L’art dans l’Afrique australe/10
D’ailleurs, avant que vous le disiez, vous en aviez un que je savais : « Vous « vous appelez mon frère. »
ous venons d’avoir aujourd’hui la réunion
des catéchumènes de tout le district, et, comme le temps était beau et pas trop chaud, nous avons eu une nombreuse assemblée, la plus belle que nous ayons encore vue ici dans ce genre.
Tous les convoqués n’étaient pas là ; dans un sens cela est heureux, car je ne sais où ils auraient pu se caser. Notre vieille chapelle était aussi pleine que possible avec quatre cent quarante néophytes ; aussi présentait-elle un coup d’œil des plus émouvants.
Il y avait là tous les âges et toutes les conditions ; des vieillards, qui avaient longtemps résisté aux appels de Dieu, et qui pouvaient répéter ces paroles d’une poésie faite par un de nos amis :
J’ai laissé, brebis égarée, |
Des hommes dans la force de l’âge, qui pouvaient s’approprier ce que disait ce matin Selele, qui porte le nom peu solennel de « Nid de souris » : « J’ai rôdé dans des plaines desséchées, c’est-à-dire : j’ai gâché ma vie. »
Enfin, beaucoup d’enfants, bergers, élèves des écoles, aspirant sincèrement, j’aime à le croire, à suivre le Maître humble et débonnaire.
L’appel des noms que je dus faire prit pas mal de temps, d’abord à cause des nombreuses absences, puis à cause des noms eux-mêmes qui n’étaient pas toujours aisés à prononcer ou qui me surprenaient par leur étrangeté ou leur inattendu, comme : Krotu-Krotu, Qapu-Qapu, Mpochopocho, Nchaochao, Jaja, etc., ou par leur côté inquiétant, comme le nom de cette jeune fille qui, ce matin, a répondu à l’appel de son nom : Tsitsili, — un insecte plat, brun, mal odorant, qu’on n’ose plus désigner en français — et dont le père s’appelle — fâcheuse coïncidence — Ramotoho, le père de la bouillie !
Il y avait là aussi plusieurs femmes ou fillettes portant le nom propre et commun, tout à la fois, de Moselantja (queue de chien), ou celui de Kokonyana (insecte), Tsienyane (petite sauterelle), Makudubété (têtard), Maru a pula (nuages de pluie), à côté de noms d’hommes plus relevés : Motsuahole (celui qui vient de loin), Thébè-ea-pelo (bouclier du cœur), Mothokeng (qu’est-ce que l’homme ?) ; puis Ntsepas (montre ton permis), et Molefakrotla (celui qui est à l’amende).
Mon homonyme, baptisé ainsi par un collègue, sur le désir de son père, Féra (celui qui pose sa charpente sur sa maison) était absent ; ainsi que Kromo-ea-baroa (bœuf de Bushman) ; mais Moitlisi (celui qui s’amène) était des nôtres, naturellement ! ainsi que le fils de mon ancien ami, Ratsabadira (le père de celui qui a peur des ennemis). En français, ces noms paraissent un peu longs, mais en sessouto on n’est pas du tout aussi pressé.
Ces noms et surnoms sont curieux et bizarres et aident à
connaître les indigènes, qui semblent y mettre tout leur esprit et même tout leur sens caustique. Du reste on prend l’habitude
de ces noms et surnoms, et personne ne pense
pelaelobeaucoup à leur signification. On oublie que le
vieux Matlakala s’appelle « brin de paille » ; tel
autre Dipudimabeleng (les chèvres sont dans le
champ) ; ou encore Khomobolela (le bœuf parle),
et Moyakhomo (celui qui accapare les bœufs).
Tout cela n’est pas beaucoup plus étrange que
de s’appeler comme cet Anglais : Ireleaven (levain
d’irritation) ; ou comme un autre Woodhead
(Tête de bois), ou bien encore Smartenrijke
(riche en douleurs), comme
un Boer de nos environs.
motchotchonono Il y a là aussi, outre des
noms venant de circonstances,
comme Pula (la pluie),
Motchotchonono (comète), etc.,
d’autres provenant
de croyances superstitieuses, car
un nom laid doit éloigner de l’enfant
la maladie ou les accidents,
par exemple ceux de : Nguanatsuene
(enfant de singe), Lefulebe
(mauvaise mort), Mohlokakobo (qui
n’a pas de vêtement) ; sans oublier
Pelaelo, gentille fillette de parents
païens dont le nom veut dire :
« arrière-pensée ». N’oublions pas
non plus le nom au moins bizarre de Mamenyemenye (la mère de la viande de conserve), et celui de mon vieil ami Ramakhoaba (le père des corbeaux).
