L’intérêt du capital/9

La bibliothèque libre.

Böhm-Bawerk suppose, tout d’abord, qu’il n’y a qu’un marché ; que les capitaux sont tous employés productivement ; que dans les entreprises productives où on les engage ces capitaux servent exclusivement à payer de la main-d’œuvre ; que toutes les productions, enfin, sont également productives pour une durée égale du processus productif, en d’autres termes, que l’échelle des plus-values obtenues par l’allongement du processus productif est partout la même.

Les choses étant telles, il y a lieu de considérer, pour savoir comment se déterminera le taux de l’intérêt :

a) la quantité des capitaux disponibles (Böhm-Bawerk dit : le stock des subsistances ; les capitaux doivent en effet servir à entretenir les travailleurs pendant le temps qu’on attendra le produit) ;

b) le nombre des travailleurs ;

c) l’échelle des produits et des plus-values que l’on obtient lorsque varie la durée du processus productif. Il faut se rappeler en outre que tous les travailleurs doivent être occupés — pour obtenir d’être occupés, ils ont toujours un moyen à leur disposition, qui est de baisser leurs prétentions, et de se contenter d’un salaire moindre —, et que tous les capitaux doivent être employés. Et il faut encore noter que, le salaire variant, la durée du processus productif la plus avantageuse varie aussi.

Cette dernière assertion demande des explications. Elle est fondée sur cette prémisse que, la durée du processus productif s’allongeant, le produit de l’unité de travail s’accroît indéfiniment, encore qu’il s’accroisse de moins en moins. Si l’on admet la prémisse, alors il apparaîtra que celui qui dispose d’un certain capital, occupant un nombre d’ouvriers plus ou moins grand selon la période de production qu’il adopte, aura, pour un taux donné des salaires, un gain annuel qui variera avec la période de production adoptée, et que la période de production la plus avantageuse, comme je disais tout à l’heure, sera telle ou telle selon que le taux des salaires sera plus élevé ou plus bas.

Soit un capitaliste disposant de 10.000 fl. Le salaire courant étant de 300 fl. par an, on pourra dresser le tableau suivant :

Période de production Produit d’une année de travail Gain annuel pour chaque travailleur Nombre des travailleurs occupés Gain total annuel
1 an 350 fl. 50 fl. 66,66 3.333,3 fl.
2 ans 450 — 150 — 33,33 5.000 —
3 — 530 — 230 — 22,22 5.111,1 —
4 — 580 — 280 — 16,66 4.666,6 —
5 — 620 — 320 — 13,33 4.266,6 —
6 — 650 — 350 — 11,11 3.885,5 —
7 — 670 — 370 — 9,52 3.522,4 —
8 — 685 — 385 — 8,33 3.208,2 —
9 — 695 — 395 — 8,33 3.208,2 —
10 — 700 — 400 — 6,66 2.666,6 —

La période de production la plus avantageuse sera celle qui dure 3 ans. Que maintenant le salaire s’élève à 600 fl., et on aura cet autre tableau :

Période de production Produit d’une année de travail Gain annuel pour chaque travailleur Nombre des travailleurs occupés Gain total annuel
1 an 350 fl. (perte)cac 33,33 (perte)cac
2 ans 450 — »caché 16,66 »caché
3 — 530 — »caché 11,11 »caché
4 — 580 — »caché 8,33 »caché
5 — 620 — 20 fl. 6,66 133,33 fl.
6 — 650 — 50 — 5,55 277,77 —
7 — 670 — 70 — 4,76 333,33 —
8 — 685 — 85 — 4,16 354,16 —
9 — 695 — 95 — 3,70 351,50 —
10 — 700 — 100 — 3,33 333,33 —
Ici la période de production la meilleure est celle de 8 ans. On remarquera qu’à cette période optima plus longue correspond un gain annuel plus faible[1].

122. À l’aide des précédentes indications, nous pouvons voir, d’après Böhm-Bawerk, comment le taux de l’intérêt se déterminera. Soit un stock de subsistances s’élevant à 15.000 millions de fl., des travailleurs au nombre de 10 millions, et une échelle : des plus-values pareille à celle des tableaux ci-dessus. Supposons que le salaire des travailleurs soit de 300 fl. par an. Chaque capitaliste adoptera pour sa production cette durée qui est la plus avantageuse, celle de 3 ans. Mais alors, pour que tous les capitaux pussent s’employer, il faudrait qu’il y eût plus de travailleurs qu’il n’y en a. 10.000 fl. de capital faisant occuper 22,22 travailleurs, 15.000 millions en feraient occuper 33,33 millions : et il n’y en a pas autant. Qu’arrivera-t-il donc ? La demande de main-d’œuvre dépassant l’offre, les salaires monteront. Jusqu’où monteront-ils ? Pas jusqu’à 600 fl. ; car alors il faudrait, pour occuper tous les travailleurs,

fl.[2]

c’est-à-dire plus de capital qu’il n’y en a : une partie seulement des travailleurs, 6,25 millions, seraient occupés. En définitive le taux du salaire s’établira à 500 fl., la période de production sera de 6 ans, et le gain annuel sera de 1.000 fl. pour 10.000 fl. de capital, soit 10 %.

On peut résumer cette théorie de Böhm-Bawerk de la manière suivante : l’intérêt du capital dépend du salaire ; et le salaire se règle en telle sorte que, les capitalistes adoptant — comme ils ne manquent pas de faire — la durée de production la plus avantageuse par rapport à lui, tous les travailleurs se trouvent occupés et tous les capitaux employés.

123. Telle est du moins la théorie de Böhm-Bawerk pour l’hypothèse simple qu’il examine en premier lieu. Voyons maintenant quelles modifications va apporter à cette théorie l’introduction des complications de la réalité ; je résumerai très brièvement ce que Böhm-Bawerk dit à ce sujet.

1° Le produit de la main-d’œuvre n’est pas partout le même, ni le salaire des ouvriers, — Mais ceci ne change pas grand’chose à la théorie, fait observer Böhm-Bawerk : car le rapport du produit de la main-d’œuvre et du salaire est à peu près constant ; d’où il résulte que les ouvriers qualifiés jouent à peu près le même rôle, sur le marché, que joueraient des ouvriers non qualifiés plus nombreux.

2° L’échelle des plus-values change avec les productions. Dès lors, les capitalistes cherchant les plus-values les plus fortes, l’égalité s’établira, d’une entreprise productive à l’autre, non pas entre les durées de production, mais entre les plus-values ; les périodes de production seront moins longues là où l’échelle des plus-values monte moins rapidement. — Mais d’après Bôhm-Bawerk il importe peu que la ligne séparant les périodes de production les plus avantageuses des périodes de production plus longues, et moins avantageuses, soit une ligne droite ou une ligne en zig-zag. Le taux de l’intérêt est jours déterminé par ces périodes productives — elles seront à la vérité inégales — que l’on n’a pas avantage à allonger.

3° Les ouvriers ne sont pas les seuls à demander des subsistances : il y a encore ceux qui empruntent pour consommer ; il y a les propriétaires fonciers, en tant qu’ils consomment leur rente : il y a les capitalistes eux-mêmes, en tant qu’ils vivent des intérêts qu’ils perçoivent. — La demande de ceux qui empruntent pour consommer influera sur le taux de l’intérêt : un équilibre devra s’établir entre l’agio qu’offrent ces emprunteurs et celui dont les capitalistes bénéficient quand ils dépensent leurs capitaux dans des entreprises productives. La dépense des propriétaires fonciers en tant que consommateurs agit dans le même sens : elle élève le taux de l’intérêt ; elle l’élève, à vrai dire, parce qu’elle réduit les sommes qui seront capitalisées, tandis que les emprunts contractés en vue de la consommation élèvent l’intérêt parce qu’ils font concurrence, si l’on peut ainsi parler, aux placements productifs qui sollicitent les capitalistes. Enfin la consommation des capitalistes, diminuant, elle aussi, ce stock de subsistances qui est la condition indispensable de la capitalisation productive, diminue cette capitalisation, et élève l’intérêt de la même manière que la consommation des propriétaires fonciers.

On le voit, l’étude de ces complications laisserait subsister l’essentiel de la théorie de Böhm-Bawerk ; cette étude conduirait seulement à rectifier cette théorie sur certains points accessoires, à la compléter aussi. Elle permettrait de dresser la liste des facteurs qui interviennent dans la détermination du taux de l’intérêt, et de donner à chacun de ces facteurs son importance véritable ; mais pour Böhm-Bawerk les plus importants de ces facteurs demeurent ceux qu’il avait seuls envisagés dans sa première hypothèse, à savoir le stock des subsistances, le nombre des travailleurs, l’échelle des plus-values ; secondaires seulement seraient les autres facteurs, la demande de capitaux pour la consommation, la rente foncière, le nombre des capitalistes vivant de leurs intérêts et la répartition entre eux des capitaux, l’esprit d’économie de la population, etc.


124. En définitive la théorie de Böhm-Bawerk sur la détermination du taux de l’intérêt apparaît comme un perfectionnement de la théorie anglaise du fonds des salaires. Mais combien elle serait supérieure à cette dernière[3] ! La théorie du fonds des salaires est une théorie circulaire : égalant en effet le salaire au quotient de la division du fonds des salaires par le nombre des travailleurs, elle fait dépendre le salaire du fonds des salaires ; or le fonds des salaires de son côté devra dépendre du taux du salaire, il devra grossir quand celui-ci s’élève, diminuer quand il s’abaisse. Böhm-Bawerk — c’est lui-même qui le dit évite de tomber dans cette faute logique grossière, et c’est grâce à la considération, qu’il est le premier à introduire dans l’économique, dont il est le premier en tout cas à tirer les conséquences, de la durée du processus productif. Le fonds des salaires, ou plutôt le stock des subsistances, doit entretenir tous les travailleurs ; mais il peut les entretenir pendant une durée plus ou moins longue, selon le niveau des salaires ; et ainsi les salaires pourront varier sans qu’il soit nécessaire que le stock des subsistances varie en même temps dans le même sens.

