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L’esclavage en Afrique/Chapitre IV

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Texte établi par Letouzey et Ané, Letouzey et Ané (p. 223-259).

CHAPITRE IV

Sorcellerie Et Superstitions


Nombreuses, trop nombreuses sont encore les victimes de la sorcellerie et des superstitions.

Dans les pays fétichistes, les éclipses de soleil ou de lune et autres phénomènes astronomiques, engendrent souvent de véritables boucheries d’esclaves ou de prisonniers. Le passage de la comète de 1884 entraîna, de la part des Wazîgoua, le sacrifice de tous les enfants nés à cette époque.

Le roi d’Ake (Côte des Esclaves) mourut en 1881. Il se promettait encore deux cents ans de vie, grâce à la puissance de son fétiche, et pas un noir du pays n’osait douter de la sincérité de ses paroles. Ce vieillard décrépit intriguait toujours de concert avec son secrétaire Johnson, qui avait relevé la tête dans ces derniers temps. Poussés par quelques désœuvrés influents, ils avaient pris sur eux d’imposer une constitution aux Egbas et de faire peser une série de tarifs sur toutes les denrées entrant et sortant. On avait placardé quantité d’imprimés que personne ne lisait. Johnson croyait triompher, lorsqu’on annonça que le roi d’Ake, son maître et son seul appui, était mort depuis cinq jours. Johnson et sa constitution rentraient forcément dans le néant.

Quand on apprit ce décès, le chef des sorciers se rendit au palais, lava le corps du défunt, lui coupa la langue qu’on fît frire à l’huile de palme et la tête qu’on plaça dans un vase dont on avait retiré le chef blanchi du dernier roi mort. Pour marquer la succession non interrompue des rois d’Ake, on mit sur le corps décapité la tête du prédécesseur. La langue soigneusement gardée dans une écuelle, attend le couronnement du futur roi. Ce jour-là, en effet, le prétendant la mangera en l’assaisonnant de tafia. Alors il régnera ; de là. l’expression usitée dans le pays pour dire que le roi règne : « Il a mangé le roi. Je Oba. »

Le vieux roi d’Ake ne mourut pas seul. Son frère, mandé à la case des ogboni pour rendre compte des suprêmes volontés du défunt, déclara que le monarque avait surtout désiré que l’on fût fidèle à observer les tarifs établis par Johnson. « — Bien entendu, lui fut-il répondu ; mais il faut que quelqu’un se dévoue pour lui porter notre réponse. » Le lendemain, après son souper, ce vieillard mourait subitement, en proie à d’atroces douleurs d’entrailles.

La sorcellerie joue un rôle important chez les Egbas razziés récemment par le roi de Dahomey, et qui ont pris sur lui une revanche éclatante. Le culte d’Oro, une divinité imaginaire, est en honneur à Abéokouta. On représente Oro comme un esprit de l’autre monde, en proie à des tourments incalculables, errant la nuit, souvent même le jour. Une femme qu’il rencontrerait sur son passage serait immédiatement mise en pièces.

Oro s’attaque aux arbres et les brise ou en dévore les feuilles et rameaux. Une nuit lui suffît pour commettre ces méfaits. On ne trouve plus sur l’arbre que le pot en terre, servant de marmite, dans lequel il a fait cuire branches et feuillage ; une natte, tenant lieu de nappe, et des chiffons, lambeaux de son pagne !

Afin de mieux terroriser les femmes et les enfants, les Egbas, dont les habitations n’ont jamais de fenêtres sur la rue, les enferment dans les maisons et vont rapidement dévaster un arbre que les crédules créatures croiront ensuite avoir été ravagé par Oro.

Toute femme qui parle d’Oro est mise à mort. Nous tenons de source certaine qu’un bambin de quatre ans, jouant dans la rue au moment où l’on faisait Oro, voulut devant sa mère imiter le sifflement du fétiche ; le père accourut furieux et se faisant le bourreau de l’innocent, l’étrangla sur-le-champ.

L’origine d’Oro remonterait aux Gambaris, provenant des bords du Niger, esclaves d’Abéokouta.

Lorsque les Egbas ont choisi un arbre pour théâtre nocturne des exploits d’Oro, l’opération doit être terminée avant le jour. Dans le cas contraire, ils reçoivent de la part des Ogboni (féticheurs) des coups de flèches jusqu’à ce qu’ils tombent au pied de l’arbre. S’ils respirent encore, on les achève, on fait disparaître toute trace de sang et on emporte leurs cadavres pour les pendre à quelque arbre, afin de faire croire qu’ils se sont eux-mêmes donné la mort.

Comme on le voit par la carte, les deux estuaires de Mondâh et du Gabon courent parallèlement du sud-est au nord-ouest, à faible distance l’un de l’autre ; l’espace intermédiaire est couvert de forêts impénétrables, coupé de bas-fonds marécageux, traversé par de nombreux torrents ; et les sentiers fréquentés par les noirs sont à peu près impraticables pour les blancs. Trois races ou tribus, différant entre elles de mœurs et de langage, se partagent le pays : les Mpongoués, ou Gabonais, qui habitent les deux rivières de l’estuaire du Gabon : les Bengas qui s’étendent de l’embouchure du Gabon à celle de Mondah ; et la race bouloue qui peuple les deux rives de l’estuaire de Mondah.

Autrefois ces trois peuples étaient les seuls habitants de ces pays ; mais aujourd’hui les Pahouins affluent de l’intérieur vers la côte, les entourent de tous les côtés, et refoulent devant eux les derniers villages mpongoués ou boulons pour s’établir à leur place. Cette affluence des Pahouins se fait sentir partout. « C’est, disait un voyageur, une marée qui monte et qui ne recule jamais. » Du nord au sud, sur un espace de plus de cent lieues de littoral, on signale leur approche, et dans toutes les rivières, on peut voir les grands villages qui s’allongent en deux immenses rangées de cases, séparées, de distance en distance, par ce qu’on peut appeler des corps de garde, et précédées d’un avant-poste où des guerriers veillent sans cesse, pour donner l’alarme à la moindre alerte.

