L’Université d’Avignon aux XVIIe et XVIIIe siècles/Préface

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PRÉFACE

L’étude qu’on va lire n’embrasse pas l’histoire entière de l’Université d’Avignon. Pour entreprendre utilement une telle œuvre, il eût fallu des loisirs dont nous ne disposions pas, et aussi des documents qui ne nous ont pas été conservés. Les Archives universitaires, — dont pendant trop longtemps hélas ! personne ne prit souci, — se réduisent, en effet, pour les xive, xve et xvie siècles, à des séries tout à fait incomplètes de pièces, à des fragments isolés, parfois même à un petit nombre de documents officiels, statuts, privilèges, chartes pontificales, dont souvent on ne possède que des copies. Les registres si précieux des délibérations du Collège des docteurs agrégés en droit, ce véritable conseil souverain de l’Université, ne commencent qu’en 1603. Pour la période antérieure, à peine possédons-nous quelques délibérations isolées, toutes relatives au xvie siècle. Même indigence ou mêmes lacunes dans les comptes de l’Université. La liste des primiciers, celle des gradués existent depuis 1430 ; mais la dernière de ces listes offre une énorme interruption depuis 1512 jusque vers 1650. Enfin, on chercherait en vain dans les registres ou dans les pièces qui nous restent des renseignements précis sur l’organisation intérieure des Facultés de théologie, de médecine ou des arts avant 1600.

Au contraire, pour les xviie et xviiie siècles, les documents abondent et se succèdent avec une majestueuse continuité. Plusieurs générations d’intelligents secrétaires-bedeaux ont tenu avec un soin pieux les registres des Assemblées du Collège des docteurs en droit ; leurs procès-verbaux offrent un tableau à peu près complet de la vie intérieure de la corporation universitaire ; on y rencontre la trace de tous les événements qui l’agitèrent, de toutes les luttes qu’elle eut à soutenir, l’écho de ses triomphes comme celui de ses défaites.

Pour les Facultés de théologie, de médecine ou des arts, il n’existe pas de registres pareils. Leurs délibérations sont parfois inscrites parmi celles du Collège, mais on y devine bien des lacunes. En revanche, les registres des gradués, surtout depuis 1651, les matricules des inscriptions d’étudiants depuis 1730, nous donnent une idée exacte de l’activité de ces Facultés, comme de celle de la Faculté de droit, au moins en ce qui concerne les examens et la délivrance des diplômes. Les programmes annuels des cours, dont nous avons la collection pour tout un siècle (1690-1790) nous disent quelle était la matière de l’enseignement. Des recueils de leçons de droit canonique ou civil, de théologie, de médecine et de philosophie, conservés au Musée Calvet, achèvent de nous éclairer sur la méthode et les tendances des professeurs.

Enfin, les comptes des primiciers ou du Collège des docteurs en droit, souvent accompagnés de leurs pièces justificatives, sont encore, pour le xviiie siècle surtout, une mine inépuisable de renseignements très précieux. Ils permettent d’établir, dans une certaine mesure, année par année, le budget de l’Université : revenus propres, produit des inscriptions et des examens, dépenses générales de nécessité ou de luxe, entretien des bâtiments, salaires fixes et casuel des régents. Ces documents et d’autres malheureusement beaucoup moins complets nous permettent de pénétrer parfois dans la vie intime de la corporation, d’assister à ses cérémonies et à ses fêtes, de suivre même les étudiants dans leurs réjouissances ou dans leurs travaux.

Grâce aux lumières que les riches archives des xviie et xviiie siècles projettent sur l’époque qui précéda leur rédaction, comme aussi grâce aux statuts universitaires et aux fragments que nous possédons encore sur le premier âge de l’Université, l’histoire que nous avons essayé d’écrire se relie assez aisément à celle des siècles précédents. Certes, l’Université des temps modernes diffère très sensiblement de celle que Boniface VIII avait fondée en 1303. Si le fond de l’enseignement juridique est resté le même, la forme en a varié ; à côté de cette étude, d’autres sont nées, qui se sont, à leur tour, développées ou modifiées ; surtout les mœurs des maîtres et des élèves ont suivi l’évolution qui devait transformer l’aspect des vieilles corporations enseignantes. L’institution même du Collège des docteurs agrégés en droit, qui persista à travers cinq siècles, a subi plus d’un changement. Néanmoins, et malgré les désastres du xvie siècle, où un moment, l’Université sembla devoir périr, il n’y a pas de solution de continuité dans son histoire. D’étroits liens unissent les différentes phases qu’on y peut apercevoir ; même quand ils semblent se relâcher et près de se rompre, ces liens sont visibles et il est aisé de les saisir. Insuffisants pour une histoire générale, les documents qui nous restent de l’époque primitive jettent sur les temps plus voisins du nôtre assez de lumière pour prévenir toutes les erreurs.


