, & leur dites que la regle de ce jeu est que s’il viennent à laisser tomber la boëte ou la plote, ils donnent des gages qu’ils ne pourront retirer ensuite sans subir une penitence, telle qu’il plaira à celui qui sera le dépositaire des gages, ainsi que cela se pratique dans quelques autres jeux qui leur sont ordinaires.

L’enfant s’exerçant à ce jeu, s’accoutumera bien-tôt à tenir la tête droite. Il est rare de voir des Laitieres qui ne l’ayent pas droite ; on ne doit en attribuer la cause qu’à la petite charge qu’elles portent sur leur tête, & qui tomberoit, si elles n’avoient pas soin de tenir la tête levée.

La plûpart des enfans ne portent mal la tête que parce qu’ils se négligent. Voulez-vous les empêcher de le négliger là-dessus, & les engager à veiller un peu sur eux-mêmes, habillez-les proprement, parez-les, vous les verrez bien-tôt avoir soin de leurs petites personnes, & se redresser. Cet expédient n’est pas des moins efficaces.

Mais si le panchement de tête ne vient pas tout-à-fait de la négligence de l’enfant, & qu’il soit considérable, vous pouvez y remédier par le moyen d’un bandage. Ayez un ruban fort large, appliquez-le par le milieu, sur le front de l’enfant, puis conduisez les deux bouts de ce ruban derrière la tête ; ramenez ensuite sur le front de l’enfant, ce qui restera de ces deux bouts, & revenez de-la sur le derrière de la tête, où vous croiserez votre ruban, ensorte qu’il en tombe sur chaque épaule, par derriere, un bout que vous ferez passer sous l’aisselle, de chaque côté, & qui viendra se nouer sur le devant de la poitrine, où vous l’arrêterez aussi serré que vous voudrez. La tête autour de laquelle sera le ruban, se dressera à proportion que vous le serrez, & ce qu’il y aura de commode, c’est que la jeune personne, que je suppose déjà un peu grande, pourra sortir, sans qu’on s’apperçoive du ruban ; car si c’est un garçon, & qu’il ait une perruque, la perruque cachera le lien, tant devant que derrière la tête, & le juste-au-corps sous lequel on le nouera, cachera le reste. Si c’est une fille, la garniture & la coëffe feront le même effet que la perruque ; & pour ce qui est du reste, le manteau ou la robe de chambre feront aussi le même effet que le juste-au-corps.

Mais si l’enfant n’a pas encore passé trois ou quatre ans, voici un moyen doux & immanquable, de le disposer, pour toute sa vie, à porter la tête droite. Les muscles n’ont pas encore acquis beaucoup de fermeté, & ils obéïssent aisément : Ainsi c’est le tems favorable pour les réduire à ce que l’on veut. Ce moyen consiste en une mentonniere, qui soutenuë en devant par deux fils d’archal, disposez en zigzag, ausquels elle tient, & appuyés par les deux bouts sur le bord de la voute du corps picqué, à quatre doigts au-dessous de la gorge, vient embrasser le menton, & sans la moindre violence, le repousse en haut.

Cette mentonniere qui environne le col, & dont la partie postérieure qui réprésente les deux cornes d’un croissant, s’attache vers la nuque avec deux rubans, est une pièce oüettée, que les fils d’archal disposés en zigzag, poussent en haut par une médiocre, mais assez forte résistance pour que l’enfant, lorsqu’il veut baisser la tête plus qu’il ne faut, en soit empêché par la mentonniere dont il s’agit, comme il le seroit par une main étrangère, qui viendroit doucement se présenter sous le menton, pour le relever. Ces sortes de hausse-cols & autres de même goût, ont été imaginés par M. Priou célèbre Maître à danser qui les fait construire chez lui, rue, de la Verrerie. Je ne puis qu’applaudir à une invention aussi simple & aussi utile.


10.o Col tourné ou roidi.

Il y a des enfans dont le col est inflexiblement tourné ou roidi, en sorte qu’ils ne peuvent le mouvoir à gré. Quand ce défaut vient de naissance, on ne sçauroit s’y prendre trop tôt pour le corriger. Il ne faut qu’un accouchement laborieux pour donner occasion à une telle difformité : Un enfant se présentera mal à l’Accoucheur ou à la Sage-femme, & alors sans qu’il y ait de la faute de l’un ou de l’autre, il arrive souvent que la tête & le col de l’enfant, qu’il faut aller chercher avec la main, & qu’on ne peut tirer comme on voudroit, souffrent des violences & des contorsions qui font prendre au col de l’enfant cette male-façon.

Que faire en ce cas ? c’est lorsque l’enfant est né, de lui froter doucement le col avec un peu de vin & d’huile tiedes, en commençant à l’endroit vers vers lequel le col est tourné, & finissant à l’autre ; puis d’essayer de remuer sans violence, la tête de l’enfant ; car il ne faut rien violenter ici. On continuëra plusieurs semaines, & même d’avantage, si le mal s’oppiniâtre, & on aura soin que la nourrice couche toujours l’enfant sur le côté opposé.

Quand ce défaut survient après la naissance, il est ordinairement l’effet d’une mauvaise habitude qu’on laisse prendre à l’enfant, de tenir dans son berceau trop long-tems, la tête tournée d’un même côté, ce qui arrive lorsque la lumiere lui vient toujours d’un même endroit ; car alors, pour voir cette lumière, il tourne la tête & le col de ce côté-là ; & à force de le faire, les muscles s’accoutument de telle maniere à ce mouvement, que le défaut reste ; c’est aussi quelquefois un rhumatisme ou torticolis, qui oblige l’enfant à tenir ainsi le col. Il ne faut pour cela, qu’un vent froid qu’il aura reçu sur quelque endroit du col. Quand l’accident vient de l’habitude contractée, il faut prendre garde que cette habitude ne tourne en nature ; & pour l’empêcher, on aura soin de prendre légérement avec les mains, la tête de l’enfant, & de la faire aller peu à peu du côté opposé, ce qui se doit recommencer sans cesse. Il est à propos, sur-tout, de changer la situation du berceau de l’enfant, ensorte, comme nous avons dit, que le jour qui lui venoit d’un côté, lui vienne de l’autre. Si cela ne suffit pas & que l’enfant soit déjà un peu grand, on fera faire un petit domino de carton que l’on assujettira sur les deux épaules de l’enfant, ensorte que le domino ne varie point, & que l’enfant puisse tourner la tête & le col, sans que le domino tourne. On fera garnir un côté de ce domino en dedans, de quelque étoffe rude, & l’autre de quelque étoffe douce, comme de satin, ou de velours ; le côté rude sera celui vers lequel on voudra empêcher l’enfant de tourner le col.

Si l’accident vient d’un rhumatisme au col, il faudra frotter plusieurs fois de suite, avec de l’huile de muscade, le col de l’enfant, & tenir la partie bien chaudement.

Il y a quelquefois des gens qui, pour se réjoüir, prennent par dessous, avec les deux mains, la tête d’un enfant, & le soulevent ainsi en l’air ; ce qu’ils appellent lui faire voir son grand pere. Ce prétendu badinage est très-dangereux ; car outre qu’il peut causer la mort à un enfant, il le met toujours en risque de porter mal sa tête, soit en lui roidissant le col, en sorte que l’enfant ne le peut tourner qu’en tournant tout le corps, soit en déterminant certaines humeurs à se jetter d’un côté du col, plutôt que de l’autre, ce qui fait pancher la tête d’un côté, sans que l’enfant la puisse mouvoir de l’autre, soit enfin en causant quelque dislocation.

Ainsi les parens doivent extrêmement prendre garde que jamais qui que ce soit, ne s’avise de se joüer de la sorte avec leurs enfans. Et si par malheur, il arrivoit de ce cruel jeu, qu’un enfant contractât quelque difformité, il faut promptement examiner ou par soi-même, ou par quelque Médecin, s’il n’y a rien de disloqué, auquel cas on employera les mains adroites d’un bon Chirurgien, pour remédier à la dislocation ; & s’il n’y a rien de disloqué, on aura soin de frotter souvent avec de l’huile d’amandes douces, & du vin mêlés ensemble un peu chauds, tout le col de l’enfant, & en devant & en arriere, & à droit & à gauche, & de lui faire porter pendant plusieurs jours & plusieurs nuits, autour du col, un linge trempé dans ce mêlange.

Voici en génèral, pour redresser le col d’un enfant, à moins que cette partie ne soit estropiée, un moyen aussi simple que singulier, dont on conjecturera la possibilité par la description suivante.


11o. Moyen particulier pour redresser le col d’un enfant.

Une jeune fille de dix ans, qui avoit le col tourné depuis l’âge de sept, & à qui cette difformité étoit venuë peu à peu sans aucune cause manifeste, se trouve inopinément guerie de son incommodité en cette maniere. Sa Mere la mene voir un Feu d’Artifice, dans une maison dont les fenêtres étoient situées de façon qu’on ne pouvoit voir le feu que de côté, & ce côté ne se trouvant pas être celui vers lequel la jeune personne qui étoit extrêmement curieuse, avoit la liberté de regarder, elle fait des efforts si violens pour tourner la tête du côté où étoit le feu, qu’il lui sembloit qu’on lui enlevoit la tête de dessus les épaules ; mais l’envie de contenter sa curiosité, la fait passer par-dessus tout, & à chaque fois qu’elle entend partir quelques fusées, ou le peuple faire des exclamations, elle redouble ses efforts pour regarder. Enfin elle fait tant, qu’avant que la réjouissance soit tout-à-fait finie, elle tourne le col à droit & à gauche avec peu de peine ; ce qui lui devient plus facile de jour en jour.