Non seulement la théorie de Böhm-Bawerk ne pèche pas contre la logique, comme faisait la théorie du fonds des salaires, et n’est point vaine comme celle-ci, mais encore elle résout, d’après son auteur, plusieurs à la fois des problèmes les plus ardus de l’économique. Elle donne la loi de la détermination de l’intérêt ; du même coup elle détermine le salaire ; et elle détermine encore la durée du processus productif, dont les économistes avant Böhm-Bawerk s’étaient peu souciés, et qui est une chose considérable, même si l’on fait abstraction de son rapport avec l’intérêt et le salaire.

Ainsi l’importance de la théorie de Böhm-Bawerk serait des plus grandes. Il nous faut voir jusqu’à quel point les prétentions de Böhm-Bawerk sont justifiées.




125. Entreprenant la critique de la théorie de Böhm-Bawerk, je passerai tout d’abord en revue les objections que l’on pourrait être tenté d’adresser à cette théorie et qui ne portent pas en réalité contre elle, ou qui du moins ne détruisent pas ce qu’il y a en elle d’essentiel. L’examen de quelques-unes de ces objections me permettra d’ailleurs d’éclaircir certains points de cette théorie qui dans le résumé précédent ont pu paraître obscurs, voire même de compléter et d’approfondir, sur certains points, la pensée de Böhm-Bawerk lui-même.

1° Böhm-Bawerk, voulant montrer comment se détermine le taux de l’intérêt, prend pour données du problème des quantités qu’il suppose fixes. Ainsi dans l’exemple dont il se sert pour illustrer sa théorie le nombre des ouvriers est fixé à 10 millions. Mais n’arrivera-t-il pas que les quantités supposées fixes par Böhm-Bawerk varieront, en suite du taux de l’intérêt qui s’établira, ou du salaire qui s’établira en même temps ? Il y a tout d’abord, dans l’hypothèse de l’auteur, 10 millions d’ouvriers ; selon que le salaire s’établira à 300 florins par an, à 500 ou à 600, ne verra-t-on pas, la condition d’une classe sociale influant sur la natalité et la mortalité qu’on y observe, le nombre des ouvriers s’accroître, ou bien encore diminuer dans des proportions différentes ? Ainsi, le problème posé se résolvant, les données se trouveraient modifiées par là-même, un autre équilibre devrait être cherché, un autre taux d’intérêt et un autre salaire.

Cette objection ne doit pas nous arrêter. Elle revient à dire que Böhm-Bawerk a envisagé le problème du taux de l’intérêt d’un point de vue statique, et qu’un tel point de vue est un point de vue imparfait. Et certes il est sûr que la dynamique seule, point la statique, embrasse la réalité dans sa durée ; que l’équilibre du taux de l’intérêt est dans la réalité, comme tous les équilibres réels, un équilibre instable, qu’il porte en lui-même — sans qu’on ait besoin de faire intervenir des changements extérieurs — des causes qui travaillent à le détruire. Il n’est pas moins vrai qu’il est légitime dans la science de commencer par une étude statique des faits ; et que cela est nécessaire, les problèmes de la dynamique ne pouvant être résolus qu’autant qu’on a, au préalable, résolu ceux de la statique.


126. 2° Voici mieux : une certaine instabilité des données n’existera-t-elle pas même à ce point de vue statique où Böhm-Bawerk a voulu se tenir ?

Je considère le nombre des ouvriers. Le taux du salaire n’influera pas seulement sur ce nombre à la longue, en modifiant la natalité de la classe ouvrière : selon le taux du salaire, on verra un nombre plus ou moins grand de gens s’inscrire dès à présent dans la classe ouvrière ; si les salaires sont hauts, tels se feront salarier qui travailleraient à leur compte avec des salaires trop bas. Et ainsi, même au point de vue statique, il ne serait pas légitime de tenir le nombre des ouvriers pour fixe.

Toutefois on admettra aisément que les variations statiques du nombre des ouvriers ne sauraient avoir beaucoup d’étendue.

Que dirons-nous, en second lieu, de l’échelle des plus-values ? Dans les deux tableaux de tantôt, cette échelle était identique. Une année de travail donnait, avec une période de production d’un an, 350 florins de produit ; avec une période de production de deux ans, 450 florins, etc. : cela, quel que fût le salaire. Or quand le salaire est de 300 florins, le nombre des ouvriers employés est deux fois plus grand que quand le salaire est de 600 florins ; pour une même durée de production, deux fois plus d’ouvriers employés donnent deux fois plus de produit ; et avec une production plus abondante les prix ne seront-ils pas plus bas ? Böhm-Bawerk, attribuant toujours la même valeur au produit de l’unité du travail, affirme implicitement que le prix des marchandises ne varie pas avec la quantité des marchandises produites : l’expérience, au contraire, nous apprend qu’avec la quantité des produits la valeur de ceux-ci varie — selon des courbes à la vérité diverses pour les différentes marchandises —.

Cette objection cependant, pour si forte qu’elle puisse paraître au premier abord, perd de sa gravité lorsqu’on se livre à un examen attentif des faits. La valeur des produits varie avec la quantité de ces produits : cette proposition n’est vraie, elle ne prend du moins de l’importance, que lorsqu’on s’attache à une branche de la production ; elle cesse d’être vraie ou plutôt elle cesse d’avoir aucune importance lorsqu’on considère — comme nous faisons ici — la production tout entière, par rapport à l’une ou à l’autre des classes sociales entre lesquelles elle se partage.

Mais à vrai dire, parler de la valeur de la production totale, c’est employer une expression qui n’a point de signification : la notion de valeur est une notion toute relative ; cela seul a une valeur qui s’échange, et la valeur se mesure par la proportion selon laquelle l’échange s’opère. Envisageons donc, au lieu de la valeur, l’utilité de la production : cette production étant réduite de moitié, l’utilité sera réduite non pas de moitié — on connaît la loi de la décroissance de d’utilité —, mais de moins de moitié. Ce que produira, donc, l’unité de travail, sera — mesuré en utilité — plus grand que ce qu’elle produisait tantôt. Seulement le rapport de l’utilité du produit à celle de la somme payée comme salaire, à celle du capital avancé restera à peu de chose près inchangé, et ainsi les nombres mis par Böhm-Bawerk dans son deuxième tableau devront être tenus pour exacts, en tant que ces nombres montrent l’intérêt que le capitaliste obtiendra, le salaire étant élevé, avec des processus productifs plus ou moins longs. L’utilité du produit que donne l’année de travail est plus grande ? plus grande aussi, et dans la même proportion, est l’utilité de ce qui revient au capitaliste comme gain, plus grande est l’utilité de la somme qu’il a employée capitalistiquement : quels que soient, dès lors, les nombres par lesquels on exprimera ces diverses quantités, le rapport du gain annuel au capital dépensé, rapport qui constitue l’intérêt, restera le même. La notation de Böhm-Bawerk peut paraître incorrecte : les résultats auxquels il parvient, touchant le taux de l’intérêt, sont parfaitement justes.

127. Reste la troisième donnée du problème : le stock des subsistances, autrement dit, la quantité des sommes dont les capitalistes feront un emploi capitalistique. Cette troisième donnée peut-elle être tenue pour fixe ? Ne variera-t-elle pas au contraire en même temps que la solution qu’elle contribue à déterminer ?

La quantité des capitaux varie avec le taux de l’intérêt. Or ce fait a été négligé par Böhm-Bawerk, lequel commence par poser l’existence d’un certain stock de subsistances, et part de là pour déterminer l’intérêt, sans indiquer tout de suite qu’il y a une action en retour de l’intérêt sur la capitalisation.

On pourrait essayer de défendre Böhm-Bawerk de ce reproche en invoquant le passage où Böhm-Bawerk parle des prélèvements opérés par les capitalistes sur le stock des subsistances[4]. Böhm-Bawerk a d’abord supposé que ces subsistances étaient toutes destinées à entretenir les travailleurs pendant la durée de la période productive ; après quoi, corrigeant sa théorie, il a remarqué que le stock des subsistances servait aussi à l’entretien des autres classes sociales, notamment à l’entretien des capitalistes. Les capitaux employés dans la production représentent l’excès des subsistances du stock sur ce qui sera consommé par les non-travailleurs, disons ici, pour simplifier, par les capitalistes. Grâce à cette correction, Böhm-Bawerk va-t-il nous donner satisfaction ? Pas précisément.

Si les capitalistes peuvent prélever pour leur consommation une part des subsistances qui sont produites, c’est, dit Böhm-Bawerk, parce qu’il existe un agio des biens présents, un intérêt. Maintenant, ce prélèvement des capitalistes influe à son tour sur l’intérêt, il élève celui-ci par cela même qu’il réduit la quantité des subsistances qui serviront à entretenir des travailleurs. Ainsi raisonne Böhm-Bawerk ; mais l’interdépendance de l’intérêt et de la capitalisation qu’il établit ici est moins étroite que celle que nous constations tantôt ; ou plutôt même il n’y aurait pas, à prendre à la lettre le raisonnement de Böhm-Bawerk, interdépendance des deux choses. L’intérêt est-il élevé ? Alors, d’après Böhm-Bawerk, les prélèvements des capitalistes seront importants ; d’où une diminution du stock des subsistances, et finalement une hausse nouvelle de l’intérêt. À quoi on peut répondre : si les prélèvements des capitalistes sont une conséquence de l’existence de l’intérêt, ces prélèvements, à considérer une société de formation capitalistique dans un moment donné de son développement, ne diminuent pas proprement la quantité des subsistances destinées aux travailleurs, ils ne diminuent pas la capitalisation. Un intérêt existe : le capitaliste qui consomme cet intérêt pour vivre ne réduira pas proprement la capitalisation, tout ce qu’il fera, ce sera, s’il consomme tout son revenu, de l’empêcher de progresser.

