L’amour saphique à travers les âges et les êtres/29

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(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 231-239).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

XXIX

LA SENSUALITÉ CHEZ LES ALIÉNÉES
LA NYMPHOMANIE


Chez les démentes, la sexualité joue un rôle prépondérant. Alors que beaucoup d’hommes aliénés voient leur virilité disparaître, les folles sont presque toujours sous l’impression d’une sensualité impossible à assouvir.

La masturbation devient parfois chez elles presque incessante, et la vue d’un être, homme ou femme, les jette dans un état d’excitation sexuelle indescriptible.

Dans une maison de santé, le directeur, excédé de voir les folles se jeter sur le docteur qui les soignait, lui proposer le coït en paroles et par gestes obscènes et tomber en sa présence dans l’agitation la plus pernicieuse pour leur état, engagea une interne femme.

Il arriva que les démentes l’assaillirent avec encore plus de violence que son collègue masculin, et qu’elle leur en imposait moins.

L’exhibitionnisme est une monomanie fréquente chez les aliénées, et c’est souvent le premier symptôme du détraquement cérébral chez la femme qui deviendra bientôt tout à fait folle.

Dans tous les carnets médicaux des docteurs, l’on trouve en foule des exemples pareils à ceux que nous citerons.

Mlle Henriette H… était la fille unique d’un riche propriétaire de l’ouest. Jusqu’à quatre ans, elle avait eu de fréquentes convulsions ; vers douze ans, tôt réglée, elle eut des tics qui lui déformaient le visage, la faisaient grimacer, hausser subitement les épaules ou lancer en avant le bras inopinément. Puis, son tempérament parut se calmer, sa santé s’affermit. À quinze ans, elle paraissait tout à fait normale et son intelligence était égale à la moyenne des jeunes filles de son âge.

Tout à coup un scandale sans pareil vint jeter la consternation dans l’esprit de ses parents.

Il fut constaté que tous les jours, à une certaine heure où elle était sûre de voir passer dans la rue limitant leur jardin des troupes de soldats rentrant de la manœuvre, la jeune fille courait sur cette terrasse, grimpait sur le parapet, et, relevant ses jupes, montrait ses cuisses nues et son sexe aux passants avec mille contorsions plus simiesques que féminines.

Mlle Henriette H… fut immédiatement internée et devint folle furieuse, d’un érotisme répugnant et sinistre.

Même histoire arriva pour la fille d’un usinier qui, en l’absence du surveillant, pénétrait dans l’atelier et montrait son sexe aux ouvriers.

Pour celle-ci, sa mère désolée s’obstina à ne point la faire enfermer et, à force de soins intelligents, parvint à calmer momentanément la pauvre enfant.

C’était, en somme, rendre un mauvais service à la société, car la démence passagère de la jeune fille n’ayant pas été divulguée, elle trouva à se marier et désola un brave homme par ses excentricités et ses fugues de déséquilibrée et de morphinomane.

Ce qui est à remarquer, c’est que, presque toujours, les exhibitionnistes se contentent de leur geste et ne souhaitent ni le coït, ni le baiser saphique. Pourtant, il peut y avoir des exceptions.

On peut, en somme, dire qu’il y a une teinte d’exhibitionnisme dans la joie trouble et véritablement sensuelle qu’éprouvent tant de femmes à se décolleter outre mesure et à suivre dans le regard des hommes le désir que fait naître en eux ce spectacle.

Cette monomanie prend un caractère déjà plus accentué chez celles qui, sans un but déterminé, sans admettre de conséquences à leur acte ni les souhaiter, s’ingénient dans la rue à montrer aux passants une croupe habilement moulée par une jupe que l’on colle contre soi, ou une jambe sous la robe relevée adroitement.

Et le caractère pathologique se dessine nettement, bien qu’encore non reconnu, lorsque des femmes entre elles, sans avoir de relations saphiques et sans même les désirer, se montrent leurs seins, leurs cuisses, sous un prétexte ou un autre, se présentent aux yeux de leurs amies dans un déshabillé qui laisse deviner tout ce qu’elles possèdent.

On entend par nymphomanie l’appétit sexuel poussé à l’excès, devenu la préoccupation prédominante et parfois perpétuelle de la malheureuse atteinte de cette névrose.

La nymphomane peut être une lubrique insatiable de coït ; elle peut demander à la masturbation seule les joies que son corps réclame ou elle se déclare tribade enragée.

De toutes façons, chez elle, la sensualité déréglée s’instaure dans son individu, y règne en souveraine et conduit la malade souvent jusque derrière les grilles du cabanon de l’aliénée.

Néanmoins la nymphomanie peut garder des bornes et celle qui en est atteinte parvenir à cacher à ceux qui l’entourent ses habitudes et ses préoccupations morbides.

Le docteur X…, spécialiste pour névroses, compte de multiples cas de ce genre dans sa clientèle. Quelques-uns sont des plus intéressants.

Un jour, il vit entrer dans son cabinet une femme d’environ quarante-cinq ans, l’air agréable et décent, vêtue avec une élégance discrète indiquant la bourgeoisie honnête et aisée.

Après quelques secondes de confusion, elle exposa résolument son cas, ainsi qu’une désespérée qui se résout à la confession honteuse dans le but qu’on vienne en aide à sa détresse.

