L’ange de la caverne/02/01

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Le Courrier fédéral (p. 114-119).

SECONDE PARTIE


L’IDOLE D’ANDRÉA

CHAPITRE I

LA DÉESSE FORTUNA

Pour la dernière fois, nous retournons en arrière pour parler de nos deux amis, Yves Mirville et Andréa, que nous avions laissés à une vingtaine de milles de Macapa, au Brésil et que nous venons de retrouver dans L’État du Kentucky, à moins de deux milles de Bowling Green.

Dès le premier jour, la fortune avait souri aux évadés de Cayenne ; le premier coup de pioche avait mis à nu des pépites d’or, et le petit rio charriait de l’or à pleines bassines. Yves et Andréa auraient pu faire l’acquisition d’instruments qui leur auraient été d’une grande utilité, tout en facilitant leur travail ; mais ils préférèrent employer des procédés rudimentaires, afin de ne pas dévoiler le secret de leur richesse ; richesse extraordinaire. Au bout de quelques semaines, ces hommes, qui avaient dû traverser l’Oyapok sur un îlot flottant, faute de quelques sous pour payer leur passage sur le bac, étaient en passe de devenir millionnaires.

L’or semblait gîter autour de la maison d’Andréa seulement, car, des fouilles faites ailleurs, ne donnèrent aucun résultat. Sans doute, ils ne parviendraient jamais à épuiser toute la richesse de ce terrain ; mais, qu’est-ce que cela leur faisait ?… Leur but était d’atteindre une confortable aisance… et ils seraient bientôt millionnaires…

Ils étaient heureux, ces deux hommes, quand, après une journée bien remplie, ils se mettaient à table dans leur confortable maisonnette. Ou bien, assis sur la veranda, ils faisaient des projets d’avenir, si prêts à se réaliser.

Enfin, Yves et Andréa purent calculer que leur fortune s’élevait à un million et au-delà. Alors, ils résolurent de quitter définitivement l’Amérique du Sud et de s’acheminer vers le Canada, ou bien vers les États-Unis d’Amérique.

Après avoir cherché longtemps un endroit où fixer leur résidence, ils arrêtèrent leur choix sur Bowling Green et voici comment. Un jour qu’ils se promenaient en automobile, ils parvinrent aux environs de Bowling Green. Une maison inachevée, une splendide demeure, attira leur attention… et leur admiration. Cette maison avait été commencée ; mais les travaux avaient été discontinués, faute de fonds. Yves et Andréa firent donc l’acquisition de cette riche propriété, qu’on désignait, à Bowling Green du nom de « Castel Symson, » pour un prix dérisoire et ils s’y installèrent aussitôt.

Une clôture en fer forgé, du plus artistique travail, entourait la propriété, qui était de plusieurs arpents d’étendue. Cette clôture, dessinée par Yves, faisait l’admiration de tous. Au-dessus des barrières d’entrée était le nom de la propriété ; ce nom avait été choisi par Yves.

Un jour, Yves dit à Andréa :

« Avez-vous bien examiné la clôture et les barrières qui entourent notre propriété, Andréa ? »

— « Elles sont magnifiques, Mirville et je trouve que vous êtes un véritable artiste d’en avoir dessiné le plan. »

— « Mais, avez-vous vu comme c’est joli, du chemin, Andréa ? persista Yves.

Souriant, Andréa suivit Yves et celui-ci le conduisit devant les grandes barrières donnant accès à leur domaine : au-dessus de ces barrières était le nom de la propriété.

« Villa Andréa » lut Andréa. « Mirville ! » s’écria-t-il « Pourquoi avez-vous fait cela ?… J’aurais préféré que vous donniez votre nom à notre propriété ! »

Mais, au fond, Andréa fut ému de la délicatesse d’Yves, croyez-le.

« C’est votre or, Andréa, qui a acheté cette propriété, » dit Yves « et il est bien juste qu’elle porte votre nom, je trouve ! »

— « Merci, Mirville, » dit Andréa… « Mais, dorénavant, c’est vous qui prendrez l’initiative, n’est-ce pas ?… Moi, je n’ai pas l’usage du monde et de la bonne société… Puisque vous désirez que nous sortions et que nous donnions des réceptions… »

— « Assurément, oui, je le désire Andréa !… Vous le savez, » ajouta Yves, d’une voix plus basse, « elles ont quitté la France pour l’Amérique du Nord… J’ai pu les retracer jusqu’à l’État du Kentucky… Je les cherche et ne désespère pas de les retrouver un jour… Mon Éliane !… Qui sait ?… »

— « Je l’espère pour vous Mirville ! » s’écria Andréa.

Quand ils furent de retour à la maison, Yves dit à Andréa :

« Maintenant que nous voilà installée ici, mon ami, n’oublions pas de donner de nos nouvelles à M.  et Mme Duponth. Ces braves gens !… Nous leur avions promis de nos nouvelles ; je vais leur écrire tout de suite. »

Le soir même, une lettre signée des noms d’Yves Mirville et d’Andréa, partait à l’adresse de M.  et Mme Duponth. Certes, ils le savaient, M.  et Mme Duponth répondraient à cette lettre, et ce n’est pas sans une grande hâte qu’Yves et Andréa attendaient cette réponse.

Ce n’est qu’au bout d’un assez long temps, cependant que leur arriva une lettre bordée de noir, portant le timbre de Macapa. Bien vite, cette lettre fut ouverte ; elle venait de Mme Duponth.

