L’isotopie et les éléments isotopes/11

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Société « Journal de Physique » (9p. 123-135).


CHAPITRE XI

POIDS ATOMIQUE ET NOMBRE ATOMIQUE


30. Poids atomique. — Il paraît évident, d’après l’ensemble des recherches sur les radioéléments et sur les éléments inactifs, que les poids atomiques chimiques ont, en général, la signification de valeurs moyennes, résultant d’un assez petit nombre de valeurs voisines qui forment un groupe. C’est ce groupe répondant à un type chimique déterminé qui remplace actuellement la notion de l’élément simple. Un groupe occupe une place de la classification périodique ; il est caractérisé par le nombre atomique N.

Les constituants d’un groupe ont des masses atomiques s’exprimant par des nombres entiers, sauf pour l’hydrogène, à la précision actuelle des mesures de masses par les rayons positifs. Quant aux poids atomiques chimiques, on sait qu’ils ne sont pas entiers, mais que les écarts sont moins grands et moins nombreux que ceux qu’on pourrait prévoir si la distribution était un effet du hasard. Certains éléments paraissent simples, autrement dit, le groupe correspondant n’a qu’un représentant (hélium, carbone, oxygène, fluor, etc.) ; d’autre part, plusieurs groupes sont composés de telle manière que l’un des constituants domine par rapport aux autres présents en faible proportion (argon, potassium, calcium, etc.). Tel pourrait être le cas de certains atomes de grande masse que l’analyse par rayons positifs montre simples, peut-être en raison de l’insuffisance de ses moyens : l’iode, le cæsium, etc.

Les écarts quelque peu importants entre les poids atomiques chimiques et les nombres entiers sont, en général, en accord avec l’analyse des masses, quand celle-ci a pu être faite, et indiquent un groupe complexe (lithium, bore, néon, magnésium, silicium, chlore, nickel, rubidium, mercure, zinc). On trouve aussi des groupes complexes comme celui du krypton correspondant à des écarts faibles. La proportion relative des composants d’un groupe, évaluée d’après l’intensité relative des lignes dans le spectre de masses paraît apte à rendre compte du poids atomique chimique. La méthode qui utilise la mesure du courant de charge, est particulièrement adaptée à cette détermination. Toutefois, l’évaluation des intensités relatives présente des difficultés qui n’ont pas encore été surmontées dans tous les cas. Là où les écarts d’une certaine importance subsistent, on peut attendre des résultats nouveaux par le perfectionnement des méthodes de l’analyse des masses aussi bien par les rayons positifs que par les méthodes chimiques. Ces dernières sont loin d’être toujours très sûres. Tout récemment le poids atomique du bismuth a été augmenté d’une unité entière.

L’interversion potassium-argon est conforme aux proportions relatives des deux isotopes dans chaque groupe. Il peut en être de même pour les autres interversions (I — Te, Co — Ni) et il paraît plutôt étonnant que le nombre d’interversions soit aussi limité. On doit en conclure qu’il existe certainement des lois qui règlent la probabilité d’existence des isotopes dans chaque groupe, de manière à assurer une progression régulière du poids atomique moyen avec le nombre atomique.

Les écarts les plus notables entre le poids atomique chimique et les prévisions du spectre de masses se présentent pour le bore, le krypton, le xénon et le cæsium.

  000P 000 Moyenne d’après
le spectre des masses
000 Différence 000 Différence %
Bore 
010,90 010,75 ± 0,07 0,15 1,37
Krypton 
082,92 083,50 ± 0,3 0,6 0,72
Xénon 
130,20 131,30 ± 0,3 1,1 0,85
Cæsium 
132,81 133,00 ± 0,3 0,2 0,05

Ces considérations n’ont de valeur qu’en tant que les poids atomiques chimiques peuvent être considérés comme des nombres constants. L’expérience des chimistes est assurément en faveur de cette hypothèse, car s’il existait une variabilité avec les conditions de travail chimique, elle aurait probablement été aperçue dans les analyses, tout au moins pour les éléments les plus connus tels que l’oxygène, le chlore et l’argent.

Un peu autrement se pose la question d’écarts possibles liés à la provenance d’un élément, car on peut supposer avec quelque vraisemblance, que, dans bien des cas, les éléments soigneusement examinés dans divers laboratoires ont pu être originaires des mêmes sources.

