L’ange de la caverne/01/10

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Le Courrier fédéral (p. 47-50).

CHAPITRE X

MÈRE ET FILLE


Sur la route de Green Valley, huit jours avant les événements racontés dans le précédent chapitre, deux femmes cheminaient lentement. L’une de ces femmes était âgée, mais prématurément, cela se voyait ; car, si ses cheveux étaient blancs, on aurait vainement cherché une ride sur son pâle visage. L’autre était une jeune fille d’une vingtaine d’années. Aux soins dont elle entourait la femme âgée, on devinait que cette femme était sa mère.

La jeune fille portait une petite valise. Cette valise était lourde ; elle devait sembler plus lourde encore, à cause de l’extrême chaleur qu’il faisait. Si, mu par la curiosité, un passant eut voulu connaître les noms de ces deux femmes, il n’aurait eu qu’à jeter les yeux sur une étiquette collée à la petite valise que portait la jeune fille ; on pouvait y lire : « Mme Lecour. »

« Vous êtes bien fatiguée, mère ! » dit tout à coup, la jeune fille.

— « Nous sommes fatiguées toutes deux, je crois, ma chérie, ” répondit Mme Lecour d’une voix faible.

— « La chaleur est si grande ! » s’écria la jeune fille.

— « Et nous marchons depuis si longtemps ! »

— « Au lieu de suivre la route ainsi, mère, pourquoi ne cheminons-nous pas à travers le bois ? Ces grands arbres que nous voyons, là-bas, nous protégeront de leurs ombres. »

— « Tu as raison, chère enfant » répondit Mme Lecour.

Toutes deux quittèrent la grande route et s’enfoncèrent sous bois ; la chaleur était plus supportable ainsi. Elles marchèrent en silence pendant quelques instants, puis Mme Lecour dit :

« Combien nous reste-t-il d’argent Éliane ? »

— « Il nous reste à peu près deux dollars, » répondit la jeune fille ; « mais nous pouvons, avec cette somme, trouver à nous loger cette nuit, mère… De plus, nous avons des provisions dans cette valise. »

— « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Quel sort est le nôtre ! » s’écria Mme Lecour éclatant en sanglots.

— « Ne pleurez pas ainsi, mère, je vous prie ! Je trouverai de l’emploi à Smith’s Grove, je l’espère et… »

— « Dieu le veuille, ma pauvre enfant, Dieu le veuille ! » soupira Mme Lecour. Puis elle s’arrêta, posa la main sur son cœur et murmura : « Mon cœur !… Je ne puis aller plus loin, Éliane. »

— « Asseyons-nous ici, mère ; nous nous reposerons un peu. »

Éliane était très inquiète. Mme Lecour avait le cœur faible, si faible que le médecin avait dit à la jeune fille qu’elle pouvait s’attendre à voir sa mère mourir subitement d’un jour à l’autre, même d’un moment à l’autre. Aussi, de quels soins elle l’entourait cette mère chérie, qui avait tant souffert, et avec quelle ferveur elle priait Dieu de la lui conserver encore de longues années !

Mme Lecour se remit à marcher lentement, mais, soudain, ses pieds s’embarrassèrent dans des broussailles, sans doute et elle tomba. Éliane essaya de relever sa mère, mais celle-ci, tout à coup, se mit à enfoncer et enfoncer sous terre, puis elle disparut aux yeux de sa fille.

Éliane, stupide d’étonnement et de frayeur, regardait l’endroit où sa mère venait de disparaître, puis elle se mit à appeller…

« Mère ! Mère ! »

— « Ici, Éliane, » dit la voix de Mme Lecour. « Je suis tombée dans une sorte de caverne, je crois, et je suis saine et sauve… excepté que je me suis fait mal à un pied en tombant et j’en souffre un peu. »

Éliane mit un genou en terre et essaya de reconnaître le terrain avec ses mains. Bientôt, ses mains rencontrèrent une excavation qu’avait caché les lianes et les broussailles. C’est par cette excavation que Mme Lecour avait disparu. Éliane se laissa glisser par cette ouverture, à son tour ; comme l’avait dit Mme Lecour, c’était dans une caverne qu’elle était tombée.

Une vaste caverne, dont le dôme s’élevait à plus de huit pieds. Une caverne qu’on eut dit éclairée, à cause des stalactites et des stalagmites qui en recouvraient les pans et le plafond. Un sable blanc, très fin et très sec, recouvrait le sol de cette caverne.

Qu’était-ce que cette caverne ?… Éliane le devina ; c’était une partie encore inexplorée des Mammoth Caves, qui attirent tant de visiteurs et dont les couloirs se ramifient, assure-t-on, des milles et des milles sous le sol Kentuckéen.

Mais, il s’agissait de sortir de cette caverne au plus vite. Éliane essaya de relever sa mère ; mais Mme Lecour ne put se lever. Elle s’était fait une entorse en tombant et elle en souffrait beaucoup. Pauvre Mme Lecour ! Déjà son pied était tellement enflé qu’Éliane dut couper sa chaussure afin de pouvoir la lui enlever.

La jeune fille retira un manteau et une couverture de la petite valise, puis elle aida sa mère à se coucher. Mme Lecour souffrait tellement qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de se plaindre.

« Attendez, mère, » dit Éliane.

Elle se glissa hors de la caverne puis elle revint, portant de l’eau dans son chapeau, faute d’autre récipient. Cette eau Éliane la versa dans un creux du rocher formant un bassin naturel. Ensuite, elle prit une serviette qu’elle imbiba d’eau et elle appliqua cette serviette sur le pied de Mme Lecour, qui se sentit immédiatement soulagée.

« Nous passerons la nuit ici, Éliane, » dit-elle. « Je ne pourrais marcher d’ailleurs et cette caverne est un bon abri. »

— « Comme vous voudrez, mère. Cependant, j’aimerais mieux vous voir couchée dans un lit confortable… Souffrez-vous beaucoup, mère chérie ? »

— « Je souffre un peu moins, Éliane… Si tu pouvais trouver le camphre qui est dans la valise et m’en faire une compresse, je crois que j’en éprouverais du soulagement. »

Éliane eut vite fait de trouver la bouteille de camphre. Elle en imbiba la serviette dont elle enveloppa le pied malade.

— « Ce sera bien ainsi, » dit Mme Lecour ; « Je crois que je vais pouvoir dormir maintenant. »

Éliane enveloppa sa mère dans la couverture, sur laquelle elle étendit le manteau et bientôt, Mme Lecour s’endormait profondément, ce que voyant, la jeune fille alluma une bougie, qu’elle plaça non loin de sa mère. Elles avaient toujours une provision de bougies dans leur valise ; Mme Lecour prétendait ne pouvoir dormir dans l’obscurité ; conséquemment, ces bougies étaient indispensables.

Voyant sa mère profondément endormie, Éliane résolut d’explorer la caverne où le sort les avait conduites, toutes deux.