L’amour saphique à travers les âges et les êtres/31

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(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 247-251).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

XXXI

L’AMOUR SAPHIQUE COMPARÉ À L’AMOUR
NATUREL


C’est une question souvent posée que celle qui demande si l’amour saphique est capable de donner à la femme autant de joies que l’amour naturel goûté auprès d’un homme.

En général les réponses, soit qu’elles soient affirmatives ou négatives, manquent d’impartialité et sont plutôt inspirées par une idée préconçue que par une étude réelle et clairvoyante des choses.

À notre avis, répondre en bloc par oui ou par non, pour toutes les femmes qui pratiquent l’amour saphique, c’est faire preuve d’une absence de sens psychologique bien grossière. La première nécessité est de séparer ces femmes par groupes et de répondre pour chacun d’eux.

S’il s’agit de femmes aux instincts mâles, des inverties résolues, nous croyons que, non seulement l’amour lesbien dépasse pour elles l’amour naturel, mais qu’il leur cause des joies qu’elles ne sauraient trouver autre part.

Pour l’invertie, le coït sera toujours pénible, répugnant et l’empêchera d’apprécier l’amour sentimental d’un homme. Il n’y a qu’auprès de la femme que ses sens soient contentés et ses tendances vitales prennent leur essor librement.

Pour celle que nous dénommons la lesbienne compensatrice, il est évident que l’étreinte féminine ne vaut pas le baiser masculin, du moins si celui-ci est envisagé sans tenir compte du cortège de craintes, de soucis, de conséquences désastreuses et pénibles qu’il entraîne avec lui.

Néanmoins nous croyons qu’il faut préciser en quoi se trouve l’infériorité de l’amour lesbien comparé à l’amour naturel.

Cette infériorité se rencontre non pas dans la sensation matérielle qui est presque toujours supérieure par les moyens saphiques, mais dans le sentiment moral.

La femme mâle aime son amante avec fougue et sincérité.

La femme ordinaire ne peut éprouver un sentiment très profond pour sa pareille.

Qu’est-ce qui domine dans l’amour au point de vue intellectuel ? — Sûrement l’inconnu.

C’est l’inconnu, le mystère de l’être vers qui on est attiré, qui lui donne tout son charme, toute sa valeur.

On aime d’amitié, de cœur, la personne près de laquelle on vit et qui n’a rien de secret pour vous ; on ne saurait la désirer intensément.

Or, la femme et l’homme sont des étrangers, des inconnus l’un pour l’autre ; c’est le mystère qu’ils représentent qui met dans l’amour une acuité, une valeur, qui jamais ne se retrouvera dans l’amour de deux femmes.

En effet, celles-ci, de même sexe, de même nature, ayant eu la même éducation, ne sauraient être une énigme l’une pour l’autre.

Leur prestige est nul aussi bien aux yeux de l’une que de l’autre, et il ne saurait exister dans leur cerveau ni le sentiment orgueilleux de la femme qui se dresse en énigme devant l’homme, ni la satisfaction vaniteuse de l’homme qui croit l’avoir résolue.

Les femmes vraiment femmes se connaissent trop bien, ont trop de points de contact et de ressemblance pour éprouver du réel amour l’une pour l’autre, car, nous l’avons dit, l’amour n’est que l’illusion que nous avons de celui que nous aimons.

La femme mâle est d’instincts si différents de la femme féminine qu’elle peut aimer celle-ci, car elle la comprend aussi peu qu’un homme le ferait à sa place, et son idole lui demeure mystérieuse.

En résumé, sauf pour les inverties, nous croyons que l’amour au point de vue cérébral est inférieur dans le saphisme à l’amour naturel ; mais nous sommes persuadés que la femme y goûte des satisfactions matérielles infiniment supérieures à celles qu’elle connaît dans ses rapports avec les hommes.

En général, ce n’est qu’à l’aide de l’imagination que le coït la satisfait, et tant de craintes, de gêne, l’accompagnent que sa saveur y disparaît.

Et nous parlons là de la femme qui aime le coït ; or, il faut bien se dire qu’un nombre considérable de femmes restent froides dans l’union sexuelle naturelle et n’y trouvent jamais aucun plaisir.

Trop aisément, de ce fait que beaucoup de femmes ne sont point satisfaites par les rapports naturels, les hommes en ont conclu qu’elles sont de nature plus calme qu’eux-mêmes, et ils acceptent volontiers cette idée que leurs sens dormiront ou resteront atrophiés toute leur vie et dans toute circonstance.

Ceci est absolument faux.

Nous affirmons qu’il n’existe pas de femme incapable d’émotion sensuelle : il n’y a que des femmes que l’on n’a pas su faire vibrer.

Combien de créatures restent-elles de glace dans les bras des hommes et qui connaissent des spasmes fous avec des amantes ou simplement en se masturbant.


L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre
L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre