L’homme de la maison grise/03/11
Chapitre XI
LA DAME NOIRE
On était au jeudi. Il était trois heures de l’après-midi.
Dans le salon de Mme Francœur. un joyeux groupe était réuni ; on y voyait les personnes suivantes : M. et Mme Foulon ; M. et Mlle d’Azur ; Lionel Jacques et Patrice Broussailles.
Dans une heure, on explorerait la houillère de W… On attendait Yvon, d’un moment à l’autre ; en l’attendant, on causait.
— Ainsi, Mme Francœur, dit Mme Foulon, en s’adressant à leur hôtesse qui venait d’entrer dans le salon, munie d’un plateau, contenant des verres de liqueurs, vous ne vous décidez pas à nous accompagner, à la Ville Noire ?
— Ah ! Non ! s’écria l’interpellée. Je ne descendrais pas là dedans pour tous les biens de la terre !
— Tiens ! Vous me faites la même réponse que Madeleine Blanchet, de la Ville Blanche ! Est-ce que, par hasard, vos raisons sont les mêmes que les siennes, Mme Francœur ? Avez-vous peur de la Dame Noire, vous aussi ? Et Mme Foulon rit de grand cœur.
— Peut-être, répondit, sans rire, la maitresse de pension.
— Ah ! Bah ! s’exclama la femme du marchand, en haussant légèrement les épaules.
— La Dame Noire ?… s’écria Luella. Qu’est-ce que… Qu’est cette Dame Noire dont vous parlez ? demanda-t-elle ensuite, et tous ceux qui étaient présents constatèrent, avec surprise, qu’elle paraissait très effrayée.
Patrice Broussailles cependant, n’était aucunement étonné de la frayeur de la jeune fille. Il eut un ricanement intérieur, puis un sourire… entendu parut sur ses lèvres. « Que ces gens sont stupides ! se disait-il. Ils ne voient donc pas clair » —
— La Darne Noire… commença Mme Foulon, en s’adressant à Luella.
— Les uns disent le Spectre Noir, interrompit son mari.
— Le Spectre Noir ? s’écria Patrice Broussailles, en frais de faire de l’esprit. Qui est-ce qui a déjà vu un spectre noir ? Ha ha ha !
— Qui est-ce qui a déjà vu un spectre blanc, M. Broussailles ? demanda finalement Mme Foulon. Personne, que je sache.
— N’empêche que les spectres, généralement, sont blancs persista Patrice.
— Vraiment ? s’exclamèrent-ils tous, presqu’ensemble et en éclatant de rire.
— C’est que les spectres sont sensés être enveloppés de leurs linceuls, intervint Lionel Jacques, fort amusé.
— Mais… La Dame Noire ? fit, de nouveau Luella.
— Je vais vous mettre au courant des faits, moi, Mlle d’Azur ! annonça Mme Francœur d’un ton grave… et après cela, si vous désirez encore descendre dans la mine… eh ! bien, vous êtes plus brave que moi !
— Est-ce que… réellement…
— Ma chère enfant ! s’écria soudain Richard d’Azur, en s’adressant à sa fille. Sûrement, tu ne vas pas te livrer à la superstition ?
Ce fut dit d’un ton singulier… Cela sonnait comme un avertissement… On eût cru que Richard d’Azur voulait mettre sa fille sur ses gardes… ou quelque chose de ce genre. Luella comprit, sans doute, car, haussant les épaules, elle répondit en souriant :
— Je ne suis guère superstitieuse vous le savez, père. Cependant, j’aimerais à connaître la… légende de la Dame Noire, si Mme Francœur veut bien nous la raconter.
— Ce n’est pas une légende, Mlle d’Azur, je vous l’assure ! Ce sont des faits que je vais vous raconter… Une légende !… Non, vraiment, ça n’en est pas une !
— Nous vous écoutons, Mme Francœur dit Mme Foulon.
Nous allons dire, en quelques phrases ce que Mme Francœur raconta, avec forme détails, à son auditoire attentif :
Une superstition (une légende, si on le préfère) était, en effet, attachée à la houillère de W… ; on prétendait que ce lieu était hanté par la présence (par les apparitions plutôt) de la Dame Noire.
Plus d’un affirmait avoir vu la Dame Noire. Elle était entièrement recouverte d’un long vêtement noir, à capuchon ; ce vêtement était retenu à la taille au moyen d’un câble, assez mince, mais qui paraissait très résistable.
Sur le sol inégal de la mine, qu’elle paraissait à peine effleurer du pied, et dans ses noirs couloirs, la Dame Noire laissait traîner ses sombres vêtements.
Son visage, ainsi que ses mains étaient d’une blancheur surnaturelle. De sa main droite jaillissait une lumière blanche, surnaturelle aussi, qui avait le don de faire rayonner tout ce qu’elle touchait ; elle avait pour effet, cette lumière, de remplir d’effroi ceux qui l’avaient aperçue, car ils prétendaient en avoir été éblouis.
