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L’aveugle de Saint-Eustache/Rencontres

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (10p. 59-63).

XX

RENCONTRES


Dans la neige et le vent Olive galopait, contente de l’œuvre accomplie, fière de sa haine satisfaite. Louisette était définitivement en son pouvoir, et bientôt elle allait savourer le fruit si enivrant de sa vengeance en jetant la chair vierge de cette jeune fille en pâture aux loups de la société. Cette vision fascinait Olive, son cœur trépignait d’une joie âpre, farouche.

Quelle étrange fille que cette Olive ! Quelle volte-face si soudaine surgissait du fonds de cette âme mystérieuse ! Quels revirements dans sa mentalité peut-être maladive ! De quels contraires cette nature fragile, parfois si énergique et si indomptable, se trouvait pétrie ! L’analyse la plus subtile ne parviendrait pas à défricher le formidable mélange des sentiments et des pensées de cette nature presque phénoménale. En effet, étudions-là en passant : elle aime, et elle clame qu’elle hait ! Elle n’aime pas et s’imagine qu’elle aime ! Dans le premier cas, c’est Jackson ; dans le second, c’est Guillemain. Et elle est jalouse : de l’un, de l’autre, de tout ! Elle se dit outragée, et elle jure de se venger. Oh ! la vengeance… comme elle l’appelle, comme elle la conjure, comme elle est prête à l’accepter sous quelque forme qu’elle se présente ! Elle sent qu’elle ne reculera devant rien ! Le crime le plus monstrueux ne la fait pas frémir… elle veut se venger coûte que coûte ! Et pourtant, quand l’heure est venue, elle hésite, elle recule… Elle a vu Louisette presque sous la griffe et la dent de Thomas, elle a deviné les désirs mauvais du satyre, et la vengeance était là tout à sa portée ! Pourtant cette divination l’a épouvantée ; ces désirs de Thomas l’ont horrifiée ! Oui, au prix de sa propre vie, elle aurait empêché que la main sacrilège du monstre humain ne se posât sur Louisette, cette pure enfant. Elle l’a arrachée des mains de l’affreux vilain, pour empêcher une profanation ! Et maintenant, cette action généreuse accomplie, Olive vit toujours de l’espoir d’une vengeance, et cette vengeance a la même forme que celle devant laquelle elle a eu peur ! À cette heure, Olive Bourgeois ; triomphante, songe à donner Louisette aux appétits sensuels de quelques jeunes fous que son frère, Félix, appelle ses amis ! Oui, à l’avance, Olive éprouve comme une jouissance infernale, non du mal qu’elle va faire à Louisette, mais plutôt de la blessure inguérissable qu’elle pense creuser dans le cœur de l’Américain, Jackson. Car, disons-le, plus que jamais Olive croit que Jackson est amoureux de la jolie Louisette, et plus que jamais elle veut que ce Jackson ne trouve plus, au lieu de la pure Louisette, une jeune fille avilie.

Et cette espérance était tellement avide qu’Olive ne pouvait s’empêcher de murmurer avec une joie sauvage :

— Oh !… il a préféré ma haine à mon amour… tant pis ! Je saurai bien lui prouver que je ne suis pas à dédaigner et qu’on ne me dédaigne pas impunément !

Encore une autre bizarrerie de cette fille ! Pour faire taire les voix intérieures qui l’accusent d’avoir la première, manqué à la parole donnée, elle jette tout le blâme sur celui qui, à cette heure encore peut-être, songe à lui donner tout son amour, toute son âme ! Olive a repoussé Jackson, elle l’a éloigné, elle l’a outragé ; à présent, elle accuse le jeune homme de l’avoir dédaignée, elle ! Et elle veut se venger de ce dédain… Mais passons.

Donc Olive Bourgeois galopait à travers ce temps de tempête. Comme elle approchait du village de Saint-Benoît, elle aperçut une troupe de cavaliers s’arrêter au croisement de deux routes. Inquiète, et voulant éviter cette rencontre nocturne, Olive dirigea sa monture derrière des buissons bordant la route. Elle pouvait là, dissimuler facilement sa présence.

