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L’homme de la maison grise/01/12

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L’imprimerie du Saint-Laurent (p. 36-38).


Chapitre XII

OÙ L’ON REVOIT GUIDO


M. et Mme Francœur venaient de se mettre à table pour leur dîner lorsqu’Yvon frappa à la porte de leur maison. Mme Francœur courut ouvrir.

— Ah ! Mais ! s’écria-t-elle, en regardant le jeune homme. Si c’est pas M. l’Inspecteur !

— Eh ! oui, c’est moi, chère Mme Francœur ! répondit Yvon en riant.

— Mais, vous n’avez pas…

— Je n’ai pas fait le tour de la Nouvelle-Écosse, vous voulez dire ?

— Ce n’est pas cela, protesta Mme Francœur en riant. Je sais bien que… ce que j’allais dire c’était que j’espérais que vous n’aviez pas eu d’accidents, ou quelque chose ?…

— Oh ! Pas du tout !… Je vous expliquerai…

— Entrez ! Entrez M. Ducastel ! Nous allions justement nous mettre à table, Étienne et moi. Vous êtes le bienvenu mille fois !… Et puis, nous avons du pâté au poulet pour le dîner ; je sais que c’est là votre mets de prédilection.

— L’eau m’en vient à la bouche, rien qu’à y penser, Mme Francœur !… Le temps de monter à ma chambre faire un brin de toilette et je vous rejoins…

— Nous allons vous attendre.

— Non ! Non ! Commencez à dîner, je vous prie… Comment se porte M. Francœur ? Je ne me suis pas encore informé de sa santé.

— Oh ! Étienne est toujours d’une santé superbe, M. Ducastel. S’il va être surpris un peu de vous savoir de retour !… Je vais l’envoyer à l’écurie, soigner votre cheval.

— Je me suis occupé de Presto, Mme Francœur ; que M. Francœur ne se dérange pas. À tout à l’heure !

Yvon dut donner quelques explications à ses bons amis, qui l’écoutaient avec grand intérêt.

— Et ce monsieur qui a été blessé, où l’avez-vous donc laissé, M. l’inspecteur ? demanda Mme Francœur. Pourquoi ne l’avoir pas fait transporter ici ?

— C’était trop loin, voyez-vous ; il n’aurait pu endurer le trajet.

— Mais, où est-il ? demanda Étienne.

Yvon ne put s’empêcher de sourire, tant cela l’amusait de penser à l’effet qu’il eut produit s’il eut pu répondre : « J’ai laissé mon malade à la Maison Grise » ! Mais il avait promis le secret ; il se contenta donc de répondre :

M. Jacques (c’est le nom de ce monsieur) est dans un petit chantier, à quelque distance d’ici, et je vous assure que nous y sommes installés fort confortablement…… comme des princes.

— Dans un chantier ! s’exclama Étienne Francœur. Tenez, M. Ducastel, si vous le désirez, j’attellerai bien mon cheval à mon express et nous irons chercher ce monsieur.

— Rien ne serait plus facile, fit Mme Francœur.

— Nous pourrons le coucher dans le fond de l’express, sur de la paille et…

— Votre idée serait excellente, M. Francœur, si M. Jacques pouvait supporter le trajet ; mais, je le répète, il ne le pourrait pas. Une entorse…

— C’est bien, bien souffrant, acheva Mme Francœur. Tu te souviens, ajouta-t-elle, en s’adressant à son mari, quand tu t’es donné une entorse, il y a trois ans, il n’y avait pas moyen d’approcher de ton lit, sans que tu protestes : « Prenez garde à mon pied » ! criais-tu sans cesse.

— Oui, je m’en souviens…

— Alors, tu dois comprendre que M. Jacques, le malade…

— Cependant, M. Francœur, fit Yvon, je vous demanderai peut-être de me louer votre voiture, pour un jour ou deux, d’ici une quinzaine.

— Vous « louer » ma voiture, dites-vous, M. l’inspecteur ? Vous la « louer » ?… Je vous la prêterai, pour le temps que vous le désirerez, car, vous le savez, ce n’est pas tous les jours que je m’en sers ; l’ai plus souvent besoin de mon tombereau que de mon express.

— Merci d’avance alors, mon ami ! dit le jeune homme… Il ne s’est passé rien d’extraordinaire durant mon absence… à la houillère, je veux dire ?

— Non, rien… Excepté qu’on est venu ici, lundi matin, demander si vous étiez parti.

— Vraiment ? Que me voulait-on ?

— On voulait vous demander un permis, pour des étrangers, qui désiraient descendre dans la mine.

— Je suis bien content d’avoir été absent, alors, car, vous le savez, M. Francœur, c’est toujours malgré moi que j’admets des étrangers dans la mine.