Le malheur s’était acharné sur cette brave femme. Depuis six mois, M. Duponth, son mari, était mort, puis la maisonnette du passeur, où Yves et Andréa avaient passé des jours si tranquilles, si heureux, ainsi que le magasin qui y était attaché avaient été la proie d’une incendie. Les assurances sur le tout étant presque nulles, Mme Duponth était pauvre, très-pauvre même… Elle vivait chez sa sœur, à Macapa, mais sa sœur n’était pas riche, elle non plus ; de plus ; elle était chargée de famille… Si messieurs Mirville et Andréa pouvaient trouver un emploi pour elle, à Bowling Green, ou dans les environs, avec quelle joie elle l’accepterait !

Vous le pensez bien, Yves et Andréa résolurent, aussitôt, de faire venir Mme Duponth à Bowling Green. Ils avaient besoin d’une ménagère et pourraient-ils demander mieux que cette bonne Mme Duponth ?… On lui remettrait toute la responsabilité ; c’est elle qui commanderait au personnel de la villa Andréa. Quelle joie de pouvoir lui rendre un peu ce qu’elle avait fait pour eux, jadis !  !

Un chèque fut envoyé à la veuve du passeur, chèque qui couvrirait — et de reste — ses frais de voyage de Macapa, Brésil, à Bowling Green, Kentucky, puis on attendit son arrivée avec impatience.

Ce fut un soir que Mme Duponth arriva à Bowling Green. Yves et Andréa ayant été avertis par dépêche, étaient à l’arrivée du train, pour la recevoir. Si la surprise de Mme Duponth fut grande en prenant place dans le somptueux auto appartenant à Yves et Andréa, elle n’en fit rien voir ; mais elle ne put retenir une exclamation d’étonnement et d’admiration en apercevant la villa Andréa… Elle avait bien supposé que ces deux hommes avaient eu le bonheur de réussir, mais, de là à les croire millionnaires et possesseurs d’un pareil château, il y avait loin ! Au moment où Mme Duponth descendait de l’automobile, un chien lévrier s’en vint, en gambadant, autour d’elle et lui présenter sa patte : c’était Tristan. Tristan n’avait pas oublié les bols de lait chaud dont il avait été régalé dans la maisonnette du passeur.

« Mais, c’est ce bon Tristan ! » s’écria Mme Duponth, en faisant une caresse au chien.

Un hennissement attira son attention ensuite et la veuve aperçut un cheval à la robe blonde, à la crinière noire, qui prenait ses ébats dans un enclos.

« Si je ne me trompe pas, » dit Mme Duponth, en désignant le cheval, « c’est Vol-au-Vent ! »

— « Oui, c’est Vol-au-Vent, Mme Duponth », répondit Yves. « Et il y a une jolie voiture à votre disposition, quand vous aimerez à vous promener. Vol-au-Vent est facile à conduire et il est doux comme un agneau, comme vous le savez. » Des larmes vinrent aux yeux de Mme Duponth ; elle allait être si heureuse ici !…

Mais le bonheur de la nouvelle ménagère fut complet quand on la conduisit dans deux grandes pièces, attenant l’une à l’autre, pièces bien éclairées et très-confortablement meublées, que l’on mettait à sa seule et entière disposition.

« C’est donc un palais que la villa Andréa ! » s’écria-t-elle. « Et ces deux magnifiques pièces sont à moi ?… » demanda-t-elle, des larmes dans la voix. « Je serai logée comme une princesse ! »

— « Chère Mme Duponth, » répondit Yves, « n’avez-vous pas mis toute votre maison à notre disposition, dans un temps où nous étions sans gîte, mon ami M. Andréa et moi ? »

— « J’espère que vous vous plairez ici, Mme Duponth, » dit Andréa. « Nous allons vous confier toute la direction de la maison et des domestiques. »

— « Merci ! Oh ! merci ! » répondit Mme Duponth, en pleurant… « J’espère pouvoir bien m’acquitter de mon devoir afin de reconnaître ainsi la confiance que vous mettez en moi, Messieurs. »

Et c’est ainsi que Mme Duponth devint la ménagère de la villa Andréa et que nous la trouvons à Bowling Green, elle aussi.

Les visiteurs ne tardèrent pas à se présenter à la villa Andréa. Quand on a la réputation d’être millionnaire et qu’on possède un véritable château pour demeure, les courtisans ne font pas défaut. Yves et Andréa rendirent les visites, puis ils furent invités à des réceptions et à des soirées. Il est vrai qu’Andréa aurait préféré ne pas se mêler à la société de Bowling Green et de ses environs ; mais Yves avait tellement insisté qu’à la fin, il avait consenti à accompagner son ami partout.

Toutes ces politesses, Yves et Andréa se proposaient de les rendre sous peu, en donnant un grand bal, dont on parlerait longtemps à Bowling Green. La date de ce bal était presque fixée, quand un accident conduisit Éliane, accompagnée de Castello et de Lucia, à la Villa Andréa. Cette jeune fille… Ces gens mystérieux qui l’accompagnaient… et dont elle semblait avoir un peu peur… Qui étaient-ils ?… Yves et Andréa, très-intrigués à ce sujet, en oublièrent, pour le moment, le bal projeté ; mais ils continuaient à assister aux réceptions et aux soirées auxquelles ils étaient invités toujours si chaleureusement…

C’est qu’ils espéraient y rencontrer cette jeune fille qui se nommait Éliane et qui les avaient si paternellement intéressés.