Mariée depuis près de vingt-cinq ans, elle avait aimé son mari sans passion, n’avait jamais désiré d’amant, était la mère de trois beaux enfants, deux filles déjà mariées et un fils qui terminait ses études.

Elle n’avait pas été sans pratiquer parfois la masturbation, mais jamais cette habitude ne s’était imposée à elle, et elle n’en sentait autrefois le besoin que très rarement.

Obligée à préciser, elle déclara que peut-être se donnait-elle une ou deux fois par mois cette illusion du coït.

En tous cas, jamais elle n’avait eu l’ombre d’un désir lesbien et n’avait jamais compris jadis comment cette passion pouvait exister dans le cœur et les sens de la femme.

Or, voilà qu’il y avait un peu plus de dix-huit mois, à la suite de la lecture d’un roman pourtant on ne peut plus chaste et correct, elle avait eu la pensée d’une femme nue, étendue sur un lit, et se tordant en de voluptueuses convulsions.

Elle avait été surprise de cette pensée saugrenue, en avait ri intérieurement et l’avait chassée.

Mais, peu de temps après, d’autres images obscènes s’étaient présentées à son esprit, évoquées de même par un mot, une phrase lue, un dessin regardé parfaitement corrects et semblant sans rapport aucun avec ce tableau qui soudain surgissait devant ses yeux comme par un déclanchement d’appareil photographique.

D’abord, elle n’avait éprouvé qu’un malaise ; puis, un trouble sexuel l’avait gagnée, et chaque fois qu’elle songeait à une obscénité il lui fallait se masturber. Il y avait des jours où plus de dix fois elle se dérobait aux siens, s’enfermait dans sa chambre, dans les cabinets, n’importe où pour satisfaire son besoin.

La veille encore, saisie dans la rue par une irrésistible envie de masturbation, elle était entrée dans la première maison venue et s’était soulagée dans l’escalier, mourant de peur d’être surprise.

Jusqu’à présent, elle s’était tue, n’osant pas avouer son mal à son médecin et redoutant d’aller trouver un étranger ; cependant, le désespoir la gagnait et, ayant entendu parler du docteur X…, elle venait à lui comme à un sauveur.

Celui-ci, après quelques questions, la rassura. Son trouble pathologique provenait de l’âge critique où elle se trouvait, et il était persuadé que, la ménopause accomplie, elle retrouverait son calme précédent, surtout si elle suivait une hygiène rigoureuse et cherchait des distractions suivies.

La guérison, en effet, fut obtenue.

Il n’en fut pas de même pour une autre femme qui, également chaste jusqu’à quarante-six ans, et voyant tout à coup ses menstrues cesser, conçut en même temps les désirs les plus violents et les plus monstrueux pour ses propres filles, deux enfants de quatorze et seize ans.

Elle eut cependant la force de ne pas succomber à son délire, éloigna ses enfants, se soumit au régime le plus sévère. Rien n’y fit ; trois ans plus tard, on devait l’enfermer et sa folie gardait le même objet : elle appelait ses filles, leur prodiguait les appellations les plus tendres parmi des évocations d’une lubricité inouïe.

Les cas de nymphomanie plus ou moins accentuée accompagnant la ménopause sont extrêmement fréquents, et l’on pourrait presque dire que toute femme y est soumise.

Seulement, pour la plupart, cette crise est légère, momentanée et passe inaperçue. Ce fait tout physiologique a été traité par divers romanciers qui n’y ont vu que le côté psychologique, en quoi ils se sont grandement trompés. L’héroïne de la Crise d’Octave Feuillet est très fidèlement copiée sur la nature, mais l’écrivain passe à côté de la vérité lorsqu’il nous montre cette honnête femme saisie de désirs de faute pour la raison qu’elle se sent vieillir et voudrait tout connaître de la passion avant de perdre sa jeunesse et ses charmes.

C’est tout simplement une femme chez qui les premiers troubles sanguins de la ménopause se font sentir ; son sexe, exaspéré par l’afflux sanguin dont le cours se trouve détourné, l’incite à des désirs, des pensées qui jamais auparavant ne l’avaient visitée.

Chez les dévotes, les religieuses, cette crise prend parfois la forme d’hallucinations religieuses.

Sœur Marie B…, précocement désexuée à trente-six ans, voyait la statue de la Sainte-Vierge, dans la chapelle du couvent, lever sa robe et lui montrer un sexe béant où des démons s’agitaient.

Une autre nonne, prise de désirs effrénés pour les jeunes novices et ne voulant pas céder à son péché, volait leurs voiles et les introduisait en tampons dans son vagin ; l’idée que cet objet avait touché les jeunes filles lui procurait des délices indescriptibles.

Les vieilles femmes en enfance peuvent être atteintes de nymphomanie, soit qu’elles se masturbent avec une sénile obstination, soit qu’elles se livrent à des attouchements obscènes sur les personnes mâles ou femelles qui les soignent.

Le docteur Z… fut appelé un jour par une famille désolée, chez qui une vieille grand’mère avait expiré, la main enfoncée dans son sexe et si crispée qu’il avait été impossible de l’en retirer. On dut l’ensevelir dans cette posture obscène.


L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre
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