Une autre remarque à faire, c’est que, dans les affluents de l’estuaire de Mondah, la population bouloue diminue considérablement, là même où les Pahouins ne sont pas encore arrivés. Il y a plusieurs causes de cette mortalité ou de cette décroissance continuelle de la population.

La principale est, comme chez les Gabonais, la superstition qui engendre les jalousies, et, par suite, les meurtres. Ainsi un Boulou ne meurt jamais seul, parce que les maladies et la mort n’étant pas attribuées à des causes naturelles, mais à l’empoisonnement, les parents du défunt réclament le sang de ceux qu’ils accusent d’être coupables, ou que le féticheur leur désigne comme tels. Le verdict fatal, qui autrefois n’atteignait que les esclaves, tombe aujourd’hui sur ceux dont on ambitionne les biens ou dont on est jaloux ; on s’en défait par le poison ou par les armes, secrètement et par trahison. Ces nouveaux meurtres seront, à leur tour, tôt ou tard vengés dans le sang de leurs auteurs.

A l’embouchure du Congo, comme sur toute la côte occidentale de l’Afrique, les gangas (féticheurs et sorciers) tiennent toujours dans leurs mains les populations.

Quelqu’un est-il mort ? C’est qu’un de ses ennemis aura mangé son âme. On va trouver le ganga pour qu’il nomme le coupable. L’intérêt, la vengeance et souvent le caprice dictent la réponse de l’oracle. Il est rare que la victime désignée échappe à l’épreuve violente à laquelle on la soumet. Parfois il lui faut, pour établir son innocence, porter un fer rougi au feu. Le plus souvent elle doit boire la nhassa. Il y a des nhassa variées ; le ganga fait choisir les herbes vénéneuses et en mélange le jus avec un art infernal.

Lorsque l’expérience ne réussit pas au gré des sorciers, on recommence l’épreuve.

Souvent le patient vomit une bave noirâtre qui lui couvre les mains et la poitrine. C’est un spectacle épouvantable. Les parents du moribond sont là, rangés contre la cloison, immobiles et muets. Leurs yeux brillent dans le demi-jour de la hutte et semblent fascinés par une apparition mystérieuse. Aucun sentiment de pitié ne se fait jour dans ces cœurs endurcis par la superstition.

En cas de maladie, on fait venir le ganga.

Le patient est disposé sur une natte devant la case, et les cérémonies magiques commencent. Une multitude de femmes forment la haie autour du malade et du sorcier.

Ce dernier prend un paquet d’amulettes, les applique sur la tète et la poitrine du sujet et chante avec la foule :

Le ganga. — Les yeux ont leur don :

La foule. — Celui de voir les choses.

Le ganga. — Les oreilles ont leur don :

La foule. — Celui d’entendre, oui d’entendre.

Le ganga. — Le palais a son don :

La foule. — Celui de goûter.

Le ganga. — Et la langue a son don :

La foule. — Celui de parler.

Le ganga. — Nous avons tous ces dons ;

La foule. — Oui, nous les avons.

Le ganga. — Mais le don de guérir,

La foule. — Don que nous n’avons pas.

Le ganga. — C’est le don, c'est le don

La foule. — Le don des gris-gris !

(Le tam-tam se met furieusement de la partie.)

Le ganga. — Toi que nous invoquons,

La foule. — Ne nous trompe pas !

Le ganga. — Tout-puissant Simbi[1],

La foule. — Ne nous trompe pas !

Le ganga. — Nous te prions, nous te prions,

La foule. — Ne nous trompe pas !

Peut-on inventer une comédie plus grotesque ?

Les Pongoués[2] qui habitent près du cap Lopez (Gabon) achètent les esclaves chez les peuples voisins de l’intérieur ; puis il les revendent entre eux, ou même les vendent à des Portugais, qui les transportent à l’île du Prince ou à l’île Saint-Thomas, pour les employer à la culture du café et du cacao. Chez les Pangoués, les Boulons et les Bakalais, pas un différend ne se termine, pas un mariage ne se conclut, sans qu’on ne fasse entrer un ou deux esclaves dans la somme à payer. Afin de tromper la vigilance du commandant français au Gabon, on va jusqu’à enfermer des esclaves dans des caisses pour les passer, ainsi cachés au fond des pirogues, sur la rive gauche de l’estuaire. De là, ils sont dirigés du côté du cap Lopez, puis vendus aux Portugais. Ceux-ci tiennent à Mayomba deux factoreries, où l’on garde toujours un certain nombre d’esclaves, en attendant les navires qui doivent les transporter.

Les Pahouins ont une idée vague d’un Être suprême qu’ils appellent Agnama. Comme les Pongoués, ils se figurent que c’est un Être terrible, toujours prêt à faire tomber sur leurs têtes toutes sortes de malheurs, et ils s’efforcent de l’apaiser ou de se le rendre favorable par l’intervention des morts, dont ils gardent précieusement les ossements, surtout les crânes, dans leurs propres maisons. Avant d’entreprendre un voyage, ils font brûler une torche devant la caisse qui renferme ces ossements, ou bien ils boivent de l’eau dans le crâne du père ou de l’aïeul défunt. Ces cérémonies semblent indiquer qu’ils croient à l’immortalité de l’âme ; mais chez eux cette croyance n’est pas raisonnée. En tout cas, ils n’ont aucune idée d’une récompense ou d’un châtiment après la mort.

Interrogés sur ce qu’ils deviennent quand ils sont décédés, ils répondent qu’ils vont vers Agnama, ou dans le lieu où se trouvent leurs ancêtres.