Une jeune personne de douze ans, a la même incommodité. Sa mere, à qui on fait récit de la guérison fortuite dont il s’agit, est conseillée d’essayer si le même hazard lui pourra réussir : il devoit se faire ailleurs dans peu de jours, un autre Feu d’artifice. Il y avoit longtems que la jeune personne prioit sa mere le lui faire voir. La mere y consent avec joye, & sans dire son véritable dessein à sa fille, ni à personne qui le lui puisse rapporter, elle ménage la chose de maniere qu’elles sont priées d’aller voir ce feu chez une personne de connoissance, dont la maison est justement située du sens qu’il faut pour que l’enfant ne puisse voir le feu que du côté vers lequel elle ne peut tourner la tête. La jeune personne fait les mêmes efforts, éprouve les mêmes peines, & entraînée par sa curiosité, vient enfin à bout de vaincre une partie des obstacles qui l’empêchoient de tourner librement le col.

Voici un fait bien réel, où le pouvoir de la nature, pour ce qui concerne le rétablissement de certaines fonctions du corps dans des circonstances particulieres, se montre bien évidemment. En 1682. l’Ambassadeur de Maroc étant à Paris au mois de Février, fut voir l’Hôpital de la Charité du Fauxbourg saint Germain. Comme il passoit par la Salle des Blessés, six d’entre eux, qui, depuis plusieurs mois, étoient sans mouvement, se leverent sur leurs pieds, & vinrent vers l’Ambassadeur, au grand étonnement de tout l’Hôpital[2]. La curiosité fit dans cette occasion, ce que les médicamens les plus souverains n’eussent pû operer si-tôt, tant la nature a de force, quand elle agit elle-même.

Les Peres & les meres qui ont des enfans, dont le col est attaqué de la difformité dont j’ai parlé il y a un moment, peuvent trouver plusieurs moïens équivalens à celui que j’ai proposé. Il n’est pas nécessaire pour cela de Feux d’Artifices, ou d’autres Spectacles semblables. Prenez votre enfant avec vous dans un Carosse, allez à la promenade au Cours ou en quelque autre endroit dont la vûë le puisse réjouir. Si son col, par exemple, est tourné du côte gauche, levez la glace qui sera à la gauche de l’enfant, & par-dessus tirez le rideau ou le store, ensorte que l’enfant ne voyant rien de ce côté-là, soit obligé de faire quelque effort pour tourner sa tête du côté opposé. Cet effort étant réitéré diverses fois pendant plusieurs semaines, ou pendant plusieurs mois, aura à la fin son effet. Ou bien faites asséoir l’enfant à table à côté de vous, & situez-vous du côté où il a de la peine à tourner la tête ; parlez-lui souvent alors, en sorte qu’il soit engagé à vous répondre & à faire effort pour vous regarder. Mettez sur vôtre assiette quelque chose qu’il aime, & lui demandez s’il en veut. Il voudra voir ce que c’est, & tâchera pour cela détourner le col de votre côté.

Quand on lui apportera à boire, ayez soin qu’on le lui apporte toujours de ce même côté. Ayez quelque oiseau auprès de vous. Que cet oiseau, quand vous dinez, soit toujours du côté vers lequel l’enfant ne peut tourner aisément le col ; on ne sçauroit imaginer à quel point la perséverence dans ces divers moyens peut réüssir. Ne vous rebutez pas ; il ne faut qu’un instant pour rendre efficaces plusieurs mois de cette persévérance. La nature, par des mouvemens secrets, travaillera d’abord en dedans, & elle se manifestera ensuite, au dehors. Voyez comme elle agit dans les plantes. Voyez comme sur une fenêtre, un arbrisseau en caisse, dont les branches sont tournées d’un côté, les tourne enfin de l’autre, lorsque vous le changez de situation. Tout l’Arbrisseau travaille alors, & obéit à l’air qui l’attire dans un sens différent. Ce changement ne s’opère pas par l’effort de la main, c’est par l’effort invisible de la nature au-dedans de la plante. Il en est ainsi du corps humain.

Quand on veut obliger un enfant de tourner la tête d’un sens, & que pour cela, on employe la main, ce n’est que l’effort de votre main qui agit. Cet effort est étranger, par conséquent peu efficace, parce qu’il n’est pas secondé par l’effort même de l’enfant ; c’est l’effort de la nature qui doit tout faire ici. C’est cet effort intérieur & secret qui donne le cours aux esprits animaux ; au lieu que quand c’est votre main qui agit, les esprits animaux du corps de l’enfant sont oisifs, les muscles ne travaillent point d’eux-mêmes ; le mouvement que vous leur donnez, est purement passif de leur part ; & ainsi ne sert presque de rien. Il faut que tout vienne du dedans.

Si les expédiens jusqu’ici marqués, ne suffisent pas, il faut mettre autour de la tête de l’enfant, en maniere de cercle, une bande de toile en plusieurs doubles, dont le bout restant vienne tomber sur l’épaule opposée à celle où le col panche. Prennez alors ce bout restant, & après l’avoir attaché par le haut, avec deux ou trois épingles, le passez derriere cette épaule, c’est-à-dire derriere l’épaule opposée à celle où le col panche, & le faites venir sous l’aisselle ; puis tirez ce bout ; la tête de l’enfant sera obligée de s’éloigner de l’épaule sur laquelle elle panchoit. Ne précipitez rien, laissez-la à moitié, ou même au tiers du chemin que vous pourrez lui faire faire pour la redresser, & liez votre bout de bande sur la poitrine, de maniere que la tête se tienne à l’endroit où vous l’aurez amenée. Puis, quelques heures après, tirez le bout de votre bandage sans rien violenter ; & enfin après quelques autres heures, ou s’il le faut, après quelques jours, (selon le plus ou le moins de facilité que la tête aura à obéir) tirez encore votre bout de bande, jusqu’à ce que la tête soit sur son véritable pivot, & attachez alors sur la poitrine de l’enfant, le bout du bandage, ensuite qu’il ne se lâche point.

Ayez soin, au reste, avant que de mettre ce bandage, de frotter avec des sucs émolliens & spiritueux ; le côté du col où la tête panche ; & le bandage étant posé, continuez la même chose rendant deux ou trois jours. Cette précaution est nécessaire pour ramollir les muscles de ce côté là, & pour lever les obstructions capables d’empêcher les esprits animaux d’y influer. Ces sucs émolliens spiritueux sont l’huile de vers & l’eau-de-vie, parties égales de chacune, mêlées ensemble chaudement.

Une des plus ordinaires causes de la situation difforme de la tête des enfans, est la négligence des nourrices à leur tenir cette partie stable & droite par le moyen de la Testiere. Les pères & les mères doivent extrêmement veiller sur cela, & avoir soin que cette Testiere soit attachée comme il faut d’un côté & de l’autre, au lange de l’enfant, ensorte qu’elle ne soit ni trop lâche, ni trop gênée.


12o Difformités considérables du col, sçavoir les Ecroüelles & le Goêtre.
Moyens de les prévenir & de les corriger.

Le col, pour être bien fait, doit être un peu rond, un peu long, & médiocrement grêle ; mais il faut qu’il soit un peu plein, en sorte que ce qu’on appelle la pomme d’Adam, ne paroisse pas, sur-tout dans les personnes du sexe.

Une grande difformité de col, c’est lorsque cette rondeur qu’il doit avoir, est interrompuë par quelque grosseur qui s’élève, soit aux côtés du col, comme les Ecroüelles, soit au-devant du col, comme le Goêtre. Ces deux difformités peuvent être prévenues lorsqu’on s’y prend de bonne heure. Premierement, il faut voir s’il y a, ou s’il y a eu dans la famille de l’enfant, quelque personne atteinte de ces maladies, & si cela est, on ne sçauroit trop-tôt aller au-devant du mal pour en garantir un enfant qu’on doit compter y avoir une disposition héréditaire.

Quant aux Ecrouelles, il faut, s’il se peut, commencer à prendre là-dessus des mesures dès la naissance de l’enfant, en lui donnant d’abord une nourrice dont le lait, outre les autres qualités générales qu’il doit avoir pour être bon, ne soit point trop vieux ; car s’il l’est trop, il sera trop épais, & par cette épaisseur donnera lieu à des obstructions & à des embarras dans le sang, qui seront très-capables d’engager les glandes du col, & de les disposer par conséquent aux Ecroüelles ; maladie qui vient toujours de ce que les sucs nourriciers trop épais forment des empêchemens dans les glandes du col.

Le Goêtte demande les mêmes précautions. Il consiste en une tumeur formée, non dans les glandes du col, comme les Ecroüelles, mais entre le conduit de la respiration & la membrane extérieure de ce même conduit en-devant ; laquelle membrane s’étendant ou se dilatant outre mesure en devant, par les sucs trop épais qui s’y introduisent, fait au-dessous du menton, comme une espece de sac. La même chose arrive aussi à la membrane des muscles du col, ce qui produit un second Goëtre qui se joignant à l’autre, rend la tumeur encore plus grosse & plus difforme. On voit aisément par là, que lorsque l’on craint que des enfans n’ayent naturellement quelque disposition aux Ecroüelles, & au Goëtre, on ne sçauroit prendre trop de soin pour donner d’abord à ces pauvres enfans, une nourriture fine & déliée qui se puisse aisément digérer, & ensuite se distribuer à toutes les parties du corps, sans y faire des obstructions & des engagemens.