La troupe s’était arrêtée un moment comme pour s’assurer de son chemin. Olive saisit un murmure de voix, puis elle vit les cavaliers prendre la direction du village de Saint-Benoît et passer bientôt à trois pas d’elle. À cette minute, l’un des cavaliers lança un éclat de rire sonore aussitôt emporté par le vent. Mais cet éclat de rire fit tressaillir Olive : la jeune fille avait cru reconnaître la voix de son frère. Oui, cela lui avait paru le rire de Félix.

Elle lança aussitôt son cheval à la suite des cavaliers et jeta le nom de son frère. Ce fut plutôt un cri, un appel vague… la troupe s’arrêta. L’un des cavaliers rebroussa chemin et s’avança à la rencontre de la jeune fille, demandant d’une voix un peu moqueuse :

— Hé ! mon bel ami, est-ce après nous que tu cours ainsi ?

— Félix ! prononça Olive.

Stupéfait, le cavalier s’écria :

— Est-ce vraiment toi, Olive, que je trouve sur cette route, dans cette tempête ?

— J’allais te rejoindre à Montréal… expliqua Olive.

Les sept ou huit cavaliers, qui composaient la petite troupe, venaient d’entourer, très curieux, le frère et la sœur. Félix leur dit :

— Messieurs, voici ma sœur, Olive, qui s’en venait me voir à Montréal.

Les cavaliers s’inclinèrent poliment et s’écartèrent un peu par discrétion.

Alors, Olive demanda :

— Tu as donc sitôt quitté Montréal ?

— C’est vrai. Et j’ai le plaisir de t’apprendre qu’on m’a donné un régiment à commander ; je suis capitaine. Vu ma connaissance du pays, le général Colborne m’a confié une mission d’importance.

— Je te félicite Félix.

— Aussi, reprit le jeune homme avec un geste de fatuité et un accent haineux, tu peux être assurée que je ne négligerai rien pour venger les outrages qu’on nous a faits. J’ai juré qu’il ne resterait pas une pierre de Saint-Eustache, et tu verras que je saurai tenir mon serment.

— Bien, dit Olive, j’aime t’entendre ainsi parler : tu te vengeras et tu nous vengeras tous. Très bien. Mais songe aussi que j’ai également une vengeance à assouvir, une vengeance personnelle, une vengeance que je ne peux laisser en d’autres mains que les miennes !

— Tu veux parler de l’Américain Jackson ? Sois tranquille, ma sœur, celui-là ne sera pas plus épargné que les autres.

— Tu ne me comprends pas, Félix. Ma vengeance n’est pas de celle que tu prépares. Ne te rappelles-tu pas ce que nous avions convenu avant ton départ pour Montréal ?

— Tu veux parler de Louisette ?

— D’elle-même. À la minute où je te parle, Louisette est en mon pouvoir.

— Ah ! ah ! tu l’as reprise à Jackson ?

— Oui… et c’est par cette fille qu’il aime que je veux le frapper ! Tu me comprends ?

— Et je t’approuve.

— En ce cas, je compte toujours sur toi pour m’aider dans l’achèvement de ma vengeance.

Un sourire mauvais courut sur les lèvres de Félix.

— Où est Louisette ? demanda-t-il.

Olive le mit au courant des événements de la soirée. Elle termina ainsi :

— Je redoute que Jackson tombe sur notre piste, et il serait urgent qu’elle disparût du pays le plus tôt possible. Ne pourrais-tu l’emmener à Montréal ?

— Pas de suite. Mais je connais à Saint-Benoît une femme à laquelle je pourrais la confier pour quelques jours.

— Tu veux parler de la vieille Dupart ?

— Elle-même. Ta petite Louisette aura là une maman qui aura pour elle les attentions les plus délicates.

Et en même temps que ces paroles Félix fit entendre un rire sardonique.

Olive ne put s’empêcher de frémir.

Mais elle se rappela toutes les souffrances de sa jalousie, tous les tourments que lui causait l’amour qu’elle croyait tissé entre Louisette et Jackson, et elle se rappela aussi toute la haine qu’elle éprouvait pour l’Américain. Elle se raidit contre les sentiments de pitié qui cherchaient à pénétrer dans son cœur. Elle dit à Félix sur un ton farouche :

— Alors, viens avec moi, puisque l’heure de la vengeance a sonné ! Viens, Félix, car j’ai hâte que mon cœur soit dégonflé de toute cette haine qui l’étouffe.

— Si tu veux patienter une minute, Olive, je vais me consulter avec mes amis.

— Soit, je t’attends.

