L’emprise : Conscience de croyants/01

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Conscience de croyants


CHAPITRE I

enthousiasme


— « C’est ici le plus beau coin du pays, le plus beau, le plus riche au monde.

« Je veux être Canadien, pour avoir ma part de ce pays. C’est décidé, je ne serai plus Itska Cernovitch ; je serai Isidore Clément, je serai Canadien, le plus canadien des Canadiens.

« Il me faut ma part de ce pays dont les natifs ne soupçonnent ni les beautés ni les richesses ! »

Celui qui raisonnait ainsi était un beau grand jeune homme, blond, aux yeux bleus, des races du nord. Pourtant, Itska Cernovitch était Juif d’origine et sans religion. Il était fils d’un Juif russe qui, à Odessa, avait épousé une Russe, blonde et belle.

À Varsovie, où il avait établi un commerce de denrées agricoles, il s’était enrichi ; puis, un jour, impliqué dans une affaire louche, il avait dû fuir en Amérique.

Dans la province de Québec, il avait exercé ses aptitudes de commerçant, achetant le vieux fer et les guenilles. Peu à peu, il avait amassé une fortune pour ses trois fils.

Le père Cernovitch était mort pendant l’hiver de 1895, laissant ses milliers de piastres à ses fils ; mais il avait voulu qu’ils eussent une notion exacte de la vie ; c’est pourquoi tous trois avaient commencé par le métier de colporteur.

Aux clauses du testament paternel, Itska devait continuer son métier de colporteur jusqu’à l’âge de vingt-deux ans pour avoir droit à sa part d’héritage.

Ce qu’étaient ces Russes au point de vue religion ? Tout simplement des matérialistes, pour qui le dieu argent tient lieu de tout, et la bourse de conscience.

Au point de vue patriotisme, c’était aussi très simple ; le tout se résumait en deux mots : absence totale.

L’amour de la patrie, pour eux, c’était l’amour de leurs personnes et l’amour de l’argent.

Au point de vue affaires ? Un exemple montrera le caractère du père Cernovitch et de ses fils mieux que n’importe quelle description. Ayant commencé pauvre, son commerce de vieux fer et de guenilles, puis de regrattier en général, lui avait permis d’amasser une fortune ; déjà il était assez fortuné, alors que presque tout le monde le considérait encore comme ce pauvre immigrant qui travaille dur pour gagner sa vie. À la banque, il avait un joli dépôt. Cependant, deux ou trois fois l’an, lorsqu’il lui arrivait de faire des transactions un peu fortes, chargement d’un char, ou autre chose semblable, il allait trouver ses amis, les Canadiens, dont M.  le curé, et leur tenait à peu près ce langage :

— Moi, besoin d’argent, fais une grosse transaction, moi de court cinquante piastres. Toi curé, aurait pas cinquante piastres à prêter pour huit jours ?

Et le curé, ses amis, lui prêtaient pour huit ou quinze jours, sans intérêts, bien entendu. Cernovitch était un bon garçon, voyez-vous ! M.  le curé avait l’espérance d’en faire un catholique, et le Russe exploitait cette espérance et la pitié des Canadiens. Ainsi, il se procurait le capital dont il avait besoin sans payer d’intérêts et sans perdre les intérêts de son dépôt à la banque, qu’il se trouvait à ne pas déranger.

Itska Cernovitch était le plus jeune des trois fils. De sa mère, la fille russe d’Odessa, il tenait ces yeux bleus et ce teint laiteux des blonds Slaves. De son père, il avait le tempéramment tranquille et souple des descendants de Judas, capables de s’adapter et de se plier à toutes les circonstances et à toutes les compromissions, sans avoir aucun tiraillements de conscience. Au fait, avait-il une conscience ? Si elle existait elle ne servait pas souvent.

Sa randonnée de colporteur l’avait conduit au Mont Beloeil. La veille, il avait parcouru St-Michel, Sainte-Marie pour venir loger chez le Père Maurier.

Nombreux sont les Canadiens qui laissent égarer leur charité vers des gens souvent plus fortunés qu’eux. Dans nos campagnes, un mendiant qui demande l’aumône pour l’amour de Dieu est presque considéré comme un remplaçant, un envoyé de la Providence, qui vient procurer aux disciples du Christ l’occasion de faire des œuvres méritoires.

