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L’esclavage en Afrique/Chapitre VI

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CHAPITRE VI

changement de maitres ; — maladies des esclaves ; — marque des esclaves ; — marche d’une caravane.


« Dans l’Afrique Orientale, un esclave, dit Verney-Hovett Cameron, peut changer de maître en faisant un nœud à une partie quelconque du vêtement de l’homme auquel il se livre, ou bien en brisant un arc ou une lance appartenant à ce même individu. Son ancien propriétaire ne peut le ravoir qu’en le payant toute sa valeur et en promettant d’une manière formelle de ne plus lui infliger de mauvais traitements. »

Quoique les nègres soient généralement forts et robustes, ils sont néanmoins sujets, après leur arrivée dans les régions septentrionales de l’Afrique et de l’Orient, à diverses maladies, qui sont pour la plupart une suite naturelle des fatigues et des privations subies pendant leur pénible et douloureux voyage à travers le désert. Une autre cause se joint à la première, c’est la différence de climat qui existe entre le lieu de leur nouvelle résidence et leur pays natal, ou d’origine, toujours plus ou moins voisin de la zone torride.

Les maladies dont ils peuvent être attaqués sont :

1° Les rhumes opiniâtres ou affections catharrales[1]. Cette indisposition naît de la nudité presque absolue des esclaves pendant les nuits, souvent très fraîches, qu’amènent les vents froids ; elle n’a jamais de suite fâcheuses et cède ordinairement aux remèdes ordinaires.

2° Les ophtalmies[2] accidentelles, produites, comme la maladie précédente, par l’exposition nocturne des esclaves nus à toutes les vicissitudes de l’atmosphère ; elles se guérissent presque toujours spontanément et n’ont besoin d’autres remèdes que l’usage fréquent du simple lavage avec de l’eau naturelle et pure.

3° La petite vérole[3], maladie souvent bien funeste, tant à la vie des esclaves qu’aux intérêts des négriers. Elle semble moins fréquente parmi eux au Soudan ou dans l’Afrique Centrale que plus au nord : elle est toujours meurtrière. Les Djellabas prétendent même qu’elle ne règne jamais dans les régions méridionales, excepté lorsqu’une circonstance quelconque y apporte le germe delà contagion variolique ; et, ce qui paraît fortifier cette assertion, c’est que parmi les esclaves amenés par les caravanes, on en voit fort peu qui aient été attaqués par cette maladie dans leur propre pays.

Au reste, les négriers perdraient bien moins d’esclaves par cette maladie s’ils leur donnaient plus de soins. Leur manque d’intelligence, leur inhumanité, leur avarice sordide les empêchent de comprendre cette vérité et de faire aucune dépense dans ce but.

4° Une affection cutanée qui atteint les esclaves en Egypte, et surtout au Caire, où elle est désignée sous le nom de Eêch-El-Medynéh (mot à mot : genre ou manière de vie de la ville), sans doute parce qu’on l’y regarde comme une conséquence de l’acclimatation et du changement que subissent les esclaves dans leur manière de vivre et leur nourriture. Cette maladie est presque générale parmi les nouveaux arrivés. On l’a souvent confondue avec la gale, soit par le prurit intolérable qu’elle cause, soit par la forme des pustules. Elle n’est pas contagieuse comme la gale ; abandonnée à elle-même, elle dure plusieurs mois et devient hideuse ; si, au contraire, après l’éruption, on emploie les remèdes convenables, la maladie disparait entièrement et promptement.

5° La diarrhée et la dyssenterie sont généralement redoutables pour les nouveaux arrivés.

6° La peste[4] attaque plus particulièrement les nègres, même ceux qui sont acclimatés, lorsqu’elle exerce ses ravages.

7° Le Dragonneau ou Veine de Médine, ou Ver de Guinée[5]. Il se trouve dans les eaux du Soudan, ou dans celles des pays parcourus par les nègres, s’introduit sous la peau et principalement aux extrémités inférieures du corps. Sa longueur varie de un à deux mètres. Pour l’extraire, on l’enroule successivement et avec le plus grand soin sur une petite bobine, en prenant bien garde de le briser avant que l’opération soit complètement achevée, sans quoi la portion qui reste dans les chairs reprend de la vitalité et se transforme en un nouvel individu.

8° Le Filaire de l’œil (Filaria ocularia), long de vingt-cinq à cinquante millimètres, qu’on trouve assez fréquemment chez les nègres, en Afrique, entre la conjonctive et la sclérotique. Il offre l’aspect d’une veine variqueuse et cause souvent de vives douleurs.