On ne s’est guère servi pour ce travail que de documents originaux. Les uns — ce sont les plus nombreux — sont encore inédits ; ils appartiennent aux Archives du département de Vaucluse ou au Musée Calvet d’Avignon. Les autres, empruntés d’ailleurs aux mêmes dépôts, ont été publiés dans les recueils de MM. Marcel Fournier et Laval.

Il faudrait, pour donner une idée exacte de l’importance des premiers de ces documents reproduire ici l’Inventaire analytique qu’en a récemment donné M. Duhamel. (Archives départementales de Vaucluse, Série D, nos 1 à 200.) Bornons-nous, parmi les liasses et les registres les plus importants, à citer ceux qui suivent :


Nos 29 à 35. Registres des délibérations du Collège des docteurs agrégés en droit de 1603 à 1791 (très complets à partir de 1620).

No 36. Liste des primiciers (1430-1790). Liste des docteurs agrégés en droit canonique et civil (1434-1785) ; liste des docteurs en théologie (1400-1709) ; liste des docteurs en médecine (1491-1678). Liste générale des gradués (1430-1651).

Nos 37 à 39. Pièces relatives aux Facultés de théologie et de philosophie ou des arts. Inscriptions des étudiants de ces Facultés (1735-1790).

Nos 40 à 42. Pièces relatives à la Faculté de droit. Programmes de thèses.

Nos 43 à 59. Inscriptions des étudiants à la Faculté de droit (1703-1791).

Nos 61 à 69. Faculté de médecine. Inscriptions. Jardin botanique.

Nos 70 à 72. Pièces relatives à la Faculté des arts.

No 73. Programmes des cours (1690-1790).

Nos 126 à 132. Attestations d’études (1698-1791).

Nos 136 à 154. Registres des gradués (1651-1792).

No 157. Confrérie des étudiants.

Nos 162 à 168. Procédures (xviie et xviiie siècles).

Nos 185 à 187. Livres des comptes de l’Université. — Nos 188 à 193. Pièces justificatives (1628-1790).

Nos 194 à 197. Livres des comptes du Collège des docteurs (1730-1790).


Les Archives municipales d’Avignon (annexées aux Archives départementales) renferment un certain nombre de délibérations du Conseil de Ville relatives à l’Université et aux autres établissements d’instruction. Elles se rapportent surtout au xvie siècle et aux premières années du xviie. À partir de cette époque, le Conseil municipal se désintéresse de plus en plus de l’administration de l’Université ; mais il est souvent en lutte avec les représentants de ce corps à l’Hôtel de Ville, pour des questions de finances ou de préséances. (Voir les sommaires analytiques très étendus des délibérations municipales rédigés au xviiie siècle, 5 volumes ; et le texte même des délibérations de 1696 à 1790, 35 volumes).

Quant à la Bibliothèque du Musée Calvet, elle possède surtout des copies ou des résumés des documents conservés aux Archives de l’Université, et ces copies n’offrent qu’un intérêt restreint (V. nos 2395, 2451, 2483, 2489, 2573, 2879, 2890 à 2897). Mais on y trouve aussi, avec quelques mémoires importants, des documents relatifs aux collèges pontificaux, qui complètent ceux des Archives (V. no  2750 et surtout no  2878). Enfin, c’est encore au Musée Calvet que sont conservés les cours dont il a été question plus haut, savoir :


Nos 217, 393, 418, 466 et 467. Cours de théologie.

Nos 669 à 679, 761, 2609 à 2629. Cours de jurisprudence.

Nos 1001 et 2340. Médecine.

Nos 1151 à 1153. Cours de philosophie.


Il a été publié deux recueils considérables de pièces concernant l’Université d’Avignon. Le premier en date est celui de M. Laval intitulé : Cartulaire de l’Université d’Avignon (1 vol. in-8o, Avignon, 1884). Il ne renferme que quatre-vingt pièces ou analyses de pièces, lettres, bulles et brefs pontificaux, lettres patentes du roi de France, etc., intéressant toute l’histoire de l’Université depuis ses origines jusqu’à sa suppression.