Mais le colporteur, Juif ou autre, n’est pas un pauvre ; il est un commerçant qui, souvent, réalise de beaux profits et qui, règle générale, s’enrichit beaucoup plus vite que les cultivateurs qui, souvent, le logent presque gratuitement.

Itska Cernovitch, en train de se muer en Canadien, Isidore Clément, faisait comme ses pareils ; il exploitait la pitié publique et s’enrichissait tout en se montrant parfois miséreux. Je dis parfois… Dans une famille de Saint-Jean-Baptiste, il avait fait valoir sa richesse ; c’est que là, il y avait une conquête à faire. La belle Louise avait charmé le colporteur qui s’était promis d’en faire sa femme.

Les parents n’avaient pas remarqué cette manœuvre du « pedlar », mais quand il est trop tard, on s’incline et, de ce Juif-Russe, on prétendit un jour faire un Canadien catholique.

Le soleil était à son couchant ; Itska, fatigué, s’était retiré un peu à l’écart, non loin de la route qui, de la montagne, descend vers le village de Saint-Hilaire. À l’ombre d’un pommier, il se reposait tout en croquant les fruits juteux de l’arbre.

Son enthousiasme n’était pas sans raison. Derrière lui, vers le nord-est, la montagne, le « pain de sucre » comme l’appellent les montagnards, se dressait, imposante.

Plus près, les pentes étaient couvertes de forêts aux teintes variées : érables aux feuilles jaunes, rousses, dorées ; proches couleur de bronze, ou encore le vert tendre des frênes à côté du vert sombre des pins et des cèdres géants.

Au pied de la montagne, s’étendaient des vergers de pommiers chargés de leurs fruits mûrissants.

Les jaunes, les blanches, les rouges se mêlaient en une harmonie qui semblait vouloir réjouir l’œil avant que la saveur des fruits délecte le goûter.

Les transparentes, les duchesses, presque toutes mûres, le whealthy, les fameuses, la McIntosh, les St-Laurent, qui mûrissaient, tournant du vert au rouge presque vif.

Certains arbres étaient tellement chargés que leurs branches, traînant jusqu’à terre, semblaient être les supports d’énormes bouquets. Et la route sinueuse, ruban jaune qui traverse cette nature de richesse, de grandeur, la route semblait vouloir enlacer, attacher tous ces bouquets.

Ici, tout près, derrière quelques rangés de pommiers, se dresse, sur le bord de la route, la maison des Noiseux.

Nid coquet, où grandit une famille de colosses.

De ce nid, de cette maison dans la verdure, semble se dégager un parfum de travail et de devoir ; parfum qui est d’ailleurs à peu près général à nos nids campagnards.

Plus loin, comme un large ruban d’argent, le Richelieu roule ses eaux limpides et bleues.

Ô Richelieu, rivière du Québec, aux dimensions et à la beauté de fleuve, que je voudrais être poète pour chanter tes beautés !

Là-bas, les champs divers, vus de haut, ressemblent au carrelage d’un damier. Le vert des prés et des clos se mêle au jaune d’or des moissons mûres. À travers tout cela, de-ci de-là, surgit une ferme avec ses bâtiments blanchis, ou encore un village coquet, avec ses maisons modestes, autour de l’église, dont on ne voit et distingue que le clocher pointu.

C’est la campagne canadienne, campagne du Québec.

C’est notre pays ! Qu’il est beau mon pays !

Le pedlar, Juif-Russe, avait raison :

« C’est le plus beau pays du monde ».

Istka Cernovitch en voulut sa part, et, certes, personne n’aurait voulu la lui refuser.

Trente ans plus tard, sous le nom d’Isidore Clément, nous retrouverons le « pedlar » enthousiaste, lui, ses fils, leurs pareils, en train de s’emparer de notre pays, d’asservir notre peuple avec leur or, corrompant les consciences et achetant à vil prix notre actif national.

Vingt-cinq ans plus tard, des fils d’athée, « pedlars » ou autres, jetteront chez nous le mépris des lois divines et humaines. Nous les voyons corrompant nos femmes de leurs modes immodestes, pervertissant nos filles par leur luxe provoquant, parfois scandaleux, avachissant nos enfants chez qui ils détruisent par leurs exemples et leurs méfaits impunis les grandes vertus nationales de notre peuple.

Vertus nationales, respect de l’ordre, respect du droit de propriété, respect de l’autorité, respect de Dieu, de sa loi, et de ses ministres, tout cela s’en va, détruit par des fils de Cernovitch, leurs associés, leurs complices !