Les surnoms se confondent
ramakhoaba avec les noms et se ressemblent
pour nous, mais
pas pour les indigènes. Ainsi,
un jour que je disais à Adelina :
« Le nom de ton mari,
c’est bien Rakatiba » (le père
du chapeau) ? il me fut répliqué
d’un ton un peu choqué :
« Mais non, son vrai
nom, c’est Krolabolokoe (scarabée). »
Il est, par conséquent,
peu aisé de retenir tous les
noms et prénoms des membres
la vieille sana
de l’Église
et des catéchumènes, d’autant plus que
souvent les indigènes sont nommés d’après
le nom de leur premier enfant,
précédé du mot Ra ou Ma, père
ou mère d’un tel.
Cela embrouille pas mal les choses pour nous, car chaque individu peut avoir presque autant de noms qu’un grand d’Espagne.
Cela est dommage, d’autant plus que les indigènes aiment bien qu’on les connaisse par leurs noms, et pour les savoir il faut parfois user de circonlocutions, quitte à obtenir peut-être ce qu’une femme me donna pour réponse : « Regarde dans le registre de l’église et tu verras ! »
Ce n’est pas nous qui poussons les indigènes à prendre des noms bibliques ou des noms retentissants, comme ceux de Napoléon Sepagela, Pénélope Letsié ou Elisha Raphaël ; mais cela est quelquefois nécessaire, par exemple quand un néophyte répond au nom de Ntja (chien), ou de Hlohiloe (qui est détestée), ou Ntloheleng (laissez-moi tranquille), ou même aussi Ntsehiseng (faites-moi rire), ou à d’autres tout aussi aimables.
II. peinture dans le village de krotso, près thaba-bossiou (pays de bassouto).
Mais, en général, il n’est pas du tout nécessaire, pour être membres de l’Église, de s’appeler Petrose, Absalome ou Madelena ; ni même Candace, Olympe, Abiathar ou Abed-Nego… Les noms indigènes font l’affaire aussi bien que ceux venant de nos langues mortes.
Parfois, dans leur désir d’avoir des noms bibliques, certains
de nos membres d’Église, pour en avoir de nouveaux, vont un
peu loin, comme celui qui voulait que je baptise sa fille du nom
peu recherché de Jésabel ; sans parler de
jakobo krachane lédimoCornélia, une brave femme de notre voisinage,
dont le mari répond, et pas toujours
très aimablement, au triste nom de Tibère.
À ce propos, je me souviens d’un chef de famille chrétien qui avait nommé son fils aîné Matthieu, d’après l’évangéliste, le second fut Marc, puis arrivèrent Luc et Jean ; enfin, lorsque le cinquième aborda, on lui octroya bravement le nom de Diketso !… (Actes des Apôtres).
Les Bassouto commencent à prendre des noms de famille, ce sont ceux de leurs grands-pères qu’ils ajoutent à leurs noms, ce que, naturellement, nous encourageons de notre mieux ; aussi avons-nous : M. Zakea Bathobakae (où sont les hommes), Mme Sofia Radinku (le père des moutons), M. Bethuch Sekokotoane (la petite chose brillante), M. Filipi Khomoeaka (mon bœuf), puis mon vieux et brave ami Jakobo Lédimo (cannibale), etc.
Ne nous hâtons pas trop de blâmer la coutume généralement adoptée par nos néophytes de changer de nom lors de la réception dans l’Église par le baptême. Cette coutume est un peu l’image d’une vie nouvelle, et une sorte d’appropriation de ce « nouveau nom » dont il est parlé dans le livre de l’Apocalypse (II, 17). On nous parlait un jour d’un vieux renégat qui, entendant inopinément son nom d’Esdras, avait été par ce seul fait comme rappelé à lui-même et réveillé dans sa conscience.
Parfois il peut nous être bon, ainsi qu’Alexandre le Grand le dit à un de ses soldats portant le même nom que lui, de nous souvenir du nom que nous portons !
- ↑ La fleur placée en tête de ces lignes est une églantine du Cap à laquelle on a octroyé le surnom peu poétique de Rose de chien.