L’instruction publique à l’Exposition de 1878/02

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L’instruction publique à l’Exposition de 1878
Revue pédagogique1, premier semestre (p. 541-545).

L’INSTRUCTION PUBLIQUE À L’EXPOSITION DE 1878 (Suite).

Le mois qui s’est écoulé depuis qu’ici même nous avons, pour la première fois, parlé de l’Exposition, a vu, grâce à d’énergiques efforts, l’achèvement à peu près complet de toutes les installations dans le Palais du Champ-de-Mars. L’Instruction publique n’y est pas restée en arrière, et nous pouvons sans hésiter commencer ce que nous avons appelé notre promenade pittoresque à travers l’Exposition pédagogique.

Donc nous voici à la porte Rapp. La porte Rapp, c’est, on peut le dire, l’entrée par excellence de l’Exposition. Desservie par ces nombreux tramways qui, de tous les points de l’horizon, viennent faire des abords du pont de l’Alma une sorte de gare de chemin de fer ; rendez-vous général de ces tapissières, omnibus improvisés qui vers le soir recueillent le piéton dans l’embarras, la porte Rapp donne accès au cœur mème du Palais du Champ-de-Mars, Nous avons, nous, une raison particulière de la choisir : c’est qu’après l’avoir franchie en quelques pas nous allons atteindre les sections qui nous intéressent.

De la porte extérieure au Palais même, une large marquise vitrée, peut-être un peu trop basse pour offrir ce coup d’œil grandiose qui conviendrait à une entrée d’honneur, nous conduit à couvert.

Un battant de porte à pousser, et nous sommes dans le Palais. Devant nous se prolonge l’avenue que nous avons commencé de suivre, mais plus haute de voûte maintenant, plus vaste et plus majestueuse dans ses proportions. À notre droite et à notre gauche, immenses dans leur rectitude, s’étendent à perte de vue les galeries. En 1867, tout était elliptique au Champ-de-Mars, et le coup d’œil, se heurtant aux courbes des enceintes, ne pouvait embrasser jamais qu’un espace restreint. Aujourd’hui tout est à angle droit, et le regard s’enfonce sans obstacle dans ces sortes d’avenues qui mesurent près d’un kilomètre. Nous n’avons donc, tout en marchant droit devant nous, qu’à regarder rapidement à notre droite et à notre gauche pour nous faire une idée de la distribution générale de l’Exposition.

Ce que nous apercevons tout d’abord, c’est une longue et triple file de voitures. Immédiatement après, voici les machines. Ici le coup d’œil est vraiment plein de grandeur. Cette galerie colossale dans toutes ses proportions, ces machines qui luttent d’activité et d’industrie, et semblent s’être réunies là, esclaves dociles de l’homme, pour témoigner de la domination de l’esprit sur la matière ; tout ce bruit, tout ce mouvement, tout cet ensemble de force et de travail, frappent le spectateur d’une impression vive et forte : si peu versé qu’on soit dans les secrets de la mécanique, on ne peut se défendre d’une admiration instinctive. Payons notre tribut, et poursuivons notre route. Nous rencontrons et nous coupons à angle droit successivement plusieurs rues : elles contiennent les, diverses sections des groupes II et IV : le vêtement et le mobilier. Au milieu de notre avenue s’élèvent plusieurs vitrines ou piédestaux qui nous montrent des produits variés : orfèvrerie, bronzes, céramiques, voire même parfumerie. Nous n’avons point affaire à cela. Pourtant nous rencontrons là un objet auquel nous devons bien en passant un moment d’attention. C’est le modèle en relief du château de Pierrefonds. Ce serait regarder bien légèrement cet édifice lilliputien que d’y voir seulement le spécimen d’une admirable restauration. Dans ces tours à la fois massives et élancées, dans cette enceinte à l’aspect imprenable, entourant ces cours élégantes, ces bâtiments à la fois irréguliers et harmonieux, il y a la résurrection de toute une époque du moyen âge. Ce n’est plus Coucy, au donjon gigantesque, Coucy, fait pour loger des milliers d’hommes d’armes et pour abriter au besoin dans ses enceintes la population de villages entiers, Coucy enfin, type achevé de la forteresse féodale. Ce n’est pas encore un de ces châteaux de la Loire, où les défenses extérieures ne sont que pour la forme, où tout est conçu pour le luxe, pour le plaisir des yeux, pour l’habitation de haute et douce vie. Mais cela rappelle l’un et fait pressentir l’autre : c’est la transition matérielle entre deux époques, entre deux systèmes. Quelle leçon pratique d’histoire ne nous donnerait point ce château en miniature, si nous pouvions lui prêter une attention plus longue !

Quelques pas encore, et nous aurions achevé de traverser dans sa largeur la section française. Nous nous trouverions dans l’un des petits jardins qui séparent du pavillon de la Ville de Paris les grands pavillons des Beaux-Arts. Mais nous n’allons pas jusque là. Nous sommes à la hauteur d’une nouvelle rue, la rue des Arts libéraux : À notre droite, s’ouvre la classe de l’imprimerie et de la librairie. Tournons de ce côté : ce sera notre meilleur chemin pour gagner les salles de l’Instruction publique proprement dite.

Sans doute, nous y pourrions aussi parvenir par ce long couloir vitré qui court, parallèlement à l’avenue des Arts libéraux, jusqu’à la galerie d’Iéna, et dont le côté adossé aux salles intérieures à été mis à la disposition du Ministère de l’instruction publique : mais outre que ce couloir n’est point encore complètement installé, outre que nous y trouverions seulement une profusion de dessins, d’aquarelles, de terres cuites, de moulages, qui sont là, les malheureux, comme en serre chaude, nous avons une raison pour visiter tout de suite la classe de la librairie. C’est qu’aucun sujet d’étude approfondie ne nous appellera plus tard à y revenir.

Si nous le constatons tout de suite, c’est qu’il y a là en même temps l’explication de l’aspect très-particulier de la classe 9. Ce qui domine dans le vaste espace si libéralement mis à la disposition de l’Imprimerie et de la Librairie, ce n’est point le livre, dans l’acception générale du mot : ce n’est surtout pas le livre classique, que ce ’terme s’applique à l’instruction primaire ou bien à l’enseignement secondaire ou supérieur. Les grandes maisons de librairie dont la spécialité consiste justement à produire ce genre d’ouvrages, en ont réservé l’exposition pour les classes que cela intéresse plus directement. Non, ce qui règne ici, ce qui se dispute la souveraineté, — mais, hélas avec des bataillons bien inégaux en nombre ! — c’est ce qu’on peut appeler les deux extrêmes de la libraire : ce sont les ouvrages de grand luxe, et les lithographies à bon marché. En cherchant, il est vrai, dans les vitrines, nous trouverions bien quelques éditions Charpentier ou Lévy quelques publications scientifiques émanées de maisons spéciales, quelques volumes exposés en guise d’échantillons par les Belin, les Delagrave, les Delalain ; nous trouverions surtout ces ravissantes éditions de la maison Jouaust, que l’on pourrait qualifier de bijoux rétrospectifs, et qui semblent avoir été mises à pour réconcilier un peu avec l’imprimerie moderne les ancêtres de ce bel art ; mais enfin, ce qui frappe l’œil, c’est, çà et là, un petit nombre d’ouvrages coûteux, illustrés par le crayon de nos maîtres du dessin et à côté la foule innombrable des enluminures que désigne ce nom aussi barbare que l’est trop souvent la chose elle-même : les chromos.

(À suivre.)