Faut-il présenter la même critique d’une autre façon ? À lire ce que dit Böhm-Bawerk, on est porté à croire que le capitaliste est obligé, pour consommer, d’attendre que ses capitaux aient produit des intérêts. Mais est-il vrai que les prélèvements des capitalistes soient une conséquence de l’existence de l’intérêt ? Je sais bien qu’en fait la plupart des capitalistes ne consomment que leur revenu. Ils pourraient cependant agir autrement ; le stock des subsistances, ils n’ont pas besoin pour avoir le droit d’y toucher qu’il ait été employé productivement et qu’il ait fait naître des intérêts ; ce stock qui, considérant le revenu qu’ils en tireront en l’employant de telle ou de telle manière, décident quelle portion ils consommeront tout de suite, quelle portion ils feront consommer à des travailleurs. C’est de cette sorte que l’intérêt et la capitalisation influeront l’une sur l’autre ; on ne verra pas le taux de l’intérêt, résultant de l’importance du stock des subsistances, détourner une portion de ce stock des emplois capitalistiques ; on verra l’intérêt et la capitalisation se déterminer l’un l’autre, et un équilibre s’établir suivant la loi que l’on connaît et que l’on pourrait appeler la loi de l’utilité finale des placements capitalistiques[5].

Ainsi le montant de la capitalisation dépend du taux de l’intérêt dans le même temps qu’il contribue à déterminer ce taux : et c’est ce que Böhm-Bawerk n’a pas vu, ou plutôt qu’il n’a pas fait voir. Et toutefois il convient de reconnaître qu’en établissant ce point je n’ai fait qu’apporter à la théorie de Böhm-Bawerk une correction, et que cette correction laisse subsister les parties essentielles de la théorie.


128. 3° Böhm-Bawerk donne une grande place, dans sa théorie, à la notion du stock des subsistances. Que faut-il penser de cette notion et de l’usage que Böhm-Bawerk en fait ?

Tout d’abord, comprenons bien dans quel sens Böhm-Bawerk a parlé d’un stock de subsistances qui permettrait aux capitalistes de faire exécuter aux travailleurs qu’ils occupent des travaux de longue durée. Böhm-Bawerk ne veut pas dire, lorsqu’il parle d’un stock de subsistances suffisant pour entretenir les travailleurs pendant 4 ans, 6 ans, qu’il y ait, qu’il doive y avoir des subsistances accumulées déjà et assurant l’entretien des travailleurs pendant cette période. Ceci serait par trop contraire à ce qu’il nous est donné d’observer. Quand même la durée moyenne de la production serait 4 ou 6 ans, on ne verrait pas plus de blé accumulé que ce qui est nécessaire pour attendre la récolte prochaine, du moins pas beaucoup plus ; et si l’on excepte ces denrées dont la production est, par la force même des choses, discontinue — telles la plupart des denrées agricoles —, on constate qu’il est produit au jour le jour tout ce qui sera consommé par les travailleurs et par les autres membres de la société[6].

Böhm-Bawerk n’ignore rien de tout cela. Il sait fort bien que lorsque ce qu’il appelle le stock des subsistances permet d’entretenir les travailleurs pendant 6 ans, une très petite partie seulement de ce stock est disponible pour une consommation immédiate[7]. Pour calculer la grandeur du stock, il tient compte non seulement des produits qui déjà sont prêts à être consommés, mais encore de tout le travail déjà dépensé à la production de marchandises qui ne sont pas encore prêtes. Ainsi au commencement de l’année 1888 on possède des biens qui seront nécessaires dans le cours de 1888 ; ces biens à vrai dire ne sont pas tous achevés, mais on y a dépensé en moyenne les du travail que demande leur production : dès lors on doit compter que les de la main-d’œuvre réclamée pour la satisfaction des besoins de 1888 sont incorporés dans le stock des subsistances. Pour 1889 on a produit aux des biens nécessaires ; pour 1890, on a produit aux des biens, et ainsi de suite ; on peut donc dire qu’on a déjà fait de ce qui est nécessaire pour la consommation de 1889, de ce qui est nécessaire pour la consommation de 1890, etc. Au total, on aura un stock de subsistances suffisant pour un nombre d’années égal à , soit environ pour 2 ans[8].

129. Avertis de la manière dont il convient d’entendre et de mesurer le stock des subsistances, voyons s’il est vrai, comme le veut Böhm-Bawerk, que la grandeur du stock des subsistances détermine la durée de la période productive. La chose ne va pas d’elle-même ; et c’est sans doute pourquoi on voit Böhm-Bawerk dire, non pas simplement que la grandeur du stock règle la durée des processus productifs, ou du processus productif moyen, mais que dans une spéculation économique rationnelle les forces productives peuvent et doivent être engagées dans des processus productifs d’autant plus longs en moyenne que le stock de subsistances dont on peut disposer est plus important[9].

Les capitalistes n’adoptent pas nécessairement tout d’abord ces processus productifs que voudrait la grandeur du stock des subsistances. Chaque capitaliste décide de l’emploi de ses capitaux séparément des autres capitalistes ; et l’évaluation à laquelle il procède des capitaux dont il peut disposer n’est pas nécessairement telle que la somme des capitaux employés corresponde exactement au stock des subsistances. Je songe à entreprendre une opération capitalistique qui exigerait de moi telle dépense à effectuer tout de suite, telle autre à effectuer dans un an, et ainsi de suite. De quoi dépendent mes disponibilités ? de l’argent liquide que je possède, des biens que j’ai et que je puis vendre — ce seront peut-être des moyens de production, des terres, des usines, etc. —, des rentrées sur lesquelles je puis compter pour l’année prochaine et pour les suivantes, rentrées qui représentent la rétribution d’un travail, des intérêts, des rentes foncières, etc. Or qui ne voit que plusieurs de ces éléments — les terres, pour ne prendre qu’un exemple — n’ont aucun rapport avec le stock des subsistances, que d’autres — tel l’argent immédiatement disponible — n’ont avec ce stock qu’un rapport éloigné, et que la somme de toutes les disponibilités sur lesquelles comptent les capitalistes me saurait être considérée a priori comme équivalant au stock des subsistances ?

J’ajouterai une remarque accessoire : pour bien comprendre les phénomènes relatifs à la capitalisation, il n’y a pas lieu seulement d’examiner si la somme des capitaux disponibles équivaut au stock des subsistances ; il y a lieu également d’examiner comment le stock des subsistances est composé, et de considérer le rapport de cette composition à la manière dont la dépense des capitaux disponibles se distribuer sa dans le temps. Les dommages que les capitalistes ont à redouter ne sont pas seulement ceux qui résultent d’une disproportion entre le stock des subsistances et la durée moyenne de la production ; d’autres pourront résulter de la non-correspondance entre les parties du stock, d’une part, qui se trouveront prêtes à être consommées à tel et à tel moment, et d’autre part les portions de leurs capitaux que les capitalistes, poursuivant la réalisation du plan adopté par eux tout d’abord, devront dépenser dans ces mêmes moments.

Le stock des subsistances, par exemple, est composé de telle sorte que la satisfaction des besoins de l’année présente est assurée déjà pour 81 centièmes, que déjà il a été pourvu à la consommation de l’année prochaine pour 56 centièmes, à celle de l’année suivante pour 24 centièmes, etc. On peut donc cette année-ci employer 81 centièmes de la main-d’œuvre à produire des biens qui ne seront pas consommés cette même année ; on est assuré dès à présent de pouvoir employer l’an prochain 56 centièmes de la main-d’œuvre de la même manière, l’année d’après, 24 centièmes de la main-d’œuvre, etc. Réglant l’emploi de leurs capitaux, les capitalistes choisiront-ils pour ceux-ci des placements tels que la dépense de main-d’œuvre soit celle-là même que la composition du stock de subsistances rend possible, ou plutôt avantageuse ? Il n’est pas certain que cette correspondance s’établisse exactement. Et ainsi les capitalistes auront à souffrir peut-être de nombreux à-coups dans la production ; des variations auront lieu dans les salaires, dans les prix des marchandises qui dérangeront leurs prévisions ; l’irrégularité de la production — et par suite de la consommation — diminuera d’une manière générale leur bien-être, et le bien-être social.