Cinq minutes plus tard, Olive, Félix et deux de ses compagnons partaient pour la maison de ferme où Louisette avait été conduite, pendant que le reste de la petite troupe, sur les instructions de Félix, continuait son chemin vers Saint-Benoît.

 

Immobilisés devant le cadavre du sieur Bourgeois, nos amis, Dupont, Le Frisé et La Vrille se demandaient par quel inconnu mystérieux La Vrille avait été assailli.

— Moi, disait ce dernier, j’crois pas aux revenants. Il y a donc un homme qui est entré dans la maison après moi, à moins qu’il n’y fût déjà et tandis que j’étouffais le vieux, l’homme inconnu m’a assommé.

— Si c’est vrai ce que tu dis, fit Dupont, l’homme doit être encore dans la maison ; car s’il était sorti par la porte, on l’aurait vu.

— Ce qui me ferait dire qu’il n’est pas sorti par la porte, dit Le Frisé à son tour, c’est que la porte était verrouillée à notre arrivée.

— Ça ne s’peut pas non plus qu’il soit sorti au travers des volets comme un esprit, ajouta Dupont.

— Si on visitait la cave, proposa La Vrille.

— C’est une idée, admit Le Frisé.

Et sans plus attendre il se dirigea vers une porte placée sous l’escalier. Les deux autres le suivirent.

La trappe fut levée. Un trou noir apparut aux yeux de nos amis, et une forte odeur de moisi leur monta au nez.

— Qu’un de vous autres apporte la bougie ! commanda Le Frisé.

Dupont courut à la table sur laquelle continuait de brûler une bougie de suif.

À l’aide de ce luminaire les trois amis descendirent dans la cave, mais il n’y purent découvrir aucune trace d’un être humain.

— Pas un chat ! dit La Vrille vexé. Je lui aurais si bien tordu le cou !

— Il nous reste encore le grenier à visiter, émit Le Frisé.

— Montons-y voir ! dit La Vrille.

Au moment où nos trois amis remontaient de la cave, quatre personnage pénétraient dans la maison.

De part et d’autres partirent des exclamations de surprise.

Des regards curieux d’abord, acérés ensuite, s’échangèrent.

La voix d’Olive se fit entendre, inquiète, tremblante :

— Quels sont ces hommes ?

On y voyait à peine dans la faible clarté projetée par la lueur de la bougie que tenait Dupont.

Un court silence suivit les paroles d’Olive. Puis, comme d’un commun accord, trois sabres furent rapidement tirés des fourreaux.

Mais pour répondre à la menace des sabres, trois couteaux brillaient sinistrement.

— Qui êtes-vous ? interrogea Félix d’une voix peu assurée.

— On va te le faire voir ! répondit La Vrille d’une voix sourde.

Alors, Dupont déposa la bougie sur une marche de l’escalier, et les trois amis se rapprochèrent lentement, le couteau levé du groupe formé par Olive et les trois militaires.

Instinctivement, ceux-ci firent un pas de recul.

Les trois compagnons allaient bondir…

Mais un cri perçant les arrêta.

Olive avait poussé ce cri. Et maintenant on pouvait voir la jeune fille, livide, penchée sur le corps inanimé de son père.

Le cri d’Olive, la lividité de ses traits, ce corps humain inerte, tout cela fut pour Félix un trait de lumière. Il prononça un juron et, le sabre haut, il s’élança sur les trois Patriotes.

Une voix impérative et retentissante l’arrêta net.

— Encore un pas, monsieur Bourgeois, un geste de plus, et vous êtes un homme mort !

Olive dans un cri de surprise, mais un cri dans lequel il n’y avait ni terreur, ni haine, prononça ce nom :

Andrew Jackson !…

Et Félix, en se retournant d’une pièce, aperçut en effet l’Américain qui du seuil de la porte qu’il n’avait pas encore franchie, le tenait en joue avec un pistolet. Derrière Jackson apparaissait Albert Guillemain avec une barre de fer dans ses mains.

Félix et ses deux compagnons reculèrent, gardant Olive au milieu d’eux comme pour la protéger contre les attaques des Patriotes qui, volontiers, ils prenaient, pour de véritables assassins.

Jackson et Guillemain s’étaient réunis aux trois autres Patriotes, et leur nombre à présent en imposait à leurs adversaires.