9° Le Pian, qui exerce tant de ravages sur les nègres, en Amérique ; il est inconnu dans les régions septentrionales de l’Afrique et de l’Orient.

10° La phtisie[6], qui décime les nègres, en Europe, ou du moins abrège leur existence.

Dans le Haut-Nil on marque les esclaves au moyen de cicatrices faites sur les joues. Cet usage appartient surtout aux pays fétichistes ; nous avons vu, au commencement de cet ouvrage que Mohammed ou le Koran, Soura IV, aia 117, le prohibe. Il ne faut pas confondre ces marques avec le tatouage. Dans quelques tribus arabes de l’Afrique Septentrionale, les femmes se font peindre deux étoiles sur le front au-dessus et entre les sourcils, une étoile sur chacune des pommettes et quatre étoiles sur le menton.

La caravane se met constamment en marche au point du jour et ne s’arrête qu’après le coucher du soleil. Alors les esclaves allument du feu, écrasent, sur une pierre concave qui fait partie de leurs ustensiles portatifs de cuisine, une portion de froment qui cuit ensuite en forme de bouillie, avec un petit morceau de viande de vache salée et desséchée. Le repas du matin consiste aussi en une bouchée de froment, mais sans viande.

On économise l’eau pendant le voyage. Souvent les esclaves ne peuvent boire qu’une fois par jour, d’où il résulte qu’il en meurt plus de soif que de fatigue.

Quelque cruelle que cette économie de boisson soit et paraisse, elle s’explique par deux considérations puissantes ; la première est que l’on ne rencontre de l’eau que rarement, pendant trente-six à quarante jours de marche ; la seconde c’est que les chameaux employés à porter l’eau dans des outres en peau de chèvre, périssent en grand nombre.

Dès les premiers jours, les fatigues, les privations, la douleur ont affaibli un certain nombre d’esclaves. Les femmes s’arrêtent les premières. Alors, afin de frapper d’épouvante ce malheureux troupeau humain, les conducteurs s’approchent de celles qui paraissent plus épuisées, armés d’une barre de bois pour épargner la poudré. Ils en assènent un coup terrible sur la nuque des victimes infortunées, qui poussent un cri et tombent, en se tordant dans les convulsions de la mort.

Le troupeau terrifié se remet aussitôt en marche. L’épouvante a donné des forces aux plus faibles. Chaque fois que quelqu’un s’arrête épuisé, le même affreux spectacle recommence.

Le soir, en arrivant au lieu de la halte, lorsque les premiers jours d’une telle vie ont exercé leur influence délétère, un spectacle non moins horrible attend les esclaves. Ces marchands d’hommes ont acquis l’expérience de ce que peuvent supporter leurs victimes. Un coup d’œil leur apprend quels sont ceux qui bientôt succomberont à la fatigue. Alors, pour épargner d’autant la maigre nourriture qu’ils distribuent, ils passent avec leur barre derrière ces malheureux et d’un coup les abattent. Leurs cadavres restent où ils tombent, lorsqu’on ne les suspend pas aux branches des arbres voisins, et c’est près d’eux que leurs compagnons sont obligés de manger et de dormir.

C’est ainsi que l’on marche pendant des mois entiers, quand l’expédition a été lointaine. La caravane diminue chaque jour. Si, poussés par les maux extrêmes qu’ils endurent des esclaves tentent de fuir ou de se révolter, leurs féroces maîtres leur tranchent les muscles des bras et des jambes, à coups de sabre ou de couteau, et les abandonnent ainsi le long de la route, attachés l’un à l’autre par leurs cordes, leurs courroies ou leurs fourches, et ils meurent lentement de faim. Aussi peut-on dire avec vérité que si on perdait la route qui conduit de l’Afrique Equatoriale aux villes où se vendent les esclaves, on pourrait la retrouver aisément par les ossements de nègres dont elle est bordée.

  1. En arabe, saala.
  2. En arabe, mered el aïnin.
  3. En arabe, jedri ; tunisien, djedrey.
  4. En arabe, h’abouba ; ouba ; t’adoun.
  5. Dracunculus ; dracuntia ægyptiaca ; furia infernalis ; gordius Medinensis, ver Medinensis. Au Soudan, le dragonneau est appelé Fertile, probablement parce qu’il attaque les nègres de préférence aux hommes des autres races.
  6. En arabe, da essel ; mard’eççeder.