130. À quelles conditions donc pourrait-il se faire que le quantum de la capitalisation et la distribution dans le temps des dépenses capitalistiques se réglassent tout d’abord — et non pas après des épreuves et des déceptions fâcheuses pour les capitalistes — sur la grandeur du stock des subsistances et sur la composition de ce stock ? Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait, à défaut d’une connaissance exacte de la grandeur de ce stock et d’une entente des capitalistes sur les productions à entreprendre — ce sont deux choses également impossibles — qu’une régularité parfaite existât dans la capitalisation et dans la production ; il faudrait notamment que chaque année la somme capitalisée fût la même, et que les capitaux dépensés productivement fussent toujours employés dans les mêmes productions. Imaginons que cette régularité parfaite existe ; alors la correspondance désirée s’établira toute seule. La dépense des capitaux disponibles en ce moment se règle, je suppose, comme s’est réglée la dépense des capitaux disponibles dans les années précédentes ; or c’est parce que les capitaux des années précédentes ont reçu, quant à la façon dont la dépense devait en être répartie dans le temps, une certaine affectation, que le stock du commencement de 1904 se trouve être composé comme il l’est : l’affectation des capitaux de 1904 fera, dès lors, que le stock des subsistances se trouvera composé, au commencement de 1905, de la même manière qu’au commencement de 1904 ; et ainsi de suite. Au commencement de 1904, par exemple, la moitié des biens nécessaires pour la consommation de 1904 sont prêts, un quart des biens nécessaires pour 1905, un huitième des biens nécessaires pour 1906, etc. : on pourra employer pour des besoins non immédiats la moitié des forces productives disponibles en 1904 ; et la répartition des forces productives disponibles pour des entreprises capitalistiques se fera de telle sorte qu’au commencement de 1905 la moitié des biens nécessaires pour 1905 soient prêts, un quart des biens nécessaires pour 1906, etc. ; c’est-à-dire que, des forces productives disponibles en 1904, un quart seront employées à travailler pour 1905, un huitième pour 1906, etc.[10]. Ainsi le mode de la capitalisation correspondra à la composition du stock. Et nécessairement aussi, le quantum de la capitalisation restant fixe, et le stock également, il faudra qu’il y ait correspondance, équivalence plutôt de la capitalisation et du stock : comment cette fixité de l’une et de l’autre existerait-elle si le capital, dans la période où il est dépensé, ne payait pas exactement ce stock qui se trouve être constitué en même temps que lui ?

131. Voilà à quelle condition le stock des subsistances, considéré dans son quantum et dans sa composition, réglerait tout de suite, et non pas après des tâtonnements et des à-coups de toute sorte, le quantum et le mode de la capitalisation. Or cette régularité dont je viens de parler se trouve réalisée — imparfaitement sans doute — dans l’expérience. Le quantum de la capitalisation varie assez peu d’une période à une autre. Ceux qui sont en état de capitaliser ont des revenus qui souvent sont constants pendant des années — ainsi les gens qui ont un traitement, les propriétaires fonciers qui ont donné leurs terres à bail —, ou qui dans l’ensemble, à regarder des catégories, restent à peu près constants : les mêmes entreprises productives que l’on recommence toujours, et qui ne se transforment ou ne sont remplacées par d’autres plus avantageuses que de loin en loin, font que les revenus des capitalistes pris globalement restent sensiblement les mêmes d’année en année. Et de là il suit qu’on capitalisera toujours à peu près autant, puisqu’aussi bien, d’autre part, la répartition des besoins dans le temps, l’esprit d’économie restent à peu près les mêmes pour la classe capitaliste dans son ensemble[11]. Quant à la manière dont les capitaux seront dépensés, elle variera peu aussi, pour cette même raison que je viens déjà de dire, à savoir que la technique productive ne se transforme que lentement, et que l’on recommence en général avec les capitaux nouvellement constitués les mêmes entreprises qui fonctionnaient auparavant.

De ces remarques il résulte que Böhm-Bawerk n’a pas eu tort de parler d’un stock de subsistances sur lequel se réglerait la durée moyenne de la période productive. Contrairement à ce qu’on serait peut-être porté à croire tout d’abord, la correspondance des deux grandeurs est réelle. Il a manqué seulement à Böhm-Bawerk d’en préciser avec soin le mode et la vraie nature.




132. Ayant examiné les objections non essentielles qui peuvent être adressées à la théorie de Böhm-Bawerk, les points sur lesquels cette théorie demande à être complétée ou rectifiée sans que cependant par là le fond de la théorie cesse de paraître acceptable, il me reste maintenant à critiquer ce qui est l’essence même de la théorie de Böhm-Bawerk, à savoir le rôle que Böhm-Bawerk assigne, dans la détermination du taux de l’intérêt, à la durée du processus productif.

On se rappelle de quelle manière Böhm-Bawerk fait intervenir cette notion. Pour lui, les forces productives donnent des produits d’autant plus grands que les processus où elles sont engagées sont d’une durée plus longue, sans que toutefois le produit de l’unité productive soit proportionnel à la durée du processus : l’échelle des rendements qu’on obtient avec des processus de plus en plus long est une échelle ascendante, mais dont l’ascension va toujours en se ralentissant. Or l’échelle des rendements correspondant aux divers processus règle le taux de l’intérêt. Selon que les salaires monteront ou baisseront, les capitalistes adopteront des processus plus longs, ou plus courts ; et ainsi ce salaire s’établira duquel il résultera — les capitalistes adoptant le processus Je plus avantageux par rapport à ce salaire — que tous les travailleurs soient occupés, et en même temps tous les capitaux disponibles.

Avant, toutefois, de critiquer l’usage que fait Böhm-Bawerk de la notion de la durée de la production, il importe de bien expliquer ce que représente cette notion.

Dans certains cas, rien de plus facile que de mesurer la durée de la production : si un ouvrier, travaillant tout seul et sans interruption, met 5 ans à fabriquer un objet, il est clair que la production de cet objet aura duré 5 ans. Telle aura été du moins la durée de la production ; quant au temps moyen qui se sera écoulé entre la dépense productive et l’achèvement du produit, il aura été deux fois plus court.

Mais les choses ne seront pas toujours aussi simples. Soit un bien qui coûte à produire 100 journées de travail : il arrivera par exemple que l’une de ces journées aura dû être dépensée 10 ans avant l’achèvement de la production, les suivantes 9 ans, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2 ans et 1 an avant cet achèvement, et les 90 dernières immédiatement avant que la denrée ne fût prête à être consommée. Et un cas plus compliqué encore sera celui d’une entreprise productive qui donnerait son produit non pas d’un coup, mais en plusieurs fois.

Dans tous ces cas où la dépense productive ne se distribue pas dans le temps d’une manière égale et continue, la considération de la durée absolue de la production deviendra tout à fait inféconde ; c’est à la seule durée moyenne de l’attente du produit qu’il conviendra de s’attacher[12].

Comment donc, dans les cas que je viens d’indiquer, la durée moyenne de l’attente se mesurera-t-elle ? Pour ce qui est de l’exemple donné tantôt, cette mesure est très aisée. La première des 100 journées de travail, disais-je, donne son produit après 10 ans, les suivantes après 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2 ans et 1 an, les 90 dernières immédiatement ; la moyenne sera :

,

soit un peu plus d’une demi-année[13].

Supposons maintenant, pour prendre un cas beaucoup plus compliqué, une machine qui coûte à construire le travail de 100 personnes pendant une année, et qui dure 20 ans ; l’utilité du travail que cette machine a demandé pour être construite se réalise en moyenne après un peu plus de 10 ans[14]. La machine durant 20 ans, dans chacune des années qu’elle dure il est consommé — si l’on peut ainsi parler — , de cette machine, soit le travail de 5 ouvriers pendant une année. Quant au deuxième stade de la production, il exige le travail de 100 ouvriers, comme le premier, et il dure un an. Le produit qui s’achève chaque année avec l’accomplissement du deuxième stade de la production est le fruit de 100 années de travail dépensées dans l’année, c’est-à-dire en moyenne 6 mois avant l’achèvement du produit, et de 5 années de travail qui sont anciennes, en moyenne, de 10 ans et demi. La durée moyenne de l’attente sera donc de :

= 1 année environ[15].

Algébriquement, si on appelle a la dépense de premier établissement, t le nombre d’années pendant lequel cette dépense portera ses fruits, a’ les frais d’exploitation à faire entre deux rentrées successives, t’ le temps qui s’écoule entre deux rentrées, on aura la formule suivante de la durée moyenne de l’attente :

,

ou

[16]


— Il y a lieu de noter la correspondance qui existe entre la notion de la durée moyenne de l’attente, telle qu’elle se trouve chez Böhm-Bawerk, et celle de la rotation du capital, qui tient une si grande place dans les spéculations de Marx. Soit un capital fixe de 80.000 fr., dit Marx (Le capital, liv. II, ch. 9, p. 186 de la trad. fr., Paris, 1900), qui dure 10 ans, et un capital circulant de 20.000 fr. effectuant 5 rotations dans l’année — c’est-à-dire faisant 5 fois retour au capitaliste — ; en un an effectueront leur rotation . Donc 100.000 fr. — c’est le capital initial du capitaliste — effectuent leur rotation en , ou un peu moins d’une année. Reportons-nous maintenant à la formule algébrique qui exprime la notion de Böhm-Bawerk ; si nous l’appliquons à l’exemple de Marx, on aura, , ,  ; dès lors

133. Nous savons comment se mesure la durée de la production. Voyons si l’usage que fait Böhm-Bawerk de cette notion est conforme à la réalité.

Böhm-Bawerk prétend que toute variation du taux des salaires influe sur la durée de la période productive ; il affirme, tout au moins d’une manière implicite, que la variation du salaire ne peut pas avoir d’autre effet sur la capitalisation, Le salaire, par exemple, monte-t-il ? les capitalistes auront avantage à allonger la période productive, et ils seront obligés de l’allonger ; je veux dire : aucune autre ressource ne s’offrira à eux qui soit préférable à celle-là, et cette ressource-là s’offrira toujours à eux. Ce sont ces propositions qui font le nœud de l’argumentation de Böhm-Bawerk : qu’elles cessent d’être vraies, et le schème que Böhm-Bawerk a tracé de la détermination de l’intérêt cesse lui aussi d’être vrai, il perd en tout cas une grande partie de sa valeur scientifique.