Tous les malheurs qui leur arrivent, maladie, mort, etc., sont attribués aux maléfices et aux sortilèges de leurs ennemis. Ces maléfices ou sortilèges sont désignés sous le nom d’Evoushé. Us recourent alors aux sorciers ou Ngan. Quelqu’un tombe-t-il malade ? On mande de suite le sorcier qui s’empresse de déclarer la présence d’un sort jeté par un ennemi et prescrit le sang d’un bélier ou d’une poule qui doit être bu tout chaud par le patient. Si la maladie n’est pas grave, le Ngan se tire facilement d’affaire et le breuvage administré, s’éloigne aux applaudissements de la foule et de ses clients. Si le mal est sérieux, il affirme que le poison provient des parents du malade. Il n’y a point de remède à faire prendre. Lorsque le malade est polygame, le sorcier accuse l’une de Ses femmes qui est mise aux fers et châtiée cruellement.

Rien de plus curieux que les différentes formes sous lesquelles le Ngan ou féticheur désigne le poison qui doit donner la mort au malade. Tantôt c’est un crabe qui mange le cœur ; tantôt c’est une petite grenouille qui circule de l’estomac au larynx ; tantôt c’est un petit monstre qui n’a que le ventre, une bouche et deux yeux rouges, lequel étant placé sur une table, après avoir été extrait du malade ou du défunt, se met à gober les mouches qui voltigent autour de lui. Telles sont les sottises que ces Ngans s’en vont débiter partout, et qu’il est très difficile de déloger des têtes des sauvages. Ils sont très intéressés dans leur fourberie, car ils savent se faire bien payer. C’est un proverbe dans ce pays que nul médecin ne va à sa besogne sans un sac.

Comme chez les Pongoués, les Ngans ou féticheurs pahouins distribuent aussi des fétiches. C’est ordinairement un peu de poussière noire, tirée des restes des morts, et renfermée dans de petits cornets qu’on garde avec soin dans la case ou qu’on porte sur soi. D’autres fois, on se fait introduire cette poudre sous l’épiderme, au moyen d’une incision faite par le féticheur au milieu du front ou bien sur la poitrine ou sur la nuque. Tous ces fétiches n’ont pas la même vertu : l’un est pour protéger la case, l’autre pour préserver des malheurs ou des accidents ; un autre doit procurer des richesses, des femmes, des enfants ; un autre, enfin, aurait la propriété de rendre invulnérable dans les combats, etc.

D’après la loi du fétichisme, une personne libre ne peut mourir que par l’empoisonnement ou les sortilèges ; et les esclaves sont toujours les coupables. Aussi, à tout instant, ces infortunés sont-ils saisis, mis à la torture, tués ou enterrés vivants pour expier ces crimes imaginaires. Une personne libre tombe-t-elle malade, on appelle le féticheur ou sorcier, qui est ordinairement aussi le roi ou le chef du village. S’il voit que la maladie n’est pas sérieuse, il entreprend de la guérir au moyen de son mpemba ou de ses autres fétiches, afin d’en imposer aux noirs crédules et de se donner la réputation d’un habile médecin. S’il remarque que la maladie s’aggrave, il fait le poga abambo ou évocation des ombres des morts, au milieu des cris sauvages des assistants mêlés aux sons des tamtams. Selon les traditions de la sorcellerie, les mânes apparaissent dans le miroir qu’il tient à la main et dans le seau d’eau placé au centre de sa case. Nul autre que lui n’a le privilège de regarder dans le miroir ou dans le seau ; l’apparition n’aurait pas lieu. Il révèle donc ce qu’il veut et dénonce selon son bon plaisir. Les esclaves, désignés par lui comme coupables d’empoisonnement, sont aussitôt saisis et subissent de cruelles épreuves.

La plus ordinaire est connue au cap Lopez sous le nom d’épreuve d’icaja et de mboundou.

Voici en quoi elle consiste, L’icaja est un petit arbuste ; l’écorce de sa racine est un poison très violent. Le féticheur râpe cette écorce vénéneuse dans un verre d’eau qu’il présente à l’esclave. Celui-ci doit l’avaler d’un seul trait, après quoi on le fait étendre, la face exposée aux ardeurs d’un soleil de quarante degrés. Bientôt le poison opère son effet, la figure de l’esclave se contracte, ses yeux semblent vouloir sortir de leur orbite, et une torpeur invincible s’empare de tous ses membres. Au signal donné par le féticheur, le patient doit se lever, parcourir un certain espace, au milieu des cris et du bruit du tam-tam, et franchir une raie tracée sur le sable par le féticheur. S’il tombe avant d’avoir pu la franchir, c’est qu’il est coupable, et il est, par ce fait seul, jugé digne de mort. S’il parvient à la franchir sans tomber, il est déclaré innocent. Inutile de dire que le féticheur, chargé lui-même de préparer l’icaja, le fait à une dose telle que sa victime tombe presque toujours.

Souvent les esclaves accusés d’empoisonnement sont livrés à d’horribles tortures. Un enfant de quinze à seize ans, fut, après des raffinements de cruauté, enterré vif sous le cercueil de son maître. Un témoin digne de foi dit :

« J’ai vu également le bûcher où les Boulous venaient de brûler, après l’avoir coupée en morceaux, une esclave accusée d’avoir empoisonné sa maîtresse. Celle-ci était morte d’une maladie de poitrine, dont elle était atteinte depuis plusieurs années. Je connais un chef de village, qui, pour guérir son fils frappé d’aliénation mentale, a tué, en un seul jour, jusqu’à vingt-deux esclaves. Il y a même des pères qui ont la barbarie d’immoler leurs enfants pour acquérir un fétiche auquel ils attribuent le privilège de procurer des richesses.