L’Américain salua Olive et dit d’un accent légèrement ironique :

— Cette fois au moins, mademoiselle, vous êtes bien accompagnée.

— Ah !…vous serez donc toujours sur mon chemin !… Olive avait déjà recouvré tous ses sentiments de haine et tous ses projets de vengeance. La première émotion causée par la surprise s’était dissipée.

— Ne vous ai-je pas prévenue, mademoiselle, que je me trouverais sur votre route chaque fois que vous tenteriez quelque œuvre de vengeance contre ceux que j’appelle mes amis ? Je tiens parole, voilà tout. Maintenant, je désire savoir ce que vous avez fait de Louisette.

C’est alors seulement qu’Olive s’aperçut que sa victime n’était pas là.

La peur de ne pas voir sa vengeance aboutir à la fin qu’elle avait tant souhaitée la fit trembler.

— Demandez à ces hommes ! dit-elle avec mépris en désignant les compagnons de Jackson.

— Je sais déjà, mademoiselle, que la jeune fille n’a pas été trouvée dans cette maison.

Olive pâlit et ses regards se troublèrent.

Jackson l’observait, sans haine, mais plutôt avec une sorte de douce pitié à laquelle se mêlait, une admiration dont il n’était pas maître. Car l’Américain trouvait Olive plus belle ainsi, encadrée dans ce tableau sombre et funèbre, et toute palpitante sous les émotions diverses qui l’assiégeaient. Elle regardait Jackson, sans haine non plus, et maintenant elle semblait lui demander avec anxiété de démêler le mystère qui entourait tout à Coup la disparition de Louisette. Et sous l’éclat des yeux noirs et brillants d’Olive l’ingénieur se sentait aller comme vers un aimant qui l’hypnotisait : comme jadis, il subissait avec une ivresse qu’il ne pouvait dompter l’attrait puissant de cette belle lionne qui, au lieu de rugir selon sa coutume, demeurait tout à coup timide, craintive. Et Jackson qui, pour narguer cette jolie lionne, aurait voulu trouver des paroles cinglantes, n’arrivait à trouver sur le bord de ses lèvres et tout près de tomber que des mots d’amour. Pour la centième fois, peut-être, il se demandait pourquoi le destin avait placé un abîme entre elle et lui !… Oui, pourquoi ?… Car Jackson reconnaissait que son amour continuait de vivre pour cette fille rebelle, aux contrastes si étonnants, aux impulsions si diverses, intrépide, fougueuse, et en même temps si sensible. Parfois elle rugissait et s’apprêtait à mordre ; puis, tout à coup, elle frissonnait de crainte et son verbe haut et impérieux devenait un balbutiement ! Elle méditait les plus sinistres projets de vengeance, et soudain sa rage et sa fougue tombaient au choc d’une émotion douce ! Olive était femme, et la fragilité de sa personne se mariait à la fragilité de ses projets et de ses décisions. Sa nature l’induisait vers la soumission, vers la passivité, mais si le souffle de son tempérament impulsif soufflait sur sa pensée, elle se révoltait, se cabrait, mais c’était toujours pour rentrer, tôt ou tard, dans sa propre nature.

Et à ce moment encore Olive subissait une de ces nombreuses et subites transformations. Non pas de comprendre qu’en cette minute un homme fort la dominait mais d’apprendre que Louisette n’était plus en ce lieu où elle l’avait laissée. Pour cette jeune fille innocente qu’elle avait condamnée à l’ignominie, Olive ressentait tout à coup une pitié indéfinissable ; elle tremblait à la pensée que Louisette ne fût tombée aux mains d’un gredin sans scrupules. Et ce malheur et leurs conséquences désastreuses en fussent retombés sur sa tête, elle se sentait responsable d’une monstruosité. Au sein de la tempête de ses sentiments Olive ne voyait plus le but désiré ; mais dans l’accalmie elle embrassait l’iniquité du but atteint. Alors, elle avait peur ; alors, elle regrettait l’action précipitée ; alors, elle se fût brisée pour réparer le mal accompli.

