L’art dans l’Afrique australe/12
L’art au Zambèze
Or, je viens vous révéler la beauté cachée.
Et il leur enseigna l’Évangile.
n a fait des livres sur l’art chez les
Arabes, les Chinois, les Indous, etc., on pourrait au moins écrire un chapitre sur l’art chez les habitants des
bords du Zambèze, et l’on serait étonné de tout ce qu’il pourrait contenir de curieux et d’original.
De toutes les races qui peuplent le Sud africain, celle qui
semble la plus douée, au moins sous le rapport artistique,
c’est celle des Barotsi, parmi lesquels nous comprenons : les Ma-Totela, les Ba-Toka, les Ma-Soubiya et les Ma-Chikoloumboué,
etc., qui habitent la même
région.
couteau et sa gaine
Dans un sens, ces indigènes se rapprochent un peu — nous disons un peu — des Japonais, qui ornent tout ce qui leur sert et font un bibelot artistique de l’objet le plus banal.
Les Zambéziens sont fort loin
d’être aussi civilisés, d’avoir l’esprit éveillé et le génie de
sepora, tabouret zambézienceux-ci, cela est entendu ; ils
ne sont pas Japonais, mais
tout simplement des nègres
de « l’Afrique centrale du
Sud », encore bien arriérés et
ignares, ce que, malgré certains
progrès dus à l’œuvre
missionnaire, nous avons pu
surabondamment constater,
dans le récent voyage que
nous venons de faire dans leurs
parages.
modèles de piroguesPar exemple, la pirogue, qui
leur est aussi indispensable que
le cheval pour l’Arabe et le
renne pour le Lapon, et qu’on
peut comparer à l’admirable
kayak ou périssoire des Esquimaux,
sera ornée de lignes géométriques comme les modèles ci-dessus ; la rame elle-même
et jusqu’à l’épuisette seront très souvent les sujets de motifs d’ornements plus ou moins importants.
impora, tabourets en bois sculpté
Les dipora ou tabourets, qui, chez les Bassouto, ne prêtent nullement à la décoration, quelques morceaux de bois et de cordelettes suffisant pour les fabriquer, sont pour les Barotsi, qui n’aiment pas s’asseoir par terre, les prétextes de combinaisons infinies souvent très heureuses.
mesamo, oreillers zambéziens
On peut faire la même observation pour les mesamo, ou oreillers en bois sculpté, qui parfois sont d’une régularité et d’une élégance rares.
D’autres tailleurs en bois produiront des animaux d’une
finesse et d’une distinction qui surprennent. Il est certain que
cuillère
faite par un zambézienbon nombre de ces œuvres se rattachent le plus souvent
au principe cher à l’école de l’art pour l’art, car le Zambézien,
qui met sur un couvercle de plat un éléphant ou
un hippopotame, a pour premier désir de représenter le
mieux possible les pachydermes royaux de son pays, sans
se soucier beaucoup de la question de l’art appliqué à
l’industrie ; de même pour cet autre qui façonne un crocodile,
qui taille des canards sur le manche d’une cuiller,
ou qui place des tortues sur le sommet d’un pot. Entre
parenthèses, ajoutons que les pots en bois sont très divers,
souvent très artistiques
dans leurs moindres détails,
et comme chez les
pot en bois sculptéanciens Grecs de noms
fort différents, correspondant
à leurs
destinées particulières,
et cela
n’est pas une
des parties les
moins intéressantes
de l’imagination
si ingénieuse et si riche
des Zambéziens.
Le célèbre missionnaire
Livingstone avait observé que
les enfants même s’ingéniaient à faire en terre glaise toutes sortes de représentations d’animaux,
bien supérieures à ce que font les gamins bassouto,
cuillère faite par un zambézienqui s’en tiennent le plus
souvent à des types
conventionnels représentant
le bœuf et le cheval.
Rien que la manière
dont les jeunes Barotsi reproduisent les cornes des différentes
antilopes de la contrée,
figures en terre glaisemontre une remarquable
faculté d’observation et
un don d’imitation pas du
tout ordinaires.
Les mêmes font aussi de délicates figurines, témoignant d’une grande habileté et d’un sens artistique unique dans tout le Sud africain. Ces essais ne sont pas parfaits, cela va sans dire — rien ne l’est ici-bas — par exemple, cette girafe ressemble plutôt à un lama, animal inconnu en Afrique ; mais est-ce que beaucoup de jeunes gens en France, voire même en Suisse, pourraient sans préparation réussir aussi bien un éléphant ou le moyabatho « le mangeur d’hommes », la terreur des riverains du grand fleuve ?
figurines en terre glaise
faites par deux barotsi : moanza et imakombim Quant au cheval qui surmonte
le peigne que nous donnons
plus loin, il est de date
récente, car le cheval était
inconnu avant l’arrivée des
blancs dans le pays. Le naïf
sculpteur en bois avait été
frappé par des détails qui lui
avaient semblé bien étranges,
et il n’a pas craint de
les souligner, tels que
la crinière et la queue,
animaux sculptés en bois par des zambéziens
(Musée de Prétoria)sans oublier le chapeau du cavalier, qui, lui encore,
était un article bien nouveau.
Les Zambéziens, surtout les Ba-Toka, travaillent le fer avec une grande facilité, ils fabriquent des couteaux, des clochettes, des alènes d’une ténuité extrême, des clous et des sagaies de tous genres et de toutes dimensions.
L’ivoire, comme nous l’avons pu voir par l’épingle à cheveux ornée d’éléphants déjà montrée plus haut, est taillé avec soin et avec goût, les bracelets et épingles, des bagues même, deviennent vite des objets d’art, tel
le piano des barotsi « kambodio »Enfin, dans l’art du vannier,
déjà pratiqué chez les
Bassouto et les Magwamba,
les Barotsi sont passés maîtres,
certaines de leurs corbeilles
aussi, très diverses
d’usages et de formes, sont
des œuvres de premier ordre ;
parfois le travail est si
serré qu’on peut y conserver
du lait et de la bière indigène ;
les corbeilles et paniers,
faits avec la racine d’un arbuste[1] ainsi que les nattes
tressées avec du papyrus
natte du zambèzeou du roseau
sont fréquemment ornés
de figures ou de
dessins géométriques
d’un imprévu souvent
très réussi et qui semble
dire que le fin
vannier se jouait des
difficultés.
Quant aux instruments
de musique, ils sont bien supérieurs à ceux des autres tribus du sud de l’Afrique, depuis le Kamgobio que certains
amateurs ont toujours en mains, jusqu’aux grands tambours de
guerre qu’on ne frappe que pour les
enfant missionnaire,
et grandes poupées en bois
faites par des zambéziensappels aux armes, et qui dénotent un
esprit des plus inventifs tout en étant
peut-être les restes d’une civilisation
passée.
Les habitations, surtout celles des chefs principaux, sont remarquables ; celles des princes de Séshéké, que nous avons pu visiter, ont vraiment grand air avec leurs vérandas soutenues par des colonnes de bois et la belle et spacieuse cour de roseaux qui les entoure.
Tout ceci nous montre bien que, selon que l’a dit un savant[2], « l’intelligence des sauvages est au fond de même essence que la nôtre, et leurs aptitudes identiques aux nôtres ».
plat en bois sculpté