« Il est une catégorie d’esclaves plus à plaindre encore, s’il est possible. Ce sont ceux qui sont atteints de la lèpre ou de toute autre maladie, réputée incurable, l’hydropisie, la phtisie, etc. Ces infortunés sont considérés comme des maudits, qui se sont attiré la colère des génies malfaisants. On les laisse mourir de faim dans des cases abandonnées ; ou bien, afin de se défaire d’eux plus vite, on les porte dans les bois, pour qu’ils y deviennent la proie des tigres, ou au bord de la mer, pour qu’ils soient noyés à la marée montante et dévorés par les requins[3].

« Je pourrais vous faire d’émouvants récits sur de pauvres esclaves, lépreux ou infirmes, que nous avons ramassés dans les champs de manioc, dans les forêts et sur le bord de la mer. »

Une autre fois, c’était une lépreuse qui avait été jetée dans une bananerie. Assaillie par les fourmis voyageuses, elle se voyait dévorée toute vivante.

Dans la fameuse tribu des Kahambas (Haut-Congo), habitent les plus grands sorciers du pays. C’est à eux, à l’exclusion de tout autre, qu’est réservé l’honneur d’assister le sultan du pays à son lit de mort. Voici comme le souverain, aidé des sorciers, passe de vie à trépas :

Lorsque le sultan malade touche à sa fin, les sorciers Kahambas réunis lui entourent le col. d’une corde qu’ils serrent d’abord tout doucement pour l’aider à mourir ! puis, à mesure que la mort approche, ou pour mieux dire, qu’ils la font approcher, ils augmentent progressivement la tension, pour la serrer fortement lorsqu’il sera sur le point de rendre le dernier soupir.

Us procèdent ensuite à la mise en bière, représentée par une peau de bœuf, où le corps est lié et cousu de manière à laisser paraître les pieds et les mains.

Pour le sultan il n’y a pas d’inhumation. On le suspend ainsi lié dans la peau de bœuf à un arbre. Le cadavre se décompose rapidement. Au-dessous, on dispose des pots en terre destinés à recevoir les vers qui tomberont et qui serviront à faire diverses sorcellerie ou à confectionner des amulettes.

Dans tous les villages du Kibanga (Haut-Congo), on rencontre de petits monuments formés de quelques bûchettes fixées en terre et recouvertes de paille de manière à composer une petite hutte aux dimensions variables selon la volonté de l’architecte. Ce sont les maisons des Mzimou ou esprits. Ces divinités, souvent mal définies, même pour les nègres, au-dessus desquelles domine celui qui les surpasse toutes et qui est appelé pour cela Kabezia (le Puissant), sont représentées sous diverses formes et leur culte varie selon qu’un plus ou moins grand pouvoir de faire du bien ou du mal aux hommes leur est attribué.

Kabezia (le Puissant) est, selon la croyance des nègres wayovas, celui qui forme les enfants dans le sein de leurs mères et leur donne la vie. Son culte n’est pas, comme celui des autres esprits, limité par un pays, ni attaché à un lieu : il est en tout lieu, et partout on peut l’invoquer, lui offrir des sacrifices.

Quand on demande aux indigènes où est maintenant tel ou tel de leurs compatriotes qui autrefois habitait leur village, ils répondent invariablement. « Il est allé chez Kabezia », pour vous dire : « Il est mort. »

Quant aux autres esprits, ils sont innombrables ; ils habitent les montagnes, les rivières, les lacs et les îlots dont le Tanganyika est parsemé.

Chaque montagne, rivière, lac et îlot, est habité par un esprit spécial dont les nègres vous donnent le nom avec celui de la localité.

Enfin, chaque village et chaque famille honorent un esprit particulier, qui guérit les maladies, rend fructueuses la chasse et la pèche, garde les biens contre les voleurs, les animaux malfaisants. On lui élève au milieu des champs une case, où sa figurine en bois, chef-d’œuvre de laideur, est vénérée et exposée.

La naissance, le mariage, la mort, la guerre sont autant de prétextes à des cérémonies religieuses et à des sacrifices offerts aux Mzimou. Les esprits sont aussi invoqués lorsque les pluies sont trop abondantes ou trop rares. Avant de s’embarquer sur le lac on fait une prière au Mzimou qui l’habite. Si un orage survient on jette dans les flots, pour l’apaiser, ce que la barque peut contenir de précieux. (Les corsaires Tunisiens agissaient de même, au temps où leur scélérate industrie florissait et désolait les mers.)

Quelques-uns de ces esprits sont réputés méchants et cherchent sans cesse l’occasion de nuire aux hommes qui passent sur leur domaine, pour leur arracher des offrandes, sans lesquelles, toujours selon la croyance des indigènes, ils n’échapperaient point à la mort. Les esprits de certaines rivières surtout se font remarquer par ce désir de faire du mal.

Nous avons entendu bien souvent des indigènes raconter comment, saisis au passage de telle ou telle rivière, ils ont été entraînés par l’esprit et n’ont échappé à la mort qu’en promettant des offrandes dont ils s’acquittent toujours scrupuleusement.

Dans ces parages, près de Kibanga, se trouve un cours d’eau qui se jette dans le golfe de Burton, et dont l’esprit malfaisant, errant dans la plaine saisit les femmes enceintes pour les empêcher d’accoucher heureusement. Aussi toute femme qui se trouve dans cet état, si elle vient à ressentir quelque malaise, se prétend aussitôt saisie de l’esprit mauvais et ordonne des sacrifices accompagnés de cérémonies grotesques, mais très curieuses. Tous les habitants du village se réunissent, battent du tambour près d’une case où la patiente est enfermée, crient, dansent pour chasser l’esprit mauvais. Pendant ce temps, une vieille sorcière offre des sacrifices de farine à l’esprit favorable et forme devant la hutte, avec de la boue pétrie, une grossière figure munie, de quatre membres et que l’on prendrait pour la représentation rudimentaire d’un crocodile, si l’on ignorait que les nègres représentent ainsi la Mtamhala (esprit mauvais) qui habite le cours d’eau.