Je remarquerai sur cela, que non seulement il faut avoir soin de donner d’abord aux enfans qui ont de la disposition au Goëtre ou aux Ecroüelles, un lait léger, mais qu’il faut se garder de leur donner aucune boüillie avant qu’ils ayent au moins atteint l’âge de six mois.

En général, la boüillie est une nourriture extrêmement grossiere & indigeste pour les enfans, lorsqu’elle leur est donnée trop près du tems de leur naissance ; & encore quand on leur en donne dans le tems convenable, il faut qu’elle soit faite avec de la farine cuite. On met pour cela, la farine au four dans un plat, & on la remuë de fois à autre pour la dessécher également. La bouillie faite de cette farine, outre qu’elle est bien plûtôt cuire, a une bien meilleure qualité que la bouillie ordinaire, qui étant faite avec de la farine cruë, est nécessairement plus pesante, & plus visqueuse ; parce qu’il n’est pas possible de donner alors à cette farine, la cuisson requise, sans consumer la meilleure partie du lait ; en sorte qu’il n’en reste plus que la substance la plus terrestre ; ce qui rend la bouillie très-rebelle à l’action foible de l’estomac d’un enfant.

Il faut, outre cela, que le lait dont on fait la bouillie de l’enfant, soit le plus récemment trait de la vache, qu’il est possible. Le lait contient en soi des esprits balsamiques extrêmement subtils, qui s’évaporent quand il est long-tems gardé. Ces esprits par conséquent sont une essence précieuse qu’on ne sçauroit trop ménager pour les enfans. Il en est de cette substance salutaire, comme des eaux minerales, qui, lorsqu’il y a long-tems qu’on les a tirées de leur sources, perdent presque toutes leurs vertus par la dissipation qui se fait des esprits qu’elles renfermoient.

Toutes ces précautions sont absolument nécessaires quand il s’agit de défendre les enfans contre des maladies qui viennent uniquement de sucs gluans & visqueux, comme en viennent les Ecrouëlles & le Goëtre.

Une précaution qu’il faut encore avoir pour garantir des Ecrouëlles, ou du Goëtre un enfant, c’est de prendre garde de lui donner aucune nourrice non seulement qui en ait été attaquée, mais dans la famille de laquelle quelqu’un de son côté & ligne en soit ou en ait été atteint ; c’est à quoi on ne sçauroit trop veiller.

Il y a des nourrices qui, en remuant leurs enfans, leur laissent pendre la tête renversée, à peu près comme on laisse pendre celle des veaux de dessus les charettes dans lesquelles on les ameine. Rien n’est plus capable de causer le Goëtre aux enfans, pour peu qu’ils y ayent de disposition. La raison en est évidente. La poche ou le sac qui forme le Goëtre, a pour cause, ainsi que nous l’avons remarqué, une trop grande extension ou dilatation faite en devant, à deux membranes, qui revêtent extérieurement, l’une le conduit de la respiration, & l’autre les muscles du col ; en sorte que l’effort & le tiraillement qu’elles souffrent pardevant, lorsque la tête de l’enfant pend renversée, ne peut que relâcher ces membranes en devant, & former la poche ou le sac dont il s’agit ; ce qui donne lieu aux humeurs de s’y jetter, & de faire ensuite, par l’épaississement qu’elles contractent dans leur séjour, une tumeur plus ou moins considérable, selon que l’humeur qui remplit le sac, a plus ou moins d’épaisseur. Car cette humeur ressemble quelquefois à du miel, quelquefois à de la bouillie, quelquefois à du suif.

Il faut donc prendre garde que les nourrices ne laissent jamais pendre la tête de leurs enfans, lorsqu’elles les tiennent à la renverse sur leurs genoux, ou sur la couche, comme on le leur voit faire si souvent.

Quand l’enfant sera un peu grand, voici ce qu’il faudra observer, pour sa maniere de vivre, afin qu’il n’use de rien, soit pour le boire, soit pour le manger, qui puisse faire en lui des obstructions capables de favoriser la disposition qu’il pourroit avoir au Goëtre ou aux Ecroüelles.

Une partie du regime qui convient pour prévenir l’un, convient aussi pour prévenir l’autre. Le regime commun pour les deux cas fera, 1o. d’avoir soin que l’enfant mange sobrement, rien n’étant plus propre à lui causer le Goêtre ou les Ecroüelles, pour peu qu’il y ait de panchant, que de manger avec excès. 2o. De ne lui jamais donner aucune viande salée ou enfumée, ni aucune légume. 3o. De lui faire boire un peu de vin dans son eau ; mais seulement jusqu’à une légère rougeur, & de mettre dans le vin qu’il boira, un peu de poudre d’yeux d’écrevisses, la dose est d’un gros infusé à froid pendant la nuit dans un demi-septier de vin bien bouché. Il n’est pas nécessaire de faire boire la poudre ; la même peut servir deux ou trois fois, la laissant dans la bouteille, & remettant du vin par-dessus quand la bouteille est finie.

L’usage du Thé, & celui du Caffé, très médiocrement pris, sont encore de très-bons preservatifs contre les Ecroüelles & contre le Goêtre ; mais un point de la derniere importance pour ce qui regarde le Goêtre, c’est de faire ensorte que l’enfant qui est menacé de cette difformité, ne pousse jamais de grands cris : Les cris violens font gonfler les membranes & les muscles du col, & par conséquent peuvent être très-préjudiciables dans un mal qui ne vient que de la trop grande dilatation, ou du trop grand effort de ces mêmes muscles.

L’exercice du chant, peut pour la même raison, être fort nuisible en ce cas ; ainsi les parens doivent dans ces sortes d’occasions, s’abstenir de faire apprendre la Musique à leurs enfant.

En général, il faut se souvenir que pour causer le Goêtre à certaines personnes, un effort qu’elles feront en retenant fortement leur haleine, peut suffire ; comme lorsqu’on souffle fortement dans une clef pour la déboucher ; lorsqu’on léve un fardeau trop pesant ; lorsqu’on mouche avec trop de violence ; lorsqu’étant sur le point d’éternuer, on se retient tout à coup ; lorsqu’une femme en accouchant, souffre un travail laborieux qui l’oblige à retenir trop longtemps son souffle ; lorsqu’étant constipé on veut se dégager le ventre trop promptement ; car dans tous ces cas on fait de grands efforts, & alors le col se gonfle considerablement, ce qui expose les membranes de cette partie à des tiraillemens capables de les rompre, ou de les relâcher. On prendra donc garde que les jeunes personnes qu’on soupçonnera menacées du Goêtre, ne se laissent aller à aucun effort qui puisse leur faire trop enfler le col.

Si, nonobstant toutes ces précautions, ou faute d’en avoir pris aucune, il arrive qu’une jeune personne soit attaquée du Goêtre, voici comme on la doit gouverner. 1.o Il faut lui faire tenir le même regime que nous venons de prescrire pour préservatif ; 2.o la purger deux ou trois fois dans l’intervalle de quinze jours ou de trois semaines, avec de la manne ou du syrop de fleurs de pescher, dont la dose se reglera suivant l’âge ; 3.o fondre peu à peu la tumeur du Goêtre avec l’emplâtre Diabotanum qu’on y appliquera. (Cet emplâtre se trouve chez tous les Apotiquaires) en user long-tenus, & ne le renouveller que de huit en huit jours. 4.o Faire prendre à la jeune personne, tous les matins à jeun, pendant quinze, vingt, ou trente jours, dans un petit verre de vin blanc, un gros d’os de séche, bien pulvérisé, & autant d’éponge déchée à un grand feu, puis réduite en poudre ; passer l’un & l’autre par un tamis bien fin, ensorte que le tout soit presque impalpable.

Ou bien, prendre quatre petits morceaux de drap de diverses couleurs, excepté de verd, un peu d’éponge, & une douzaine de cloportes. Les morceaux de drap doivent être chacun du poids d’une once, & l’éponge de deux, calciner tout cela ; & quand on l’aura bien réduit en cendre, le partager en quatre doses égales, pour être prises en quatre jours, une chaque matin à jeun dans un œuf frais, ou dans du pain à cacheter. Au bout des quatre jours recommencer, & continuer quatre autres jours. 5.o Remplir de liége rapé, un petit sachet de toile, l’attacher au col de l’enfant ; le lui faire porter jour & nuit, pendant quelques semaines ; 6o mettre du liége dans l’eau que l’enfant boira, & y faire bouillir ce liége un quart d’heure, plus ou moins, la dose du liége doit être d’environ un demi-quarteron sur quatre livres d’eau ; il faut que l’eau soit de riviere dans les endroits où l’on en boit, comme à Paris, & en quelques autres Villes ; mais à Lyon, par exemple, où l’eau de la Saône & du Rhône est malsaine à boire, & où l’on ne boit que de l’eau de puits, qui y est très-saine, il faut bien se garder de donner à l’enfant d’autre eau que de celle de puits.

Cette eau de liége se peut boire avec du vin, & sans vin ; mais aux repas il est mieux d’y glisser un peu de vin. Au reste afin que le liége communique bien sa qualité à l’eau, il faut qu’il soit attaché avec un fil à un petit caillou ; ensorte que le caillou demeurant au fond du coquemar, empêche par le moyen du fil, le liége de monter sur l’eau, & le tienne suspendu au milieu du vaisseau.