Ces propositions, comment Böhm-Bawerk les démontre-t-il ? en établissant que l’allongement du processus productif accroît indéfiniment — l’accroissement, sans doute, va se ralentissant toujours — le produit de l’unité productive. Cette thèse est-elle vraie ? alors il est clair que le capitaliste, quand le salaire haussera[17], pourra avoir avantage à allonger sa période de production — cet allongement devant accroître son produit brut — , et les tableaux de Böhm-Bawerk montrent qu’il en sera ainsi.

La thèse que l’allongement du processus productif accroît indéfiniment le produit de l’unité productive est une thèse qui a semblé tout d’abord évidente à Böhm-Bawerk : l’observation des faits les plus courants lui paraissait l’imposer. Dans la Théorie positive du capital, on ne voit pour ainsi dire pas que Böhm-Bawerk l’ait appuyée sur des preuves. Böhm-Bawerk note que la production médiate — celle qui implique la création d’instruments de production, de « produits intermédiaires » — est plus productive que l’autre, mais qu’aussi, sauf de très rares exceptions, elle demande plus de temps ; et il ajoute tout de suite après que, plus longtemps on se résigne à attendre le produit, les biens prêts pour la consommation, plus on a de produit[18]. Mais ces assertions de Böhm-Bawerk furent révoquées en doute : et c’est alors que Böhm-Bawerk entreprit d’exposer les preuves de son dire ; il a consacré à cet exposé la première partie de sa brochure Einige strittige Fragen der Capitalstheorie.

Tout compte fait, les preuves que Böhm-Bawerk fournit à l’appui de sa thèse se ramènent — comme on va voir — à un seul argument, et cet argument n’est pas décisif[19].

134. Böhm-Bawerk, en substance, dit ceci[20] : c’est une chose admise par tout le monde, qu’avec plus de capital on obtient plus de produit. Or, plus de capital employé dans la production, c’est une attente plus longue du produit ; si, dans une société, le capital par tête représente 2 années du travail d’un homme, la durée de l’attente sera plus longue que si le capital par tête représentait seulement une année de travail ; là où le rapport du travail présent au travail passé est plus petit — le capital n’est rien que du travail passé —, il est clair que la durée moyenne de la production est plus grande.

Ce raisonnement pris en lui-même est tout à fait juste : le rapport du travail passé et du travail présent que l’on emploie dans la production indique exactement la durée de l’attente, le « degré capitalistique » de la production. Soit deux sociétés ; dans l’une, les forces productives disponibles dans l’année sont employées pour à la satisfaction des besoins de cette année, pour à celle des besoins de l’année suivante, pour , , à celle des besoins de la troisième, de la quatrième, de la cinquième année ; dans l’autre, les fractions correspondantes sont , , , , . Si nos deux sociétés sont des sociétés stationnaires, et que la capitalisation et la production y soient régulières, les besoins de l’année 1904 seront satisfaits dans l’une pour les grâce aux forces productives de 1904, pour , , , grâce aux forces productives de 1903, 1902, 1901, 1900 ; et dans l’autre, pour, , , , , grâce aux forces productives de ces mêmes années. Dans la première société le travail présent, à mer en 1904, se mesure par 1, Ou par le travail

passé est représenté par du travail de 1900, du travail de 1901, du travail de 1902, du travail de 1903, au total par = : le rapport du travail passé au travail présent est de —. Dans la deuxième société, les chiffres correspondants aux précédents seraient , , , , au total . Or, quelle est dans les deux sociétés la durée moyenne de l’attente ? Dans la première, l’attente est nulle pour du travail que l’on emploie, elle est de 1 an pour de ce même travail, de 2 ans pour 5 de , de 3 ans pour , de 4 ans pour  ; la moyenne de l’attente s’établit ainsi à d’année. Et on trouverait que l’attente moyenne dans la deuxième société est de d’année : et , ce sont précisément les nombres de tantôt[21].

Malheureusement, si le raisonnement de Böhm-Bawerk est en lui-même irréprochable, ce raisonnement a le vice on ne peut plus grave de ne pas fonder la conclusion à laquelle Böhm-Bawerk prétend aboutir : Böhm-Bawerk est tombé dans le sophisme de l’ignoratio elenchi. Plus de capital, c’est plus de produit, et c’est en même temps une attente plus longue. Fort bien ; mais que nous importe ? Ce qu’il faudrait prouver, c’est que le même capital, avec une attente plus longue, c’est plus de produit, et Böhm-Bawerk ne l’a nullement prouvé. J’ai des capitaux que j’emploie productivement, et en même temps j’entreprends des productions non capitalistiques ; si je pouvais me constituer des capitaux supplémentaires, remplacer mes productions non capitalistiques par des productions capitalistiques, j’aurais plus de produit, à ce que nous montre Böhm-Bawerk, et d’autre part l’attente moyenne de mes produits serait allongée : la question n’est pas là ; il s’agit de savoir si j’aurais plus de produit en employant les mêmes capitaux dans des processus plus longs : et cela, Böhm-Bawerk ne l’a pas établi.


135. Je développe maintenant l’argumentation de Böhm-Bawerk, et ma critique.

Böhm-Bawerk observe qu’il n’est pas de branche de la production où l’emploi du capital — lequel oblige à attendre le produit un certain temps — n’accroisse le produit, où avec plus de capital — c’est-à-dire avec une attente plus longue — on n’ait une quantité plus grande de produit. S’agit-il d’avoir de l’eau ? on en aura en plus grande abondance — pour une même dépense de travail — si on fabrique une cruche que si on va boire à la source, si on établit une conduite, que si on fabrique une cruche. On prend plus de poisson avec un canot et un filet que si on est dépourvu de tout engin et si l’on pêche avec la main. On a plus de fruits si l’on plante des arbres et qu’on les soigne que si l’on-se contente de cueillir les fruits qui viennent tout seuls. Et cela tient à ce que chaque « détour » auquel on se résout représente le recours à une force naturelle auxiliaire, laquelle aidera l’homme et lui permettra d’obtenir une production plus riche[22].

Les améliorations de la production que permet l’emploi du capital peuvent d’ailleurs se classer : il en est qui sont spéciales à certaines industries, ainsi le draînage dans la culture de la terre ; il en est qui sont générales, ainsi celles qui consistent à assurer dans de meilleures conditions la conduite ou le transport des forces et des matériaux, celles qui consistent à protéger les biens en voie de création ou déjà créés, etc. Or une telle classification, même sommaire et incomplète, fait comprendre que les améliorations que l’on peut introduire dans la production grâce au capital sont très nombreuses.

Veut-on se convaincre que de telles améliorations sont possibles partout ? On n’a qu’à considérer ceci : que la production capitalistique nécessitant la création et l’emploi de « biens intermédiaires », de moyens de production, on a toujours la possibilité de construire avec plus de soin ces instruments de production, et que cette construction plus soignée ne peut pas manquer d’accroître le produit[23].

Qu’on prenne bien garde que l’hypothèse où Böhm-Bawerk se place est celle d’une économie stationnaire : c’est qu’en effet il s’agit de montrer comment les variations du salaire, sans qu’aucun autre changement ait lieu, feront varier la durée des processus productifs et régleront finalement le taux de l’intérêt. Böhm-Bawerk prétend résoudre un problème de pure statique. Aussi nous invite-t-il à écarter toutes les considérations qui se rapporteraient à des modifications de la technique productive, à des inventions nouvelles. Les inventions qui se font chaque jour ont dans l’ensemble pour résultat d’accroître la durée moyenne de la production : la preuve en est que le rapport du travail passé au travail présent va toujours croissant[24]. Il est cependant des inventions dont l’utilisation a pour suite — tout au moins au bout d’un certain temps[25] — d’abréger, dans l’industrie qui les utilise, la durée moyenne de l’attente, De tout ceci nous ne devons pas nous soucier quand nous étudions le problème de la détermination du taux de l’intérêt ; nous ne nous en soucierons du moins que lorsque nous aurons appris comment l’intérêt se détermine dans une économie stationnaire : le problème statique résolu, il sera aisé de voir quelles conséquences auront, par rapport à la capitalisation et à l’intérêt, les inventions, soit qu’elles allongent, soit qu’elles abrègent la durée moyenne du processus productif[26].

136. Écartons donc les inventions : plaçons-nous dans une économie stationnaire : peut-on dire, avec Böhm-Bawerk, que les capitalistes ont la possibilité d’accroître indéfiniment — non pas d’accroître à l’infini ; on entend bien — le produit de l’unité productive, qu’il leur suffit pour cela d’allonger la durée de la production ; suffit-il, pour établir cette thèse, de montrer toutes les possibilités qui s’offrent aux capitalistes d’intensifier la production ? Je ne le crois pas.

Il y a toujours moyen, constate Böhm-Bawerk, d’accroître son produit : on n’a qu’à se créer ou à acquérir des instruments de production plus soignés, plus parfaits. Cela est évident. Mais chaque perfectionnement que vous apporterez à vos instruments de production, chaque dépense supplémentaire que vous ferez pour les améliorer vous donnera-t-elle un supplément de produit qui compense vos frais ? Je n’en sais rien, ou plutôt je me persuade, par l’examen des exemples que l’observation la plus familière me fournit, qu’il n’en est rien. J’ai fait défoncer une terre à une certaine profondeur, j’ai mis dans cette terre un certain nombre de tuyaux de draînage d’une certaine qualité : croira-t-on que doublant, quadruplant, décuplant, centuplant ma dépense pour avoir un défoncement plus profond, des tuyaux plus nombreux ou d’une qualité supérieure, je doive augmenter mon produit de ce que j’aurai dépensé en plus ?