Quelquefois, disent les nègres, ces esprits mauvais entrent dans le corps des crocodiles et envoient ces grands reptiles amphibies saisir les pêcheurs sur le bord du lac ou des rivières.

Si un homme est emporté, il faut une seconde victime, parce que l’esprit est alors irrité, se plaint d'être oublié, de ne pas recevoir assez d’offrandes, puisqu’il doit se les procurer lui-même. Les sorciers délibèrent, consultent la volonté de l’esprit et choisissent dans le village une personne que l’on jette, pieds et poings liés, en pâture aux crocodiles, comme offrande propitiatoire.

Outre le culte des esprits, les nègres ont encore souvent celui des dieux lares. Une case leur est destinée, mieux entretenue que les autres, et dont le sol est recouvert d’un tapis d’herbe fraîche, renouvelée fréquemment. Les hommes seuls y peuvent pénétrer, les femmes en sont scrupuleusement exclues.

C’est là, sous les yeux des ancêtres personnifiés par des pieux fixés en terre, dont l’extrémité est grossièrement taillée, de manière à représenter la figure d’un homme à tête plate, que se tiennent les assemblées, que se font les délibérations importantes, qu’on se livre aux libations et aux sorcelleries commandées dans les grandes circonstances, comme le commencement de la pêche, une guerre, une épidémie qui menace de faire invasion dans le pays. Si, par une fortune adverse, le foyer est menacé d’être violé ou détruit, le vaincu n’a rien de plus pressé que de sauver les images de ses ancêtres et de les transporter dans un lieu plus sûr, où elles pourront être respectées.

De ce que nous venons de dire brièvement, vu l’étendue avec laquelle le sujet pourrait être traité, une conclusion s’impose : la croyance des noirs de l’Afrique équatoriale à l’existence d’êtres supérieurs aux hommes, d’un Dieu dont ils ne peuvent pas, comme nous, avoir une définition adéquate, mais seulement une idée confuse. Dans Kabezia, cet esprit qu’ils croient surpasse tous les autres en puissance, il nous est facile de reconnaître l’idée d’un Dieu créateur et rémunérateur, puisque c’est lui qui donne la vie et que c’est chez lui que retournent les hommes, ou plus exactement les âmes des hommes (mutrina), comme disent les nègres.

Ici, pas d’incrédules : tout le monde est convaincu de la puissance des esprits supérieurs, et personne ne néglige leur culte. La négation en religion, a dit quelqu’un, est un fruit des passions civilisées, c’est une de ces folies que la simplicité ne connaît pas, et qui viennent toujours d’un cœur corrompu ou d’une vie abominable : « L’insensé a dit dans son cœur : il n’y a point de Dieu », chantait David, il y a longtemps.

En écrivant ces lignes, nous n’avons point l’intention de réhabiliter les nègres, ni de vanter leurs vertus, car le degré de dégradation morale, l’abîme d’abrutissement où ils sont généralement tombés, avec la perte presque complète de toute dignité humaine, sont bien propres à exciter la pitié des âmes compatissantes et le zèle des missionnaires. Il n’y a, pour ainsi dire, que cet instinct religieux qui soit vivant au milieu des ruines de toutes leurs facultés morales aussi bien que physiques.

Il existe à Whydah un temple des serpents, très fréquenté et très honoré par les indigènes. Ceux-ci ne tuent jamais les reptiles ; ils les respectent au contraire, les prennent doucement et les portent dans le temple, qui en contient des milliers à l’état libre. S’il arrive à quelqu’un d’être piqué, il s’estime heureux de mourir ainsi.

Une mère, dont l’enfant venait d’être saisi par un énorme serpent, se prosterna pour l’adorer, et, lorsque l’enfant eut été dévoré, elle eut soin de porter le reptile dans le temple consacré à cet effet.

La croyance à la sorcellerie est profonde chez les Matabélés. Les prêtres, appelés faiseurs de pluie (Tchabatchaba), sont tout-puissants et c’est par eux que le roi règne et gouverne.

Le pouvoir du roi est absolu. Quelquefois, il fait juger les coupables par le conseil des chefs ; quelquefois, il prononce tout seul.

Il y a trois sortes de peines capitales : 1° la peine du marteau. On brise la tête du coupable comme on assommerait un animal de boucherie. — 2° La corde, ou pendaison au premier arbre venu, à peu près comme dans la loi de lynch aux Etats-Unis. — 3° Le pilori. Le patient est lié, garrotté et abandonné au milieu d’un désert, où il meurt d’inanition ou devient la proie des bêtes féroces. — Les crimes contre les mœurs sont punis de la peine du feu, de la mutilation, etc., etc.

Le roi des Matabélés « fait la pluie et le beau temps », selon les idées de ses sujets. Chaque année, il s’adresse solennellement aux Esprits, en se tournant successivement aux quatre points cardinaux. Voici quel est le sens de celte invocation lorsque le roi est satisfait :

« Grands Esprits de mon père et de mon aïeul, je vous rends grâce de ce que l’an dernier vous avez accordé à mon peuple plus de blé (amabele ou caffircorn) qu’aux Machonas mes ennemis. Cette année aussi, en reconnaissance des douze bœufs noirs que je vais vous consacrer, faites que nous soyons les mieux nourris et les plus forts de tous les peuples du monde !… Je vous remercie de n’être pas comme Khama, le roi des Bamangwatos, qui est un homme lâche et faible. Faites en sorte que je reste toujours le plus brave et le plus puissant des rois ! Grâces vous soient rendues de ce que vous m’avez donné le succès et la victoire dans la dernière guerre ! Recevez mes remerciements pour les têtes de gros bétail et les femmes et enfants, dépouilles glorieuses que vous nous avez données ! Rendez-moi plus puissant encore à l’avenir, et que je puisse cette année ramener chez les Matabélés vainqueurs, plus de butin que pendant les années qui se sont écoulées depuis que je suis roi. »

Le roi et les magiciens procèdent ensuite à une sorte de bénédiction du gros bétail et des menus troupeaux. Douze bœufs sont immolés l’un après l’autre. On dépèce les chairs, on enlève les entrailles des bêtes, qui restent déposées sur les douze peaux dans le kraal pendant l’espace d’un jour et d’une nuit. Ce sont les Esprits des ancêtres qui doivent choisir les premiers ce qui leur convient de ces généreuses oblations. Ce n’est que le lendemain que le peuple participera aux chairs des victimes immolées, et il sera très heureux de l’abstinence des Esprits qui n’y auront pas touché du tout.