Quand aux Ecroüelles, voici la plus sure maniere de les guérir, en cas qu’elles ne soient pas trop invétérées. Il faut 1.o prescrire le même régime que nous avons marqué plus haut pour préservatif ; 2.o faire boire tous les jours à la personne, & suivant sa commodité, un verre de la potion suivante, pour procurer une douce transpiration. Prendre quatre livres & demie d’eau commune, & y mettre deux onces de racine d’esquine, coupée bien menu ; faire boüillir l’eau avec la racine jusqu’à diminution du tiers ; puis y jetter une once de raisins de carême. Passer ensuite le tout par un linge, & y ajouter un gros de canelle, avec un demi-clou de girofle. 3.o Entretenir le ventre libre ; 4.o faire user deux eu trois fois la semaine, de masticatoires & de sternucatoires doux. Les masticatoires seront un peu de mastic en larmes & les sternutatoires une ou deux pincées de fleurs ou de feüilles de doronie à feüilles de plantain, mises dans le nez. 5.o Appliquer sur les Ecroüelles, l’emplâtre de vigo ; 6.o & c’est ici l’essentiel, purger, souvent avec le sel d’ebson, pour debarrasser le mesentere ; je dis, pour débarasser le mesentere, parce que ce ne sont pas seulement les glandes du col qui sont engorgées dans les Ecroüelles, mais que celles du mesentere le sont encore plus.

Quand on ouvre des enfans morts d’Ecroüelles, on y trouve toujours les glandes du mesentere gonflées, dures & schirreuses ; il y a même quelquefois de ces glandes qui pesent jusqu’à trois onces, & on en a vû peser jusqu’à quinze.

Le mesentere qui est la partie à laquelle tiennent les intestins, est la source des Ecroüelles ; & quand il n’y a point d’obstruction dans le mesentere, le col est toujours exempt de la maladie dont il s’agit. Le fait est constant. Vous aurez beau faire tous les remedes imaginables, tant internes qu’externes, pour guérir les Ecroüelles, si vous ne dégagez le mesentere, vous ne viendrez à bout de rien. C’est de quoi vous devez être avertis, peres & meres, qui avez des enfans attaqués de cette opiniâtre & difforme maladie.

Le premier pas que vous avez à faire dans cette occasion, est de préparer avec le sel d’ebson, une eau minérale, dont l’enfant boive journellement. Cette eau minérale artificielle est un furét qui pénétre jusques dans les plus profonds replis du mesentere, & va dissoudre les matières gluantes & visqueuses qui en obstruent les glandes.

La préparation en est facile : il n’y a qu’à jetter un gros de sel d’ebson dans une livre d’eau commune, & voilà l’eau minérale faite. Il n’est pas nécessaire de la faire boüillir. Elle est sans aucun goût à cause de la petite quantité de sel d’ebson qui y entre. Il en faut boire & aux repas & hors des repas, en guise d’eau ordinaire, selon la soif ; mais aux repas, on peut y mettre un peu de vin. Elle ne purge point, elle tient seulement le ventre libre, & prépare à la purgation ; laquelle pour une jeune personne au-delà de quatorze ans, doit consister en une once de sel d’ebson, délayé dans un demiseptier d’eau commune un peu chaude, ou dans boüillon, & pour une jeune personne au-dessous de cet âge, en une moindre quantité à proportion, c’est-à-dire deux gros pour un enfant de trois ans, trois gros pour un enfant de quatre, & ainsi en augmentant selon l’âge. Cette purgation doit se renouveller tous les dix ou douze jours, jusqu’à guérison.

On ne voit dans plûpart des Livres de Médecine, que remedes sur remedes contre les Ecroüelles ; mais de tous ces remedes il n’y en a pas un qui aille si bien au fait que celui-ci, aucun qui tende si bien à débarasser le mesentere, d’où les glandes du col tirent cependant dans cette occasion, tout ce qui les engorge.

Quand les Ecrouüelles seront guéries, continuez de faire observer à l’enfant, un régime exact. Qu’il ne mange ni patisseries lourdes, ni fromages, ni aucune viande grossiere.

Tous les matins à son lever ; qu’il boive trois ou quatre cuillerées d’eau de lait. Vous le dispenserez par-là du besoin d’être purgé souvent ; rien au reste n’est plus aisé à faire que l’eau de lait. En voici la maniere.

Faites distiller au bain marie, dans un alembic de verre, six livres d’excellent lait de vache, jusqu’à ce que vous en ayiez retiré trois livres d’eau claire, ou au plus, trois, livres & demie ; mais si claire, que vous ne puissiez, à l’œil, la distinguer de l’eau commune la plus pure & la plus chrystalline. Conservez cette eau pour en donner à la jeune personne tous les matins à jeun trois ou quatre cuillerées, comme nous avons dit ; il les lui faut donner tiédes.

Quand elle sera finie, distillez d’autre lait, de la même maniere, & ayez loin de bien nétoyer auparavant, le fond de l’alembic.

Il faut éviter de faire ici à feu sec, la distillation du lait, au lieu de la faire au bain marie ; car en la faisant à feu sec, il est difficile que l’eau qu’on en tire, ne soit un peu âcre. Il faut prendre garde aussi que le lait ne bouïlle à trop gros bouïllons ; car alors l’eau qui en sortiroit, seroit blanche comme le petit lait ; ce qui ne conviendroit pas. Il ne faut ici que le plus liquide & le plus spiritueux du lait.

Cette eau quand elle est bien faite, a la vertu de nétoyer le mezentere, & de délayer toute la masse du sang. Elle est outre cela, extrémement bonne, contre l’excessive maigreur. Mais ce n’est pas dequoi il s’agit à présent, nous parlerons ailleurs de cet article.

Il y a des glandes écroüellées qui sont pendantes ; il faut lier celles-là avec une soye fine ; serrer d’abord médiocrement la glande ; le lendemain un peu plus, le troisiéme jour encore davantage ; le quatriéme serrer tout-à-fait ; & ensuite attendre en patience que l’Ecroüelle desséchée tombe d’elle-même. Mais il ne faut pas laisser de pratiquer tout ce que nous avons recommandé ci-dessus ; faute de quoi l’Ecroüelle renaîtroit, soit au même endroit, soit ailleurs.


13o. Epaules rondes,
14o. Col enfoncé dans les épaules,
15o. Epaule plus haute ou plus grosse que l’autre,
16o. Epaule qui panche trop d’un côté.

Ce sont de grandes difformités dans la taille, que les épaules rondes, le col enfoncé dans les épaules, une épaule plus haute ou plus grosse que l’autre, une épaule qui panche plus qu’il ne faut, & autres articles dont nous allons traiter de suite.

Pour empêcher les épaules de rondir, il faut avoir soin de porter les coudes bien en ariere, de les poser sur les hanches, & d’avancer la poitrine. Il faut pendant la nuit, coucher le plus à plat qu’il le peut ; & si une épaule est plus grosse, on fera coucher l’enfant sur le côté opposé à cette épaule ; car l’épaule sur laquelle on se couche, s’élève toujours sur la surface du dos.

Les Nourrices, les Sevreuses, les Gouvernantes, qui suspendent sans cesse un enfant par la liziere, en le soulevant en l’air, l’exposent à avoir le col enfoncé dans les épaules.

Les Maitres & Maitresses à lire ou à écrire, qui font lire ou écrire un enfant sur une table trop haute, & qui monte au-dessus des coudes de l’enfant, (car il faut qu’elle soit deux doigts plus basse) l’exposent à la même difformité d’avoir le col enfoncé dans les épaules.

Cet inconvénient est difficile à éviter dans les Ecoles d’Enfans, où il n’y a d’ordinaire qu’une même table pour tous, de quelque taille qu’ils soient ; ensorte que cette table qui se trouvera proportionnée pour quelques-uns, sera trop haute ou trop basse pour un grand nombre d’autres ; ce qui ne peut porter qu’un notable préjudice à la taille de ces derniers ; car ceux pour qui la table est trop haute, sont obligés de lever les épaules plus qu’il ne faut ; ce qui, à la longue, leur rend le col enfoncé ; & ceux pour qui elle est trop basse, sont obligés de se voûter, & d’avancer les épaules en arriere, ce qui leur fait courir le risque de devenir bossus, ou d’avoir au moins, les épaules rondes.

Ce que je dis des tables à écrire, je le dis des tables à manger : Il faut que la table sur laquelle on fait manger un enfant, ait la même proportion que celle sur quoi on le fait écrire ; c’est une attention très-nécessaire, & dont la plupart des parens ne s’avisent point.

Il est très-à-propos que les enfans, dès que l’on commence à les sevrer, mangent à la même table que leurs peres & meres. Mais comme cette table est trop haute pour eux, il faut leur donner des sieges plus hauts à proportion, & un marche pied sous leurs jambes ; car il ne faut jamais les leur laisser pendre, nous en verrons la raison plus bas.

Quand on voit qu’un enfant a de la disposition à enfoncer le col dans les épaules, on ne doit jamais le laisser asseoir dans des sieges qui ayent des accoudoirs. Ces accoudoirs, quand il s’en sert, lui font monter les épaules, & il arrive delà que le col y demeure enfoncé.