L’idée d’une certaine variabilité du poids atomique suivant la provenance avait fréquemment été prise en considération par les chimistes. De petites variations avaient même été signalées par certains expérimentateurs, mais ont été ensuite attribuées à des erreurs d’expérience. Richards et ses collaborateurs ont repris avec le maximum de précision, la mesure du poids atomique pour le cuivre, l’argent, le sodium, le calcium : échantillons de cuivre d’Allemagne et du lac Supérieur, calcium de Vermont (États-Unis) et d’Italie, sodium de mines de sel gemme en Allemagne et de mines situées à Syracuse ; Baxter, Grover, Parsons, Thorwaldson ont examiné le plomb commun de diverses origines (voir p. 61) et ont comparé le fer et le nickel des météorites aux métaux d’origine terrestre, Baxter et Dorcas ont comparé le cobalt terrestre à celui des météorites ; Monro a comparé le bore provenant de minéraux de Nouvelle-Zélande avec le bore ordinaire ; Bronsted et Hevesy ont déterminé la densité de mercure de diverses provenances en relation avec leurs travaux sur la séparation des isotopes du mercure (voir p. 197). Dans tous ces cas on n’a observé aucune différence, supérieure aux erreurs d’expériences, réduites au minimum dans des méthodes de comparaison [73, 49][1].

Le chlore de minéraux anciens (apatite de Balme, sodalite) a été comparé au chlore ordinaire (à provenance d’eau de mer) par I. Curie et par E. Gleditsch ; on n’a pas trouvé de différence [73-74]. Pour un chlorure de sodium pro venant de l’Afrique centrale, I. Curie a trouvé une petite différence (P = 35,60), supérieure aux erreurs expérimentales, sans qu’il ait paru possible de l’attribuer à des impuretés. Sur d’autres échantillons du même sel, la différence n’a pas été retrouvée. On peut se demander, si elle ne pourrait provenir d’une séparation partielle par diffusion réalisée dans la nature.

Si l’on fait abstraction de ce dernier cas, on doit conclure sur la base des résultats jusqu’ici connus, que selon toute probabilité, les poids atomiques chimiques ne dépendent pas des provenances. Autrement dit, on est conduit à admettre un mélange d’isotopes parfait dans la matière cosmique qui a fourni le système solaire. Ce mélange s’explique sans doute par une production en proportion constante, plutôt que par un brassage [61, 74].

De petites différences devraient néanmoins exister dans la mesure où elles ont pu résulter de processus naturels semblables à ceux que l’on emploie actuellement pour les essais de séparation des isotopes[2].

31. Spectre des isotopes. — Nous avons vu que les spectres des isotopes du plomb sont presque identiques dans la région lumineuse comme dans celle de la haute fréquence, mais, que, cependant des différences minimes de longueur d’onde ont été mises en évidence dans le domaine des radiations lumineuses, par des mesures de haute précision (voir page 65).

Il n’existe pas de base théorique suffisamment établie pour discuter les écarts possibles en ce qui concerne les raies d’émission. Le point de vue qu’on adopte le plus volontiers actuellement est celui de la théorie de Bohr dont on connaît le succès considérable pour l’explication des spectres d’émission de basse et haute fréquence. Cette théorie ne sera pas développée ici[3] ; je rappellerai seulement qu’elle est basée sur la conception d’un noyau entouré d’électrons et soumis à l’application de la loi des quanta. Les électrons décrivent autour du noyau des orbites dites stationnaires, sans émettre le rayonnement exigé par les lois de l’électrodynamique classique. C’est seulement quand un électron passe d’une orbite stationnaire à une autre avec perte d’énergie totale, qu’il dépense en rayonnement la part d’énergie disponible W, en émettant une fréquence liée à W par la relation fondamentale :