Les Matabélés sont très mystérieux et très circonspects. Ils ne parlent guère de leurs coutumes aux étrangers ; et même, quand vous les interrogez à ce sujet, ils prennent la peine de vous dérouter, en se contredisant eux-mêmes.

Les sorciers de la région voisine d’Onitsa (rive gauche du Niger) entretiennent la coutume superstitieuse et odieuse de vouer à la mort tout enfant qui commence à marcher avant d’avoir des dents.

Les petits enfants et les femmes âgées sont les plus malheureuses des créatures au Niger.

Les nègres font servir leur superstition à l’assouvissement de leurs infâmes et cruelles passions.

Si, dans une famille riche, la mort ou la maladie fait une visite ; si la prospérité diminue, si un malheur arrive à un chef ; si des parents riches vivent trop longtemps pour leurs enfants dénaturés, l’intéressé s’entend secrètement avec le sorcier et, par des cadeaux, des promesses, un ignoble marché, achète la mort de ceux dont il veut se défaire.

Le sorcier, appelé en public, consulte ses fétiches et leur réponse, qui ne peut être intelligible que pour lui, décrète la mort ou l’expulsion de la victime.

Celle-ci est toujours la plus vieille femme de la famille. On la noie ordinairement dans le Niger ou on l’empoisonne, le plus souvent, avec de la ciguë.

Dans l’Ouzaramo, l’enfant qui naît certains jours réputés néfastes, ou avec des cheveux, ou fait trop souffrir la mère, etc., est, sur le conseil du sorcier ou de la sorcière, abandonné au bord du rivage, où les vagues océaniques l’enlèvent, ou à la lisière de la forêt et les hyènes se chargent de lui !

Le Dieu de la justice, Onsé, a son temple à Porto-Novo ou Adjaché.

C’est une petite rotonde en bambou dont le toit se termine en pain de sucre. Une natte en paille en protège l’entrée et dérobe l’intérieur aux regards profanes. Le féticheur seul peut pénétrer dans ce sanctuaire. A côté, est une autre construction dont le toit, également en paille, repose sur quatre colonnes dans lesquelles sont incrustés avec symétrie des crânes humains.

Çà et là, des ossements humains de différentes grandeurs, des lambeaux de chair, restes des derniers sacrifices, jonchent le sol encore rougi du sang répandu.

Au centre, un bloc informe représente Onsé. C’est un cylindre creux, long de deux mètres environ sur cinquante à soixante centimètres de diamètre : il est composé d’une couche de terre l’apportée d’Ifa, ville de l’intérieur, où selon la tradition nègre, a été créé le premier homme ; des coquillages, enfoncés sur sa tête forment quelques figures où sont ménagées de petites ouvertures. L’autre extrémité, ouverte est dissimulée par de vieux morceaux d’étoffe.

Ecoutons un Européen qui put, il y a quelques années, assister à une séance publique où eut lieu l’épreuve du fétiche Onsé :

« Six personnes étaient citées : les délits reprochés étaient, comme d’habitude, plus ou moins absurdes. Un enfant vient-il à tomber malade, le père accuse son ennemi de s’être changé en hibou ou en chauve-souris pour sucer le sang de son fils. Des poules, des chèvres disparaissent-elles, le propriétaire reproche à son voisin de s’être métamorphosé et de les avoir volées. Le prévenu a beau se défendre, il doit subir l’épreuve ; et s’il n’a pas l’heureuse idée ou les moyens de gagner le féticheur par de riches présents, le jugement lui sera fatal.

« C’était à quatre heures de l’après-midi, que le dieu de la justice devait se prononcer sur l’innocence où la culpabilité des six accusés. A peine étions-nous arrivés, qu’une longue file de nègres et de négresses débouchent sur la place, tout près du temple d’Onsé. A leur tête, marchait le grand féticheur, accompagné de quatre de ses confrères ; puis venaient les accusés suivis de la foule. Parvenu devant la porte de l’enclos consacré au dieu, le sorcier, tourné vers le temple, se prosterne dans la poussière ; toute la troupe suit son exemple, et quelques instants après, s’assied sur. la terre nue. Alors a lieu l’interrogatoire.

« Les sorciers emploient vainement les questions les plus insidieuses et les plus incohérentes ; les inculpés se refusent à avouer leurs prétendus crimes.

« Allons consulter le grand Onsé : à lui vos forfaits ne sont pas cachés, s’écrie le grand féticheur d’un ton menaçant et en se levant brusquement ; et si vous êtes coupables, malheur ! votre châtiment sera exemplaire ! »

« La foule se précipite à sa suite.

« Le fétiche reposait en face du temple, sur la tête d’une statue en bois sculpté. Les prévenus étaient dispersés au milieu de la foule ; de chaque côté, les spectateurs s’agitaient, criaient, hurlaient, parce que des blancs se trouvaient parmi eux. Sur un signe du grand sorcier, tout rentra dans le plus profond silence.