On doit éviter, pour la même raison, de lui donner de ces roulettes où l’on a coutume de mettre les enfans, pour les empêcher de tomber, & pour s’épargner sa peine d’être toujours auprès d’eux. Ces roulettes ont des accoudoirs très-haut sur lesquels s’appuyent les enfans, & qui leur font tout de même lever les épaules.

Si le défaut est contrarié, il faut se servir des mêmes moyens que nous avons conseillés pour précaution, & outre cela donner souvent de petits coups de la main sur les épaules de l’enfant ; ces petits coups qui sont aussi très-nécessaires avant que le mal soit contracté, produisent plus d’effet qu’on ne pense si l’enfant est un peu grand ; car à chaque fois qu’on lui frappe sur les épaules, il fait un petit effort pour les baisser, lequel étant souvent réïtéré, les met enfin au niveau où elles doivent être à l’égard de la partie inférieure du col.

Lorsqu’un enfant panche trop l’épaule sur un côté, voici ce qu’il est à propos de pratiquer : si par exemple, il la panche trop sur le côté gauche, dites-lui de se soutenir sur le pied droit ; car en se soutenant alors sur ce pied, à l’exclusion de l’autre, qui, dans ce temps-là, demeure oisif, il arrivera nécessairement que l’épaule droite qui levoit trop, baissera ; & que l’épaule gauche qui baissoit trop, levera ; cela se fait naturellement en vertu de l’équilibre, sans quoi le corps seroit en risque de tomber, parce que lorsqu’on se soutient sur un pied, la jambe opposée, qui, alors est naturellement un peu pliée, ne soutient point le corps, elle demeure sans action & comme morte ; ainsi qu’on le voit dans les enfans qui joüent au jeu de cloche-pied ; de sorte qu’il faut nécessairement que le poids d’en haut qui porte sur cette jambe, renvoye le centre de sa pesanteur sur la jointure de l’autre jambe qui soutient le corps[3].

Si, tout de même, l’enfant panche trop l’épaule sur le côté droit, dites-lui de se soutenir sur le pied gauche.

Un autre moyen pour corriger un enfant qui leve ou qui baisse trop une épaule, c’est de lui mettre quelque chose de lourd sur l’épaule qui baisse, & de ne point toucher à celle qui leve ; car le poids qui sera sur l’épaule qui baisse, la fera lever, & obligera en même temps, celle qui leve, à baisser.

L’épaule qui porte un fardeau, monte toujours plus haut que celle qui n’est pas chargée ; & alors la ligne centrale de toute la pesanteur du corps & du fardeau, passe par la jambe qui soutient le poids. Si cela n’étoit pas, le corps tomberoit. Mais la nature y pourvoit en faisant qu’une égale partie de la pesanteur du côté opposé à celui où est le fardeau, ce qui fait l’équilibre ; en sorte que le corps est obligé alors, de se pancher du côté qui n’est pas chargé, & de s’y pancher jusqu’à ce que ce côté non chargé participe au poids du fardeau qui se trouve de l’autre côté ; d’où il resulte que l’épaule chargée se hausse, & que celle qui ne l’est pas se baisse.

Telle est la méchanique que la nature employe dans cette rencontre, pour soulager le corps[4]. Méchanique qui fait voir l’erreur de ceux, qui, pour obliger un enfant à baisser une épaule qu’il leve trop, lui mettent un plomb sur cette épaule ; s’imaginant que ce poids la lui fera baisser ; puisqu’au contraire c’est le moyen de la lui faire lever davantage.

Au lieu de mettre un poids sur l’épaule qu’on veut faire lever, on peut se contenter de faire porter par l’enfant avec la main qui est du côté de cette épaule, quelque chose d’un peu lourd ; comme une chaise de paille, ou autre chose de semblable. Il ne manquera point alors, en soulevant la chaise, de lever l’épaule de ce côté-là, & de baisser l’autre.

Cet expédient est sur-tout, d’une grande utilité quand un enfant a la taille considérablement plus tournée d’un côté, que de l’autre, car il n’y a alors qu’à lui faire lever la chaise avec la main qui est du côté vers lequel la taille panche. Il ne manquera point de se pancher du côté opposé ; ou bien faites-lui porter sous le bras, quelque autre chose de pesant ; un gros Livre, par exemple, le même effet arrivera.

Un autre moyen encore, c’est de lui donner à porter une petite échelle, faite exprès ; ensorte qu’il la soutienne d’une épaule qu’il posera sous un échelon. L’épaule sur laquelle sera l’échelon, levera, & l’autre baissera. On peut faire construire de petites échelles pour ce dessein, proportionnées à l’âge & à la taille des enfans. Ils se feront un plaisir & un jeu de les porter.

Lorsque l’on souleve d’un bras un tabouret ou une chaise, l’épaule de ce côté-là hausse, & l’autre baisse ; comme nous venons de le remarquer : mais il faut observer que si l’on porte avec la main pendante, un vase qui ait une anse posée de niveau avec le bord du vase, & que l’on porte ce vase par l’anse, ensorte 1.o que le doigt indice ou second doigt, entre dans l’anse & la soutienne par le haut, 2.o que le doigt du milieu ou troisième doigt aille sous l’anse, & en soutienne le bas. 3.o que le poulce passe sur l’anse & que ce poulce appuyant en cet endroit sur le bord du vase même, entre un peu dans le vase[5], alors l’épaule du bras qui porte le vase, ne se hausse pas comme dans les cas précédens, mais se baisse au contraire. Ainsi c’est un autre moyen dont on peut facilement se servir à l’égard de toute jeune personne qui leve trop une épaule.

En voici encore un autre qui n’est pas moins naturel, & qui paroît plus simple. Si l’enfant leve trop une épaule, faites-le marcher appuyé de ce côté-là, sur une canne fort basse, & si au contraire il la baisse trop, donnez-lui une canne un peu haute ; puis, quand il voudra se reposer, faites-le asseoir dans une chaise à deux bras, dont l’un soit plus haut que l’autre, ensorte que le bras haut soit du côté de l’épaule qui baisse, & l’autre du côté de celle qui leve.

Le moyen qui suit est encore bien aisé : si on se quarre d’un bras, c’est-à-dire, qu’on plie le bras comme une anse, en appuyant le poing sur la hanche du même côté, l’épaule de ce côté-là, lèvera, & l’autre baissera ; si l’on couche alors l’autre bras le long du corps, ensorte qu’on le laisse pendre jusqu’à l’endroit de la cuisse auquel il peut atteindre ; alors l’épaule de ce côté-là, baissera davantage ; voilà des expédiens bien simples, pour faire lever à un enfant une épaule qu’il baisse trop.

J’ajoute que si on enmaillote un enfant, en lui laissant un bras dehors, l’épaule du bras qui sera dehors, baissera, & celle du bras, qui sera dans le maillot, levera.

Les Peres & les Meres peuvent prendre sur tout cela, de justes mesures pour ce qui regarde la taille de leurs enfans. Mais ce ne sont pas là les seules difformités qu’en fait de taille ils ayent à prévenir ou à corriger dans leurs enfans, en voici d’autres, ausquelles ils ne sçauroient donner trop d’attention ; c’est la taille en dos cuiller, c’est la bosse, c’est l’enfoncement, c’est la tortuosité.


17o. Taille en dos de cuiller.

La taille en dos de cuiller, a la même figure, par sa partie postérieure & supérieure, que le dos d’une cuiller. Cette difformité se contracte en creusant la poitrine, en serrant le haut des épaules par-devant, & en amenant les bras sur l’estomac, comme font certaines personnes en priant Dieu, lesquelles s’imaginent que cette posture est essentielle à la dévotion.

Il faut, pour prévenir la difformité dont il s’agit, pratiquer tout le contraire de ce qui en est la cause ; & pour la corriger il n’y a pas, non plus, meilleur moyen que celui-là.

La taille en dos de cuiller, se contracte en creusant la poitrine ; faites-la avancer à l’enfant ; elle se contracte en serrant le devant des épaules, faites-les lui retirer en arriere ; enfin, elle se contracte en avançant les bras sur l’estomac, faites-les lui porter vers les côtés. Il ne s’agit ici, peres & meres, que d’une grande attention, c’est plus l’affaire de vos mains & de vos avertissemens, que d’autre chose.


18.o Bosse, enfoncement, tortuosité.

Ces difformités sont l’effet du déjettement de l’épine : déjettement qui peut procéder ou d’une chute, ou de quelque effort qu’on aura fait en voulant soulever quelque chose de trop lourd, comme il arrive souvent aux enfans qui se plaisent à se porter les uns les autres ; ou d’une habitude à se courber, à se pancher, à se renverser ; ou d’un suc visqueux qui aura, de lui-même, déplacé les vertebres de l’épine, en relâchant trop les ligamens ; ainsi qu’il arrive aux enfans noüés ; ou enfin de naissance, à l’occasion de quelque mouvement violent de l’enfant dans le ventre de la mere.

Ce déjettement se fait, ou en dehors, ou en dedans ; ou en dehors & en dedans tout ensemble. Quand il se fait en dehors, c’est bosse ; quand il se fait en dedans, c’est enfoncement ; quand il se fait en dehors & en dedans tout ensemble, c’est tortuosité ; & il a pour lors, la forme d’une S, soit directe comme celle-là, soit renversée comme celle-ci S.

La bosse est une éminence qui s’éleve ou sur le devant de la poitrine ou sur le dos. Dans le premier cas, la partie antérieure de la poitrine, que nous avons appellée sternum[6] ou plastron, forme une pointe aiguë, à peu près faite, selon la comparaison ordinaire, comme cette avance qui se remarque sur la poitrine d’une vieille volaille. Dans le second à cas, l’épine forme un arc sur le dos.