Et à cet instant encore, Olive, découvrant l’infamie de sa conduite à l’égard de la petite-fille du père Marin, rougissait de honte et d’horreur. Maintenant, elle était anxieuse de retrouver Louisette pour la rendre à son grand-père, pour la rendre à Jackson même. Dans le cœur de la jeune fille il n’existait plus à cette minute que deux sentiments : le repentir et l’angoisse. Plus de haine, plus d’amour, de cet amour violent qui souvent la brûlait et la poussait vers la folie, plus de projets de vengeance, plus de rugissements, plus de menaces… dans l’âme d’Olive une prière à Dieu naissait, montait. À Jackson qu’elle aurait voué à toutes les morts l’instant d’avant, elle était prête maintenant à implorer son aide pour retrouver Louisette. Et cette pensée lui fît faire cette question à l’Américain ;

— Avez-vous visité l’étage supérieur ?

Du regard Jackson interrogea ses compagnons.

— On a, répondit La Vrille, visité la cave mais on n’est pas monté là-haut.

— Eh bien ! nous allons y monter, dit Jackson.

Il prit la bougie sur la marche de l’escalier, passa son pistolet à Dupont, avec ordre de tenir en respect les trois cavaliers, et suivi de Guillemain monta en haut.

Après cinq minutes les deux amis revenaient sans avoir découvert quoi que ce soit.

— Mademoiselle, dit Jackson, l’étage supérieur est tout à fait désert. Mais si vous voulez me dire toute la vérité sur l’enlèvement dont vous avez été le premier auteur, je me fais fort de retrouver celle que nous cherchons. Après, je vous laisserai aller en liberté, vous et vos compagnons.

Mais le ton froid et dominateur de l’Américain réveilla chez l’indomptable jeune fille des pensées qui avaient paru s’éclipser pour jamais. Sa jalousie la reprit, avec la jalousie l’orgueil se cabra sous la pensée de la défaite qu’elle subissait, et la victoire de Jackson l’humilia à ce point que toute sa haine, un moment, lui remonta au cœur.

Néanmoins, elle put se contraindre : elle voyait la partie perdue. Se révolter, c’était perdre pour toujours sa vengeance, se perdre elle-même peut-être. Non… il valait mieux tout avouer, quitte à se reprendre plus tard d’une autre façon.

Elle fit donc le récit exact de l’enlèvement de la soirée.

Le nom de Thomas Vincent mentionné dans le récit d’Olive fit sursauter La Vrille. Ce nom fut à l’imagination de La Vrille une inspiration, un trait de lumière.

— Monsieur Jackson, dit-il, quand Olive eut terminé son récit, vous savez qu’un inconnu m’a assommé. Eh bien ! je ne serais pas surpris que cet inconnu fût Thomas lui-même qui nous aurait épiés et suivis.

— Je le pense aussi, répondit Jackson. Nous allons sans retard nous mettre à la chasse de ce coquin.

Il se dirigea vers la porte, l’ouvrit, s’effaça et dit aux militaires :

— Messieurs, vous êtes libres !

Ces paroles, prononcées simplement, étaient un ordre.

Les militaires le comprirent et gagnèrent la porte. Félix, cependant s’arrêta pour jeter un regard vers le cadavre de son père.

Jackson comprit ce regard. Il dit :

— Demain, monsieur, vous aurez libre accès dans cette maison et pourrez rendre à celui qui fut votre père les derniers devoirs qui lui sont dus.

Félix suivit ses compagnons dehors.

Olive, la dernière, passa devant Jackson.

Elle leva sur l’Américain un regard dans lequel il crut lire une pensée de renoncement et d’amour.

Son cœur se souleva et sa voix, quand il parla, trembla étrangement :

— Mademoiselle, prononça-t-il, j’espère bien que nous ne nous reverrons plus…

Elle ne répondit pas. Mais elle parut se hâter de sortir. Pourtant, Jackson, — peut-être fût-il la proie d’un rêve, — entendit un léger sanglot vivement comprimé et étouffé.

Olive était partie.

L’Américain referma le mieux qu’il put la porte à demi brisée, et dit à ses compagnons :

— À présent, mes amis, la louve est domptée ; mais il reste encore le loup !…

— Nous finirons bien par le rattraper gronda La Vrille, et je lui réserve un mot avec un point…

— Ce ne sera pas si facile de retrouver sa piste que la neige a dû recouvrir entièrement, émit Guillemain avec doute.

— C’est juste, avoua Jackson qui réfléchissait. Mais il reste l’espoir, car la neige a cessé de tomber, et en usant d’un peu de flair… Mais attendons le jour, car à présent il fait trop sombre dehors pour chercher une piste.