La Dame Noire, si elle était un spectre, n’était pas un spectre malfaisant, dans tous les cas. Loin de là ! Elle avait, en plus d’une occasion, averti d’un danger ; elle avait secouru plus d’un mineur qui, sans son intervention, aurait péri.
Ainsi, Joseph Damien racontait, à qui voulait l’entendre, que, une nuit, alors qu’il travaillait dans la mine, il avait été presqu’asphyxié par le gaz de charbon et qu’il avait senti qu’il allait mourir… ce qui serait arrivé, si la Dame Noire n’était venue à son secours. Comment les choses s’étaient-elles passées ?… Le mineur n’eut pu le dire bien clairement, puisqu’il avait presque perdu connaissance. Tout ce qu’il avait pu assurer c’était que, lorsqu’il avait ouvert les yeux, il avait vu, penchée sur lui, la Dame Noire. Il avait constaté aussi qu’il était sorti de la houillère, qu’il était en plein bois et que l’air frais de la nuit lui emplissait les poumons
— Madame… avait-il murmuré.
Mais aussitôt, la Dame Noire avait disparu, telle une ombre ; elle s’était, pour ainsi dire, fondu dans la nuit.
Sur ses jambes encore faibles, le mineur s’était lancé à la poursuite de celle qui venait de lui sauver la vie ; la Dame Noire était restée introuvable, introuvée… tout comme si la terre s’était entr’ouverte pour l’engloutir.
On racontait aussi qu’un jour que plusieurs mineurs étaient à travailler ensemble, ils avaient entendu, non loin d’eux, un effroyable bruit, comme celui que produirait le tonnerre, lointain d’abord, mais se rapprochant rapidement. Pris de panique, ils avaient jeté sur le sol pics et pioches, se préparant à fuir… Fuir ?… Mais où ?… De quel endroit venait le danger ?… Le repercutement des sons est si trompeur dans la houillère !… Une catastrophe se préparait, c’était évident… Venait-elle de droite, de gauche, d’en avant de soi, de derrière soi ?…
Soudain, la Dame Noire leur apparut.
— Effondrement ! Effondrement ! s’était-elle écriée.
Sa main droite s’était levée et une lumière blanche, surnaturelle, en avait jailli, ses rayons envahissant un couloir, à gauche.
— Par-là ! avait-elle dit, puis elle avait disparu.
Ces mineurs, sauvés par l’intervention de la Dame Noire, n’avaient pas manqué de raconter la chose. Or, ils étaient huit pour attester ce fait.
Après cela, personne ne douta plus que la houillère de W… était hantée par la présence d’un être étrange… surnaturel. Et quoique la Dame Noire ne fût nullement malfaisante — bien au contraire — plus d’un mineur se signait dans l’ombre, en pensant à elle.
Les mineurs sont superstitieux, c’est entendu : d’ailleurs, tout ce qui est mystérieux cause un sentiment de malaise, même au plus brave, au plus hardi.
Yvon Ducastel entra dans le salon, au moment où Mme Francœur achevait son récit.
— Oh ! M. Ducastel ! s’écria Mme Foulon, en apercevant le jeune homme, nous venons d’entendre parler de la Dame Noire…
— Tu ne nous avais pas dit que la houillère était hantée, dit Lionel Jacques en riant.
— Je l’avais oublié, répondit Yvon, riant, lui aussi. Et puis, ajouta-t-il, la Dame Noire, il me faudrait la voir pour y croire.
— Vous ne l’avez donc jamais vue ?
— Jamais, Mme Foulon.
— Plusieurs prétendent l’avoir vue pourtant…
— Oui, je sais… Mais je ne suis pas doué d’une imagination très exaltée, moi… conséquemment, je ne crois pas que la Dame Noire m’apparaisse jamais.
— Vous croyez donc que ceux qui disent l’avoir vue…
— S’attendaient à la voir, acheva Yvon.
— Vous n’y croyez pas à la Dame Noire alors, M. Ducastel ? demanda sérieusement Luella.
— Certes, non, Mlle d’Azur ! Contes merveilleux que tout cela.
Elle eut un soupir de réel soulagement.
— Je me tiendrai tout près de vous, pendant notre excursion, dans tous les cas, annonça-t-elle en souriant. Si la Dame Noire nous apparait…
— Nous lui ferons bon accueil, puisque d’après la légende, elle est le bon génie de la mine, fit Yvon en riant.
— Quand partons-nous ? demanda Mme Foulon, qui n’eut pas manqué l’excursion projetée pour tous les biens de la terre, ou plutôt, pour tous les spectres, noirs ou blancs, de la houillère.
— Immédiatement, si vous le désirez, répondit notre jeune ami ; je suis venu vous chercher, Mesdames et Messieurs.
— Partons, alors ! En route pour la Ville Noire ! s’écrièrent-ils tous. Bientôt, ils quittaient la sûreté du toit des Francœur, pour se risquer au centre de la terre… qu’ils désiraient explorer depuis si longtemps.