« Le grand sorcier, le pagne blanc enroulé à la ceinture, les cheveux en désordre, faisant mille contorsions, trace un petit carré dans le sable tout près du dieu. Le premier accusé, dépouillé de ses bracelets et de ses amulettes pour ne pas être protégé par ses fétiches particuliers, vient se mettre à genoux dans ce carré ; le sorcier s’avance gravement avec un long brin d’herbe sèche, en frappe trois fois la tète du patient et celle du fétiche pour les mettre en communication. Enfin a lieu un dernier interrogatoire. A chaque question, le féticheur touche de nouveau l’accusé avec son brin d’herbe, en détache une petite partie qu’il lance à la tête du fétiche ; puis, après avoir fait asseoir le malheureux, il lui présente dans une calebasse un peu d’huile de palme mêlée à un liquide pour se laver le visage. Ces céré— monies terminées, le dieu est déposé sur la tête de l’accusé qui le retient avec peine de ses deux mains. Quatre sorciers s’accroupissent autour de lui pour recevoir la divinité ; si elle tombe en avant, le prévenu est acquitté ; si elle tombe en arrière, il est déclaré coupable.

« Voici le moment critique et solennel. Tous les regards sont fixés sur le malheureux qui, baigné de sueur, tremble et ose à peine reprendre haleine ; il fait pitié à voir : cette masse énorme l’écrase. Tout à coup Onsé s’agite, sous une impulsion mystérieuse, oscille tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt en avant, tantôt en arrière ; puis, s’arrête… on espère, on craint ; mais le mouvement s’accentue de nouveau et le fétiche tombe en arrière. L’accusé est déclaré coupable, et, les mains fortement liées derrière le dos, est mis sous bonne garde. C’était un homme d’environ cinquante-cinq ans, aux cheveux grisonnants, à la physionomie franche et ouverte ; il se laissa enchaîner sans résistance, mais son visage parut profondément bouleversé.

« La seconde épreuve, qui se faisait sur une femme, fut plus heureuse : le fétiche tomba en avant, et elle fut proclamée innocente. Vint le tour d’une autre femme d’une trentaine d’années ; d’une constitution faible, elle est écrasée par le poids du dieu. Quatre fois, les féticheurs reviennent à la charge ; quatre fois, elle s’affaisse sur elle-même sans pouvoir soutenir le pesant fardeau : il semble que sa faiblesse animait dû inspirer de la compassion ; mais quelle pitié attendre de ces monstres !

« La quatrième épreuve se fit encore sur une femme. Convaincue de son innocence, elle s’assied avec fermeté. D’ailleurs, comment aurait-elle pu se changer en hibou ou en chauvesouris, grande et forte comme elle est ? Elle saisit Onsé vigoureusement et le tient très longtemps. Enfin il tombe en avant. La voilà donc innocente ? Non. Les féticheurs prétendent qu’elle a usé de ruse. Elle a beau se défendre, crier et appeler ses parents qui se trouvaient dans la foule ; résistance inutile, elle est garrottée, malgré tous ses efforts, et rangée parmi les coupables. Indignés à la vue de pareilles injustices, nous ne pûmes pas attendre la fin de cette douloureuse séance.

« Nous restâmes convaincus qu’il y avait une odieuse fourberie dans tout cela. Autrement comment expliquer les balancements si singuliers d’Onsé ! Ils devaient être dus à la ruse des sorciers. Le moteur serait, dit-on, un enfant introduit dans l’appareil et qui par les ouvertures pratiquées dans la tète, reçoit les ordres du grand sorcier.

« Onsé ne tue pas lui-même ; il déclare seulement la culpabilité !

« Le lendemain, le roi Toffa fit défendre aux blancs de sortir, de six heures du soir à six heures du matin.

« A la tombée de la nuit, nous entendîmes le son lugubre des tams-tams et des coups de fusil. Une troupe de féticheurs chanta ses refrains monotones devant le temple de Chango (dieu de la foudre). Une heure plus tard, le cortège se remit en marche, et sans s’arrêter devant la multitude de divinités secondaires qui hantent les places et les cases, il alla offrir ses hommages à Onsé et à l’Elegba qui a son temple en dehors de là ville. Cette dernière divinité est composée de morceaux de bois de diverses grandeurs, elle est recouverte d’un monceau de terre qui affecte la forme d’une pyramide.

Des lambeaux de tissus, tout noirs du sang des victimes, de la ferraille, des fragments de pots cassés, des ossements, des plumes de poule, des restes de peaux de chiens, de gros lézards qui s’efforcent d’attraper les nombreuses mouches, voilà tout ce qui se rencontre dans cette rotonde à l’air empesté par les sacrifices anciens et récents. Les noirs ne demandent jamais rien à ce dieu : l’apaiser, tel est l’unique but de leurs nombreuses offrandes. C’est une divinité funeste et méchante : nul ne la place dans sa case. Ses temples et ses images sont toujours en dehors de la ville ou du moins en dehors des maisons, et dans les habitations l’on place même très souvent d’autres divinités uniquement chargées de lui en défendre l’entrée. Il est cependant fort en honneur : c’est à lui qu’on offre le plus de sacrifices.

« Ce soir, les noirs s’arrêtent longtemps devant le temple pour répéter leurs chants, leurs danses et leurs fusillades interminables.

« Puis, ils se rapprochent de nous et se rendent un peu au nord-est de notre maison, dans le grand bosquet où se trouvent les tombeaux des rois de Porto-Novo et des membres de la famille royale, et où par conséquent s’immolent de nombreuses victimes en leur honneur.

« Ce fut vers minuit que le cortège arriva dans ce bosquet : les chants et les sons de tam-tam redoublèrent aussitôt ; de temps en temps des voix aiguës et plaintives parvenaient à percer le bruit général ; puis à un instant de silence succédaient ordinairement de longs et épouvantables hourras. C’étaient les derniers moments de ces malheureux, leurs cris de désespoir et la joie diabolique des bourreaux. Tous succombèrent à une mort sanglante et cruelle. »

On appelle Simos les membres d’une société établie parmi les nègres du Rio-Pongo (Côte de Bénin). L’organisation, les statuts, les rites et les chefs de cette secte sont inconnus à quiconque n’est pas initié à ses secrets. Sous le rapport du mal qu’elle engendre, cette Franc-Maçonnerie ne le cède guère aux sociétés analogues. Sous d’autres dénominations, les Simos ont aussi leurs compagnons, leurs maîtres, leurs kadosch, etc.