h est la constante universelle introduite par Planck ou quantum d’action h = ,55 10-27 C. G. S. Cette théorie explique par l’entraînement du noyau les petites différences de longueur d’onde observées entre certaines raies de l’hydrogène et des raies voisines de l’hélium. La fréquence fondamentale de Rydberg dont se déduisent les fréquences des raies de chaque série n’a pas strictement la même valeur pour l’hélium et pour l’hydrogène ; la masse de l’électron qui gravite autour du noyau n’est pas, en effet, entièrement négligeable par rapport à la masse de celui-ci, de sorte qu’en toute rigueur, l’électron comme le noyau exécutent un mouvement autour du centre de gravité du système. Ceci nous conduit à multiplier dans l’expression de la fréquence fondamentale, la masse m de l’électron par le rapport où M est la masse du noyau. Les fréquences de toutes les raies d’émission se trouvent donc réduites par l’introduction de ce facteur, et la réduction n’est pas la même dans le cas de deux isotopes, puisque M n’a pas la même valeur. On trouve approximativement, pour les longueurs d’onde λ1 et λ2 correspondant à λ0, par effet d’entraînement du noyau, dans le cas de masses M1 et M2 :

d’où           


(quantité toujours inférieure à 0,1 pour mille).

Si l’on compare le plomb ordinaire (207,2) au plomb d’uranium (206) on trouve approximativement, pour la raie 4058 A., un écart 5 x 10-5 A., en dehors de toute possibilité de mesure. L’écart observé par Merton est environ 0,01 A., dans le sens prévu par le raisonnement précédent.

Il faut remarquer, toutefois, que le calcul indiqué ci-dessus ne s’applique pas au spectre d’émission du plomb car il a été établi dans le cas simple d’un noyau accompagné par un seul électron. Cette objection évidente a été signalée par Bohr et par Ehrenfest [75]. Aucun calcul, même approximatif, ne permet actuellement de traiter un cas aussi compliqué que celui d’un noyau de plomb accompagné de ses nombreux électrons, ni même le cas beaucoup plus simple d’un noyau de lithium et de ses 3 électrons, où des différences plus importantes pourraient apparaître en raison de l’écart relativement considérable des masses 6 et 7 des deux isotopes.

Le spectre du lithium a été soumis à l’étude, mais les résultats obtenus ne semblent pas définitifs. La raie rouge 6708 A. du lithium se décompose, comme on sait, en un doublet formé de deux raies très rapprochées. Mc Lennan et Ainslie produisant un arc dans la vapeur de lithium et utilisant une méthode interférentielle ont prouvé que la raie considérée est un quartet avec les intervalles 0,128 A., 0,173 A. et 0,165 A. [76]. Les auteurs considèrent comme vraisemblable que, sur ces quatre raies, deux sont attribuables à Li6 et deux à Li7, mais il subsiste une incertitude sur cette attribution. La séparation des groupes isotopiques serait, en tout cas, de 4 à 2 fois plus grande que celle qu’on peut prévoir par l’application de la théorie de Bohr sous sa forme la plus simple, mais il convient de rappeler que cette application n’est pas justifiée.

L’interprétation ci-dessus en ce qui concerne le spectre du lithium a été contestée par Merton [76] qui signale l’extrême variabilité du rapport des intensités des 4 raies en discussion. Rappelons néanmoins qu’il en est parfois de même pour les raies du spectre de masses attribuables aux isotopes, et que la raison de cette variabilité n’a pas encore été reconnue.

Mc Lennan et Cale signalent, d’autre part, la possibilité d’interpréter par la structure complexe du mercure, les particularités de l’absorption exercée par la vapeur de mercure sur la ligne λ = 5640,97 A. dont la largeur totale est 0,451 A. et qui se résout en composantes multiples [76].

Spectres de bandes [77]. — Il est aujourd’hui généralement admis que les spectres de bandes des gaz sont produits par les molécules, tandis que les spectres de lignes sont produits par les atomes. La genèse du spectre de bandes a été l’objet d’une théorie analogue à celle que Bohr a établie pour le spectre de lignes de l’hydrogène, avec intervention de la théorie des quanta et du moment d’inertie de la molécule autour d’un axe de rotation. Le terme de série dû à la rotation s’exprime sous la forme du terme de Deslandres n est un nombre entier ; la valeur que la théorie assigne à B est . Chaque bande est, en principe, résoluble en lignes très rapprochées, résultant de la variation discontinue de n.