Ce qui est vrai toutefois, et qu’il y a lieu de noter, c’est qu’en fait dans notre société il y a mille possibilités, soit en allongeant le processus productif des entreprises déjà existantes par des modifications plus ou moins importantes, soit en remplaçant les entreprises existantes par des entreprises différentes — après tout, il n’y a pas une démarcation très tranchée entre ces deux méthodes —, soit enfin en montant des entreprises capitalistiques nouvelles, d’accroître la production, et de l’accroître d’une quantité supérieure à la dépense de capital qu’on aura pu être obligé de faire. Il y a mille placements capitalistiques qui seraient lucratifs, et qui ne sont point faits parce que les capitaux ne sont pas en assez grande quantité, en d’autres termes, parce que ces placements ne donneraient pas pour les capitaux qu’ils exigeraient un rendement rémunérateur.

Mais ce que Böhm-Bawerk affirme, ce n’est pas seulement que par une intensification de la production on peut, indéfiniment, obtenir des suppléments de produit qui rembourseront aux capitalistes leurs avances ; c’est ceci encore, qui va beaucoup plus loin, qu’avec l’allongement du processus croît indéfiniment le produit de l’unité productive, c’est qu’avec l’allongement du processus, en d’autres termes, la même quantité de capital donne un produit brut qui s’accroît indéfiniment. Voilà ce que Böhm-Bawerk avance : et quand il déclare sa loi aussi sûre, aussi manifeste que celle qui veut que l’intensité de l’éclairement diminue lorsque la source lumineuse s’éloigne, il me paraît s’illusionner beaucoup sur la valeur démonstrative de ses exemples.

137. On le voit, nous revenons toujours au même point. Ce que Böhm-Bawerk doit prouver peur faire accepter sa théorie, ce n’est pas que l’on peut, augmentant le capital et allongeant par là la durée moyenne de la production, accroître le produit à obtenir, c’est qu’un même capital investi dans un processus d’une durée plus longue donne plus de produit, c’est que, proportionnellement au capital employé, on peut toujours obtenir plus de produit en allongeant la période productive. Böhm-Bawerk nous montre qu’il est un nombre considérable de placements capitalistiques qui ne sont pas faits : ces placements sans doute, s’ils étaient faits, allongeraient la durée moyenne de la production ; et je veux admettre encore qu’ils accroîtraient le produit moyen de l’unité productive ; mais allongeraient-ils la durée moyenne de la production capitalistique ? correspondent-ils à des processus productifs plus longs que les processus où sont investis les capitaux que l’on a effectivement constitués ? Ces placements qu’on n’a pas faits, en outre donneraient-ils plus de produit que les placements qui ont été faits ? Combien de placements possibles y a-t-il, au total, qui représenteraient à la fois une durée de production plus longue et une quantité de produit plus grande que les placements opérés ? ceux-là seuls devraient entrer en compte dans la théorie de Böhm-Bawerk, puisque ceux-là seuls assurent ce mode de détermination de l’intérêt qu’expose Böhm-Bawerk, en permettant à la fois, sans qu’il soit créé d’autre capital que l’équivalent de l’amortissement des capitaux anciens — pour parler le langage de Böhm-Bawerk : sans qu’il soit créé de capital nouveau — d’allonger la durée de la production et d’accroître le produit. Böhm-Bawerk se donne vraiment trop beau jeu en invoquant à l’appui de sa thèse non seulement ces placements-là — qui sont peut-être en nombre restreint —, mais tous les placements lucratifs possibles.

138. Et je n’ai pas encore assez fait de restrictions sur la valeur de l’argument de Böhm-Bawerk. J’ai concédé que Böhm-Bawerk avait raison dès lors que pour remplacer des processus capitalistiques on avait d’autres processus d’une durée plus longue et donnant, à dépense égale, plus de produit. Or cela ne suffit pas pour que nécessairement, les salaires haussant, les capitalistes aient avantage à substituer les processus plus longs aux processus plus courts.

Soit un capital K. Le salaire étant a, le capitaliste a avantage à adopter une production où la durée de l’attente est M ; chaque travailleur qu’il emploie produit dans une année A ; le gain du capitaliste, par travailleur employé et par an, est , le nombre K : des ouvriers employés est et le gain total annuel du capitaliste est . Que le salaire vienne à hausser de à , si le capitaliste conserve le même processus, le gain annuel par ouvrier tombera de à , le nombre des ouvriers employés de à , le gain total annuel de à . Or un processus existe dont la durée est , plus grand que M, et où le produit annuel par ouvrier est , plus grand que A ; avec ce processus, le nombre d'ouvriers employés est , et le gain total annuel . Le second processus est-il plus avantageux que le premier ? Pour qu'il en soit ainsi il faut que l’on ait :

d'où l’on tire :

[27],

et :

;

il faut que le rapport des gains réalisés annuellement sur chaque ouvrier employé soit plus petit que le rapport des durées moyennes de production.

Ainsi aucun allongement du processus productif ne résultera d’une hausse des salaires — y ayant cependant des productions plus longues et plus lives à la fois — si aucun allongement n’est possible qui, augmentant le produit, soit tel qu’on ait l’inégalité précédente, ou tout au moins l’égalité des termes et .

139. Les conditions auxquelles l’argumentation de Böhm-Bawerk serait juste étant nettement définies, il serait bon de voir dans quelle mesure ces conditions se trouvent réalisées dans l’expérience. Malheureusement cette vérification expérimentale ne saurait être rigoureuse. Ce que l’on peut dire, c’est que la loi de Böhm-Bawerk, cette loi d’après laquelle une hausse des salaires devrait entraîner l’abandon des processus productifs antérieurement adoptés pour des processus plus longs, cette loi, loin d’avoir l’universalité que Böhm-Bawerk lui attribue, semble n’être dans la réalité que d’une application relativement rare. Ce que l’on peut dire, c’est qu’il n’y a pas lieu de croire qu’une hausse des salaires puisse avoir partout cet effet de faire adopter des processus productifs plus longs, qu’une baisse des salaires puisse avoir partout cet effet de faire abréger la durée de l’attente du produit. Et cela tout d’abord[28] parce qu’il n’est pas exact que tous les capitaux puissent, en étant dépensés dans des productions d’une durée plus longue, donner un produit plus fort. Le principe que l’allongement du processus productif accroît indéfiniment le produit à dépense égale ne correspond que très imparfaitement à la réalité : à côté des productions qui sont organisées dans une économie, il en est d’autres qui sont plus longues et qui donnent à dépense égale plus de produit ; mais il n’en est pas une quantité illimitée ; et il est vraisemblable qu’au-dessus d’une certaine durée d’attente proche de celle des productions effectivement organisées, il n’y a plus d’allongement qui augmente le produit de l’unité de capital ; tout allongement au contraire diminue ce produit[29].

140. Quels seront donc les effets réels d’une variation des salaires sur la capitalisation supposée fixe dans son quantum, les effets, par exemple, d’une hausse des salaires ? Ces effets seront multiples. Il se peut qu’en suite de la hausse des salaires certaines productions soient transformées dans le sens de l’allongement, certaines productions remplacées par d’autres où la durée de l’attente soit plus longue. Des exemples se rencontreront sans doute de ce fait : peut-être est-ce lui qui explique, peut-être du moins contribue : t-il à expliquer que dans les pays où les salaires sont élevés la production soit plus capitalistique qu’ailleurs, que l’outillage industriel y soit plus développé pour une même quantité de main-d’œuvre. Mais d’autres phénomènes auront lieu qui, pris globalement, seront sans doute pratiquement plus importants.

1° La hausse des salaires contraindra les capitalistes, conservant les mèmes entreprises productives qu’ils avaient antérieurement, de réduire ces entre «  prises, et de se contenter — car ceci résultera nécessairement de cela — d’un intérêt moindre. J’ai avancé par exemple 100.000 francs pour monter une entreprise. Supposons, pour simplifier l’exemple, que je n’emploie pas de « capital fixe », et que les matières premières que j’emploie ne coûtent que de la main-d’œuvre ; que le taux du salaire vienne à subir une hausse de 20 %, je devrai, si je n’ai pas la possibilité d’accroître le produit de l’unité productive par une transformation de mon entreprise, par un allongement de mon processus, je devrai, dis-je, réduire ma production de .

2° Il arrivera cependant que cette réduction ne soit pas possible. Une réduction de sur la production, diminuant le produit brut, laissera-t-elle subsister un produit net, un revenu qui rémunère le capital ? Soit un capital de 100.000 francs : 20.000 francs ont servi à constituer un outillage qui doit durer 10 ans ; les 80.000 francs qui restent représentent le fonds de roulement, ils achètent les matières premières — lesquelles, je suppose, ne coûtent que de la main-d’œuvre à ceux qui les produisent — et paient la main-d’œuvre. Mettons tout d’abord les salaires à 1.000 francs par an : le produit brut sera x. Que le salaire annuel vienne à monter à 1.200 francs : la production étant, par suite de cette hausse, réduite de , le produit brut ne sera plus que de , ou . Or il faut,

pour que la production soit encore rémunératrice, que le produit brut annuel égale encore la somme
,

qu’il suffise à l’amortissement du « capital fixe », qu’il rembourse le « capital circulant »[30], et qu’il laisse en outre 5 % d’intérêt. On a donc l’équation :

,

d’où l’on tire :

francs.

Ainsi dans notre exemple la réduction de 20 % sur la production ne laisse au capitaliste l’intérêt qu’il exige qu’à la condition que le revenu du capital fût, avant la hausse des salaires, de 22,4 %[31].