— Oui, je sais…

— Maintenant. Mme Francœur, je suis obligé de faire comme les sauvages ; vous quitter aussitôt après avoir mangé votre exquis dîner. J’ai… je ne sais combien de commissions à faire, en ville.

— Avant de partir, M. Ducastel, ne me direz-vous pas ce que vous avez pensé du Sentier de Nulle Part ?

— Le Sentier de Nulle Part ?… Ah ! oui, le Sentier de Nulle Part… répondit Yvon. Eh ! bien, je vous avouerai, M. Francœur, que c’est un sentier duquel on ne cherche qu’à sortir, une fois qu’on y a pénétré.

— Il me semblait bien qu’il devait en être ainsi !

— En revanche, je puis vous assurer, mon ami, d’une chose : c’est que le Sentier de Nulle Part n’est pas hanté, dit le jeune homme en riant. J’y ai cheminé assez longtemps pour pouvoir l’affirmer.

— Et la Maison Grise ?

— Hein ? Oh ! Je ne sais pas… Je présume qu’il doit y en avoir une ; c’est tout ce que je puis vous dire. Eh ! bien, au revoir, M. Francœur, Mme Francœur, fit Yvon en se levant pour partir.

— Vous souperez avec nous, n’est-ce pas, M. Ducastel ?

— Merci, chère Madame ; mais ce sera impossible. Je cours faire mes commissions, puis, je retourne à notre chantier, car je n’aime pas à laisser mon malade seul trop longtemps. Entre trois et quatre heures de l’après-midi, Yvon revenait chez les Francœur ; il avait fait toutes ses commissions, ce qu’indiquait clairement le nombre de paquets dont il était chargé. Il s’était arrêté à la houillère, en passant, dire bonjour aux employés, leur expliquer brièvement la raison de son « faux départ » disait-il en riant, leur annonçant, par la même occasion, qu’il ne serait de retour à son poste que lorsque son congé serait expiré.

Après avoir pris quelques bouchées d’un goûter que lui avait préparé cette bonne Mme Francœur, il sauta sur sa selle et partit pour la Maison Grise.

Comme il arrivait à la fourche de chemin, où commençait le Sentier de Nulle Part, un chien vint aboyer autour de Presto. Ce chien, Yvon le reconnut aussitôt ; c’était Guido, le collie de la Maison Grise.

— Guido ! Guido ! appela-t-il.

Ayant arrêté son cheval, il mit pied à terre, et encore une fois, il appela le chien, qui vint lui faire des joies.

Oui, c’était bien Guido. Son nom était gravé sur son collier… Guido !… Que faisait-il, si loin de chez lui ?…

— Viens. Guido ! Beau chien, viens ! fit le jeune homme, qui, vite, remonta sur son cheval.

Le chien le suivit pendant quelques instants seulement puis, s’arrêtant net, il se mit à geindre et à remuer doucement la queue.

— Guido ! Guido ! appela, de nouveau, Yvon.

Il allait descendre de cheval, encore une fois, mais le chien, comme s’il se fut rappelé de quelque chose, lança à l’air deux aboiements, puis, tournant sur lui-même, il partit, ventre à terre, dans la direction de la ville.

— C’est étrange étrange !… se disait le jeune homme. Que fait, par ici, le chien de la Maison Grise ?… Peut-être M. Villemont est-il à W…, dans le moment, et s’est-il fait accompagner de son chien ?… Je le saurai bientôt d’ailleurs… Chose certaine, c’est que Guido passe ses nuits dans la maison et ses journées dehors… Où va-t-il, chaque jour ?… Suit-il quelqu’un ?… Serait-ce vrai que « l’hermite » de la Maison Grise n’en est pas un, après tout… que quelqu’un demeure là, avec lui ?… Pourtant, c’est presqu’impossible… Il n’y a aucun vestige d’un autre être humain à la Maison GriseM. Jacques se moquerait de moi, s’il savait les soupçons que je nourris à propos de M. Villemont et de tout ce qui le concerne… même son chien ; il me dirait que j’essaie de trouver du mystère là où il n’en existe pas… Cependant… Mais, allons ! Dépêchons ! si je veux arriver à destination avant la clôture des portes. Ha ha ha ! ajouta-t-il, avec un éclat de rire insouciant.

Lorsqu’il arriva à la Maison Grise, Yvon vit bien que M. Villemont n’avait pas quitté son domicile de la journée : il portait les mêmes habits que le matin : la bombe chantait sur le feu ; la table était mise pour le souper, et le maître des séans, assis près du foyer, fumait sa pipe, tandis qu’à côté de lui était un verre et une bouteille de cognac plus de la moitié vide ; à cette bouteille il avait dû puiser maintes fois, à en juger par son visage boursoufflé, ses mains tremblantes, et son sourire, à la fois niais et méchant.

Évidemment alors, Guido avait passé la journée seul, en ville…. N’était-ce pas très étrange ?