On distingue les Simos à leurs dents limées en pointes et à leur air insolent et sensuel.

Les longues et profondes cicatrices qu’ils portent sur les épaules et le dos sont d’autres marques distinctives ; ces plaies sont les suites des épreuves qu’ils ont été obligés d’endurer pour prouver aux initiateurs qu’ils seront capables de souffrir même la mort plutôt que de trahir leurs obligations et surtout celle du secret. L’initiation dure une année et a lieu à l’âge de dix-huit à vingt ans. Pendant tout ce temps, le jeune homme est retiré dans les forêts de l’intérieur, en dehors de tout commerce avec le monde, sous la seule direction des initiateurs Simos, qui le soumettent, pour éprouver son courage, aux traitements les plus cruels.

Ces retraites sont inconnues, sauf aux initiés, et tout homme qui, volontairement ou simplement en s’égarant, en foulerait le sol, serait impitoyablement mis à mort. Ces meurtres ne sont pas rares, car il disparaît quelquefois des personnes sans qu’on puisse savoir ce qu’elles sont devenues. Je tiens ces détails de plusieurs Européens et même de quelques Simos.

En un mot, cette association est la franc-maçonnerie africaine. Un travail vraiment édifiant à exécuter serait de comparer les diverses sociétés secrètes du monde civilisé et du monde non civilisé, afin de constater et d’établir les analogies déjà si frappantes qui existent entre toutes ces sectes cosmopolites.

S’il y a une différence, elle n’existe que dans la forme extérieure.

En Europe, et dans le monde civilisé, l’esprit du mal prend des façons de gentilhomme et se masque sous une pseudo-philanthropie ; en Afrique, il a toute liberté d’allure, il se montre, tel qu’il est, brutal et sauvage.

« Chez les Somraïs, dès qu’un chef est mort, dit Nachtigal, deux personnes prennent son corps, par le bout des pieds et l’extrémité de la tête ; les parents invitent, à haute voix, le défunt à conduire les porteurs au logis du coupable (le chef n’est mort qu’à la suite de sortilèges). La foule suit le cortège ; tout à coup, le corps semble s’arrêter de lui-même devant une demeure déterminée qui est aussitôt pillée et dévastée ; on y met le feu et celui qui l’habite est tué, ses femmes et enfants réduits à l’esclavage pour être vendus. »

Giraud passa son premier jour de l’an 1884, à Zambué, sur la frontière de l’Ouzaramo et du Kutu, non loin du fleuve Rufu ou Kingani et de Moto, au sud de Bagamoyo (Afrique Orientale).

« Pour mes étrennes, dit-il, le chef de Zambué me réservait une surprise, une vraie surprise de sauvage et de sauvage d’Afrique. Au moment où j’installais mon camp à deux cent dix mètres du village, des cris de guerre, semblables à des hurlements de bêtes fauves, vinrent frapper mes oreilles, et presque au même instant, une ban4e de sauvages affolés arrivaient, traînant après eux une malheureuse vieille femme nue, à moitié morte des mauvais traitements dont tous l’accablaient. Un forcené la tenait en laisse avec une liane, lui serrant le col par un nœud coulant. Quand la victime, à bout de forces, venait à butter, ils s’attelaient trois ou quatre à la corde pour la traîner au milieu des ronces et des pierres.

« D’après les renseignements que je recueillis à grand’peine, cette femme était une prétendue sorcière qui, la veille, avait fait mourir deux hommes, par ses sortilèges ; on allait la brûler sur un bûcher. (Dans l’Ouzaramo, la mort est toujours attribuée à un poison quelconque et suivie en conséquence du meurtre de la personne soupçonnée de l’avoir donnée ; cette personne peut se remplacer par une autre, mais il faut qu’une victime humaine soit immolée.)

« Le cœur soulevé par un tel spectacle, je m’avançais avec mes hommes à la rencontre de ce groupe, pour réprimer sa férocité ; mais au moment où nous étions prêts d’arriver, je vis les bourreaux lever leurs haches sur la victime d’un air si menaçant que je renonçai à aller plus loin ; s’il fallait que la malheureuse fût sacrifiée que ce ne fût pas du moins sous mes yeux ! »

Giraud fit appeler le chef de Zambué, espérant gagner du temps. Celui-ci arriva, ivre de pombé, et aux premières ouvertures de notre compatriote, répondit :

« Ton sultan fait ce qu’il veut chez lui ; moi, je fais ce que je veux chez moi ! »

Les bourreaux disparurent dans le fourré, toujours hurlant et battant leur tam-tam infernal. Le chef avait seulement accordé à Giraud, comme faveur insigne, que l’on couperait la gorge à la malheureuse avant de la faire monter sur le bûcher ; mais les hommes de l’expédition qui assistèrent à l’exécution lui dirent qu’on n’en avait rien fait.

« A la tombée de la nuit, continue le voyageur, cet abominable crétin[4] vint me trouver, chargé de deux poules qu’il m’offrit pour recouvrer mes bonnes grâces. Malgré ses instances, je ne voulus rien accepter, ce qui, en Afrique, est toujours une insulte grave ; furieux, il me quitta, grommelant entre ses dents :

« Qu’a donc ce Msunga à tant se fâcher pour une affaire pareille ? L’an dernier, il y avait ici un Inglesa[5], qui a assisté à deux exécutions sans faire tant de bruit ! »

  1. Simbi, le fétiche qui préside aux destinées de l’homme.
  2. Ou Mpongoués.
  3. Sur les côtes de l’Afrique Occidentale, on jette souvent de pauvres petits enfants, en sacrifice expiatoire, à ces squales.
  4. Le chef de Zambué.
  5. Anglais.