Imaginons que la réduction de la production ne laisse pas au capitaliste l’intérêt qu’il réclame. Alors la hausse des salaires fera abandonner purement et simplement l’entreprise. Et nous trouvons ici une troisième conséquence possible de la hausse des salaires, celle qui se manifestera sans doute le plus souvent : l’abandon des entreprises capitalistiques les moins lucratives.

Cet abandon des entreprises les moins lucratives, qu’on le remarque en passant, ne diminuera pas la somme des capitaux engagés dans la production de tout le montant des capitaux qui avaient été dépensés dans ces entreprises. Il y aura une diminution des capitaux employés : car la hausse des salaires, faisant allonger par-ci par-là les processus productifs, faisant réduire ailleurs la production, entraîne une baisse de l’intérêt ; et ainsi on ne verra plus la même quantité de capitaux obtenir la rémunération exigée[32]. Mais à coup sûr beaucoup des capitaux rendus disponibles par l’abandon des entreprises peu lucratives se reporteront sur ces branches de la production, sur ces entreprises où des réductions ont dû avoir lieu, se contentant désormais d’un intérêt plus faible.

3° La réduction ou l’abandon des productions capitalistiques suivront la hausse des salaires quand il n’y aura pas moyen pour le capitaliste d’obtenir plus de produit, à capital égal, par un allongement de la production, ou quand l’allongement de la production, augmentant le produit, cependant ne sera pas rentable, quand cet allongement n’augmentera pas le rendement net. L’allongement de la production augmente-t-il le rendement net ? Ce n’est pas nécessairement à lui que le capitaliste recourra. Peut-être le capitaliste aura-t-il plus d’avantage à modifier sa production en telle sorte qu’il dépense moins en paiement de main-d’œuvre, et qu’il consacre une partie plus grande de ses capitaux à acheter des matières premières.

Pour bien comprendre la possibilité d’un tel fait, il faut s’élever à la considération de l’ensemble de l’économie, et opposer la classe tout entière de ceux qui détiennent les moyens de production à la classe des non-possédants. Lorsqu’elle entreprend des productions capitalistiques, la classe possédante renonce d’une part à consommer immédiatement de certains biens, et d’autre part elle cède aux non-possédants, aux ouvriers qu’elle salarie, des biens qu’elle pourrait également consommer tout de suite, au plutôt dont elle pourrait consommer l’équivalent. Or les productions capitalistiques peuvent être organisées en des modes très divers : la proportion, parmi les biens que les possédants renoncent à consommer tout de suite, de ces biens qui seront donnés aux ouvriers et de ceux qui ne recevront pas cette destination, cette proportion est variable. Que les ouvriers donc élèvent leurs prétentions, que pour une raison ou pour une autre il faille payer leur travail plus cher, il sera possible jusqu’à un certain point d’accroître dans les productions capitalistiques la proportion de ces capitaux qui ne servent pas — directement ou indirectement[33] — à salarier des ouvriers.

En résumé, Böhm-Bawerk n’indique qu’une conséquence de la variation des salaires, à savoir la modification de la durée du processus productif, laquelle du reste entraînera une variation de l’intérêt. Pour ma part j’en vois quatre. Les salaires, par exemple, haussent-ils ? on pourra observer le phénomène que dit Böhm-Bawerk, plus trois autres qui sont : la réduction des productions les plus lucratives, l’abandon des entreprises peu lucratives et le transport de partie des capitaux de ces entreprises aux entreprises précédentes[34], enfin l’adoption de méthodes productives qui feront plus petite, relativement, la portion des capitaux avec laquelle — directement ou indirectement — les ouvriers sont salariés.

Ainsi nous arrivons à cette conclusion que le schème auquel Böhm-Bawerk prétend réduire la théorie de la détermination du taux de l’intérêt, ce schème dans lequel la notion de la durée de la production, servant d’intermédiaire entre le taux des salaires et le taux de l’intérêt, assure, et assure toute seule l’équilibre de ces deux quantités, ce schème n’exprime qu’imparfaitement la réalité[35].


141. Pour porter un jugement équitable sur la théorie de la détermination du taux de l’intérêt qu’a donnée Böhm-Bawerk, il convient de dresser un tableau complet des propositions sur lesquelles toute théorie de la détermination du taux de l’intérêt — de l’intérêt des capitaux productifs — doit se fonder. Ces propositions me paraissent être les suivantes :

1° l’intérêt est nécessairement tel qu’il rémunère tous.les capitaux effectivement employés, et qu’il n’en puisse rémunérer une plus grande quantité ;

2° le salaire est nécessairement égal au produit que le capitaliste le moins favorisé sous ce rapport obtient par tête d’ouvrier, défalcation faite de ce qui est nécessaire pour l’amortissement du « capital fixe » et pour le remboursement des sommes consacrées à l’achat des matières premières, défalcation faite, en outre, de l’intérêt courant ;

3° les productions capitalistiques s’organisent nécessairement en telle façon, que toute la main-d’œuvre disponible soit employée ;

4° la durée moyenne de la production sera telle, en définitive, que les capitaux disponibles assurent l’entretien des ouvriers, à raison du taux de salaire existant, pendant cette même durée.

Böhm-Bawerk a négligé presque complètement les propositions 1 et 2, celles dont l’étude, à mon avis, est la plus féconde pour la résolution du problème qui nous occupe. Il s’est attaché en revanche à la proposition 4, et c’est en approfondissant la notion de la durée moyenne de la production qu’il a prétendu résoudre notre problème. Et certes on doit lui être très reconnaissant d’avoir formulé cette proposition, qui est vraie, si on l’entend bien, de laquelle il y a des conséquences à coup sûr intéressantes à tirer, et qu’on n’avait pas considérée avant lui, ou même qu’on avait implicitement contredite ; on doit lui être reconnaissant d’avoir fait une place dans l’économique à la notion de la durée de la production. Mais il a donné à cette notion une importance excessive. Pour si séduisante qu’elle soit par sa simplicité et sa rigueur, la théorie de Böhm-Bawerk est loin d’expliquer d’une manière satisfaisante la détermination du taux de l’intérêt.

    la rotation de Marx est à peu près double de la durée de l’attente de Böhm-Bawerk.

    Tarde a parlé également de la rotation ou du cycle du capital (Psychologie économique, t. 1, pp. 363 et suiv.). Mais il n’a pas indique-t-il n’a pas vu d’une façon précise comment ce cycle devait se mesurer. Ses assertions, notamment sur l’abrègement continuel du cycle reproducteur dans l’industrie (pp. 367-369) sont probablement fausses malgré leur apparence spécieuse (v. Böhm-Bawerk, Einige Fragen, 1re partie).

    — D’après Böhm-Bawerk le stock des subsistances doit correspondre non pas exactement, mais à peu près, à la durée moyenne de l’attente (II, pp. 344-348, 456-458).