Quelques Anatomistes regardent cet arc comme naturel à l’épine, & prétendent qu’on peut dire en un sens, que l’homme est naturellement bossu, parce que dans le ventre de la mere, il a, disent-ils, l’épine en rond, & qu’il est comme une boule ; mais la plus part des plantes lorsqu’elles sont cachées dans leurs graines, & qu’elles commencent à en éclorre, sont en forme d’arc ou de boucle, comme il se voit dans les pois, dans les féves, & autres végétaux ; cependant elles se redressent d’elles-mêmes, & ont si peu de disposition à rester courbées, que si on met quelque obstacle à ce redressement, en chargeant de terre leur courbure, ou en mettant dessus quelque autre chose d’un peu pesant, elles emportent l’obstacle, & font lever, avec elles, la charge ; après quoi elles se redressent à vue d’œil, & prennent une situation très-directe, ce qui vient de ce que dans la plante, il y a des fibres musculeuses, qui, lorsqu’elle est courbée, sont comme autant de ressorts tenus en violence, lesquels la font lever, dès que les lobes de la graine & la pesanteur de la terre, ne la retiennent plus. Or, comme il y auroit de l’absurdité, à dire que les plantes naissent avec une disposition naturelle à demeurer courbées, à cause qu’étant renfermées dans leurs graines, elles ont la tige courbée, il n’y en a pas moins à dire que l’homme vient au monde avec une disposition à être bossu, parce que dans le ventre de la mere, il a l’épine en rond. Quoiqu’il en soit, la bosse, tant celle du sternum, c’est-à-dire du devant de la poitrine, que celle du dos, se corrige dans les enfans en la pressant doucement avec les mains ; cette douce compression, quand elle est souvent réitérée, dispose peu à peu les os soit de l’épine, soit du sternum, à reprendre leur place. Mais il faut avoir soin de frotter en même tems l’épine ou le sternum, avec de l’huile de muscade. On en. met un peu dans le creux de la main ; puis, on passe & repasse la paulme de la main sur l’épine du dos, où sur le devant de la poitrine, selon l’endroit où est la bosse. L’usage d’un corset de baleine, pour presser modérément la partie qui fait la bosse, est fort à conseiller ici.

Ayez soin, au reste, premiérement, que le lit de l’enfant ne soit point trop mollet, & qu’on n’y mette point d’oreiller. Secondement que l’enfant s’y tienne souvent couché sur le dos ; de maniere que la tête & l’épine, soient le plus qu’il se pourra en ligne directe.

Il est important de remarquer que la courbure de l’épine ne vient pas toujours du vice même de l’épine, mais qu’elle procede quelquefois de ce que les muscles de devant, sont trop racourcis, & par ce racourcissement, font courber l’épine, comme la corde d’un arc fait courber l’arc. On a beau frotter alors, l’épine avec toutes les drogues du monde, c’est inutilement ; il faut frotter le devant du corps & non le dos, pour ramollir ces muscles & les assouplir ; sans quoi c’est faire la même chose que si pour redresser un arc, on s’appliquoit à rammollir le bois de l’arc, au lieu de songer à relâcher la corde qui le tient courbé.

On demandera comment on peut connoître quand la bosse du dos vient du raccourcissement des muscles de devant ? Cela se connoît en examinant le devant du ventre jusqu’au devant de la poitrine : Si l’on apperçoit au ventre ; quelque roideur & quelque tension, c’est une marque que les muscles du ventre sont trop courts, & que par ce défaut de longueur, ils font faire à l’épine, que la corde de l’arc fait faire à l’arc. Alors, au lieu de frotter l’épine, il faut frotter le devant du corps avec des choses émollientes (telles que l’huile de vers, la décoction de mauve & guimauve) tout le long du corps, en devant, depuis la poitrine inclusivement, jusqu’au bas du ventre. Les muscles étant alors ramollis, prêteront, & ils donneront lieu à l’épine de se redresser.

Si la taille fait un creux, en sorte que l’épine soit courbée en dedans, ce qui est le contraire de la bosse du dos, faites souvent courber l’enfant. Jettez-lui pour cela des cartes, ou des épingles sur le plancher, il se fera un plaisir de les ramasser. La situation qu’il sera obligé de prendre pour en venir à bout, contraindra, à la longue, l’endroit creux de son épine à revenir en devant.

Si l’épine se déjette en maniere d’S, & fait la tortuosité, le meilleur parti qu’il y ait à prendre alors, en quelque sens que soit la tortuosité, c’est de recourir à des corsets rembourrés, de maniere que les endroits rembourrés répondent bien aux excédences qui doivent être repoussées ; il faut au reste, renouveller ces corsets tous les trois mois, au moins.

Il y a ici une observation importante à faire, c’est qu’à mesure que les excédences diminueront, il faudra grossir les rembourrures, sans quoi l’on perdroit toute sa peine, & l’on courroit même le risque, non seulement de rappeler la tortuosité, mais de la rendre encore plus grande. Cela demande de l’attention, & une attention dont il n’y a gueres que des peres & des meres qui soient capables.

Voici un moyen qui n’est pas à négliger, pourvu que l’enfant n’ait pas plus de huit à neuf ans.

Faites faire un pain long, avec de la pâte de seigle, la plus grossiere ; dans laquelle soit mêlé un peu d’anis. Quand ce pain sera tiré du four, ôtez-en aussitôt la croûte de dessus, & sur ce pain tout chaud, que vous prendrez garde néanmoins qui ne le soit point trop, étendez votre enfant nud & à la renverse, de maniere qu’il ait le dos appliqué sur ce pain, depuis la nuque jusqu’au croupion. Couvrez l’enfant d’une couverture qui ne soit ni trop lourde ni trop légere, & le tenez en cet état, jusqu’à ce que le pain commence à n’être plus chaud, si l’enfant, quelque tems après, vient à sentir une démangeaison au dos, ce fera un bon signe ; mais qu’il en sente ou non, continuez cette manœuvre, huit à dix jours tous les matins, en faisant faire pour chaque fois, un nouveau pain de seigle. Puis purgez l’enfant avec un peu de casse, ou d’eau de rhubarbe, trois jours de suite ; après quoi recommencez à le mettre, comme auparavant, sur le pain de seigle, & continuez environ quinze jours.

Si pendant ce temps-là, l’enfant commence à sentir des douleurs à l’épine, ce sera un bon présage, & vous le verrez bien-tôt commencer peu à peu, à se redresser ; quelquefois même, sans qu’il sente, ou des douleurs, ou de violentes démangeaisons, la nature se rétablira.

En cas que l’enfant n’eût pas le ventre libre, il faudroit le lui rendre tel par l’usage fréquent d’un peu de jus de pruneaux où l’on auroit fait boüillir légérement un gros ou deux de senné.

Comme la difformité dont il s’agit, vient souvent de ce que l’enfant est noüé, il est important d’examiner quel traitement elle demande quand elle procede de cette cause.


19.o Taille difforme par la maladie qui rend les enfans noüés.

Quand les difformités dont nous venons de parler, ont une telle cause, il faut joindre aux secours precédens, les secours suivans, qui sont 1o. de mettre un peu de vin blanc, mais du meilleur, dans l’eau que l’enfant boira ; 2o. de le faire coucher sur une paillasse de feüilles de fougere femelle séchées à l’ombre, je dis de fougere femelle, c’est-à-dire de celle qui a une tige. 3o. De le purger tous les quinze jours avec un peu de syrop de fleurs de pêcher, ou de syrop de chicorée composé de rhubarbe ; 4o. de lui faire boire tous les matins une petite tasse de thé ; 5o. de l’exciter à s’agiter un peu.

On propose diverses machines pour agiter un enfant noüé, & lui faire faire des mouvemens capables de lui redresser l’épine, & les autres parties du corps ; mais sans recourir à toutes ces inventions, on ne peut rien faire de mieux pour cela, que de lui jetter tous les matins quelques goûtes d’eau au visage, comme on le pratique à l’égard des personnes qui s’évanoüissent. L’enfant fera alors des mouvemens subits qui contribueront d’une maniere surprenante à lui redresser l’épine & les autres parties du corps ; on produira le même effet, en lui appliquant sur les bras, depuis le poignet jusqu’au coude, un linge trempé dans du vin blanc, & frottant aussi-tôt les bras avec une serviette bien séche. L’enfant fera alors des mouvemens de tous les muscles de son corps ; les visceres même en seront émus. On ne sçauroit croire combien de tels mouvemens seront efficaces. Ils auront beaucoup plus d’effet que tous les exercices qu’on pourroit procurer par les escarpolettes, & autres machines semblables. Quant aux escarpolettes, on en fait de plusieurs sortes à ce dessein, & une entre autres, où l’on engage le corps de l’enfant par le moyen d’un bandage qui lui embrasse la poitrine, lui passe sous les aisselles, & venant en même temps, lui tourner sous le menton, lui soutient la tête. L’on balance l’enfant de côté & d’autre dans cette machine, & alors la pesanteur du corps suspendu, jointe aux mouvemens que l’enfant fait de lui-même, oblige les ligamens à se relâcher & à s’allonger. Mais ce qui contribuë le plus à cet allongement de membres, c’est la peur qu’a l’enfant de tomber, étant ainsi balancé, parce que cette crainte lui fait faire des mouvemens extraordinaires ; tous les muscles dans ce temps-là, étant en action. La joye que ressentent au contraire quelques autres enfans, de se voir ainsi balancés, leur fait faire des trésaillemens qui produisent le même effet pour ce qui regarde les muscles. Chez les Negres[7] on donne aux bras & aux jambes des enfans nouveaux nés, une espèce d’estrapade qui contribuë beaucoup à les empêcher d’être noüés ; mais on ne sçait dans ce Pays-là, non plus que chez les sauvages du Canada, & dans le Bear, ce que c’est que d’enmaillotter les enfans, on laisse agir la nature en toute liberté : & comme elle entend mieux son métier que ne l’entendent toutes les Sages-femmes, toutes les Remueuses & toutes les Nourrices du monde, elle conduit si bien ces petites créatures, qu’on n’y en voit point de bossuës & d’estropiées, comme on en voit en France ; ces estrapades sont fort utiles pour aider les enfans à se redresser ; mais outre que c’est un opera que toutes ces machines, le moyen simple & facile que nous avons proposé, l’emporte sur tout cela, par les heureux effets qu’il produit.

