L’hermine passant/00

La bibliothèque libre.
Ferenczi et fils, éditeurs (p. 9-11).

Mlle Marguerite de Bocquensé se reconnaît responsable du mariage de son plus jeune frère avec leur cousine éloignée, Bertrande, du même nom. Elle dit qu’il faudra le reste de sa vie pour bien évaluer ce qu’elle a fait.

Conversation avec sa nouvelle belle-sœur trois mois après le mariage :

— Bertrande, blasonnez-moi donc le machin de la famille. Je n’ai jamais pu me mettre ça correctement dans la tête !

Docile écolière, l’autre, d’une voix blanche, récite :

— Nous portons : écartelé aux 1 et 4 de gueules, aux 2 et 3 de sinople, le 2 chargé d’une hermine passant, et un écusson d’argent en abîme.

Le rire bref de Marguerite de Bocquensé.

— Nos ancêtres communs vous avaient certainement prévue, Bertrande ! Car, l’hermine, c’est vous. Sans ça je me demande ce que viendrait faire une hermine dans la famille de Bocquensé. Heureusement qu’il y a l’abîme pour nous représenter, mes frères et moi, qui sommes des démons !

Ici, faiblement, riposte Bertrande :

— Vous oubliez, Marguerite, que l’abîme s’appelle aussi le cœur…

— Ça, c’est chiquement répondu. J’ignorais ce détail. L’art héraldique, vous savez, nous nous en fichons, nous autres ! Nous n’avons pas, dans notre enfance, pâli comme vous sur ce grimoire-là, pauvre petite malheureuse !

Bertrande se tait. Ses paupières descendent jusqu’à ce que les cils touchent le haut de ses joues.

« Même mariée, remarque intérieurement la fine demoiselle, elle n’a pas perdu ce tic de baisser tout le temps les yeux comme une vierge médiévale. Je crois que nous ne saurons jamais qui elle est exactement. »