Les bandes situées dans l’infra-rouge ont une structure particulièrement simple. Pour des molécules diatomiques telles que HCl on envisage l’axe de rotation perpendiculaire à la ligne des noyaux. Si ceux-ci conservent une position relative invariable, il s’agit d’une rotation pure ; s’ils exécutent un mouvement oscillatoire le long de la ligne qui les joint, il y a, à la fois, rotation et oscillation. Si est la fréquence fondamentale de l’oscillation on trouve pour la superposition des deux effets


ce qui correspond à une série de lignes d’intervalle constant

L’intervalle étant petit aussi bien en valeur absolue que par rapport à , l’ensemble compose une bande, de résolution plus ou moins facile.

De telles bandes ont été observées dans le spectre d’émission, mais surtout dans le spectre d’absorption de la vapeur d’eau, du cyanogène et des gaz HF, HCl, HBr. Les fréquences se placent dans l’infra-rouge, elles sont de l’ordre de 100 μ. dans le cas de la rotation pure et de l’ordre de quelques μ dans le cas de la rotation et de l’oscillation superposées. L’intervalle des composantes n’est pas, en réalité, constant, mais varie progressivement.

Une théorie plus complète fait prévoir, en plus de la bande principale, de fréquence fondamentale , des bandes d’ordre supérieur de fréquences fondamentales environ , etc., qui ont effectivement été observées par plusieurs savants.

L’étude du terme de rotation permet de déterminer le moment d’inertie de la molécule. Celui-ci s’exprime par la formule :


m et m’ sont les masses des deux atomes et r la distance de leurs centres. On trouve pour , r et k les valeurs suivantes, déduites des mesures de Imes :

  ----- r ----- k
HF---------- 1,325 10-40 0,920 10-8 1,570 10-24
HCl 2,594 10-40 1,265 10-8 1,620 10-24
HBr 3,258 10-40 1,407 10-8 1,646 10-24

Les expériences d’Imes [77] comportent, de plus, une particularité qui met


Fig. 28.


en évidence, semble-t-il, le phénomène d’isotopie. La fig. (28) représente la structure de la bande d’absorption = 1,76 μ de HCl, reconnue comme bande de 2e ordre par rapport à la bande fondamentale 3,46 μ. Les abscisses représentent les longueurs d’onde, les ordonnées l’absorption relative mesurée. La bande est résolue en lignes dont chacune est accompagnée, du côté des fréquences décroissantes, par un satellite de moindre intensité, avec un intervalle de longueur d’onde d’environ 14 A. Ce satellite est attribué à la molécule HCl37 tandis que la ligne principale correspond à HCl35.

L’interprétation théorique a été donnée par Loomis et Kratzer [77]. La longueur d’onde relative à l’oscillation des atomes H et Cl, suivant la ligne des centres, est proportionnelle à . Si l’on désigne par et les longueurs d’onde qui correspondent à HCl36 et HCl37, on trouve :

.

On en déduit pour le rapport de à environ 1300, ce qui conduit « a » un écart d’environ 13,6 A., en bon accord avec le nombre observé, et suffisamment petit par rapport à la distance de deux lignes de rotation consécutives, pour ne point troubler l’aspect de la bande résolue.

Pour HBr, la séparation prévue (environ de la longueur d’onde 3,9 μ) n’a pu être observée. Pour HF, la résolution de la bande donne des lignes simples, conformément aux prévisions.

Le moment d’inertie de la molécule qui intervient dans le spectre de bande est, comme la fréquence fondamentale d’oscillation, une fonction de la masse et doit donner lieu à une structure multiple des composantes d’une bande. Des prévisions théoriques à ce sujet ont été données par Kratzer, par Lindemann et par Haas [77]. En posant , et en admettant que la distance r reste constante on trouve pour le rapport des fréquences dues au terme de rotation :


est la masse de l’atome d’hydrogène, et les masses de Cl35 et Cl37. On en déduit :


d’où pour une valeur inférieure à une unité A. et trop faible pour l’observation.

Pour les 3 espèces de molécules du chlore Cl235, Cl35, Cl37 et Cl237, on peut prévoir des triplets. Les fréquences de rotation sont dans le rapport :

.

Les conditions semblent donc plus favorables en ce qui concerne ces rapports.