On peut, au lieu d’appliquer sur les bras de l’enfant, une serviette trempée dans du vin blanc, y verser doucement un peu d’eau tiede[8] mêlée de quelques goutes d’eau-de-vie, puis bien essuyer les bras avec un linge sec.

Si l’on frotte l’épine, depuis la nuque jusqu’au croupion, avec un linge mouillé d’eau & d’un peu d’eau-de-vie, & que l’on continue le long des cuisses jusqu’aux talons, le succès sera plus prompt. Mais il faut toujours avoir soin de bien essuyer ensuite avec un sec.

Pour redresser les enfans noüés, c’est encore un bon expédient que de leur chatoüiller quelquefois la plante des pieds, ou les reins. Cela leur fait faire des mouvemens qu’ils ne feroient jamais sans cela, & ces mouvemens sont si efficaces, qu’ils suffisent quelquefois sans autre secours, pour faire reprendre à la taille sa figure naturelle.

Quatre causes concourent à rendre les enfans noüés ; la premiere, une abondance excessive de sucs indigestes qui croupissent dans l’estomac, dans les intestins, & dans tout ce qu’on appelle les premières voyes ; la seconde, une viscosité universelle dans la masse du sang, dans toutes les jointures, & dans tous les articles ; la troisiéme, une âcreté corrosive que contractent les sucs nourriciers, faute d’une circulation suffisante qui les adoucisse ; la quatriéme, une obstruction générale dans les fibres des muscles ; quatre causes ausquelles on ne peut rien opposer de plus puissant que les divers moyens que nous venons de marquer, principalement ceux qui excitent le corps à s’agiter extraordinairement. Les émotions considérables des membres assouplissent nécessairement les ressorts du corps ; il ne faut point de grands raisonnemens pour s’en convaincre ; l’expérience dépose là-dessus d’une maniere à lever toute sorte de doute.


20o. Taille difforme ou par luxation, ou par fracture, ou par obstruction.

Au reste, quand les enfans ont la taille difforme par quelque coup, cette difformité vient ordinairement de luxation ou de fracture, & est très-difficile à corriger. Il faut que les parens consultent alors quelque Médecin & quelque Chirurgien expérimenté ; & encore avec tous les secours des Experts, il est très-à-craindre que l’enfant n’ait le sort de l’infortuné Miphiboseth, fils de Jonathas. Sa nourrice, comme il n’avoit que cinq ans, l’ayant pris entre ses bras, pour le sauver des mains des Philistins, & s’étant mise à courir, le laissa tomber ; le jeune Prince devint tout-à-fait difforme de cette chute, rien ne le pût guérir, & il en resta boëteux des deux jambes[9].

Quand la difformité ne vient pas d’une chute ou de quelqu’autre coup, elle est ordinairement causée par obstruction, & non par luxation, ce qui demande que l’on fasse alors des fomentations sur l’épine, avec des choses volatiles & spiritueuses pour dissiper les obstructions. Je ne puis là-dessus me dispenser de citer l’exemple d’une personne de condition dont parle Kerkging, laquelle fut guérie d’une courbure en devant par des purgatifs & par des fomentations que ce Médecin lui ordonna ; après que la personne eut enduré bien des tourmens que ses Chirurgiens lui avoient fait souffrir pour lui remettre les vertebres que ces Chirurgiens s’imaginoient être laxées, & qui ne l’étoient pas.


21o. Difformités de la taille qui viennent 1o. de ce qu’on emmaillotte mal les enfans. 2o. De ce qu’on les situë mal dans le berceau. 3o. De ce qu’on les porte mal entre les bras.

La plûpart des difformités qui attaquent la taille des enfans, viennent de ce qu’on n’a pas soin de les emmailloter comme il faut ; & je ne sçai si de la maniere dont on s’en acquitte, il ne vaudroit pas mieux suivre l’usage des Negres & de quelques autres Nations, qui comme nous l’avons remarqué ci-devant, n’enmaillottent jamais leurs enfans, plutôt que de contraindre à force de bandes serrées, les membres tendres & délicats d’un enfant, qui, pour peu qu’on les violente, ne peuvent prendre qu’une mauvaise figure. Pour emmaillotter comme il convient, un enfant, il faut d’abord lui coucher le corps en ligne directe, puis lui étendre bien également les bras & les jambes ; en suite tourner autour du corps les langes & les bandes sans les trop tirer, car il faut qu’ils ne fassent que contenir simplement ce qu’ils environnent ; surtout l’endroit de la poitrine & de l’estomac ; car si ces parties sont comprimées, il en peut arriver des difformités considérables, sans parler des difficultés de respirer, & des vomissemens qui en résultent. La plupart des enfans qui ont peine à respirer, ou qui vomissent, n’ont ces incommodités qu’à cause que dans le maillot on leur serre trop la région de la poitrine & de l’estomac. Quant à l’estomac, comme le foye dans les enfans, est plus grand que dans les personnes faites, il est difficile que les enfans ne vomissent lorsqu’on leur serre trop la région de l’estomac, parce que le foye étant alors comprimé, presse le fond de l’estomac, & empêchant l’aliment d’y être à l’aise, l’oblige à en sortir par la voye du vomissement.

Pour ce qui est de la poitrine, Spigelius ce sçavant Anatomiste, prétend que si les Anglois sont sujets à la pulmonie, & à la maladie de consomption, c’est à cause que dans leur enfance, les nourrices leur serrent trop la poitrine par les bandes dont elles les emmaillottent[10]. Il ne condamne pas moins la coutume pernicieuse qu’ont la plupart des jeunes Demoiselles, de se presser la poitrine avec des busques, pour avoir la taille plus fine ; elles ne sçavent pas, dit-il, qu’elles s’exposent par-là à la phthisie, en ôtant au sang des poumons la liberté de circuler[11].

Au reste, quand on emmaillote un enfant, il faut tourner chaque jour, les bandes d’une maniere différente de celle dont on les a tournées le jour précédent, c’est-à-dire les tourner un jour de droite à gauche ; & l’autre jour, de gauche à droite ; sans quoi il est à craindre que le tronc du corps de l’enfant, & les extrémités ne prennent une conformation vicieuse.

Quand l’enfant est emmailloté, il y a deux précautions à avoir, l’une lorsqu’on le pose dans le berceau, & l’autre lorsqu’on le tient entre les bras. La premiere est de le coucher de maniere que son corps ne porte point à faux ; car sans cela on expose la taille de l’enfant à contracter quelque bosse. La seconde est de le porter tantôt sur un bras, tantôt sur l’autre, de peur qu’étant toûjours porté sur un même bras, il ne se panche toûjours d’un même côté, ce qui peut lui rendre la taille de travers.

Il nous reste à parler de trois autres vices de la taille, qui sont la taille trop épaisse, la taille trop maigre, & la taille toute d’une venuë.

22o. Taille trop épaisse.

La taille trop épaisse est quelque chose de très-difforme, sur-tout dans une jeune personne du sexe. On y remédie en différentes manières ; mais la plus sure est, 1o. de ne point trop dormir, 2o. de boire beaucoup de thé & de caffé, 3o. d’éviter le chocolat, la bierre & tout ce qui est capable de produire des sucs trop nourrissans, 4o. de manger & de boire sobrement, & en fait de vin, de ne boire que du vin blanc, 5o. de faire beaucoup d’exercice à pied, de prendre tous les jours pendant plusieurs semaines, un peu de cendre d’écrevisses délayée dans un œuf frais, ou dans un peu de boüillon. Cette cendre est très-spécifique pour empêcher le corps de contracter trop de graisse ; la dose est d’un demi-gros si la personne a pssé douze ans. Mais en cas qu’elle aie une si grande disposition à engraisser, qu’il faille quelque chose de plus fort, on pourra joindre à cette cendre, celle d’éponge de mer, & d’éponge d’églantier, pour faire de ce mélange une seule poudre, dont la dose sera un demi-gros. Ce remede est si exténuant qu’il peut causer une maigreur trop grande, c’est pourquoi il faudra bien prendre garde à la disposition de la personne ; car à moins qu’il n’y ait à craindre un embonpoint énorme, il ne faudra point recourir a ces trois cendres, mais se contenter de la premiere.