  1. P. 412, p. 413. Sur la manière dont Böhm-Bawerk établit le nombre des travailleurs occupés, voir la note de la p. 411.
  2. 10.000 fl. occupent 416 travailleurs, quand le salaire annuel est de 600 fl., et la période de production — ainsi qu’il arrivera — de 8 ans. Appelant x le capital nécessaire pour occuper 10 millions de travailleurs, on a : , d’où l’on tire : .
  3. Voir pp. 449-450.
  4. Pp. 437-438.
  5. Böhm-Bawerk parle des propriétaires fonciers à peu près comme il parle des capitalistes (v. pp. 435-437) : plus la rente foncière est élevée, dit-il, plus les prélèvements opérés par les propriétaires fonciers sur le stock des subsistances seront importants, et moins il sera capitalisé, Böhm-Bawerk toutefois établit cette différence entre les propriétaires fonciers et les capitalistes, que la rente de ceux-là est une cause de l’agio des biens présents, et que l’intérêt de ceux-ci en est une conséquence (p. 437). En réalité les rentes foncières n’existent pour la plus grande partie, qu’en tant qu’il est fait des terres une exploitation capitalistique. Et quoi qu’il en soit sur ce point, il ne faut pas oublier que les propriétaires fonciers, touchant des rentes, sont des capitalistes en puissance ; ils feront d’une partie de leurs rentes un emploi capitalistique, loin de les consommer toutes comme Böhm-Bawerk paraît croire : ici encore on verra apparaître l’interdépendance de la capitalisation et de l’intérêt.
  6. La concurrence qui s’exerce entre les producteurs, la nécessité en outre de satisfaire une demande qui n’est pas tout à fait régulière, d’autres facteurs encore poussent souvent à l’accumulation des marchandises ; mais cette accumulation est limitée, et d’ailleurs l’économique pure peut très bien la négliger.
  7. P. 339.
  8. Pp. 341-342.
  9. P. 343. Un peu plus haut (pp. 342-343) on trouve une indication plus précise. Plus petite, dit Böhm-Bawerk, est la portion des besoins de la période prochaine que le stock des subsistances permet de satisfaire, plus grande est la portion du travail disponible qui doit être consacrée à cette période, si l’on ne veut pas qu’il y ait de lacune dans la satisfaction des besoins (um keine Versorgungslücke entstehen zu lassen). Mais Böhm-Bawerk ne dit pas nettement si ce qui devrait être est réellement, et pourquoi il en serait ainsi.
  10. Voir au sujet de ces calculs Böhm-Bawerk, II. pp. 113-120.
  11. Des gens peuvent encore se constituer des capitaux en aliénant des moyens de production ; mais alors il y aura simple déplacement de capitaux — c’est toujours le cas lorsqu’un moyen de production indestructible est aliéné : vendant une terre 100.000 fr., j’empêche nécessairement quelqu’un de capitaliser 100.000 fr. — ; ou bien on aura la substitution à une entreprise d’une autre entreprise, des capitaux seront constitués par la consommation de biens productifs que des capitaux avaient servi à créer, et qui étaient toujours en rapport ; et ceci encore ne changera pas le quantum de la capitalisation.
  12. Voir Einige strittige Fragen, p. 6, note ; on trouvera là des renvois nombreux à la Positive Theorie.
  13. II, pp. 94-95.
  14. On va voir tout de suite pourquoi et de combien cette durée dépasse 10 ans.
  15. Voir Einige Fragen, p. 53, note ; je corrige légèrement la formule de Böhm-Bawerk.
  16. Dans ma formule algébrique, j’ai introduit une complication nouvelle, celle des rentrées qui ne sont plus annuelles. D’autres complications encore se rencontreront dans la réalité : les dépenses de premier établissement ne se font pas d’un coup, les rentrées ne sont pas régulières, etc. Il me sera permis de m’en tenir à ce que j’ai dit ci-dessus.
  17. Dans mes raisonnements, je considérerai toujours ce cas ; il sera aisé au lecteur de renverser ces raisonnements pour les appliquer au cas d’une baisse des salaires.
  18. II, pp. 86-93.
  19. J’ai déjà critiqué brièvement la thèse de Böhm-Bawerk au § 98.
  20. Einige Fragen, pp. 11-14.
  21. Böhm-Bawerk se sert d’une comparaison : si des bateaux faisant un certain service, dit-il, partent d’heure en heure, et qu’il y ait 20 bateaux en route à la fois, manifestement la route est plus longue que là où — le service étant organisé de la même manière — il n’y a que 6 bateaux ; de même la quantité du capital qui existe dans une société indique combien de mois de travail sont « en route » dans chaque période que l’on peut considérer, et marque la durée de l’attente du produit (Einige Fragen, pp. 12-13). La comparaison n’est pas immédiatement probante, parce que le cas des bateaux est trop simple : les bateaux partent pour accomplir un trajet qui est toujours le même ; les mois ou les années de travail que la société dépense n’arriveront pas tous à destination — comme dirait Böhm-Bawerk — dans le même temps.
  22. Einige Fragen, pp. 9-11 ; on trouvera là de nombreux renvois à la Positive Theorie.
  23. Einige Fragen, pp. 24-25.
  24. Einige Fragen, pp. 16-17. Je remarque en passant que cette preuve n’est pas décisive. La quantité du capital employé, comme l’on dit, dans la production, va croissant ? Tout d’abord ce n’est pas là une chose certaine : on conçoit très bien que les inventions abrégeant la production — Böhm-Bawerk reconnaît qu’il en existe (pp. 22, 23 et passim) — puissent être plus nombreuses que les autres, et que par suite la durée de la production, sans jamais devenir nulle comme à l’époque pré-capitalistique (p. 33), diminue cependant. Et puis l’allongement de la production que Böhm-Bawerk croit constater ne peut-il pas résulter de ce que l’on se décide à faire des placements qu’on n’avait pas vus où qu’on avait négligés (p. 27) ? de ce que, encore, la production se développe extensivement ? Il pourrait très bien y avoir allongement de la période projective, l’influence des inventions s’exerçant dans le sens opposé.
  25. Einige Fragen, p. 31, en note. L’abrègement, dit Böhm-Bawerk, de la période productive — et la diminution qui l’accompagne du capital employé — ne se constate qu’après un temps quand la méthode plus courte que l’on introduit est quelque chose de très différent de la méthode antérieurement suivie, Böhm-Bawerk annonce qu’il fournira plus loin des explications plus précises : je ne les ai trouvées nulle part. Mais l’idée de Böhm-Bawerk est assez claire pour qu’on la comprenne, Si la nouvelle méthode productive permet de se servir des mêmes instruments de production qu’on avait déjà, il est évident que l’abrègement du processus productif aura lieu dans ce même « cycle » qui commence au moment où l’on introduit la nouvelle méthode, voire dans les cycles déjà commencés et non encore révolus à ce moment. Si au contraire la nouvelle méthode exige le remplacement des anciens instruments de production par d’autres, alors le capitaliste qui n’attendra pas pour acquérir les nouveaux instruments que les anciens soient amortis, qui à côté des anciens instruments en voie d’amortissement installera tout de suite les nouveaux, ce capitaliste, jusqu’à ce que l’amortissement des anciens instruments soit terminé, aura par son fait contribué à allonger la durée sociale moyenne de la production. Seulement, il n’aura contribué à l’allonger que parce qu’il aura augmenté — pour un temps — la quantité du capital investi la production ; si le capital dépensé pour la création des nouveaux instruments de production est un capital nouvellement constitué, et qui ne provienne pas de l’amortissement d’un autre capital — je veux faire cette hypothèse —, ce capital nouvellement constitué allongera pour un temps la durée moyenne de production : il abrégera tout de suite la durée moyenne de la production capitalistique.

    On peut comparer aux considérations de Böhm-Bawerk sur l’abrègement, grâce aux inventions, du processus productif — abrègement que Böhm-Bawerk montre être toujours favorable au capitaliste (pp. 31-32 et passim) — les considérations de Marx sur l’abrègement de la rotation du capital. Ces considérations de Marx sont viciées par endroits par la conception qu’a Marx que la plus-value est engendrée par le seul « capital variable », par le travail, et qu’elle est proportionnelle à la quantité de main-d’œuvre employée (Le capital, liv. II, chap. 5 et suiv.); ailleurs elles sont plus acceptables (liv. III, chap. 4, 18 et passim).

  26. Sur les inventions, voir dans Einige Fragen aux pp.  7, 15-29, 23, 27-28, 31-39.
  27. Avec , l'inégalité devient , ou . Posant , il faut, pour que le capitaliste ait avantage à doubler la durée moyenne de sa production, que l'on ait . Pour qu'il ait avantage à l'allonger de moitié, il faut que l'on ait  ; et ainsi de suite.
  28. Pour simplifier, je néglige ici ce qui a été dit an § 138 ; je ne montre que la faute première de Böhm-Bawerk.
  29. Si l’on compare les différentes manières d’organiser une production d’un genre déterminé, et qu’on les range dans l’ordre de longueur croissante, on verra sans doute le produit pour un capital donné cesser de croître très vile après qu’on aura dépassé la manière aujourd’hui adoptée, et même décroître. Et à ce propos il convient de rectifier une indication que j’ai donnée au § 98. Parlant, à propos de la théorie de Böhm-Bawerk sur les causes de l’intérêt, de cette proposition de Böhm-Bawerk que la prolongation de l’attente accroît le produit indéfiniment, j’avais fait mes réserves sur celle idée d’un accroissement indéfini du produit, et posé que, passé une certaine durée de l’attente,le produit cessait de croître. Je dis maintenant que le produit décret :c’est que je considère ici, au lieu d’une prolongation de l’attente tout imaginaire, laquelle prolongation consisterait à se priver plus longtemps d’un produit déjà obtenu, et disponible, la prolongation de l’attente dans les conditions où elle a lieu quand elle résulte de la substitution à un processus productif d’un processus autre, et plus long.
  30. Je suppose que celui-ci accomplit sa rotation en une année.
  31. 104.400 — 83, 000 — 22.400
  32. Je prends ici pour accordé que la baisse de l’intérêt réduit la quantité des capitaux employés ; au chapitre suivant, § 152, on verra comment il n’est pas inconcevable que le contraire se produise.
  33. Il ne faut pas s’en tenir ici à la distinction de ce que Marx appellerait le capital constant et de ce qu’il appellerait le capital variable, un capitaliste achète des matières premières : dans le prix de ces matières premières entre le salaire des ouvriers qui les ont produites.
  34. En définitive, les entreprises de la première catégorie ne seront pas toutes réduites : si une entreprise, malgré l’accroissement des frais de production et la baisse du rendement qui s’ensuit, donne encore aux capitaux une rémunération suffisante, celle entreprise — à moins de supposer qu’elle ne puisse pas être étendue, comme c’est le cas pour les entreprises agricoles, etc. — sera, par l’afflux de capitaux étrangers, rétablie sur le même pied qu’auparavant.
  35. Je ne veux pas entrer dans l’examen de tous les corollaires que Böhm-Bawerk, avec une logique parfaite, tire de son théorème fondamental. Prenons-en un toutefois. Böhm-Bawerk montre comment sa conception permet de comprendre ce fait que l’accroissement du stock des subsistances — disons l’accroissement de la capitalisation — entraîne une baisse de l’intérêt (voir 11, pp. 422-427). De quelle façon les choses se passent-elles d’après lui ? De la façon suivante : il y a plus de capitaux, donc les salaires montent, donc la durée moyenne du processus s’allonge, donc l’intérêt baisse. En réalité, on a des chaînes de causes et d’effets multiples : celle de Böhm-Bawerk, les trois chaînes que l’on peut tirer de mes remarques de tantôt, et enfin la chaîne suivante, vraisemblablement la plus importante de toutes : il y a plus de capitaux, donc on est obligé de monter des entreprises nouvelles, donc — ces entreprises étant naturellement moins lucratives que les précédentes — l’intérêt baisse, Pour se conformer à la réalité il faudrait introduire dans la dernière chaîne la considération de cette hausse des salaires que l’accroissement de la capitalisation ne manque pas d’entraîner : la hausse des salaires réduira l’importance de cette chaîne, en réduisant les entreprises nouvelles que la capitalisation accrue fera chercher, et en diminuant leur nombre.