Les fréquences d’oscillation doivent aussi avoir des valeurs notablement différentes. Mais on manque de données expérimentales en ce qui concerne les valeurs de ces fréquences de rotation et d’oscillation.

On a vu d’autre part, que les essais jusqu’ici faits, pour mettre en évidence les écarts dans les spectres de haute fréquence des plombs isotopes n’ont pas donné de résultats positifs (voir p. 65). Des différences existent probablement, mais ne peuvent être révélées par l’expérience à la précision qu’on peut obtenir actuellement.

On peut conclure, au total, que la similitude des spectres des isotopes, bien que n’allant pas à l’identité, comme le croyaient primitivement certains auteurs, est cependant très complète. L’influence de la masse du noyau est négligeable en première approximation ; la valeur de sa charge détermine la structure du spectre aux basses et hautes fréquences. À cette règle, l’effet de masse apporte des perturbations qui jusqu’à présent se sont montrées minimes.

32. Statistique des éléments. — Dans l’ignorance où nous nous trouvons encore relativement à la structure et à la genèse des éléments, on peut, tout au moins, réunir et grouper un certain nombre de relations de nature statistique qui correspondent à des probabilités ayant leur origine dans le présent ou dans le passé et dont le sens ne peut manquer d’être mieux compris dans l’avenir. On peut énoncer, dans cet ordre d’idées, un certain nombre de propositions :

1° Le nombre des isotopes pour un même type chimique et la distribution des poids atomiques parmi ces isotopes sont soumis à des règles générales qui assurent la progression régulière du poids atomique chimique avec le nombre atomique, sauf exceptions rares. Le nombre des isotopes n’est généralement que 2 ou 3 pour les nombres atomiques faibles (Li, Bo, Mg, Cl, Ar, K, etc.) ; il peut devenir plus grand aux nombres atomiques plus élevés. Ainsi on compte 8 isotopes Sn, et 6 ou davantage du krypton ou du xénon. On trouve aussi 6 à 10 isotopes pour les types plomb, polonium, thorium. L’écart maximum de poids atomique jusqu’ici observé est 12 pour le xénon, 8 pour le krypton, l’étain et le plomb.

Il faut observer qu’il s’agit là, sans doute, de lois de probabilité. Les isotopes peuvent être groupés autour d’un type moyen ; des écarts notables à partir de cette configuration peuvent être rares sans être impossibles. Il existe peut être, en faible proportion des isotopes présentant des écarts de masse particulièrement élevés. Le poids atomique chimique résulte des proportions relatives des isotopes, et celles-ci sont déterminées par la probabilité des configurations correspondantes. La notion de corps simple ou élément à poids atomique entier par rapport à l’oxygène appartient à chaque isotope individuellement, tandis que tous ont en commun la notion de type chimique auquel semble attaché dans la nature un poids atomique chimique défini avec une grande précision.

Pour tout nombre entier depuis 1, on ne trouve pas nécessairement un représentant parmi les poids atomiques entiers des divers isotopes. Il paraît probable, dès à présent, que certains nombres correspondent à des poids atomiques de probabilité nulle ou tout au moins très faible. De 1 à 40 on ne connaît pas d’éléments de poids atomique 2, 3, 5, 8, 13, 17, 18, 21, 33, 34, 38. Au delà de 40 il peut exister également des lacunes. Enfin, la progression des poids atomiques s’arrête à l’uranium, l’existence de corps à poids atomique élevé étant, sans doute, incompatible avec les conditions de structure des noyaux.

La même masse atomique peut être réalisée avec une structure différente, non seulement chez les radioéléments, mais aussi chez les éléments ordinaires. On obtient ainsi les isobares : argon et calcium, RaD et RaE.

Aston fait remarquer qu’avec les éléments analysés, on peut former 15 groupes de deux corps ayant des propriétés chimiques analogues, avec une différence de 44 unités pour m et de 18 unités pour N. Ces couples sont les suivants [72] :

Mg24000 Mg26000 Al27000 Si28000 Si30000 P31000 S32000 Cl35000 Cl37000
Zn68 Zn70 Ga71 Ge73 Ge74 As76 Se78 Br79 Br81
 
A36 A40 Ca44 Sc45 Cu63 Cu65
Kr80 Kr84 Sr88 Y89 Agl07 Agl09

Il y a là peut-être l’indication d’un élément de structure commun qui serait un isotope de l’argon.