On raconte d’un certain Nicomachus de Smirne, qu’il avoir la taille si épaisse qu’il en étoit presque immobile[12]. L’Empereur Maximilien avoit, tout de même, dit-on, la taille si fournie[13], qu’à chaque moment, il en étoit presque sur le point d’étouffer. Ces sortes de tailles viennent ordinairement par des excès de boire & de manger, long-tems continués. On a vû, il y a quelques années, un enfant de cinq ans devenir par cette cause, aussi gros de taille qu’une personne de quinze ans. Cet enfant, dès qu’il s’éveilloit, demandoit à manger ; il mangea tant & avec tant d’appetit, pendant l’espace de quatre mois, qu’il acquit dans cet espace de quatre mois, une taille aussi grosse que s’il avoit eu quinze ans. L’Histoire porte que son appétit & son accroissement augmenterent toûjours, jusqu’à une fatale débauche de vin, qu’on lui laissa faire, & qui se termina par un vomissement dont il périt[14].

Quelques jeunes personnes, pour se procurer une taille dégagée, mettent du vinaigre dans tous leurs alimens, & en boivent même quelquefois. Ce remede est extrêmement dangereux, & le moindre mal qu’il puisse produire, c’est de rendre pulmonique.

Une jeune Demoiselle, fort riche, jouïssoit il y a peu d’années, d’une parfaite santé ; beaucoup d’embonpoint, bon appétit, teint de roses & de lis. Cet embonpoint lui devint suspect : elle avoit une mere qui étoit d’une taille extrêmement épaisse ; elle craignit de devenir comme elle : une femme qu’elle consulta sur ce sujet, lui conseilla de boire tous les jours, un petit verre de vinaigre ; la jeune personne suit l’avis, & son embonpoint diminuë : charmée du succès du remede, elle le continuë plus d’un mois. Elle commence à tousser, cette toux qui étoit d’abord seche, est regardée comme un petit rhume qui passera. Cependant de seche qu’elle est, elle devient humide ; la fiévre lente survient avec difficulté de respirer ; tout le corps maigrit, & se consume. Les sueurs nocturnes, l’enflure des pieds & des jambes succedent, & la malade finit par un cours de ventre. On trouva à l’ouverture de son cadavre, tous les lobes du poumon remplis de tubercules. Ce poumon ressembloit à un raisin & les tubercules en réprésentoient les grains. Durant le cours de la maladie, le quinquina fut mis en usage, aussi bien que les opiates fébrifuges alkalines, le petit lait d’ânesse, les boüillons d’écrevisses, ausquels on ajoutoit les plantes béchiques pour empêcher que le poumon ne s’ulcérât. La phthisie alla toûjours son train jusqu’à la mort[15]. Jeunes personnes, faites la-dessus vos reflexions.

23o. Taille trop maigre.

La taille trop maigre est une difformité dont il faut moins s’allarmer dans les enfans, que de la taille trop épaisse. Il est un tems où les enfans maigrissent nécessairement, c’est lorsqu’ils commencent à prendre un accroissement sensible, ou comme on dit d’ordinaire, à grandir. Il ne faut point alors s’inquieter de cette maigreur, elle n’est que passagere : mais il y en a une dans laquelle les enfans tombent quelquefois par certains chagrins secrets qu’ils prennent, & qui les font chêmer. Si alors on n’y remédie pas de bonne heure, la substance nourriciere, & l’humide radical qui doivent faire dans le corps de l’enfant, un fond pour l’avenir, se consument de telle maniere, que tout le corps devient comme un squelete.

Il arrive souvent dans ces occasions, que le visage ne laisse pas d’être plein, & de faire honneur, comme l’on dit ; mais toute l’épine du dos & toutes les côtes se décharnent, de maniere que la taille est comme un fuseau.

Quand on soupçonne que cette maigreur vient de ce que l’enfant chême, il faut examiner ce qui le fait chêmer, & l’on verra pour l’ordinaire, que c’est que dans la maison, on témoigne plus d’amitié à quelque autre enfant, & qu’il en a de la jalousie. On ne sçauroit se figurer jusqu’à quel point un enfant est sensible là-dessus ; il cache son chagrin en dedans, & garde sur cela un secret impénétrable ; il faut deviner sa peine. L’unique moyen d’y parvenir, est de témoigner moins d’amitié à son frere ou à sa sœur, à qui je suppose que jusques-là on en a marqué beaucoup. Il faudra alors observer avec attention, ses yeux ; on connoîtra bientôt s’il a de la jalousie ; car s’il en a, il ne s’appercevra pas plûtôt de ce changement, que ses yeux deviendront plus sereins ; on le verra moins sournois & moins rêveur que de coutume. Dès que le mystère sera connu, il faudra absolument prendre le parti de retrancher en la présence de l’enfant, toutes les caresses qu’on avoit coutume de faire aux autres ; lui en faire à lui le plus qu’on pourra ; mais en sorte qu’il ne s’apperçoive pas qu’il y a de la ruse ; car les enfans sont fins de leur côté, & au-delà de tout ce qui se peut imaginer. Ils lisent dans l’ame de ceux qui les approchent ; & là-dessus nous sommes souvent leurs dupes ; ils ne s’appliquent qu’à nous pénétrer. On verra alors l’enfant reprendre chair : Son épine & ses côtes dont on comptoit tous les os, se rempliront, & peu à peu sa taille se formera & se nourrira.

Que les enfans soient capables de jalousie, c’est un point dont on ne sçauroit douter ; ils le sont même étant encore à la mammelle. J’ai vû, dit saint Augustin, un enfant jaloux : il ne sçavoit pas encore prononcer aucune parole, & avec un visage pâle, & des yeux irrités, il regardoit déjà un autre enfant qui tettoit avec lui[16].

24o. Taille toute d’une piece.

J’appelle taille toute d’une piéce, celle qui n’a rien d’aisé, rien de dégagé, une taille qui quoique bien moulée d’ailleurs, à l’air si contraint, qu’il semble que la personne ait un pieu planté le long du corps. Il faut, soit pour prévenir, soit pour corriger cette difformité, exercer les jeunes personnes à des jeux qui les obligent à sauter souvent. Le saut fait faire au corps trois angles, qui s’ouvrent & s’étendent, & qui servent puissamment à dégager la taille. Le premier angle est celui que fait le corps pardevant à l’endroit des hanches, dans la jointure avec les cuisses ; le second, celui de la jointure des cuisses avec les jambes par derriere ; & le troisiéme, celui que forment les jambes par derriere, avec l’os du pied. On ne sçauroit comprendre à quel point, ces flexions & ces extensions réïtérées contribuënt à dégager la tête, l’épine, & les extrémités. Quant à l’épine, qui est la partie dont il s’agit, il faut faire réflexion qu’elle est composée de plusieurs os posés les uns sur les autres, lesquels tiennent ensemble par des cartilages plus ou moins serrés, & plus ou moins souples. Lorsque ces cartilages sont trop serrés & moins souples qu’il ne faut, les os ausquels ils servent de liens, n’ont pas assez de jeu, la taille par conséquent, en a moins aussi, ce qui la roidit & la rend toute d’une piéce. Il s’agit donc, pour corriger ce défaut, de desserrer & d’assouplir les cartilages, qui attachent les os de l’épine les uns aux autres, & c’est de quoi on vient à bout par l’exercice du saut, à raison des angles que cet exercice fait faire au corps, & dont nous venons de parler. Rien, en même temps, n’est plus propre pour faire croître les enfans.

Le port des bras & des mains, celui des jambes & des pieds, contribuent aussi beaucoup à donner à la taille, ou un air dégagé, ou un air gêné. Nous aurons lieu de toucher ce point dans le troisiéme Livre qui suit, en y traitant, comme nous allons faire, des difformités qui attaquent les extrémités du corps.

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  1. Ut enim qui ligna distorta dirigunt, non satis habent ea flexisse ad statum in quo consistere volunt, sed adhuc ultrà nituntur in partem adversam, quo spatium nacta recurrendi, in medio commodiùs illa subsistant, si à nimiis animi cupiditatibus quàm longissimè nos abduci oportet, ut nitente in oppositum naturâ, medium teneamus. Lœlii Peregrini de noscendis & emendandis animi affectibus. vol. in 8o. Lipsiæ, 1714.
  2. Histoire de l’Ambassadeur de Maroc, Envoyé au Roi de France en 1682.
  3. Leonard de Vinci.
  4. Leonard de Vinci.
  5. Je ne décris en tout cela, que ce que l’on fait tous les jours, sans y prendre garde, lorsqu’avec le bras baissé, on porte un pot à l’eau, dont le haut de l’anse est vis-à-vis l’ouverture du pot.
  6. Voyez page 23. du Livre premier.
  7. Nouvelle relation de l’Afrique Occidentale, par le P. Labat.
  8. Cette eau tiede se refroidit dans le moment, & c’est ce qu’il faut.
  9. Livre des Rois, chap. 14.
  10. Spigel. de hum. corp. fabricâ, lib. 1. cap. 12.
  11. Id. ibid.
  12. Il fut guéri par Esculape au rapport de Galien. Voyez Antonii Molineti Dissertationes anatomicæ Pathologicæ.
  13. Id. Ibid.
  14. Observations Physiques & Medicinales, communiquées à l’Académie des Sciences de Lyon, le 26. janvier 1726. par M. Pestalossi, Médecin de la même Ville.
  15. Dissertat. sur la Phthisie, par M. Desault, Docteur en Médecine à Bordeaux.
  16. Educ. de F. par M. de Fen. Arch. de C.