Dans le second et le troisième volumes des Statuts et privilèges des Universités françaises au Moyen-Âge (Paris, 1891 et 1892), M. Marcel Fournier a inséré, à son tour, un beaucoup plus grand nombre de documents relatifs à l’Université d’Avignon (200 pièces données in extenso ou analysées ; nos 1236 à 1421 du tome II et nos 1936 à 1950 du tome III), y compris les différents statuts de 1303, de 1376, de 1407, de 1411, de 1426, de 1441 et de 1503[1]. Mais son travail s’arrête à l’année 1503 et n’offre, par conséquent, sauf en ce qui concerne les statuts, qu’un intérêt secondaire pour la période qui fait l’objet spécial de notre étude. Ces publications ne dispensent pas d’ailleurs toujours de recourir aux originaux ou aux copies manuscrites des Archives[2].

Les ouvrages imprimés relatifs à l’Université d’Avignon sont, en somme, peu nombreux. Le plus important est l’Histoire de la Faculté de médecine d’Avignon, de M. Laval (tome Ier, seul publié, consacré aux origines et à l’organisation de cette Faculté ; Avignon et Paris, 1889.) L’essai de M, Bardinet (Universitatis avenionensis historica adumbratio, Limoges, 1880) paraît aujourd’hui bien vieilli. — La Chronologie des docteurs en droit civil de l’Université d’Avignon, publiée par M. de Teule (Paris, 1887), n’est qu’une contribution modeste à l’histoire de la Faculté de droit, que personne n’a encore tenté d’écrire.

Dans ces dernières années, cependant, quelques courtes, mais intéressantes monographies ont été consacrées à l’Université d’Avignon. Les principales sont les suivantes :

Laval. Les Bâtiments de l’ancienne Université d’Avignon (Bulletin historique et archéologique de Vaucluse, 1880). — Aperçu sommaire sur l’Université d’Avignon (même recueil, 1883). — Les Inscriptions de l’Université d’Avignon (Bulletin de l’Académie de Vaucluse, 1886). — État de l’Université d’Avignon en 1789 (Ibid., 1889.)

L. Duhamel. Les primiciers de l’Université d’Avignon (broch., Paris, Picard, 1895). — Les masses des Universités d’Avignon et d’Orange (ibid., 1896). — De l’origine de l’Université d’Avignon (Mémoires de l’Académie de Vaucluse, 1896).

J. Marchand. La Faculté des Arts de l’Université d’Avignon, notice accompagnée des statuts inédits de cette Faculté (Mémoires de l’Académie de Vaucluse et Paris, Picard, 1897).

À côté de ces publications toutes spéciales, une étude d’ensemble, fût-elle bornée à une période de deux siècles, paraît combler une lacune. À défaut d’autre mérite, l’ouvrage que nous publions a celui de s’être uniquement inspiré des documents originaux. On s’y est volontairement borné à retracer un tableau, d’ailleurs aussi complet que possible, de la vie universitaire à Avignon de 1600 à 1792, et l’on s’est interdit toute incursion aventureuse sur le domaine des Universités voisines, comme aussi toute généralisation prématurée. On le verra cependant : l’Université d’Avignon n’avait jamais été une exception au milieu des Universités du royaume ; elle tendait même de plus en plus à se rapprocher de celles-ci ; et la connaissance de son histoire ne sera peut-être pas inutile à qui plus tard tentera de dire ce que fut notre vieil enseignement supérieur.

  1. Il est superflu d’insister sur l’importance de cette publication. Les statuts primitifs de 1303, ceux de 1441, ceux de 1503 surtout, qui résument et complètent les statuts antérieurs et forment la dernière grande charte que l’Université d’Avignon ait reçue, ont un intérêt capital. Il faut constamment s’y reporter.
  2. Les documents empruntés aux Archives départementales de Vaucluse (série D) sont indiqués, dans le cours de cet ouvrage, par les initiales : A. V. D, suivies du numéro du registre ou de la liasse ; ceux qui appartiennent à la Bibliothèque du Musée Calvet, par les initiales M. C., suivies du numéro du manuscrit. — Les textes insérés dans les recueils de MM. Fournier et Laval sont désignés par le nom de l’auteur, suivi du numéro que le document cité porte dans chacun de ces recueils.