2° Il existe une probabilité de distribution pour le nombre atomique N et le poids atomique d’un élément simple P ; la différence P — N représente comme on le verra le nombre d’électrons nucléaires n.

Le nombre n est au minimum égal à . Le rapport est au minimum égal à 0,5, croît ensuite avec P et atteint sa valeur maximum 0,61 pour l’uranium.

.

Les valeurs de n attribuables aux éléments sont beaucoup plus souvent paires qu’impaires, autrement dit, la probabilité d’un nombre pair de nucléons est beaucoup plus grande que la probabilité inverse, si l’on considère l’ensemble des éléments simples. Cette loi exige que P et N soient, en général, simultanément pairs ou impairs.

Parmi les éléments inactifs examinés jusqu’ici on en compte environ 80 pour lesquels n est pair contre 12 où il est impair ; encore faut-il remarquer que, dans ce dernier cas, l’isotope considéré est parfois peu important (Li5, B10, K41, Kr83). L’azote composé uniquement d’atomes à n impair, constitue l’exception la plus importante. Chez les radioéléments on constate aussi une prédominance de n pair.

Une loi analogue existe en ce qui concerne le nombre atomique N qui est


Fig. 29.


favorisé quand il est pair en ce sens qu’il comporte alors un nombre plus grand d’isotopes. Pour plus de 40 éléments inactifs jusqu’ici examinés, le nombre moyen d’isotopes par type chimique est à peu près double pour N pair que pour N impair. Chez les radioéléments on compte environ 10 éléments avec N impair contre 20 avec N pair, et les nombres N = 85 et 87 sont jusqu’ici dépourvus de représentants (de même que N = 43, 61, 75).

Un autre point de vue intéressant consiste à considérer la répartition des diverses matières dans l’univers, en se basant sur l’abondance des éléments relativement au nombre atomique. Harkins [78] a réuni les résultats de l’examen de quelques centaines de météorites ; ces résultats sont représentés


Fig. 30.


dans la fig. (29), où l’on a porté en abscisses le nombre atomique, et en ordonnées l’abondance des éléments en %. Ce graphique offre un aspect dentelé, dont les maxima correspondent aux éléments de nombre atomique pair : oxygène, magnésium, silicium, fer. D’après cette estimation la proportion d’atomes de N pair dans les météorites est environ 98 %. Des évaluations analogues pour la croûte terrestre (fig. 30), conduisent à une proportion d’environ 90 %. Parmi les éléments de N impair les plus abondants sont le sodium, l’aluminium et le potassium.

On trouve ensuite que les valeurs paires de n = P — N sont favorisées, et même, plus spécialement la valeur très fortement représentée par l’oxygène et à un moindre degré par Mg24, Si28, S, Ca40. À cette valeur correspond une abondance exprimée par le pourcentage atomique environ 80. À un nombre pair d’électrons nucléaires correspondent comme abondance, les proportions d’environ 95 % d’atomes dans les météorites et de 98 % dans la croûte terrestre. Parmi les éléments de n impair, les plus abondants sont Mg25 et Si29. Pour ce qui concerne les éléments de N impair et n impair, il en existe peu et ils sont peu répandus, le plus abondant d’entre eux étant l’azote.

Les travaux de Harkins font ressortir un certain nombre de relations entre P, N, n et P — 2 N. Ces relations sont représentées par des graphiques qui offrent des régularités intéressantes. L’auteur attache une importance particulière à la grandeur P — 2 N qu’il désigne par nombre isotopique et qu’il considère comme propre à caractériser les divers isotopes. Dans la figure 30, les résultats relatifs à différentes valeurs de ce nombre ont été représentés séparément.




  1. Dans le cas du nickel une très légère différence a été constatée, mais demande confirmation.
  2. Dans un travail récent, Muzaffar a obtenu, pour l’antimoine de diverses provenances, des poids atomiques différents suivant l’origine des minerais (entre 121,14 et 122,37) ; ce travail est considéré comme préliminaire [73].
  3. La théorie de Bohr a été exposée dans les volumes suivants des conférences-rapport M. de Broglie : Les Rayons X ; L. Brillouin : La Théorie de Bohr.